L'Entretien
Saturday, 2 June 2007
SÉQUENCE 114
Le Campanelli's Resort Saint Martin dans les Caraïbes
Jérôme Boniment, Matti Kaltenbach
MATTI KALTENBACH
Non, en toute honnêteté, je ne puis me plaindre. Le poste est peu gratifiant sur un curriculum vitae, mais la clientèle est exigeante et paye bien. Discrétion, efficacité; discipline, telles sont les qualités requises et elles me conviennent tout à fait. Le seul problème, c'est le sexe et les distractions. On me fait mener ici une vie monacale. Pas le droit de recevoir, ni de sortir, ni d'acheter ailleurs que sur catalogue ou dans les boutiques club. Aucune liaison, aucune amitié, ne sont tolérées au sein du resort. Mais je n'ai pas l'intention de m'éterniser ici, juste de quoi économiser pour monter mon resto à Château d'Oœx. Ils m'ont promis d'utiles recommandations pour le Park Hotel qui m'enverra des clients.
Enfin. Je suis content que Rössli se porte bien. Seriez vous d'accord pour entrer en fonctions Lundi prochain?
JÉRÔME BONIMENT
Pour être franc, je préférerais commencer le 2 Janvier et jouir de mon Noël à Saint Martin.
MATTI KALTENBACH
Du 2 au 18 c'est la période creuse. Cela ne m'arrange pas du tout.
JÉROME BONIMENT
Coupons la poire en deux. Je fais du mi-temps et nous ne me payez qu'un tiers du salaire. Nous sommes ici en zone franche et l'administration fermera les yeux.
MATTI
Elle ne ferme jamais les yeux ici. Pourquoi cette insistance?
JÉROME BONIMENT
Il faut me laisser le temps de m'acclimater.
MATTI KALTENBACH
On ne s'acclimate pas au paradis.
JÉROME BONIMENT
Le crépuscule est si brutal : une grande nappe jaune safran et puis, soudain c'est le noir. Il faut s'y habituer. Au début, il parait que ça donne le cafard.
MATTI KALTENBACH
Ce que vous essayez de me faire comprendre, c'est que vous voulez avoir des soirées de libre?
JÉROME BONIMENT
Au contraire. Je préfère travailler, ça me changera les idées.
MATTI KALTENBACH
C'est mieux ainsi. Hermann n'aime pas les arrangements. C'est un psychorigide.
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SEQUENCE 106
SEHNSUCHT (Nostalgie)
Santa Samarea, Vadish colline
Ingrid, Pedro Gonzales, puis Vera et Lasse.
Dans la banlieue résidentielle, loin de la brume polluée de la ville basse. Un sanctuaire protégé par un barrage sécuritaire paramilitaire. On ne peut y pénétrer ni... s'en échapper, sans sauf-conduit. Les occupants de cette réserve d'air pur, de forêt de sapins et de prés bien entretenus, constituent une colonie très fermée. Une maison blanche de style colonial, aux colonnes doriennes, hautes fenêtres aux persiennes marron surmontées de frontons triangulaires, étincelle, noyée de rhododendrons et d'azalées. Il est deux heures p.m. Une jeune femme très blonde, vêtue de blanc, veille, assise sur un banc auprès d'un berceau. Deux garçons en short d'une douzaine d'années, roses, blonds, traits réguliers, bien peignés et bien habillés, sortent en courant de la maison et plongent vers le parc. La femme tient un livre ouvert sur ses genoux mais rêvasse.
Arrive Pedro Gonzales, tenue de jardinier, petit, maigre et la quarantaine usée. Attitude soumise et peureuse, visage buriné et bronzé.
PEDRO GONZALES
Excusez-moi, mademoiselle, le bruit de la tondeuse a dû vous déranger
INGRID C'est en effet l'heure de la sieste. Elle risque d'être perturbée par le vacarme. Aujourd'hui cependant elle va mieux. Demain elle risque de replonger, cette nuit c'est la pleine lune. C'est aussi difficile à supporter pour elle que pour les autres.
PEDRO GONZALES Pourtant elle ne manque de rien. Elle a une belle maison, un mari beau et riche, un enfant adorable et l'avenir assuré, sans parler du reste. Il y en a qui devraient bénir le ciel plutôt que se torturer alors que tant d'autres peinent à survivre.
INGRID Vous philosophez au lieu de travailler, Pedro, il ne sera pas content... Cependant, c'est incontestable, vous causez bien.
PEDRO GONZALES C'est que j'étais professeur de philosophie dans mon pays, mademoiselle, avant d'émigrer.
INGRID Cela ne nourrit pas son homme, je suppose.
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SÉQUENCE 102
;;;; ÉVEIL Cette séquence est le point de départ d’une intrigue mi-policière, mi-amoureuse. Paraphrase de trois vers de Lettera amorosa de René Char. Valentin Ludell était le mentor de Lars II et s’est marié avec la maîtresse de ce dernier qui lui a donné deux faux jumeaux. (Sont-ils vraiment de lui ?). Sa femme vient de le quitter, ce qui explique peut-être sa dépression.
Une bibliothèque au dernier étage d'un petit hôtel particulier, 95th Street entre Veme et Madison Avenue, à NewYork. Valentin Ludell qui s'était assoupi sur sa table de travail s'éveille en sursaut. Entre Mafalda en déshabillé.
MAFALDA
Que se passe-t-il? Il est deux heures et un quart. Encore un cauchemar?
VALENTIN LUDELL
J'ai dû m'endormir.
MAFALDA
Je vais vous apporter du lait chaud adouci par deux cuillérées de fleur d'oranger. Un deux de l'an, ce n'est pas étonnant.
VALENTIN LUDELL
Oui. C'est le stress.
MAFALDA
La solitude plutôt. La solitude ne vous vaut rien.
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..... Dans le labyrinthe
Le nombre important de visites reçues par les séquences de L'Entretien, m'a encouragé et m'a donné envie de compléter et de remettre en ordre, la série nommée "Saga" et dont le coeur est le duo d'amour entre Lasse et Clara.
Pour ce qui est le plan d'ensemble, se reporter au synopsis.
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Ci-dessus j'ai recopié une carte de l'ensemble des personnages et des sectes ausquelles ils appartiennent. Elle est peu lisible, et elle n'est là que pour donner une idée de l'organisation d'ensemble;
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Tuesday, 29 May 2007
La séquence 220 de L'Entretien
Rencontre au sommet, fusion à la base.
.... INTRODUCTION : Prologue au ciel
Faust I, d'après la traduction de Jean Malaplate, Flammarion.
Méphistophélès
Puisque une fois encore tu daignes t'approcher Seigneur,
et tu veux savoir comment va notre populace,
Moi sur qui ton regard aimait à se poser,
Me voici devant toi pour te rendre allégeance.
Paronne-moi pourtant : j'ignore les grands mots;
Dût tout le paradis se moquer de mes propos,
Et tu rirais toi-même, en écoutant mon pathos,
Si tu savais encore de que c'est de rire.
Je ne parlerai pas de sphères, de soleil :
Je vois l'humanité, sa misère profonde,
Le petit dieu d'en bas est pareil à lui-même.
Sans doute il vivrait mieux sans ta sollicitude;
Qui lui donna l'apparence des clartés du ciel;
Il la nomme raison mais il s'en sert si mal
Qu'il se ravale au rang du dernier animal.
Il est, quitte à blesser les sensibilités délicates;
Comme une sauterelle avec ses longues pattes
Qui saute et vole et saute et reprend son refrain.
Si du moins il ne quittait pas l'herbe où vous le créâtes !
Toujours le nez fourré dans un nouveau crottin !
Le contraste entre la majesté du cadre : le paradis, et la familiarité du discours du diable, qui évite la langue bois habituelle, introduit un oxymoron dans ce prologue étrange : coexistence de grandiose et de terre à terre. Il n'est pas un vers qui ne cache quelque intention ironique. Méphistophélès établit un contraste brutal entre la langue mythique des discours officiels et la langue vernaculaire de la réalité du monde.
Lorsqu'il se moque de la sollicitude divine, il me fait penser à une banderole accrochée à l'entrée de Saint Pierre de Chaillot qui déclarait en substance : "Mon Dieu, comment te remercier pour tous les bienfaits que tu répands dans le monde". A quoi, mon diable à moi, Hilarion, ne manque pas de répondre : "que serait-ce si le monde était privé de tes dons : la peste, le génocide, les épidémies. Merci, tes bienfaits tu peux les garder". On peut également citer L'Ascension et la chute de la ville de Mahoganny de Bertolt Brecht, où l'on voit Dieu menacer les impies des feux de l'enfer. Ces derniers lui répondent : l'enfer, on l'a déjà.
Relevons aussi l'hyperrationnalisme qui transforme les intellectuels pontifiants, énarques, maîtres à penser, philosophes engagés et autres bobos (et vous savez à qui je fais allusion en particulier) en bêtes stupides prêtes à soutenir les causes
les plus répugnantes. Mais laissons parler le Seigneur.
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Nouvelles du blog
Aujourd'hui, à midi vingt, nous avons franchi le seuil des dix mille visites par mois. Cela ne signifie naturellement pas dix mille visiteurs. Il faut tout d'abord compter les dix pour cent d'intrusion des moteurs de recherche, toujours à l'affut des nouveautés. Notamment il suffit de se brancher sur Pierre Boulez ou sur Bayreuth pour être en contact avec ce blog par l'intermédiaire de la catégorie correspondante. Par ailleurs les visites proviennent d'internautes fidèles au blog, et qui se branchent périodiquement par intérêt ou curiosité. En effet on ne peut jamais savoir quel sera le sujet du prochain journal ou du prochain article, pour la bonne raison que je ne le sais pas moi-même! Je crois avoir compris que beaucoup de jeunes fréquentent mes masterclasses, qui me donnent l'illusion de continuer mes cours, au delà de ma chaire au CNAM. La chaire, après la chaire ! Je crois que le sentiment le plus gratifiant de ma vie professionnelle a été le moment privilégié, où après avoir donné ma leçon, jgénéralement à une heure, le Samedi, je descendais de ma chaire, je m'emparais d'une chaise et je discutais avec un groupe d'élèves, toujours les mêmes. Nous oublions évidemment les uns et les autres de déjeuner. C'était là que se tenait le véritable enseignement. Ainsi que vous aurez pu le constater, je suis branché jusqu'à cinq heures du matin. Ce que vous ne pouvez connaître, est l'intense activité qui règne à ces heures nocturnes, où toutes les cinq minutes, un inconnu vient me rendre visite. C'est une sensation très mystérieuse pour un solitaire incapable de s'intégrer dans un réseau d'amis ou de connivences. Ce blog est en train de devenir, affectivement ma véritable famille.
Ce qui a beaucoup contribué à ce chaleureux sentiment de contact intellectuel et amical, a été la fréquentation, bien plus grande que je n'aurais osé l'espérer de mon Entretien. Elle m'incite à continuer et à poster, un peu au hasard, des séquences extraites de l'immense corpus de quatre mille pages in-folio, soit au moins dix mille pages A4. Ces séquences sont autant de pièces d'un puzzle qui au fur et à mesure se constitue et peut être se rassemblera en ce space opera pour hypertexte et internet, dont j'ai toujours rêvé. Un opera interactif qui pourrait me survivre. En attendant, je compte dans un prochain article, vous livrer la séquence-clé de L'Entretien : dialogue au sommet, assortie des commentaires sur le prologue de Faust, première partie, de Goethe, dont elle est l'image inversée.
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