Brahms
Sunday, 2 December 2007
Les matrices de Welch et de Breton
Cf. Billet suivant
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Saturday, 28 July 2007
Aimez-vous Brahms?
J'écoute très peu de musique enregistrée chez moi, et ailleurs. J'ai une assez bonne mémoire musicale, et je puis à volonté me souvenir des pièces entendues et jouées pendant une vie. Je travaille en me concentrant sur des oeuvres énigmatiques, à la recherche de secrets pressentis et enfouis, bien au delà des notes.
J'ai passé ces jours-ci par des moments éprouvants et de nature à vous emplir à la fois d'enthousiasme et de déception. Un des soutiens les plus précieux a été ce blog, par une certaine affection que je sens -peut être à tort- dans ces passagers inconnus et en particulier ceux qui de minuit à neuf heures du matin se pressent nombreux pendant que je rédige ces lignes. Certains ce sont matérialisés par leurs commentaires, d'autres ont été plus loin et se sont fait connaître par leurs emails, un est même apparu en chair et en os me rendre visite! Mais j'ai ressenti la même présence familière et bienveillante, que m'ont toujours prodigué les étudiants de ma chaire du CNAM. Je les regrette. Ne croyez surtout pas que je sois dépourvu de discernement. En fait je suis très sélectif. J'ai eu une antipathie largement partagée pour les auditeurs de l'APM, qui attire des conférenciers de renom et composés de gens qui se croient arrivés : cadres supérieurs de grandes boites, petits patrons de petites entreprises, roitelets dans leur patelin, tous empreints de condescendance. J'avoue ne pas avoir aimé non plus mon public de HEC, ni les graduates de Wharton. En faisant les comptes, je ne trouve que mes séminaires pour une grande entreprise du Nord, avec des gens venus de la base, désireux de s'instruire, mon public du CNAM, des fidèles, des amis, et enfin à présent mes internautes auquel je m'attache comme si je les conaissais. C'est Beethoven qui à propos de la Missa Solemnis écrivait en exergue "que venu du coeur, cela aille au coeur". Et pourtant cette fresque digne de la Sixtine, contient des passages parmi les plus complexes jamais composés, conçus dans les affres du travail le plus laborieux et le plus douloureux, au terme d'une lutte entre les forces de la convention et celles de la novation. Ainsi le dernier billet de Marina Fédier trouve-t-elle l'illustration la plus frappante dans cette oeuvre transcendante qui, selon l'expression du génie de Bonn, a infusé dans les formes anciennes l'esprit le plus libre.
J'ai réécouté ce soir des pièces tardives pour piano de Johannes Brahms (les op. 118 et 119). L'interprétation admirable de Julius Katchen est toute entière orientée vers l'expression alors que celle, respectueuse du texte de Klien (cf. Brahms quatres ballades) reste en déça. Mais, paradoxe, c'est la version neutre qui l'emporte, car la nostagie du compositeur n'interfère pas avec celle que veut lui infuser l'interprète.
Ces considérations ne sont pas destinées à des musiciens ni à ces mélomanes qui courent les concerts. Les intermezzi de Brahms op.118, non plus.
J'ai écouté ces pièces toute ma vie, mais depuis une vingtaine d'années je les ai perdues de vue. Dans l'intervalle j'ai travaillé les quatre ballades op.10.
Par hasard j'ai écouté sur ma médiocre chaîne d'appoint ces pensées musicales, courtes, évasives, humbles et j'ai ressenti l'âme désenchantée du compositeur s'emparer de mon esprit, de mon coeur, de mes sens. J'ai pleuré à la pensée des souffrances que cet homme a dû enduré pour composer ces miniatures de douceur et d'amertume. Beaucoup de regrets d'une vie sentimentale absente, d'un cancer affectif qui ronge l'âme et pis encore de résignation.
Mais, voilà. On sort de ces vingt minutes d'audition, bouleversés par la beauté inouïe des mélodies, par la subtilité indicible de leur traitement, de l'oxymoron musical : solitude sans fond et sans fin, rêve d'amour et de tendresse, composition d'une rigueur et d'une raffinement insurpassable mais toujours au service de l'expression.
Le privilège d'écouter cette demi-heure de musique, vaut une vie de renoncements. C'est une expérience inimaginable pour qui n'a pas gôuté au sommet de l'art musical, et même pour des mélomanes épris d'oeuvres plus imposantes. Aussi, je voudrais faire un pari avec ceux d'entre vous qui n'êtes pas allergiques à la musique classique.
Achetez les pièces op.118 et 119 de Brahms par Bakhaus (Decca) ou par Katchen (dans l'intégrale de Decca). N'écoutez qu'elles pendant une semaine, à l'exclusion de toute autre musique. Au début vous n'entendrez que des notes informes, ternes, sans relief et peu séduisantes. Continuez. Les mélodies commenceront à apparaître, environnées d'une soupe de sonorités insaisissables. Persistez. Le polaroïd musical continuera de se développer. Il arrivera un moment où tout semblera clair, chantant, logique, et beau. Abandonnez l'écoute, et revenez-y au bout d'une semaine. Un travail de murissement aura décanté les notes. Les mélodies se transmueront instantanément en une plainte d'une douceur infinie : vous parlerez avec Brahms, comme Bach parlait avec Dieu.
Si je vous conseille cette immersion c'est qu'elle est de courte durée et que dévoilées ces petites pièces vous feront comprendre pourquoi les musiciens les considèrent comme le chef d'oeuvre absolu du grand compositeur.
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Sunday, 13 May 2007
..... Qui connaît Walter Klien?
Pas moi.
Mais ce pianiste autrichien avait souvent attiré l'attention de mes amis mélomanes. De l'époque de Brendel, c'était un exemple de l'honnête interprète viennois, scrupuleux, mesuré, sans erreurs de goût.
Il se trouve que la version de référence des Ballades op.10 de Brahms, présentée sur un site plus ou moins pirate comme étant de Backhaus, est en fait de Klien. J'avais salué dans cette interprétation, la seule qui suive la partition dans les moindres nuances, les moindres indications du compositeurs, et je la plaçais très au dessus de toutes les autres. J'ai retrouvé les références dans Abeille Musique et je vous conseille vivement d'acheter la quasi intégrale de l'oeuvre pianistique de Brahms. En voici les références :
Référence : VOXCD5X3612 - 0047163361227 - 5 CD : 59:49 - 58:42 - 55:29 - 58:42 - 61:41 - ADD - Dates et lieux d'enregistrements non précisées (dans les années 50 et 60, en 1969 & 1990) - Notes en anglais
Paru chez Abeille Musique le 14 février 2005
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Prix permanent abeillemusique.com : 23,63 €
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Wednesday, 18 April 2007
*** A propos des Ballades op.10 de Brahms
Un de mes amis m'a entraîné hier au Théâtre du Châtelet écouter le pianiste Radu Lupu jouer les Quatre Ballades Op10 de Brahms qui ont fait l'objet d'une analyse détaillée dans ce blog. Radu Lupu a une solide réputation, méritée à mon avis. Le jeu est d'une grande délicatesse, d'une parfaite simplicité, ce qui n'exclut pas des forte d'une riche texture, d'autant plus efficaces que toute la gamme des nuances me semble construite à partir du pianissimo.(Ce que faisait Kempff, et en quoi réside la légèreté de son jeu).
A mon avis, il n'y a aucune comparaison possible entre le jeu maniéré, lourd, froid et trop sonore de Benedetti Michelangeli, dans son DVD, et la simplicité de Radu Lupu, pourtant moins encensé que le pianiste culte. L'atmosphère onirique était assez bien rendue, et le jeu expressif et léger. Cependant Julius Katchen rendait mieux la magie du trio de la troisième ballade, on n'entendait que des notes chez Lupu, un carillon mystérieux chez Katchen. Mais Katchen obtenait ses effets poignants dans la première et seconde ballade que par des rubati absents de la partition. Rupu au contraire maintenait inflexiblement le tempo.
Ce qui manquait à Lupu, à mon sens, c'est l'ambiance troublée et presque anormale qui caractérise le héros. Dès la première ballade, les réponses du jeune meurtrier à sa mère, sont énoncée avec une feinte humilité, et c'est parfait d'expression. Mais la chevauchée est trop stridente, et lorque la mère demeure seule, les notes portées de la main gauche sont plates. On ne sent pas le caractère hallucinatoire, malsain, de la fin de la première ballade. Même Michelangeli parvient à le restituer. Même chose en ce qui concerne la seconde ballade. Le son est chantant, mais sans cette sehnsucht, ce poignant sentiment de regret qui préfigure les oeuvres tardives. La chevauchée, une fois de plus manque de sauvagerie et évite tout côté paroxystique. La troisième ballade est exécutée avec une extraordinaire légereté, qui ôte ce qu'il peut y avoir de trop lourd dans les formules obsédantes à la Schumann. La dernière ballade est exécutée au début dans une mesure à deux temps plutôt qu'à trois temps, ces qui est permis par l'ambiguïté des six temps. La partie brouillée, est interprétée à la perfection, selon les indications précises de Brahms qui ne voulait pas que l'on marque la mélodie.
Au début une sonate de Schubert, permettait de saisir la différence avec une oeuvre d'un esprit équivalent, l'op. 31 N°3 de Beethoven, merveilleusement interprétée, toujours avec ce son léger et cette précision rythmique qui ôtent toute vulgarité provenant d'un jeu lourd et appuyé. Le public ressentit l'immense différence entre la beauté divine de Schubert, visant le plaisir de l'oreille et la douceur des sentiments, et l'originalité extrême de Beethoven. De même Debussy et Brahms situé aux antipodes, viellissent différemment. Debussy est à la fois imagination des timbres et des textures, et évocation ludique et poétique. Pas de plan structurel, pas de polyphonie, de l'invention harmonique et le plaisir gustatif de l'oreille exalté par la gamme par tons. Brahms dans les Quatre Ballades est une des rares pièces germaniques qui n'aient pas de développement. Les harmonies sont subtiles, comme chez Debussy, mais l'effet en dépit de la simplicité apparente des Ballades, est bien plus impressionnant. La salle le remarqua également et les applaudissements n'éclatèrent qu'après un silence prolongé. Les gens étaient saisis. Jadis, les Français n'aimaient ni Brahms ni Mahler. Aujourd'hui l'épreuve du temps est favorable à ces post romantiques. Le mystère qu'ils enferment, y serait-il pour quelque chose? Le post romantisme allemand, hier abhorré par les élites françaises, aujourd'hui à contre courant de l'hédonisme ambiant, serait'il sujet à réévaluation.
Une remarque pour terminer. Je me prends à penser que d'innombrables Radu Lupu, dignes des Guillels ou des Arrau, doivent jouer dans l'obscurité médiatique. La situation de la musique classique est bien triste aujourd'hui. Hier c'était la pénurie, aujourd'hui c'est un déferlement qui dissimule le manque d'auditoire. Lorsque j'étais jeune, je fréquentais Pathé Marconi à Paris. Le secteur classique était aussi important que les variétés. A Zürich, il le dépassait largement, en nombre d'albums et et prestige. Allez chez Virgin aujourd'hui ou à la FNAC Champs Elysées. Voez ce qui se passe et qui passe dans les centaines d'écrans à Plasma. Comparez le niveau de ces choses-là (on ne sait comment les nommer) avec le ridicule petit réduit ou est confiné le "classique". Mais après tout, du temps de Molière, les pièces de niveau elevé étaient réservées à une élite, le peuple se contentait de farces et de jeux point supérieurs à ceux que nous déverse Matrix... La technologie et le bruit en moins, cependant.
Thursday, 22 March 2007
*** La confusion des sentiments
Une analyse des Quatre Ballades Op 10 de Johannes Brahms.
Extraite de L'Entretien, postface au Chant de Hellewijn, série Contes et légendes. Accompagnée de nouveaux commentaires sur les interprétations désinformantes.
Voici les paroles de la première ballade Op.10 de Brahms superposées, tant bien que mal, à la musique correspondante.
On remarquera ci-dessus l'asymétrie des nuances. Mesure 7 on note un diminuendo absent de la mesure 17. Afin de bien faire ressortir le contraste entre mère et fils Brahms n'a mis qu'un seul sostenuto. La plus grande sobriété technique doit donc être respectée sous peine de tomber dans le mélo des rubati perpetuels. L'expression ne réside pas dans ces maniérismes rythmiques mais dans le respect des nuances très sensibles, du p au pp et des diminuendo imperceptibles qui donnent vie à ces tressaillements de l'âme. Est-il utile de préciser que Katchen admirable de sonorités et de nuances, tombe dans le piège rythmique. Quant à Arturo Benedetti Michelangeli dans son DVD, il semble incapable de contrôler ses pianissimi, ce concentrant non dans l'esprit de l'oeuvre, mais sur l'obtention de la sonorité la plus flatteuse possible. Au moins Katchen exprime parfaitement l'atmosphère troublée de ces pièces étranges, et leur mystère, alors que Michelangeli passe à côté. Quant à Glenn Gould, qui avoue n'avoir jamais entendu des ballades Op10 et les avoir expédiées en un mois à raison de une heure par jour de travail, le mystère reste entier : pourquoi les enregistrer, pourquoi les éditer... et pourquoi les écouter? Lorsqu'on n'aime par une oeuvre, on s'abstient.
L'interprétation ci-dessus, est évidemment subjective. Brahms n'a laissé aucun commentaire permettant de la confirmer. Elle me paraît cependant être étayée par l'unité organique de ces quatre pièces, qui prouve la continuité des états d'âme, dans le prolongement de la première qui nous donne une espèce de pierre de rosette qui permet de décoder les suivantes. Est-il besoin de souligner que les soufflets de la mesure 5, caractéristiques de la sehnsucht chez Brahms, véritables soupirs exprimant une nostalgie presque insoutenable, sont purement ignorés dans les trois interprétations citées?
Les notations ci-dessus font référence au Chant de Hellewyijn dans Contes et Légendes. D'ailleurs ces planches explicatives
sont tirées de L'Entretien. ***
Ce que j'ai nommé "chant de brouillard", est un des passages les plus mystérieux de l'histoire du piano, et célébré comme tel par les critiques. Une des caractéristiques de cette œuvre étrange, indépendamment de l'interférence des croches et des triolets, est la nuance piano et pianissimo, voire plus doux encore que pianissimo, de toute la ballade, et en particulier dans le chant de brouillard : "avec un sentiment très intime, sans trop marquer la mélodie" (indications du compositeur). En effet trop faire ressortir le chant sur le fond des harmonies stagnantes, conduirait à abandonner le pp ou à rendre inaudibles les battements interférants de croches et de triolets. Par ailleurs, psychologiquement, la mélodie doit sembler comme voilée, baignée dans une brume mystérieuse, comme un fantôme. Ces indications doivent être interprétées avec la plus grande enmpathie. Le pianiste doit oublier le piano. Dans un état zen, il doit sentir l'évocation musicale surgir sous ses doigts, sans qu'il intervienne. Le sentiment ne vient pas de l'oreille, mais de la sensation tactile de la pulpe des doigts en contact direct avec les régions les plus troubles de notre inconscient.
Est-il besoin de rappeler une fois de plus, qu'en dépit de ses grimaces de cabotin inspiré, Michelangeli est bien incapable de transmettre ce sentiment très intime? C'est que tout est pris à rebours, la mélodie est jouée lourdement, avec des sonorités pleines et charnues, et bien entendu dans un mezzo forte frôlant le forte. Mais comment le lui reprocher? Le public aime ça, et si les indications du compositeur se prêtent à une écoute dans l'intimité, comme celle du salon de Schumann où le jeune homme blond les interpréta devant ses hôtes émerveillés, en revanche, elles se perdraient peut-être dans une grande salle de concert. Par ailleurs, il est incontestable que la mélodie est plus facile à saisir, ainsi soulignée.
Quoi qu'il en soit, voici un cas exemplaire de désinformation musicale. La lettre est trahie car elle révèle une conception de la musique, et un ressenti intérieur, totalement étrangers à la sensibilité d'un public contemporain. Il faut donc l'aménager, la déformer, supprimer des messages, afin de la rendre comestible. Comme toute désinformation, celle-ci est souterraine, car le public est hors d'état de vérifier la fidélité à la partition, ne connaissant, au mieux, les ballades que par des enregistrements, les pianistes professionnels jugeant la performance de Michelangeli sur des critères purement techniques : correction du jeu (pas de fausses notes) contrôle des sonorités, autorité dans l'interprétation. Et puis n'oublions pas le rôle de l'aura dont est environné le célèbre pianiste italien, sa réputation de rigueur maniaque, de virtuosité sans faille, ses caprices de diva. Qui oserait suggérer qu'il falsifie une partition et qu'il trahit lettre et esprit, sans complexe?
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