C'était le 24 janvier dernier. A l'occasion d'une soirée offerte par son Excellence, Alexandre Orlov, Ambassadeur de Russie en France, en mémoire du Professeur Bruno Lussato, son fils Pierre prononçait le discours suivant :
Je tiens tout d’abord à remercier son Excellence et son épouse pour leur accueil chaleureux dans ce lieu magnifique et chargé d'histoire. Pour l’organisation de cette soirée en l’honneur de mon père, le Professeur Bruno Lussato, je tiens à vous dire « Spasiba Balchoi ». Je tiens aussi à remercier de tout cœur Maestro Valery Gergiev qui a été à l’origine de notre réunion d’aujourd’hui. Mon père vous portait une admiration rare tant pour votre incroyable talent mondialement reconnu que pour le courage et la détermination qui vous définissent auprès de tout ceux qui vous connaissent. Il admirait plus que tout les hommes fondamentalement dévoués à leur mission et leur art et je pense que vous étiez devenu pour lui un ami cher avec qui il partageait un lien indéfectible puisé dans votre amour commun de la musique. Un grand merci également à l’Association française des amis du théâtre Mariinsky et à Catherine Barré qui a tant fait pour le rapprochement de nos deux pays. Vous êtes de ces personnes exceptionnelles qui ont contribué à faire grandir chez mon père sa passion pour la Russie et l'avez encouragé à devenir ce passeur entre nos deux univers qu'il était devenu.
Lorsque à l'école on me demandait qui est mon père, je ne savais pas très bien comment répondre. Etait-il conseiller d’entreprise ? Écrivain ? Professeur en théorie de l’information et des systèmes ? Musicien ? Collectionneur ? Il etait un homme unique et tout ceux d’entre vous ici qui l’ont connu –clients, élèves ou amis- étiez familier avec une ou plusieurs de ses nombreuses facettes et comme moi étiez sans nul doute fasciné par la profondeur de ses connaissance et de ses réflexions sur de multiples sujets.
Je l’ai souvent comparé à un homme de la renaissance, un cliché certes, mais dans son cas une description des plus juste. Il s'intéressait tout simplement à tout ce qui était beau, complexe ou mystérieux. Sa vie durant, il se consacra corps et âme à assouvir sa curiosité sans borne pour synthétiser et puis enseigner à d’autres les chemins qu’il venait de découvrir. En plus de quarante ans d’enseignement et d’activité professionnelle dans le domaine du management, il a touché de nombreuses personnes et leur a laissé un souvenir saillant. Son aptitude à créer des ponts entre toutes ces aires de connaissances combinée à une logique implacable lui permettait d’analyser les situations les plus complexes en un instant.
Fasciné par les systèmes, il plaçait néanmoins l’homme au milieu de tout et déplorait la marginalisation actuelle de la culture humaniste. Justement, dans le domaine de la culture il se battait contre le nivellement par le bas, contre ce qu'il appelait les « armes de distraction massive » et le relativisme du « tout ce vaut ». On lui reprocha parfois d’être élitiste – bien au contraire. Je ne l’ai jamais vu refuser son enseignement à qui que se soit et le centre culturel qu’il créa avec Auchan, L’Oreal et d’autres sociétés françaises en 1988 avait pour mission unique d’enseigner la culture à tous dans l’entreprise - de la caissière au PDG- pour éveiller en eux une intelligence et une sensibilité autre que celle qui domine un monde hyperspécialisé.
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Il était également reconnu comme visionnaire ayant prévu l’avènement de la micro-informatique contre la grande informatique centralisée qui dominait dans les années 70. Il avait anticipé de nombreuses crises financières mais aussi sociales ayant vivement critiqué le cours vers la deshumanisation que prennent les multinationales. Il donna à ses clients une alternative réelle à la centralisation infernale des entreprises et des systèmes en prônant le retour vers la responsabilisation des individus.
Il nous a laissé aussi un immense lègue culturel dans plus de trente ouvrages tel que bouillon de culture, décodages ou virus, son exhaustif blog brunolussato.com, son musée de l’écriture, ses collections musicales mais aussi ses manuscrits, le plus exceptionnel d’entre eux étant un livre d’heure de plus de trente tomes écrit pendant trente années représentant l’essentiel de sa pensée et qui est aujourd'hui conservé à la bibliothèque nationale de France.
Malgré sa créativité monumentale, il ne s’est jamais laissé le temps de promouvoir son œuvre. Il était toujours trop pressé d’engager un nouveau projet, une nouvelle direction. C’est pour cela que l’honorer ici ce soir est une reconnaissance merveilleuse qui l’aurait profondément ému. Il aurait été d’autant plus heureux en sachant que cette soirée marque l’ouverture de l’année France Russie. Il représente d’une certaine manière l’essence de l’amitié entre les deux pays ayant œuvré ces dernières années à les rapprocher. En effet mon père s’est senti proche de la Russie et de son illustre histoire et de sa culture toute sa vie durant. Ces dernières années cette attraction culmina à travers les nombreux projets qu’il entreprit avec le soutien et la connivence de ses amis français et russes et qui se traduisit dans un chemin spirituel vers l’orthodoxie qu’il entreprit au couchant de sa vie. Il tenta également de rapprocher la France et la Russie à travers une compréhension réciproque des deux cultures.
Il nous a quitté bien trop tôt... avant de pouvoir achever ce qu’il avait commencé et je souhaite, j'espère que nous pourrons tous profiter de son enseignement et suivre son exemple pour disséminer le grand art qui lui tenait tant à cœur. Il me disait souvent ne jamais se sentir seul car il était accompagné en permanence des grands génies du passé et de leurs œuvres. Continuer dans cette voie est pour moi et pour ceux qui l’ont connu le seul moyen de combler le vide qu’il a laissé après lui. Je vous remercie énormément pour votre attention et votre présence ici ce soir.