..... Qui connaît Walter Klien?
Pas moi.
Mais ce pianiste autrichien avait souvent attiré l'attention de mes amis mélomanes. De l'époque de Brendel, c'était un exemple de l'honnête interprète viennois, scrupuleux, mesuré, sans erreurs de goût.
Il se trouve que la version de référence des Ballades op.10 de Brahms, présentée sur un site plus ou moins pirate comme étant de Backhaus, est en fait de Klien. J'avais salué dans cette interprétation, la seule qui suive la partition dans les moindres nuances, les moindres indications du compositeurs, et je la plaçais très au dessus de toutes les autres. J'ai retrouvé les références dans Abeille Musique et je vous conseille vivement d'acheter la quasi intégrale de l'oeuvre pianistique de Brahms. En voici les références :
Référence : VOXCD5X3612 - 0047163361227 - 5 CD : 59:49 - 58:42 - 55:29 - 58:42 - 61:41 - ADD - Dates et lieux d'enregistrements non précisées (dans les années 50 et 60, en 1969 & 1990) - Notes en anglais
Paru chez Abeille Musique le 14 février 2005
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Prix permanent abeillemusique.com : 23,63 €
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Label : Vox
Johannes Brahms
Walter Klien joue Brahms
Quatre Ballades, op. 10
Walter Klien, piano (1928-1991)
*
Klien étudia le piano avec Michelangeli et la composition avec Hindemith, et fit ses débuts avec Karajan : le pedigree est assurément impeccable. Par la suite, notre pianiste se hissa au rang des plus grands, tout en gardant une saine distance vis-à-vis du monde des paillettes et du paraître. Son jeu toujours direct, d'une grande simplicité, aussi subtil que puissant, permet aux pièces de Brahms de s’épanouir dans toute leur phénoménale richesse, sans que jamais l’aspect purement pianistique ne transparaisse.
Une approche idéale pour la musique de Brahms qui fuit résolument toute forme de virtuosité apparente. Et pourtant, il faut vraiment s’accrocher pour jouer toutes les notes des Variations sur un thème de Schumann ! Pour les pièces à quatre mains, Klien s’entoure de Beatrix Klien et d’Alfred Brendel, de formidables partenaires. C'est vraiment magnifique, excepté le son qui est inégal d'un disque à l'autre.
Mais celui des ballades est excellent sur mon pirate téléchargé, moins bon dans le CD du commerce. B.L.
Un de mes amis, m'a apporté deux des quatre ballades op 10 (les deux premières) dans la version (authentique celle-là) de Wilhelm Backhaus, dont voici les références.
Backhaus Plays Brahms. Celebrated Piano Solo Recordings. 129-1936. From HMV DB1894 Victor 7988. December 5,1932
Avec l'interprétation de Julius Katchen, extraite de l'intégrale Decca, ces trois enregistrements me paraissent les meilleurs et les départager est difficile mais passionnant, car cela nous amène à nous questionner sur les critères de valeur d'un enregistrement. C'est cela que je voudrais sommairement aborder ici.
1. Il me semble tout à fait évident, qu'en ce qui concerne ces trois versions, la date d'enregistrement est tout à fait secondaire. D'une part le repiquage des disques d'avant guerre est remarquablement réussi. D'autre part les différences d'interprétations sont telles, qu'elles font oublier la qualité sonore.
2. Les trois versions respectent convenablement la partition, avec les réserves suivantes:
Klien est de loin le plus respectueux, les moindres nuances de dynamique sont suivies scrupuleusement, notamment les ppp de la quatrième ballade. De même, les tempi sont inexorablement maintenus. Une licence est l'appoggiature de la première mesure qui est une croche barrée. Mais tous font la même erreur à l'exception de Backhaus. En revanche tous omettent le soufflet (c'est à dire la séquence pp-p-pp) dans la deuxième ballade. (voir l'article : "les quatre ballades de Brahms")
Julius Katchen en revanche s'autorise le maximum de licences, essentiellement des rubati très appuyés, surtout dans la première ballade.
L'intérêt de la confrontation des trois interprétation, est qu'elle met en évidence la différence entre dénotation et connotations dans une oeuvre aussi particulière que celle-ci.
La dénotation, c'est la transmission des données objectives de l'oeuvre, falsifiables (par comparaison avec la partition).
Mais l'oeuvre en elle même nous échappe. La partition n'en conserve qu'une "trace" tributaire du système de notation. Un pp n'a qu'une valeur indicative qui dépend de la sonorité, de la dynamique de l'ensemble. De même le tempo est élastique : qu'est-ce qu'un Andante? Et un Sostenuto?
Une marge considérable est donc offerte à l'artiste, même le plus scrupuleux. Le chois entre les nombreuses opportunités dépend à mon sens de deux facteurs : le style, l'atmosphère.
Le style est fondamental chez Backhaus. L'appoggiature en croche barrée,respectée, imprime un rythme masculin qui conduit à prendre la première ballade dans un tempo assez rapide. La sonorité de l'artiste est pleine, somptueuse. La rapidité des tempi des deux ballades, fait bien ressortir l'architecture de l'ensemble. On pourrait croire que Brahms est au clavier,et il convient à ce propos de ne jamais oublier que Backhaus a connu Brahms et qu'il l'a entendu jouer. Son professeur Marcian Thalberg, a joué le deuxième concerto avec le compositeur au pupitre. Le ce point de vue l'authenticité et l'autorité sont évidentes. On ne peut qu'admirer et se taire. Le maître joue, le maître a joué.
Chez Klien, c'est le respect de la partition qui l'emporte.* En l'écoutant, c'est comme si l'on avait les notes sous les yeux. Il est le seul à obtenir des ppp à la limite de l'audition. Il n'y a rien à critiquer, rien à redire. Les tempis sont justes. C'est une dénotation neutre. Les connotations proviennent du texte brahmsien, non du jeu du pianiste.
* Notons cependant que l'appoggiature de la première ballade, thème I, qui est une croche non barrée dans la partition est non barrée chez Klien, comme d'ailleurs chez tous le pianistes cités, à l'exception de Backhaus.
Katchen a parfois passé pour une réincarnation de Brahms. Il était impregné charnellement de l'ambiance post romantique du compositeur, et sa sonorité expressive et variée était remarquable.
Or les Ballades Op.10, plus que toute autre oeuvre recquièrent un travail d'imagination sur le pianiste et l'auditeur. En effet elles ne font pas qu'aligner des structures musicales originales, elles doivent avant tout évoquer une atmosphère trouble et mystérieuse, ce que les allemands appellent la sehnsucht. Notamment, il faut que l'on puisse imaginer le dialogue entre la mère, sévère, et le fils, d'abord soumis et fuyant, puis brutal et pesant. La deuxième ballade est un véritable poème symphonique et la dernière, une incursion dans les régions les plus troubles de l'inconscient. Or chez Backhaus, le pianisme et l'autorité classique du jeu, forcent l'admiration mais empèchent les connotations de se développer comme un parfum toxique. On entend de la magnifique musique de Brahms. On se dit, quel jeu, quelle vérité stylistique.
Mais chez Klien, il transparait entre les notes, une angoisse, un trouble, une anormalité qui sont enfermées et il faut une certaine imagination pour en être touchés.
C'est pourquoi Katchen n'a pas hésité à solliciter le texte, par des rubati, des effets de sonorité troublants, afin de faciliter à l'auditeur l'évocation d'un paysage de brume et des landes désolées de la culpabilité, du remords et de la nostalgie. Dans le trio du scherzo (IIIème ballade), la maîtrise des pianissimi et des sonorités de glockenspiel, permet au pianiste de faire surgir l'image du gnome maléfique. Dans la dernière ballade, le tempo rapide favorise l'émergence de la mélodie splendide, qui chante plus que dans les autres versions. Le charme opère. Ce n'est pas Brahms qui est assis au piano, c'est le jeune Edward qui erre dans les landes.
Comment choisir? Si des amateurs passionnés daigner acheter ces enregistrements et me faire part de leurs impressions, j'en serais enchanté.
En revanche on sait ce qu'on ne peut choisir : l'interprétation lourde, forte, trop sonore, de MIchelangeli dont les grimaces et les poses, ne sauvent pas le saccage musical et émotionnel de ces pièces fragiles.
Et puis, il y a la version de Glenn Gould, dont on se demande ce qui lui a pris d'enregistrer une musique qui lui est aussi étrangère qu'à votre serviteur, le swahili.
J'espère pouvoir réaliser un enregistrement vidéo. Je pense que celui de Backhaus est tombé dans le domaine public, mais ce n'est pas le cas des deux autres. Il me faudra en simuler le jeu au piano afin de ne pas payer de droits.