Art contemporain
Tuesday, 8 May 2007
VENISE. Séquence 1, Palazzo Grassi
Jusqu'au 11 novembre 2007L’exposition « Séquence 1 », élaborée par Alison M. Gingeras, conservatrice de la collection, est l’occasion d’arpenter plus encore, à travers les œuvres de seize artistes, la part contemporaine de la collection de François Pinault.
Cet accrochage aligne de très belles œuvres, telle la suite d’autoportraits réalistes de Rudolf Stingel, Louvre (after Sam) (2006), où l‘impression de reproduction mécanique est contredite par quelques « imperfections » qui attestent du caractère « fait main » de la peinture. De même, qu’on ne se lasse pas des incursions de l’artiste dans le registre décoratif, comme ici avec un moulage de motifs qu’on croirait issus d’un plafond rococo, avant qu’ils ne soient teints en noir (Untitled (1631), 2007).
Parmi les œuvres de Richard Prince (notamment une formidable suite de portraits colorisés, comme issus de séries TV, montés dans de très grands cadres noirs et longilignes : Untitled (Entertainers), 1983), de Mike Kelley, de Robert Gober (une remarquable et inquiétante porte encadrée de ballots de journaux, surmontée d’une ampoule rouge et à travers laquelle filtre un rai de lumière : Door with Lightbulb, 1992), de David Hammons, Louise Lawler ou Urs Fischer, force est de constater qu’on ne boude pas son plaisir.
Cette exposition laisse pourtant une impression mitigée en posant deux questions.
Tout d’abord, un accrochage est-il un déballage ? À de rares exceptions près – et on soulignera la collaboration réussie de Franz West et Urs Fischer, qui a aboutit à la création d’un papier peint figurant les traces de l’ancien accrochage de la collection, dont il ne subsisterait plus que des fantômes, cartels inclus – les salles sont monographiques. On prend peu de risques, avec des noms tels que ceux sus-cités, en les alignant de la sorte les uns après les autres. Surtout quand on essaye de les lier par l’argument fourre-tout et pas très original de la réinvention des médias classiques que sont la peinture et la sculpture. Tout cela relève plutôt de la faiblesse dans le discours curatorial.
La seconde interrogation a trait aux phénomènes de mode. François Pinault est un collectionneur avisé, dont la qualité globale des œuvres qu’il assemble n’est pas à prouver ni à remettre en cause. Comment est-il alors possible qu’un œil aussi averti ait pu se laisser piéger au point d’acheter en nombre – et d’infliger au visiteur – tant d’œuvres d’Anselm Reyle ?
Coqueluche du marché, ce dernier est devenu une sorte de « phénomène de foires », avec inflation constante des prix et listes d’attente. Cela suffit-il à en faire un travail digne d’intérêt ? Sans doute pas au vu de ses monochromes noirs, véritables croûtes d’une lourdeur ahurissante sans un once de finesse, de sa sculpture en bronze poli façon croisement de Brancusi et de Koons, posée sur un socle en macassar (c’est mentionné sur le cartel… car le collectionneur doit en avoir pour son argent !), ou de ce mur peint en jaune fluo, qui dans l’atrium du Palazzo Grassi résonne presque comme une insulte.
L’argument qui voudrait que l’artiste ressuscite, par la force de l’hommage, les styles du passé, est très court et fait surtout montre d’une bien faible créativité. Les artistes cités en hommage s’en seraient sans doute volontiers passé, à l’image de Martial Raysse, dont les formidables tableaux des années 1960, confrontés à ceux de l’artiste allemand, affirment une belle vitalité.
Les phénomènes de modes, particulièrement dans le champ de l’art contemporain, sont à manier avec précaution. Surtout lorsqu’ils ont trait à la persistance d’une peinture facile car outrancière dans son vocabulaire et finalement paresseuse dans ses moyens… qui malheureusement fait trop souvent de l'ombre à de vraies recherches et de beaux talents, moins prétentieux et pas tape-à-l’œil.
Wednesday, 18 April 2007
New Wave
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Dessin extrait de L'Entretien. Plage de la Manche.
J'ai passé la soirée d'hier avec un des sponsors de l'ISD, (Institute for Systems and Development, Genève) et la conversation a porté sur la difficulté de voir émerger dans la masse des artistes de la New Wave des personnalités marquantes comme nous les avons connues encore voici quelques décennies. Du temps de ma jeunesse, il était tout à fait possible de connaître, de rencontrer, voire même d'acheter des oeuvres de Tàpies, de Dubuffet, de Miro, d'Arman, de Matta, de Wilfredo Lam, de Hartung, de Soulages, et autres grands artistes, pour ne pas parler de Chagall et de Picasso encore vivants et accessibles après guerre. Un consensus était établi parmi les marchands, les directeurs de musée et les collectionneurs, et si on répugnait à investir des sommes importantes san réfléchir, la spéculation n'était qu'un aspect accessoire de l'acquisition d'une oeuvre d'Art. Un homme comme Bayeler, avait un sens aigu de la valeur artistique d'une pièce, et il était prêt à payer pour un chef d'oeuvre. Comme Bergruen, MAeght, et d'autres marchands qui ne perdaient pas de vue leurs intérêts, il croyait profondément à la noblesse du chef d'oeuvre, et travaillait pour la postérité. Comme ses collègues, ses collections furent léguées à des musées, voire, constituaient elles-mêmes de musées importants.
Aujourd'hui le paysage a totalement changé. Trois phénomènes on fait irruption sur la scène artistique. Ils prééxistaient, certes, mais leur amplitude fait leur nouveauté.
1. Le nombre d'artistes a explosé. On est noyé sous une avalanche de milliers de noms. Cette inflation est due à la médiatisation de l'oeuvre d'art contemporain, et au nombre impressionnant de musées qui ouvrent chaque jour dans le monde, musées dévoreurs d'installations monstrueuses, de sculptures monumentales, d'environnements immenses, de matériaux perissables, à peu près rien de ce que l'on puisse mettre chez soi.
2. La disparition des critères de valeur. Ainsi que l'a noté un des philosophes interviewés dans Chronic'Art (cf. l'article correspondant dans le blog), on n'ose plus choisir, car tout jugement implique une exclusion. C'est ainsi que dans les rares ouvrages qui dressent un panorama de l'Art du XXIe siècle, aucun jugement d'importance des artistes, ni de qualité des oeuvres n'est hasardé. On aligne des milliers de noms et de références, des vignettes, des dates, des étiquettes, comme s'il s'agissait de papillons épinglés dans leur cage de verre, d'herbiers, ou d'espèces animales. Les écrits encyclopédiques sur l'art ressemblent à des dictionnaires d'entomologie!
A l'autre extrémité, il y a les écrits engagés, ou encore spécialisés sur un mouvement ou un artiste. Mais la même indifférenciation baigne les descriptions des oeuvres: toutes sont également majeures, ou significatives. La notion de chef d'oeuvre n'apparaît nulle part.
3. Le critère spéculatif emporte tout. L'argent sale, les petrodollars, les nouveaux enrichis du net et de la mondialisation se précipitent sur les oeuvres d'arts comme sur l'immobilier de Londres, ou le développement durable. Un artiste important se chiffre en millions de dollars lorsqu'il est médiatisé par une grande galerie. Un inconnu jeune et provocateur, convenablement lancé, peut surclasser des grands artistes historiques non médiatisés comme Rodchenko, Kurt Schwitters, Katharina Kobro ou la sculpture religieuse médiévale.
Les conservateurs de musée, les critiques d'art, les marchands, participent tous d'un même système, dont le moins qu'on puisse dire, est qu'il baigne dans la désinformation. Et pourtant, on peut imaginer que les Picasso, les Klee et les Kandinsky continuent de produire et d'exister, mais où sont-ils? Par ailleurs, à chaque époque il existe des lignes de crête, de fortes personnalité qui dominent les suiveurs et les écoles. Où sont-elles?
C'est à cette recherche que nous essayons de nous atteler, à L'ISD dans un projet que nous appelons, sur la suggestion de notre sponsor, "New Wave", nouvelle vague, évoquant les recouvrements incessants qui se superposent dans les écoles artistiques du XXIe siècle.
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Monday, 16 April 2007
Andy Warhol et la destruction de masse
Je reviens sur la discussion amorcée avec Emmanuel Dyan à propos du sens d'oeuvres aussi inintéressantes que des cartons de Brillo, ou un portrait répété en matrice, couleurs déformées
souvent dans des teintes douceureuses contrastant avec ce qu'elles représentent; , totalement inexpressives. Ce que Warholl a voulu sans doute montrer, c'est que de même qu'on produit industriellement des clones d'objets manufacturés (la Campbell soup, le Coke, ou encore un accident mortel, la chaise électrique, l'artiste peut également parodier cette tendance à la banalisation-personnalisation, en la poussant à un degré inconnu avant lui. La multiplication des images les plus impressionnantes, les plus sensuelles, les plus effrayantes les rend indifférentes, insignifiantes. Ci dessus, un garde du corps est photogaraphié . On remarquera que deux des cases de la grille ne sont pas identiques. En fait c'est le même personnage quelques années avant. Le changement n'est pas seulement physique mais aussi psychologique.
A suivre
Saturday, 14 April 2007
Warhol est-il un fumiste?
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Emmanuel Dyan me pose la question sous une autre forme. Warhol est-il un artiste important?
- Oui, très important.
- Aussi important que Picasso?
- Non, car un tableau de PIcasso est en soi une oeuvre méditée,travaillée, unique, organiquement constituée, tout en étant novatrice. Ue oeuvre de Warhol, vous secoue, elle vous fait voir la vie, l'image, la réalité d'une autre façon. Mais en soi elle n'est pas aussi forte qu'un Picasso, ou un Klee.
- Et Basquiat?
Marina Fedier qui est une fan de l'artiste intervient.
- Basquiat c'est très fort, plus que Warhol. Il émane de ses tableaux une énergie, une violence, une originalité dans l'expression et dans les formes, qui sont impressionnantes. Comme Bacon, ou Picasso. MAis pour les apprécier il faut voir les oeuvres elles-mêmes, et s'impregner de leur présence, les situer dans une rétrospective de l'artiste. Les reproductions ne donnent qu'une simple référence visuelle qui ne vaut qu'à condition d'avoir été exposés au tableau lui-même.
- Et Duchamp?
J'interviens à mon tour.
- Ce qui est important chez lui, c'est sa démarche. Je ne parle pas évidemment du Grand Verre ou du Nu descendant l'escalier qui sont des oeuvres classiques aujourd'hui. De même, Etant donné le gaz d'éclairage etc. représentant une scène érotique très mystérieuse qu'on ne peut voir que par le trou d'une serrure, annonce les installations du XXIe siècle.
Lorsqu'on considère La Divine comédie de Dante, ou encore Guernica de Picasso, on est en présence d'oeuvres autonomes, closes, tirant leur signification de leur organisation interne. En revanche ce que l'on vend dans les galeries de Matthew Barney: une photo encadrée de vaseline, un costume , des objets mystérieux et, ne peut être considéré que comme des fétiches, des fragments épars de l'oeuvre, un peu comme des ruines ou ces frises du Panthéon éclatées entre plusieurs musées. De même un tableau de Warhol ne représente rien si on ne le met pas dans son contexte. Dans le catalogue édité à l'occasion de l'exposition sur Los Angeles, à Beaubourg, on expliquait qu'un galériste avait commandé en dépôt-vente une série des Brillos de Warholl? Des caisses toutes identiques. Je crois qu'il y en avait une trentaine. Et voici que quelques tableaux sont vendus. Le galériste comprit que l'effet impressionnant de l'accumulation de ces cartons d'emballage, tous identiques, était détruit par l'absence d'un seul élément. Il finit par reprendre à son acheteur les tableaux vendus et à Warhol, il demanda des conditions de paiement pour le reste des cartons. C'est ainsi qu'on ne peut considérer une oeuvre isolée de l'artiste que comme un fragment. On ne peut juger Warhol que sur un ensemble assez vaste de pièces et de documents, reconstituant la démarche de l'artiste, et qui est très novatrice. Par ailleurs en voyant une matrice de Marilyn Monroe on s'aperçoit que l'artiste a calculé les rapports chromatiques d'une manière très subtile.
- Et Duchamp?
- Hans Richter qui était un des grands protagonistes de DADA et que j'ai assez bien connu, me disait en souriant que l'urinoir et le porte-bouteille, n'étaient que l'oeuvre d'un jour. Une fois le choc subi, le message compris, elle était anéantie, elle n'avait plus qu'une valeur de fétiche, de talisman, d'autographe. Par la suite l'éditeur Schwartz persuada l'artiste après la guerre de 39-45, de signer des répliques pour des collectionneurs et des musées. Duchamp accepta, mais il avoua qu'il avait envie de jeter les faux urinoirs à la tête des imbéciles qui les payaient à prix d'or. La jobardise atteint dans ce domaine des sommets et on peut affirmer que le message de Duchamp a été déformé d'une manière intentionnelle : c'est donc de la désinformation pure. Ce cas est intéressant car il nous conduit à nous intérroger le part de l'autosuggestion et de la stratégie marketing des musées et des galeries, dans le processus de l'art contemporain.
Note : Masterclass 3 a été complété aujourd'hui et traite de la bureaucratie à la française .
Voir la suite du journal, ci-dessous. Thème : Serendipity ou un argument en faveur de la zététique
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