Warhol est-il un fumiste?
Emmanuel Dyan me pose la question sous une autre forme. Warhol est-il un artiste important?
- Oui, très important.
- Aussi important que Picasso?
- Non, car un tableau de PIcasso est en soi une oeuvre méditée,travaillée, unique, organiquement constituée, tout en étant novatrice. Ue oeuvre de Warhol, vous secoue, elle vous fait voir la vie, l'image, la réalité d'une autre façon. Mais en soi elle n'est pas aussi forte qu'un Picasso, ou un Klee.
- Et Basquiat?
Marina Fedier qui est une fan de l'artiste intervient.
- Basquiat c'est très fort, plus que Warhol. Il émane de ses tableaux une énergie, une violence, une originalité dans l'expression et dans les formes, qui sont impressionnantes. Comme Bacon, ou Picasso. MAis pour les apprécier il faut voir les oeuvres elles-mêmes, et s'impregner de leur présence, les situer dans une rétrospective de l'artiste. Les reproductions ne donnent qu'une simple référence visuelle qui ne vaut qu'à condition d'avoir été exposés au tableau lui-même.
- Et Duchamp?
J'interviens à mon tour.
- Ce qui est important chez lui, c'est sa démarche. Je ne parle pas évidemment du Grand Verre ou du Nu descendant l'escalier qui sont des oeuvres classiques aujourd'hui. De même, Etant donné le gaz d'éclairage etc. représentant une scène érotique très mystérieuse qu'on ne peut voir que par le trou d'une serrure, annonce les installations du XXIe siècle.
Lorsqu'on considère La Divine comédie de Dante, ou encore Guernica de Picasso, on est en présence d'oeuvres autonomes, closes, tirant leur signification de leur organisation interne. En revanche ce que l'on vend dans les galeries de Matthew Barney: une photo encadrée de vaseline, un costume , des objets mystérieux et, ne peut être considéré que comme des fétiches, des fragments épars de l'oeuvre, un peu comme des ruines ou ces frises du Panthéon éclatées entre plusieurs musées. De même un tableau de Warhol ne représente rien si on ne le met pas dans son contexte. Dans le catalogue édité à l'occasion de l'exposition sur Los Angeles, à Beaubourg, on expliquait qu'un galériste avait commandé en dépôt-vente une série des Brillos de Warholl? Des caisses toutes identiques. Je crois qu'il y en avait une trentaine. Et voici que quelques tableaux sont vendus. Le galériste comprit que l'effet impressionnant de l'accumulation de ces cartons d'emballage, tous identiques, était détruit par l'absence d'un seul élément. Il finit par reprendre à son acheteur les tableaux vendus et à Warhol, il demanda des conditions de paiement pour le reste des cartons. C'est ainsi qu'on ne peut considérer une oeuvre isolée de l'artiste que comme un fragment. On ne peut juger Warhol que sur un ensemble assez vaste de pièces et de documents, reconstituant la démarche de l'artiste, et qui est très novatrice. Par ailleurs en voyant une matrice de Marilyn Monroe on s'aperçoit que l'artiste a calculé les rapports chromatiques d'une manière très subtile.
- Et Duchamp?
- Hans Richter qui était un des grands protagonistes de DADA et que j'ai assez bien connu, me disait en souriant que l'urinoir et le porte-bouteille, n'étaient que l'oeuvre d'un jour. Une fois le choc subi, le message compris, elle était anéantie, elle n'avait plus qu'une valeur de fétiche, de talisman, d'autographe. Par la suite l'éditeur Schwartz persuada l'artiste après la guerre de 39-45, de signer des répliques pour des collectionneurs et des musées. Duchamp accepta, mais il avoua qu'il avait envie de jeter les faux urinoirs à la tête des imbéciles qui les payaient à prix d'or. La jobardise atteint dans ce domaine des sommets et on peut affirmer que le message de Duchamp a été déformé d'une manière intentionnelle : c'est donc de la désinformation pure. Ce cas est intéressant car il nous conduit à nous intérroger le part de l'autosuggestion et de la stratégie marketing des musées et des galeries, dans le processus de l'art contemporain.
Note : Masterclass 3 a été complété aujourd'hui et traite de la bureaucratie à la française .
Voir la suite du journal, ci-dessous. Thème : Serendipity ou un argument en faveur de la zététique
Serendipity
Un argument à l'appui des zététiciens
Ceci est une histoire vraie.
Je me trouve à la fin d'un séjour d'une semaine à Divonne-les-Bains où se réunissent les membres de l' ISD, mon think Tank. Ce que l'on nomme la banleue sud de Genève est une station termale légèrement désuète mais dotée de deux hôtels très agréables, et avec un panorama unique entre Jura et chaîne des Alpes. J'y ai acheté une maison que je loue pour l'instant en attendant pour l'habiter que les arbres que j'y ai plantés poussent suffisamment. Je me demande si habitant Divonne quelques mois par an je pourrai y trouver un semblant de vie culturelle et comment me créer des contacts enrichissants.
Voici quarante cinq ans, j'avais fait la connaissance d'un couple digne d'un roman de James Bond. Ils étaient les êtres le plus splendides que l'on puisse imaginer. Lui, venait de faire un test de survie dans une île déserte, rompu à tous les sports de combat, ayant bourlingué dans le monde entier, et ressemblant aussi bien physiquement que moralement au jeune Siegfried. Elle, sa femme, une allemande de cinq ans son aînée était une vraie Brünnhilde, aussi audacieuse que son mari, aussi blonde, aussi belle. On pourrait évoquer à leur propos Belle du Seigneur . Bernard S. le garçon m'avait fait ses confidences ) Barbizon où il était venu me rendre visite, au mois d'Avril, par une splendide journée, et le freluquet sédentaire que j'étais alors, se sentait honoré d'avoir été distingué par un jeune héros nordique. J'essayai par la suite de nouer une amitié. En pure perte. Bernard ne donna plus signe de vie. Je fus amèrement déçu.
Je me trouve à la fin de mon séjour à Divonne, et en parcourant les messages privés qui me parviennent par le formulaire de contact, je trouve celui de Bernard S qui essaie de me contacter. Je le joins sur son site. Quarante cinq ans après, je vois un bon vivant barbu et hilare, accompagné d'une agréable jeune femme blonde, sa deuxième femme, vivant dans une proprété non loin d'Aubagne et coulant des jours heureux. Il m'était impossible de reconnaître celui que j'avais connu dans ma jeunesse. On échange des souvenirs et il m'apprend que son fils, Alexandre S vit... à Divonne dans une résidence que je connais fort bien e qui est à deux pas de mon hôtel. Je l'appelle et nous prenons un verre. ICe jeune homme fort cultivé et aussi bourlingueur que son père m'apprend tous les potins du coin où je compte habiter, un véritable paradis sur terre et m'assure que cette station est très avide de contacts et d'échanges culturels.
Moralité : si j'étais un esprit exalté, et le membre d'une secte religieuse, j'expliquerais cette synchronicité par l'action du destin, du karma, ou je ne sais quoi d'autre. Mais on se trouve ici dans cette zone hors frontières, ce no man's land, où on est supendus entre coïncidence statistique et synchronicité significative. A vous d'évaluer cette coïncidence.
Cette rencontre favorable a eu lieu parce que Bernard S. a lu mon N° de blog sur le Figaro Magazine, qu'il m'a adressé un billet sur ce numéro, et que son fils avait décidé de se fixer à Divonne, et que tout ceci soit survenu à la fin de mon séjour dans la station alors que Alexandre S se trouvait chez lui.