New Wave
Dessin extrait de L'Entretien. Plage de la Manche.
J'ai passé la soirée d'hier avec un des sponsors de l'ISD, (Institute for Systems and Development, Genève) et la conversation a porté sur la difficulté de voir émerger dans la masse des artistes de la New Wave des personnalités marquantes comme nous les avons connues encore voici quelques décennies. Du temps de ma jeunesse, il était tout à fait possible de connaître, de rencontrer, voire même d'acheter des oeuvres de Tàpies, de Dubuffet, de Miro, d'Arman, de Matta, de Wilfredo Lam, de Hartung, de Soulages, et autres grands artistes, pour ne pas parler de Chagall et de Picasso encore vivants et accessibles après guerre. Un consensus était établi parmi les marchands, les directeurs de musée et les collectionneurs, et si on répugnait à investir des sommes importantes san réfléchir, la spéculation n'était qu'un aspect accessoire de l'acquisition d'une oeuvre d'Art. Un homme comme Bayeler, avait un sens aigu de la valeur artistique d'une pièce, et il était prêt à payer pour un chef d'oeuvre. Comme Bergruen, MAeght, et d'autres marchands qui ne perdaient pas de vue leurs intérêts, il croyait profondément à la noblesse du chef d'oeuvre, et travaillait pour la postérité. Comme ses collègues, ses collections furent léguées à des musées, voire, constituaient elles-mêmes de musées importants.
Aujourd'hui le paysage a totalement changé. Trois phénomènes on fait irruption sur la scène artistique. Ils prééxistaient, certes, mais leur amplitude fait leur nouveauté.
1. Le nombre d'artistes a explosé. On est noyé sous une avalanche de milliers de noms. Cette inflation est due à la médiatisation de l'oeuvre d'art contemporain, et au nombre impressionnant de musées qui ouvrent chaque jour dans le monde, musées dévoreurs d'installations monstrueuses, de sculptures monumentales, d'environnements immenses, de matériaux perissables, à peu près rien de ce que l'on puisse mettre chez soi.
2. La disparition des critères de valeur. Ainsi que l'a noté un des philosophes interviewés dans Chronic'Art (cf. l'article correspondant dans le blog), on n'ose plus choisir, car tout jugement implique une exclusion. C'est ainsi que dans les rares ouvrages qui dressent un panorama de l'Art du XXIe siècle, aucun jugement d'importance des artistes, ni de qualité des oeuvres n'est hasardé. On aligne des milliers de noms et de références, des vignettes, des dates, des étiquettes, comme s'il s'agissait de papillons épinglés dans leur cage de verre, d'herbiers, ou d'espèces animales. Les écrits encyclopédiques sur l'art ressemblent à des dictionnaires d'entomologie!
A l'autre extrémité, il y a les écrits engagés, ou encore spécialisés sur un mouvement ou un artiste. Mais la même indifférenciation baigne les descriptions des oeuvres: toutes sont également majeures, ou significatives. La notion de chef d'oeuvre n'apparaît nulle part.
3. Le critère spéculatif emporte tout. L'argent sale, les petrodollars, les nouveaux enrichis du net et de la mondialisation se précipitent sur les oeuvres d'arts comme sur l'immobilier de Londres, ou le développement durable. Un artiste important se chiffre en millions de dollars lorsqu'il est médiatisé par une grande galerie. Un inconnu jeune et provocateur, convenablement lancé, peut surclasser des grands artistes historiques non médiatisés comme Rodchenko, Kurt Schwitters, Katharina Kobro ou la sculpture religieuse médiévale.
Les conservateurs de musée, les critiques d'art, les marchands, participent tous d'un même système, dont le moins qu'on puisse dire, est qu'il baigne dans la désinformation. Et pourtant, on peut imaginer que les Picasso, les Klee et les Kandinsky continuent de produire et d'exister, mais où sont-ils? Par ailleurs, à chaque époque il existe des lignes de crête, de fortes personnalité qui dominent les suiveurs et les écoles. Où sont-elles?
C'est à cette recherche que nous essayons de nous atteler, à L'ISD dans un projet que nous appelons, sur la suggestion de notre sponsor, "New Wave", nouvelle vague, évoquant les recouvrements incessants qui se superposent dans les écoles artistiques du XXIe siècle.
Choix et exclusion
Frederic Bonnet nous a aidé a choisir parmi les 25 noms retenus, (cf l'article sur l'Art Contemporain) un noyau de cinq artistes, dont on peut dire qu'ils sont incontestés mondialement dans la scène de l'art comtemporain. Nous ne comptons pas dans cette courte liste ceux qui font déjà partie de l'histoire et qui prolongent le XXe siècle, comme Soulages, Hockney ou Rauschenberg.
Voici donc les cinq noms sélectionnés :
Bill Viola (Le roi incontesté de la video un chef d'oeuvre monumental : le "Tristan Project").
Bruce Nauman (video, installations, tout, sauf de la peinture)
Gerhardt Richter (La peinture sous tous ses aspects)
Richard Serra (un des sculpeurs majeurs)
Matthex Barney (auteur de l'installation Cremaster, le projet le plus ambitieux de sa génération)
Ce choix forcé, a eu le mérite d'éclairer en ce qui nous concerne, les critères selon lesquels nous définissons l'importance d'un artiste. Il ne prétend nullement être objectif, ni même représentatif de notre goût et de nos préférences. (Par exemple Ed Ruschia, ou Cindy Sherman ont été arbitrairement écartées alors qu'ils jouissent d'une notoriété de premier plan et n'ont que bien peu de détracteurs). Essayons d'élucider les raisons qui nous ont poussé à privilégier ces artistes.
1. Pourquoi cinq artistes?
C'est lié à la spécificité du projet New Wave. Le but est d'interroger les 25 artistes et d'étudier aussi profondément que possible une ou deux de leurs oeuvres majeures. Mais pour cela d'innombrables barrières doivent être franchies : les éditeurs, les avocats, les collectionneurs etc. Plutôt que de nous épuiser à courir derrière des personnalités sans cesse en mouvement, nous avons préférer concentrer nos forces sur les cinq qui nous paraissaient les plus importants. Une fois qu'ils auront adhéré au projet, les autres suivront.
2. Quels moyens avons-nous?
Nous comptons sur nos sponsors pour nous frayer la voie. Nous essayons de les convaincre d'imiter Ludwig, le fondateur des plus importants ensembles mondiaux, à Cologne et à Aachen. Pinaud, aime sincèrement l'art, et il est secondé par sa femme. Malheureusement, il a trop de conseillers qui au milieu d'oeuvres admirables ou importantes, lui ont fourgué de véritables horreurs. (Par exemple Kahnweiler, le défenseur de Picasso, vendait aux nouveaux riches du LAscaux, Maeght, de l'Ubac et du Tal Coat). Ne mentionnons même pas Arnaud, dont tout le monde sait qu'il n'est pu que par l'appât du gain et de la notoriété. Nos sponsors devraient obtenir des galeries qui leur ont déjà vendu des oeuvres de ces artistes, de pouvoir leur ouvrir les ateliers et les persuader à consentir à une interview approfondie avec Fréderic Bonnet qui sait poser les bonnes questions. Le blog servira de banc d'essai pour les premiers entretiens, avec comme but, au delà de la pensée de l'artiste, de mieux comprendre l'essence de l'Art Contemporain ... et par là l'esprit de ce qui commence.
3. Les critères de choix
BILL VIOLA
Pour Bill Viola il a été très facile. Cet artiste est considéré le sommet de l'Art video, et il est accessible au grand public par ses admirables DVD, à visionner sur ecran plat à plasma de préférence. (N'écoutez pas ceux qui vantent les mérites du LCD: stabilité et aptitude à se connecter aux jeux video. Les noirs et la beauté des couleurs sont du côté du plasma et c'est cela qui prime dans l'art video). Mais Bill Viola a des qualité extrêmement rares au XXIe siècle : il dépasse de loin les écoles, les modes les mouvements. Par la beauté immédiate de ses couleurs et de ses images, l'inventivité de ses séquences, la très haute spiritualité qui les impregne, la liauson constante avec les sommets du patrimoine culturel, notamment de la ranaissance italienne, Viola est unique. Comme Mozart il possède la caractéristique unique d'être immédiatement accessible au profane, et en même temps de nourrir la méditation des penseurs les plus évolués. Mais treve d'éloges; achetez plutôt les deux DVD suivants :
Le premier grand chef d-oeuvre de Bill Viola. L'âme du Japon, le passage de la nature à la (sous)culture.
Le premier portrait d l'Artiste, exposant sa philosophie de l'Art et de la vie.
A mon humble avis, rien n'approche cependant de la performance de Tristan et Isolde de Wagner, illustrée tout au long des cinq heures, par le film de Viola. Les wagneriens détestent. Ils croient qu'ils assistent à une mise en scène de Wagner par un dénommé Bill VIOLA; les amateurs de viola détestent généralement Wagner et pensent la même chose. En fait il s'agit d'une oeuvre originale. C'est un commentaire visuel et mystique de l'infrastructure cosmogonique et ésotérique de l'opéra le plus audacieux du XIXe siècle. Les images sont à couper le souffle et la mise en scène de Sellars, la direction de Gergiev, acroissent l'impact de ces images géantes. C'est le plus extraordinaire spectavle quu m'ait été donné à voir, avec le Ring du centenaire par Boulez-Chereau, et Le Regard du Sourd de Bob Wilson.
BRUCE NAUMAN
Un artiste ayant pratiqué toutes les formes qui sont à l'origine de l'AC : les installations, l'art conceptuel, la vidéo... Une imagination très foisonnante et provoquante, un abord extrêmement difficile, qui requiert une accoutumance et une analyse pédagogique. J'avoue ne rien y comprendre moi-même, et j'espère qu'en analysant cette oeuvre hermétique, je finirai par ressentir - avec vous - en quoi réside le génie unanimement respecté de l'artiste. Vous trouverez le DVD suivant qui vous introduit dans le labyrinthe perceptif et conceptuel de Nauman.
Un voyage inititatique dans l'univers (plutôt sinistre je l'avoue) de l 'artiste. Provocateur et défiant tous nos stéréotypes visuels.
MATTHEW BARNEY
Je ne sais si Matthew Barney est l'artiste le plus important de sa génération, comme le prétend Michael Kimmelman, mais ce qui me paraît certain, c'est que le Cycle Cremaster présenté au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, est certainement, avec peut-être le Tristan Project de Bill Viola l'installation la plus importante de notre temps. C'est un immense labyrinthe de salles gigantesques emplies d'objets, de costumes, de matériaux étranges (comme de la vaseline réfrigérée), et surtout des peintures, des photos, des projections vidéo et des films. L'ensemble constitue un film esotérique sur la lutte entre les deux principes de fusion et de différenciation. Les parisiens ont été privilégiés d'avoir pu assister à la fois au projet de Viola et à celui de BArney, chance que tous n'ont pas saisi. Le disque que je présente, donne une bien faible idée de l'installation au Guggenheim Museum, ce n'est qu'un petit entracte dans un cycle qui dure plus de sept heures.
RICHARD SERRA
Complice de Barney dans le DVD ci-dessus, il est considéré comme un des plus grands sculpteurs vivants. Ses surfaces gigantesques transformant l'espace en un univers non euclidien dans lequel on voyage a culminé dans une exposition au Guggenheim de Bilbao. Un tour de force technique mais aussi conceptuel.
GERHARDT RICHTER
Le plus polymorphe des artistes, et le seul européen du lot. Ses oeuvres sont déroutantes pas leur extrême variété : des peintures photoréalistes de grands hommes, des tableaux monochromes, des payasages brumeux, des échantillons de couleur, des toiles abstraites diaprées, le but de Richter est de l'ordre de la méta-peinture: cerner et expérimenter les différents rapports entre la toile, l'oeil du spectateur et l'artiste.