Tuesday, 2 June 2009
CHRONIQUE
RETOUR AU REEL
Le regard jeté sur la solitude, matérielle ou spirituelle, était emprunté à de sources littéraires. J'aimerais bien y ajouter mon expérience et l'enseignement que la réalité récente m'a appris.
ANTONIO
Comme je l'ai écrit dans le billet d'hier, le soupçon d'homosexualité qui pèse sur Antonio, est naturel dans une culture occidentale récente, ou amour et sexe sont intimement entremêlés de sorte que l'exaltation de l'amour implique "ipso facto" une relation sexuelle. Mais il n'en a pas été ainsi avant le XXème siècle. La dissociation entre les deux notions, signifiait qu'un amour même excessif peut saisir deux individus de l'un ou l'autre sexe, être comblé ou rejeté par l'aimé(e). La terrible nostalgie, peut d'ailleurs atteindre deux amants parfaitement accordés, c'est alors la crainte de perdre ou de voir vieillir l'être cher qui jette une ombre intolérable sur la plus parfaite des relations, justement ) cause même de cette perfection. C'est ainsi que les amants de "Belle du Seigneur" d'Albert Cohen, se suicident pour conserver intact le bonheur parfait, insurpassable, qui ne peut que décliner. L'amant, un homme splendide, dit à sa magnifique compagne qui lui déclare un amour total, désintéressé, absolu, " M'aimerais-tu autant si j'étais bossu, les yeux torves, et une taille de 1m.55?" Ce que notre époque ignore, est qu'il peut se trouver que deux hommes (ou deux femmes) entretiennent une relation encore plus forte que le lien sexuel. On peut citer évidemment la relation père-fils, fréquemment d'une profondeur touchante. Je citerai comme exemple l'amour rayonnant qu'Alexandre Pugachev (un peu mon successeur) porte à son père, le Sénateur. Lorsqu'il est en sa présence, sa physionomie sévère s'adoucit, sa froideur naturelle, son indifférence polie s'évanouissent au profit d'une lumière intérieure irrésistible. Quel père ne souhaiterait pas avoir un tel fils?
Mais il peut aussi y avoir une affection viscérale, organique entre deux hommes, comparable en intensité et en force, à celle d'un couple. On connaissait fort bien ce sentiment-là dans la littérature romantique. Il suffit de relire "Les souffrances du jeune Werther" de Goethe, ou encore se souvenir de la relation entre Brahms, Schumann et Clara. On sait que par fidélité à la mémoire du cher disparu, ni Clara ni Brahms ne s'unirent. J'avoue que moi-même, en dépit de profondes divergences et d'une forte réprobation, je restai toujours fidèle de corps et d'esprit à Christa. Or il survint que la dernière année de sa trop courte existence, elle subit une transformation stupéfiante. Elle prit conscience de tout le mal qu'elle avait pu faire, du fait que sa mère et moi étions les seuls à l'aimer vraiment, et elle devint un ange du Seigneur. Elle rajeunit, elle embellit, elle retrouva ses traits d'enfant, un sourire étonné, comme émerveillé... Certes, les drogues y furent peut-être pour quelques chose, mais je n'y crois pas. Depuis, ces derniers moments passés avec elle, pendant que j'écrivais Décodages resteront, magnifiques et déchirants dans ma mémoire. Non seulement je ne me remariai jamais, mais la seule idée de la tromper affectivement me fut tout à fait étrangère. Elle remplit mon äme et mon coeur et son portrait est toujours sur mon bureau.
Christa était mondaine et très socialisée. Elle se serait très bien vue comme épouse de notaire de sa province natale.
Je n'ai éprouvé ce sentiment que récemment, et c'est une grâce que le Seigneur m'a octroyé dans ma fin de vie comme pour concentrer en moins de deux ans, tout ce dont j'ai été privé toute ma vie.
Je fais allusion à la relation que j'entretiens avec Olaf Olafson.
Lorsque je fis sa connaissance c'était l'un des hommes les plus admirés de la côte qui va de Seattle à Vancouver. Son fils cadet avait pris la relève de l'affaire, supplantant sa jumelle et ses deux aînés. Il avait un caractère fougueux et intraitable et son père qui avait un faible pour lui et pour son dynamisme, ne savait comment le contrôler. Le jeune homme n'avait pas peur de la mort, il n'avait d'ailleurs peur de rien. Hegel disait que lorsque deux hommes s'affrontent, c'est celui qui n'a pas peur de mourir qui l'emporte. De même Harald Olafson, l'emporta au cours d'une confrontation sanglante avec les représentants de la mafia à Seattle. Les mafiosi estimèrent qu'il valait mieux s'attaquer à des proies plus commodes et moins risquées.
Olaf, se plaignit auprès de moi, de la nature cruelle et intraitable de son fils. "Comment le rendre humain? " m'implora-t-il comme si j'avais accès aux bas-fonds tortueux du garçon. Je répondis que je ferai de mon mieux pour lui faire découvrir les grandes oeuvres universelles.
Or, à mon grand étonnement le jeune homme demanda à me voir, lui qui refusait toutes les visites d'homme d'affaire, de banquiers, et d'entremetteurs de tout poil. Tous étaient impressionnés, mais ils le furent encore plus lorsque je mis fin à notre rendez-vous au bout de cinq minutes. Il fut certainement surpris et désarçonné, car il me donna un autre rendez-vous. On se disputait, je remettais à sa place et il ne devait guère en avoir l'habitude. Olaf était ravi. A la fin, après une discussion plus vive que d'habitude, je lui-demandai ce qu'il voulait de moi. "I want you" me dit-il. C'est là que j'eus l'idée de mettre un terme à notre relation tumultueuse : je lui demandai de satisfaire quatre covenants, que j' appris chez IBM.
1."Confiance absolue"
2."Respect absolu"
3. La ponctualité et des rencontres qui n'excèdent pas six semaines.
4 " Eternité".
La relation ne devait s'éteindre qu'avec la mort de l'un d'entre nous. Harald mit du temps pour accepter la dernière proposition, mais dès qu'il y consentit, il fut d'une sollicitude de tous les instants. Voici un exemple de relation forte, plus forte que ce que l'on nomme amitié, ou amour.
Monday, 1 June 2009
CHRONIQUE
SOLITUDES
J'ai reçu bien des coups de téléphone, qui tous dénotaient d'une manière ou d'une autre,la maladie d'esseulement.
Le livre de Kosinski, "Cockpit" que je suis en train de lire est désolant. Il montre la pire des solitudes : celle d'un homme qui est coupé de communication affective même avec son double. Cet homme pétrifié, glacé, rationnel, objectif, mesurant tout en fonction des objectifs matériels qu'il poursuit, ce bureaucrate sans coeur, ni même le semblant d'âme que l'on peut déceler dans une tortue, cet homme est souvent indiscernable. Il n'a pas de persona, mais des masques dont il change à volonté. Derrière ces masques nulle méchanceté, nulle cruauté, mais le néant. Cet homme peut ainsi sauver ou condamner des millions de victimes de la barbarie, il confond l'amour de l'autre avec le sexe égoïste, qu'il peut éprouver intensément comme le gourmet goûte le canard confit de Bocuse, mais aussi fugitif, aussi évanescent que le vent des côtes de la Manche.
La solitude peut être purement matérielle, physique, visible du dehors. Dans "Giulietta degli spiriti" ( Juliette des esprits ) le chef d'oeuvre absolu de Federico Fellini, on assiste à la découverte progressive par son idéaliste de femme, de la trahison de son mari adoré, ses petits mensonges, ses demi-vérités, ses grandes absences, son indifférence aimable.
Elle a passé les loisirs de sa jeunesse à se cultiver, à fréquenter les grands génies : Dante, Leopardi, Guido Gozzano, Alfieri et Manzoni. Elle a négligé les artifices du sexe, et de toute manière elle vieillit et ne peut rivaliser avec les médiocrités aux cheveux platinés; à la poitrine généreuse.
Au petit matin qui conclut le film, voici notre Giulietta Masina (car l'actrice est la femme de Fellini) abandonnée à elle même, à son affreuse solitude; et on la sent capable de quelque extrémité. Peut-être pas d'ailleurs, elle errera toute sa vie dans les landes arides du désenchantement. Mais voici une multitude de voix pressantes qui l'interpellent : "Tu n'es pas seule, tu n'es pas seule, nous sommes avec toi, les esprits gentils (que tu as aimé et fréquentés dans les livres de ton adolescence!)
Edouard Herriot disait que la culture est ce qui subsiste quand on a tout oublié. C'est en partie vrai, car ce qui reste est pur de toute érudition, cette maladie de la culture. Mais relisez le "Marchand de Venise". Antonio, le marchand voue une passion payée de retour avec Bassanio. Antonio est un armateur célibataire, dont l'affection éternelle exclusive, se porte sur le jeune et beau Bassanio pour qui il se sacrifie. Ce dernier bien qu'amoureux de la riche Portia met en jeu leur union en se séparant de sa bague de mariage au profit de l'avocat qui a sauvél des griffes de Shylock. son ami de coeur. Antonio devrait être heureux de cet amour partagé, et du succès matériel de son protégé. Mais il souffre d'une tristesse incurable. La nostalgie est ce qui reste, quand on a bénéficié d'une affection intense même partagée. En effet, Antonio aime de tout son coeur, de toute son âme, un jeune homme dont il ne connaît que trop le fond de la personnalité. Il est conscient du caractère superficiel de l'objet de sa tendresse, Bassanio, qui lui a demandé de s'endetter pour plastronner devant la riche Portia dont il espère de se faire épouser, bien qu'il aime toujours au moins autant le marchand de Venise, n'a rien de plus pressé que de s'adresser à l'usurier Shylock. Le pire ennemi d'Antonio ! Tout ceci Antonio ne l'ignore pas, d'où sa tristesse. A la fin de la pièce Antonio a toute satisfaction : tous ses désirs sont exaucés : Bassanio richement doté lui est dévoué par dessus tout, il a retrouvé sa fortune , mais pour paraphraser Herriot, la solitude est ce qui reste quand tous les désirs ont été satisfaits.
Sunday, 31 May 2009
CHRONIQUE
SOUVENIRS EPARS
I. Si j'ai modifié le parcours de l'internaute désireux d'accéder au royaume merveilleux de la musique, c'est que j'ai craint qu'un apprentissage trop austère risquait de fatiguer le débutant et le décourager. A ce propos permettez moi d'évoquer mes glorieux débuts.
Jours d'enfance, la mort en suspens
Mon enfance fut handicapée par une forme grave de rhumatismes aigus qui nous faisait craindre la maladie de Bouillot qui frappait les enfants au deuil de l'adolescence, quinze ans. Mon voisin de palier mourut peu après avoir dépassé la date fatidique. Une autre limitation, était la menace que faisait peser sur nous l'occupation allemande. Si ma mère était italienne, fille d'un médecin-commandant très connu, mon père était issu d'une famille de génois émigrés à Tunis depuis deux générations et très intégrés au milieu juif tunisien. Moi même j'étais élevé par une cuisinière, Grazia et une femme de chambre Lucia, toutes deux siciliennes et dévotes. Elles me convertirent à la religion catholique que j'embrassai avec passion,ne manquant jamais mes trois prières par jour; et plus tard, grenouille bénitier. Le résultat de ce double concours de circonstances fut la quasi interdiction de quitter le 23, rue de Strasbourg, et l'administration massive de salicylate de soude, paillettes nacrées, depuis remplacées par la cortisone, et qui le dévastèrent les intestins durablement. Je me réfugeai, ainsi coupé de tout, dans un monde imaginaire, celui des grands auteurs. Au 23, rue de Strasbourg, immeuble qui appartenait à Maître Albert Bessis, l'homme le plus riche de Tunisie marié avec Pia, la soeur de ma mère, je bénéficiai de deux bbliothèques, celle du 4ème étage où habitait ma famille, celle, somptueuse, en acajou de Cuba abritant un Pleyel à queue en un même acajou.
Si la littérature était à l'honneur, en revanche la musique était, par la force des choses réduites à la portion congrue. Deux sources m'en permirent l'accès.
Mon père lors de son mariage se vit offrir un meuble majestueux de style gothique, un Atwater Kent qui cumulait électrophone et radio. Par la même occasion, il acheta d'occasion des 78 tours dépareillés. Ce trésor comprenait : le beau Danube Bleu, Granados, deux études de Chopin par Lortat, et les huit premières minutes du dernier mouvement de la IXème Symphonie de Beethoven, dirigée par Albert Coates. Ces disques avaient 30cm de diamètre, ceux de la musique classique. On les appelait les "grands disques", ( I grandi dischi, car nous parlions italien à la maison) et on les rangeait soigneusement dans une commode rococo de style vénitien, dans le salon aux lourdes tentures qui deux fois par an servait à recevoir des "visites" et le reste du temps restait fermé, baignant pendant les journées ensoleillées dans une douce pénombre.
Ne pouvant les écouter, faute d'appareil adéquat, j'en admirai les étiquettes : le Chien de la Voix de son Maître, étiquettes rouges, et exceptionnellement vert anglais, les deux croches sur fond bleu de la Columbia, le grand concurrent, la coupole d'Odéon, et bien d'autres, pittoresques, modern style ou art déco. Il y avait aussi, méprisés et réservées aux enfants, les 25 cm, au titre joyeux : comme "Simone est comme ça, on ne la changera pas.
Je finis par trouver un subterfuge pour pallier l'absence de gramophone. Je confectionnai un cornet de papier, fixé à une vieille aiguille usée que je maintenais d'une main sur le sillon du disque, pendant que de l'autre je tournais le plateau. Il sortait de ce grésillement, des fantômes de mélodies que j'essayai avidement de capter.
Le PIERRE LAROUSSE du XIXème Siècle
II L'autre source était le Grand Dictionnaire du XIXème siècle Pierre Larousse, en 22 volumes. Il contenait une mine de renseignements et des extraits sommaires des mélodies les plus illustres, celles de Rossini, de Mayerbeer, (Robert le diable), d'Auber (Fra Diavolo, que j'adorais), de Donizetti, de Gretry, de Thomas, bref, ceux qui sont gravés au fronton de l'Opéra Garnier.Chopin n'avait pas bonne presse un pianiste anémié, chrolotique. On lui préférait Liszt le flamboyant (le 2ème rhapsodie Hongroise) ou Paganini, le diable fait violonistte.
La bataille faisait rage entre Van Lenz et Oulibichev. Le premier affirmait la supériorité du divin Mozart, le deuxième, l'universalité et la puissance de Beethoven. On a peine à imaginer une telle opposition de nos jours, il est vrai que l'indifférence broie les querelles d'école. Elle trouve son équivalent scientifique dans l'opposition entre dualistes qui écrivaient SO3,H20 et les unitaires qui notaient SO4H2. Je fus à cette époque très influencé par le livre d'Oswald : L'Evolution d'une Science, la Chimie, où l'on montrait un novateur comme Berzélius, tomber dans l'académisme le plus rigide une fois qu'il eût accédé à la gloire.
Notons que le Freischütz de Carl Maria von Weber, précurseur de l'opéra romantique, était populaire alors qu'aujourd'hui, il souffre de l'ostracisme qui frappe la musique romantique
Les colonnes serrées du Larousse, fourmillaient d'exemples musicaux. Je voyais, fasciné, ces hiéroglyphes musicaux et j'enrageai de ne pouvoir les déchiffrer. Je devais avoir une dizaine d'années et tante Pia convainquit mon père de me faire donner des leçon de piano. Il finit par acquiescer à contre-coeur et se présenta un jour Daisy Arbib.
DAISY ARBIB
C'était une femme de trente ans environ à la physionomie sirupeuse et parlant d'une voix monocorde et douce. La bibliothèque de ma tante servit de lieu d'apprentissage. Je m'assis plein d'espoir, mains effleurant le clavier. "Stop! me dit la mégère, on ne touche pas au piano pendant un an. Il faut d'abord apprendre à solfier : do-o-o-o, re-e-e-e, do-o- re-e-... L'année suivante sera réservée aux gammes, la troisième aux exercices, au bout de cet apprentissage vous jouerez ce que vous voudrez".
Il n'y eut point de deuxième leçon. La semaine d'après, il fut impossible de me trouver. Je m'étais réfugié sur la terrasse de l'immeuble, où séchait le linge et où les poubelles étaient rangées. J'en dénichai une vide et m'y glissai, rabattant sur moi le couvercle.
Après ce glorieux début, mon père décréta que je n'étais pas doué pour la musique et persista dans cette attitude pendant cinq ans. Après quoi, tante Pia le menaça de payer elle-même mes études s'il le refusait. de m'en donner.
La suite dans le corps du billet.
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Saturday, 30 May 2009
CHRONIQUE
CLÉS
Je viens de recevoir des e-mails d'internautes satisfaits par ma nouvelle mouture du package culturel, mais l'ancienne préconisation, plus exigeante et par petits pas, est appréciée également. Ce qui est réclamé en revanche c'est un minimum de soutien pédagogique de ma part, des clés qui ouvrent sur la première marche de l'initiation. J'y souscris bien volontiers et je m'y consacrerai dans ce billet.
BONHEUR
Hier, Olaf Olafson a demandé à T*** de m'amèner chez Hermès à Deauville et qu'on m'habille de pied en cap. J'étais à la fois tout heureux de me voir aussi élégant, mais gêné de recevoir de tels cadeaux, si peu mérités. Moi-même, de l'état de moineau déplumé, je suis passé à celui de paon vaniteux. Je me suis surpris à me regarder avec complaisance dans le miroir !
Ce matin, il m'a téléphoné de je ne sais où pour avoir des nouvelles de ma santé qui le préoccupe vraiment. Il a s'est montré d'une telle tendresse, d'une telle sollicitude, d'une telle générosité que, comme d'habitude j'ai senti mon coeur fondre, mon âme débordant de gratitude, et remerciant le Seigneur de m'avoir donné comme compensation à mes souffrances physiques, le support moral d'êtres d'élite que j'aime et que je respecte.
On me disait de toutes parts : tu as tort de lui faire autant confiance puisqu'il te lâchera tôt ou tard, et tu souffrira doublement. Effectivement, je me suis trompé bien des fois, et je ne connais Oleg, Socrate et LH III depuis à peine deux ans. Mais cela est plus fort que moi, je crois en eux, en leur sincérité quand ils ont signé les quatre covenants (ce qui n'est pas le cas de LH III) : confiance absolue, respect absolu, ponctualité, et éternité; Je pense à Socrate et à Olaf.
Mais le plus touchant de tous est Olaf. Je ne crois pas qu'une telle amitié, entre deux hommes que tout sépare soit quelque chose de courant. Je crois que c'est - pour moi, en tout cas - un miracle d'amitié, plus encore que de l'amitié, un don complet sans compromission qui engage tout l'être. Ce n'est pas un excès de sentimentalité qui me fait parler mais un besoin d'exprimer mon admiration et mon affection, renforcés de part et d'autre par la certitude que jamais elle ne s'affaiblira avec le temps, et qu'elle se prolongera après ma mort par ce que je lui aurai légué et par ma dépouille mortelle dans le village de ses aïeux.
CODE
Ci-dessous, comme promis, voici quelques clés pour faciliter l'entrée dans la grande musique dite classique.
L'Occident s'est distingué par un développement prodigieux de la polyphonie. On entend par là l'art de superposer plusieurs mélodies selon des règles très strictes, celles dites du contrepoint (point contre point, note contre note). On pourrait ainsi comparer un morceau de musique polyphonique à une grille de mots croisés, les lignes figurant les mélodies, les colonnes au résultat de leur superposition : les accords. Le grand maître de la polyphonie a été Jean Sebastien Bach
Pour la suite des explications, allez dans le corps du billet (continuer à lire).
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Friday, 29 May 2009
CHRONIQUE
REVIREMENTS
Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis, dit un adage populaire. Quelquefois, ce ne sont pas les futés qui s'adaptent, mais le cerveau le plus obtus qui se voit obligé par des circonstances généralement dramatiques, ou au contraire par des portes soudain ouvertes sur des utopies alléchantes, opportunités d'acquérir argent, pouvoir, notoriété, sexe et réaliser ses rêves de vengeance. Léon Festinger s'est rendu célèbre par sa Théorie de la Dissonance Sémantique, qui montre que les hommes ne supportent pas la concomitance d'informations contradictoires. Lorsque toute solution de conciliation a échoué, ce sont en général les croyances, les préjugés, les doctrines, qui l'emportent sur la faits. Le sujet a recours alors à bien des subterfuges. Ce n'est que lorsque le conflit engage l'individu, ce dernier réduit la dissonance en reformulant les faits pour qu'ils l'intègrent dans le modèle préconçu. ou encore est atteint de surdité sélective. Mais lorsqu'il n'est plus possible de nier le fait, on est obligé de renoncer à son modèle interne. C'est le revirement. Il est des personnalités comme Fouché, qui sont d'autant plus à l'aise dans ces métamorphoses radicales du système des valeurs, qu'ils s'en fichent.
Je vais donner des exemples de revirements d'appréciation provoqués par un romancier. C'est ce qu'on appelle un coup de théâtre. Je vais en emprunter une exemple dans Cockpit de Kosinski et relatif à la touchante et délicate amitié de Robert, le protecteur, pour le pauvre immigré. Je m'en étais ému et donné des exemples de cet amour qui se dissimule pudiquement.
J'ai toujours rêvé d'un amour aussi exclusif et profond et j'ai été touché par celui, infini, que je porte à Olaf Olafson et l'autre à Socrate. J'ai été également désorienté et perturbé par le jeune homme qui alterne affection et générosité d'autant plus rares qu'il est glacial, et le mépris le plus humiliant, lorsqu'il ne daigne même pas de prendre de mes nouvelles alors que je vis des moments dramatiques.
LE CAS ROBERT
Robert, à l'improviste, change de comportement envers Kosinski. Il est animé par une idée fixe qui faillit réussir : il veut absolument lui trancher la gorge. Enquête faîte, on apprend qu'il souffre de schizophrénie et qu'il a fait de fréquents séjours dans des hôpitaux psychiatrique. Le coup de théatre nous est ménagé avec un art consommé du suspense. Et s'il se passait quelque chose du même ordre sur le jeune homme ? Une personnalité schizoïde et légèrement autiste? Comme expliquer autrement ses alternances d'affection profonde et de parfaite indifférence?
LE CAS DU PACKAGE CULTUREL
J'ai reçu des e-mails de félicitations de jeunes qui ont appliqué à la lettre mes recommandations, et qui dégustent dans l'ordre chronologique toutes les sonates de Beethoven. Mais je me suis avisé qu'il y a bien d'autres voies, et qu'on peut aménager celle que je vous ai proposé. Voici les nouvelles recommandations sur l'écoute des sonates de piano de Beethoven. Ecoutez les deux sonates en Fa majeur qui pétillent d'esprit et de charme. Passer à la Pathétique, la "Clair de lune", la "Tempête" , l'Appassionata, l'Aurore, le départ, l'absence et le retour, et l'Op.101, l'Op. 110 toutes par Wilhelm Kempf, ainsi que son DVD impressionnant de l'Op.106 où il explique la sonate en un français rocailleux mais très clair. La terrifiante sonate op 106 est à son apogée dans un concert public donné au Carnegie Hall en 1955. 1955. L'op. 111 est une spécialité de Backhaus, à acheter absolument. Un livre d'accompagnement est celui de Brigitte et Jean Massin. Evitez absolument de telécharger, c'est bon pour la musique de consommation. Achetez des CD qui ont généralement des notices succinctes mais bien faites.
CHRONIQUE
LECTURES
Il m'est difficile de dormir sinon par à coups et il est 2h20.
A vrai dire nous sommes donc le 29 mai, mais j'ai abordé ce billet le 28 et j'ai été retardé, parce-que ma fenêtre était tronquée et que je ne pouvais lire que quelques lignes à la fois. Les experts à qui je téléphonai me dirent que mon cas était très compliqué, et qu'il fallait leur amener la machine. Commode ! Je passai quelques heures à essayer de trouver une solution. Et elle était d'une grande simplicité. Ainsi je suis en train d'apprendre le mac Book sur le tas, c'est quand même pénible et stupide.
J'arrivai à Deauville hier à midi, par un froid intense, mais agréable. L'après midi fut consacré à acheter chez Carrefour des légumes, des yaourts, des jus de fruits et autres aliments plus ou moins standardisés. Aujourd'hui je me rendrai avec Marina au marché pour avoir des produits de qualité et aussi - le Céline dont je vous ai parlé et dont je ne me souviens pas du titre, aussi affreux par son contenu, que par son contenant : un papier brûlé appelant irresistiblement la poubelle, qu'il mérite sans doute. (Il s'agit de Bagatelles pour un massacre) Mais on me dit qu'un tel pamphlet était devenu introuvable, alors...
La soirée a été éclairée par la lecture du Marchand de Venise de Shakespeare. Cela faisait quelques décennies que je ne l'avais lu et j'en suis à mi-lecture. C'est une oeuvre tout à fait ambiguë et je commence à saisir son sens écartelé entre intrigues contradictoires et s'entrechoquant brutalement. Comment est-il possible que maints critiques aient considéré cette oeuvre cruelle, comme une comédie légère ? C'est ce qui me dépasse.
Je continue la lecture de Cockpit de Kosinski où il relate les trésors d'imagination qu'il déploya pour "choisir la liberté". A New York, il connut son meilleur ami, un certain Robert, qui le couvrit de sa sollicitude et le protégea discrètement. On sait combien j'ai été sensible à ces marques d'affection de la part de protecteurs puissants. Seul ceux qui ont vécu jeunes, dans la maladie et la certitude de finir dans le caniveau, peuvent le comprendre.
Kosinski dans un passage touchant, nous apprend que Robert, non content de lui offrir un logis à air conditionné, en prévision des chaleurs torrides de New-York, insista pour lui faire acheter un vêtement d'été, pour remplacer le lourd complet d'hiver, le seul qu'il ait, et qui l'accompagna dans un magasin élégant. Par chance, on offrait un discount de 50% sur ces costumes d'été de la meilleure qualité. Ainsi Kosinski put l'acheter, enchanté. Le lendemain, ne voulant pas manquer cette promotion, il se présenta pour en acheter un second. Mais on lui répondit que les prix étaient au double de la somme qu'il avait déjà payé. Il fit un scandale et demanda à parler au Directeur. Celui-ci passablement embarrassé finit par lui révéler que la moitié du prix du costume avait été payé en cachette par Robert.
Vous vous souvenez peut-être, que bien que nous faisant vivre au Grand Hôtel et fréquentant les boîtes les plus ruineuses, mon père nous faisait vivre misérablement. J'étais incapable de me payer mes études (c'est pourquoi j' entrepris mes études au Conservatoire de Arts et Métiers qui était gratuit). Ce dénuement me fut d'ailleurs plus profitable que si j'avais été couvert d'argent comme bien des fils à papa. Il m'obligea de travailler à la Bibliothèque Nationale, dans cette magnifique salle de lecture, aux boiseries illustres, où des chercheurs concentrés et respectueux, se penchaient sur les précieux ouvrages sous la lumière des lampes en opaline verte. Je fus aussi contraint à élaborer des fiches très soigneusement calligraphiées que j'ai conservé encore aujourd'hui.
Au Grand Hôtel, un cousin éloigné Claude G*** vint vivre avec nous. Son père était un des hommes les plus sympathiques, les plus séduisants que je connaisse. Il ne consacrait que peu de temps à son fils pris par ses affaires et la constitution d'un musée de petits maîtres qui est encore très connu à Genève. Le fond de son âme était hélas tout autre, et sa femme, une grande dame issu d'un milieu huppé d'Italie, froide, d'une suprême distinction, et les trait d'une tigresse, le détestait. J'allai souvent chez eux à Genève et j'étais intimidé par leur appartement d'une glaciale beauté, et les haines qui couvaient dans la famille. Et voici qu'un affreux malheur frappa la mère de Claude, un cancer, débuté dans la langue et rapidement généralisé. Elle fut traitée au bétatron, en vain . A la fin la pauvre femme ne pouvait parler. Elle exprima le voeu que Claude qui avait alors dix-huit ans, si je ne me trompe, vienne habiter auprès de nous et que je le prenne en charge pour le cultiver et le former.
J'étais très choqué, car Claude s'intéressait de très près aux outils électroniques et aux modes opératoires des traitements les plus avancés. Le sort de sa mère ne le préoccupait nullement. Cela m'aurait dû mettre en garde. Je finis par m'attacher à lui, car il absorbait à toute vitesse mon enseignement. Au début, il fut très gentil avec moi. Pendant un an nous déjeunâmes ensemble dans un modeste restaurant chinois proche des grands boulevard. Il avait obtenu du chef du restaurant d'énormes discounts, et j'étais capable de payer les sommes très faibles demandées, et que mon père admit. Ce n'est que bien plus tard que j' appris que la plus grande partie de la note était discrètement payée par lui.
Par ailleurs, j'étais dévoré depuis mon enfance par deux passions : la numismatique et la minéralogie. Je me rendais avec délices chez Deyrolle, rue du Bac et je fis la connaissance de beaucoup de minéralogistes et de savants qui m'apprirent les arcanes de cette science. Je finis, à dix sept ans par être élu membre de la très fermée Société de Cristallographie. Pour preuve de la sympathie qu'il me portait, monsieur Charles, le chef du département de minéralogie chez Deyrolle, m'initia aux secrets des minéraux, et j'avais déniché un merveilleux livre d'une certain Braun traduit en italien, où on voyait très luxueusement reproduits en sérigraphie les spécimens les plus illustres des Universités de Magdebourg, de Karlsruhe, et surtout de Giessen dont les cabinets étaient célèbres, avant la première guerre mondiale. J'achetai pour des sommes dérisoires, des pièces aussi belles, dotées d'un provenance aussi illustres, que celle des cabinets allemands.
Le grand rival de Deyrolle était Boubée, rue St André des Arts. Il avait aussi de belles pièces, mais ses prix étaient exorbitants, dix fois ceux pratiqués par Deyrolle. Lorsque je demandai un escompte, le vendeur arbora un sourire méprisant.
Là aussi, j' appris beaucoup plus tard que tous les collectionneurs et les minéralogistes, s'étaient cotisés de monsieur Charles, pour me payer pratiquement la totalité de la collection, avec la bienveillante complicité de monsieur Charles.
Il est trois heures trente cinq du matin, et la journée du 29 déjà entamée.
Je ne veux pas clore ce billet avant de vous avoir dit combien j'ai apprécié l'imagination et le style du poème de notre ami S*** dont je puis à présent révéler le nom : S., avocat de classe exceptionnelle, père d'une famille modèle, et des passages de vibrante poésie. Il vit souvent dans un monde qui n'est pas le nôtre, le noble royaume des esprits que Goethe invoque dans la dédicace de Faust II.
Votre ami, Bruno Lussato
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