CHRONIQUE
RETOUR AU REEL
Le regard jeté sur la solitude, matérielle ou spirituelle, était emprunté à de sources littéraires. J'aimerais bien y ajouter mon expérience et l'enseignement que la réalité récente m'a appris.
ANTONIO
Comme je l'ai écrit dans le billet d'hier, le soupçon d'homosexualité qui pèse sur Antonio, est naturel dans une culture occidentale récente, ou amour et sexe sont intimement entremêlés de sorte que l'exaltation de l'amour implique "ipso facto" une relation sexuelle. Mais il n'en a pas été ainsi avant le XXème siècle. La dissociation entre les deux notions, signifiait qu'un amour même excessif peut saisir deux individus de l'un ou l'autre sexe, être comblé ou rejeté par l'aimé(e). La terrible nostalgie, peut d'ailleurs atteindre deux amants parfaitement accordés, c'est alors la crainte de perdre ou de voir vieillir l'être cher qui jette une ombre intolérable sur la plus parfaite des relations, justement ) cause même de cette perfection. C'est ainsi que les amants de "Belle du Seigneur" d'Albert Cohen, se suicident pour conserver intact le bonheur parfait, insurpassable, qui ne peut que décliner. L'amant, un homme splendide, dit à sa magnifique compagne qui lui déclare un amour total, désintéressé, absolu, " M'aimerais-tu autant si j'étais bossu, les yeux torves, et une taille de 1m.55?" Ce que notre époque ignore, est qu'il peut se trouver que deux hommes (ou deux femmes) entretiennent une relation encore plus forte que le lien sexuel. On peut citer évidemment la relation père-fils, fréquemment d'une profondeur touchante. Je citerai comme exemple l'amour rayonnant qu'Alexandre Pugachev (un peu mon successeur) porte à son père, le Sénateur. Lorsqu'il est en sa présence, sa physionomie sévère s'adoucit, sa froideur naturelle, son indifférence polie s'évanouissent au profit d'une lumière intérieure irrésistible. Quel père ne souhaiterait pas avoir un tel fils?
Mais il peut aussi y avoir une affection viscérale, organique entre deux hommes, comparable en intensité et en force, à celle d'un couple. On connaissait fort bien ce sentiment-là dans la littérature romantique. Il suffit de relire "Les souffrances du jeune Werther" de Goethe, ou encore se souvenir de la relation entre Brahms, Schumann et Clara. On sait que par fidélité à la mémoire du cher disparu, ni Clara ni Brahms ne s'unirent. J'avoue que moi-même, en dépit de profondes divergences et d'une forte réprobation, je restai toujours fidèle de corps et d'esprit à Christa. Or il survint que la dernière année de sa trop courte existence, elle subit une transformation stupéfiante. Elle prit conscience de tout le mal qu'elle avait pu faire, du fait que sa mère et moi étions les seuls à l'aimer vraiment, et elle devint un ange du Seigneur. Elle rajeunit, elle embellit, elle retrouva ses traits d'enfant, un sourire étonné, comme émerveillé... Certes, les drogues y furent peut-être pour quelques chose, mais je n'y crois pas. Depuis, ces derniers moments passés avec elle, pendant que j'écrivais Décodages resteront, magnifiques et déchirants dans ma mémoire. Non seulement je ne me remariai jamais, mais la seule idée de la tromper affectivement me fut tout à fait étrangère. Elle remplit mon äme et mon coeur et son portrait est toujours sur mon bureau.
Christa était mondaine et très socialisée. Elle se serait très bien vue comme épouse de notaire de sa province natale.
Je n'ai éprouvé ce sentiment que récemment, et c'est une grâce que le Seigneur m'a octroyé dans ma fin de vie comme pour concentrer en moins de deux ans, tout ce dont j'ai été privé toute ma vie.
Je fais allusion à la relation que j'entretiens avec Olaf Olafson.
Lorsque je fis sa connaissance c'était l'un des hommes les plus admirés de la côte qui va de Seattle à Vancouver. Son fils cadet avait pris la relève de l'affaire, supplantant sa jumelle et ses deux aînés. Il avait un caractère fougueux et intraitable et son père qui avait un faible pour lui et pour son dynamisme, ne savait comment le contrôler. Le jeune homme n'avait pas peur de la mort, il n'avait d'ailleurs peur de rien. Hegel disait que lorsque deux hommes s'affrontent, c'est celui qui n'a pas peur de mourir qui l'emporte. De même Harald Olafson, l'emporta au cours d'une confrontation sanglante avec les représentants de la mafia à Seattle. Les mafiosi estimèrent qu'il valait mieux s'attaquer à des proies plus commodes et moins risquées.
Olaf, se plaignit auprès de moi, de la nature cruelle et intraitable de son fils. "Comment le rendre humain? " m'implora-t-il comme si j'avais accès aux bas-fonds tortueux du garçon. Je répondis que je ferai de mon mieux pour lui faire découvrir les grandes oeuvres universelles.
Or, à mon grand étonnement le jeune homme demanda à me voir, lui qui refusait toutes les visites d'homme d'affaire, de banquiers, et d'entremetteurs de tout poil. Tous étaient impressionnés, mais ils le furent encore plus lorsque je mis fin à notre rendez-vous au bout de cinq minutes. Il fut certainement surpris et désarçonné, car il me donna un autre rendez-vous. On se disputait, je remettais à sa place et il ne devait guère en avoir l'habitude. Olaf était ravi. A la fin, après une discussion plus vive que d'habitude, je lui-demandai ce qu'il voulait de moi. "I want you" me dit-il. C'est là que j'eus l'idée de mettre un terme à notre relation tumultueuse : je lui demandai de satisfaire quatre covenants, que j' appris chez IBM.
1."Confiance absolue"
2."Respect absolu"
3. La ponctualité et des rencontres qui n'excèdent pas six semaines.
4 " Eternité".
La relation ne devait s'éteindre qu'avec la mort de l'un d'entre nous. Harald mit du temps pour accepter la dernière proposition, mais dès qu'il y consentit, il fut d'une sollicitude de tous les instants. Voici un exemple de relation forte, plus forte que ce que l'on nomme amitié, ou amour.