masterclassesFriday, 20 March 2009Le journal du jeudi 19 mars 2009CHRONIQUE Autour de Paul Klee
Comme je l'avais annoncé dans le précédent billet, finissons l'analyse du texte de Pierre Boulez sur Klee.
Klee s'empare des éléments les plus simples : l'échiquier, le cercle, la droite, dont il va déduire, d'une façon toute logique, toutes les variations, combinaisons possibles, toutes les influences réciproques. Par contraste, il introduit quelques éléments très figuratifs et semble se plaire à la confrontation des deux mondes. Mais même sa géométrie n'est pas une géométrie "objective". C'est ce qui le distingue de Kandinsky chez qui une droite est une droite "absolue", un cercle, un cercle "absolu". Ce sont des formes géométriques parfaites, tracées avec des instruments rationnels, ceux-mêmes dont se servent techniciens et ingénieurs. Et si l'on peut admirer l'ordre strict des tableaux de Kandinsky, ils nous paraissent, en quelque sorte anonymes. L'esprit est puissant mais la chair n'est même pas faibles, elle est tout simplement absente. Ce sont des objets dévitalisés, qui pourraient presque être avoir été fabriqués par n'importe qui. Chez Klee, l'on observe exactement le contraire. Ce qui force ma conviction c'est qu'on reconnaît son empreinte. La ligne n'est pas parfaite, mais une approximation de la ligne ; la main n'a pas à concurrencer une règle, elle produit sa propre déviation, sa propre distorsion ; le cercle n'est pas le cercle parfait, mais "un" cercle, un cercle tracé "à la main", pour lequel il a refusé le compas; un cercle parmi cent autres, qui possède l'autonomie merveilleuse de sa propre déviance. On a en même temps la géométrie et la déviation de la géométrrie; le principe et la transgression du principe... (Klee) préserve une zone d'insoumission. ( p.125).
Nous savons trop bien que l'excès d'ordre est sans intérêt : quand nous pouvons prévoir trop facilement les évènements, notre attention disparaît ; il en va de même avec le chaos pour des raisons opposées. Qu'est-ce qui alors est nécessaire pour obtenir en même temps continuité et variété?
Klee nous donne une merveilleuse leçon concernant ces difficultés. Il possède un extraordinaire pouvoir de "déduction". Lorsqu'on est jeune compositeur on est capable d'un grand nombre d'"impulsions". Celles-ci donnent naissance à desidées musicales, qui peuvent être très fortes, très orientées. Mais une fois qu'on les a notées, on ne sait plus comment les relier l'une à l'autre, comment établir les transitions, comment développer. Parfois ces idées sont trop riches et encombrantes et il est très difficile de les manipuler. Comment les diviser en unités plus petites, plus maniables ; comment les réduire à des composants plus neutres qui puissent irriguer entièrement le texte ; comment faire proliférer l'idée originale en même temps qu'on la réduit. C'est là tout le problème. ... Ce que j'entends par composition, par travail de composition, c'est justement cela.... (p.131) ... J'éprouve une irrépressible défiance si j'entends dire que l'imagination va tout prendre en charge. L'imagination, cette faculté merveilleuse, ne fait rien d'autre, si on la laisse sans contrôle, que de prendre appui sur la mémoire. La mémoire fait ressortir au jour des choses ressenties, entendues ou vues, un peu comme chez les ruminants remonte le bol d'herbes. Peut-être est-ce mâché, mais ce n'est ni digéré ni transformé.Tous ces souvenirs qui reviennent comme spontanément, sans effort donnent l'impression qu'on possède une imagination foisonnante. L'on se dit : "Mon imagination est si merveilleusement riche que tout jaillit sans effort et sans intention.! Ce type d'imagination ne fonctionne que sur rappels mémorisés, à peine ripolinés ; pour moi la véritable imagination n'a rien à voir avec ce coffre à trésors. .... Il y a des génies dont on vante le constant renouvellement ; il y en a d'autres, dont on seméfie davantage, car ce sont des artistes de la persistance. Mais il arrive que, souvent, on a confondu renouvellement et dispersion, persistance et monomanie...Se re,ouveler? Oui,mais selonune évolution organique qui développe;étend les possibilités, change les perspectives. (p.147)
La préparation du fond était pour lui un stade si promordial de la création qu'il ne mesurait pas son temps pour obtenir ce qu'il recherchait ; parfois il passait un mois à le modifier au moyen de moyens divers. Si bien que le résultat est un fond extraordinairement développé mais en même temps amorphe. ... On ne sait pas trop comment le regarder, ou il y a mille façons de le regarder... Sur ces fonds conçus pour offrir à l'oeil une multiplicité fluctuante d'aspects, Klee trace d'un trait noir quelque figure très précise, comme gravée, que ce soit une forme animale ou végétale.(p.163)
Voici un exemple de recette de préparation du fond inscite au dos de Zuflucht (Refuge), 1930. 1. carton 2.huile blanche, laque 3 pendant que 2 encore collant : gaze et enduit de plâtre 4 aquarelle rouge brun comme teinte 5 tempera de Neitsch blanc de zing avec addition de colle 6 dessin fin et hachures peintes à l'aquarelle 7 légèrement fixé avec un vernis à l'huile (dilué à la térébenthine) 8 éclairci par endroits avec huile blanc de zing 9 couvert avec huile bleu-gris lavis avec huile laque de garance. Pour avoir accès à mes commentaires autour de Klee, se reporter au corps du billet. (continuer la lecture)
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La nuit du 17 mars, je l'ai passée à lire les ouvrages les plus variés, mais tous présentant un intérêt certain, voire essentiel à mes yeux, complétant fort bien les textes de Pierre Bergé et sur le faux, cités dans les billets précédents. Le plus intéressant me semble une très profonde réflexion sur les rapports entre l'art de Paul Klee et la création musicale. La référence est : Pierre Boulez, Le pays fertile Paul Klee Gallimard 1989 et 2008.
Cet ouvrage est d'une lecture difficile car Boulez se garde bien s'opérer des transpositions artificielles et superficielles entre une forme d'art et une autre. Il est impossible de transcrire dans un morceau de musique le rythme d'une peinture, et encore moins à partir d'une partition un équivalent pictural. Certes il y a des similitudes, voire même des équivalences : dans les deux arts on trouve la prééminence de la structure sur le sentiment et l'apparence (ce que Pierre Bergé notait dans l'intretien cité plus haut), et c'est dans la liberté que laisse la structure que se glisse la création véritable . Autrement tout est mécanique et froid. Le rythme, la couleur, la densité du matériau, sa répartition, son intensité. Par exemple dans certains tableaux Klee adopte le pointillisme : il délimite une surface et sa dimension, en la remplissant de pointillés, ce que Webern fait en musique par la répétition à l'identique d'une note. L'étendue picturale et la durée musicale sont évalués par le nombre de pointillés. Autre exemple le contre point : dans le tableau plusieurs lignes se croisent et circulent librement dans la toile. Chez Klee le procédé est constant, elle est conçue comme un mot croisé qui se lit dans le sens horizontal ou vertical. En musique, un morceau polyphonique est conçu de la même manière. La lecture verticale de la partition génère l'harmonie, alors que la lecture horizontale met en valeur la mélodie.
Mais si les équivalences sont évidentes, la spécificité irreductible de la musique et de la peinture est première. En effet le rapport à l'espace et au temps sont radicalement différents dans les deux arts. Alors que d'un seul coup d'oeil on peut percevoir la totalité de la structure du tableau d'une exposition, pour y revenir à la fin de la visite pour affiner le regard, la perception de l'oeuvre musicale dépend de notre mémoire. On ne peut appréhender l'oeuvre dans son déroulement (à moins de lire une partition) qu'instant par instant. C'est pourquoi, alors qu'on peut lire un tableau dans tous les sens, les structures renversables, où le thème se présente à l'envers, sont difficiles à percevoir. Encore une fois il faut une partition pour les apprésender, et c'est pourquoi l'audition en suivant une partition est hautement recommandée, en sachant toutefois que c'est la structure et l'organisation qu'on met en relief au détriment des autres dimensions comme le timbre ou l'intensité sonore. Un exemple est donné par la fugue de la sonate Op.106 Hammerklavier, où des passages entiers présentent le thème lu comme dans miroir, ce que l'on nomme le renversement, ce qui n'offre pas de difficulté dans un tableau. Pensez à un paysage se reflétant dans un étang. Le reflet et le réel apparaissent aussitôt comme identiques. Ce n'est pas le cas pour le renversement d'un thème, procédé qui, fréquent dans l'Op 106 est omniprésent dans L'art de la Fugue de J.S. Bach. L'orchestration de Scherchen a pour but de clarifié l'organisation des lignes de sonrte qu'on entende toutes les mélodies séparément. Mais il ne peut faire que dès que l'on dépasse une durée asssez courte d'un thème, on ne peut déceler son identité avec son renversement. Dans le cas de l'Op 106, la difficulté est fréquente, mais on y trouve une forme que les sérialistes utiliseront plus tard : la réccurence. Elle consiste à jouer la partition en la lisant en commençant par la fin et en finissant par le début. Beethoven ne facilite pas la tâche à l'auditeur car le thème est interminable et que même sous sa forme normale, on a du mal à en séparer le début de la fin. Que dire alors que la difficulté devient insurmontable quand Beethoven expose le thème à la fois renversé et récurrent! C'est pourquoi on n'a pas tort de dire que cette musique se lit plus qu'elle ne s'écoute.
Lire la suite dans le corps du billet (continuer la lecture).
HEBDOMEROS
Il s'agit du seul texte de Chirico se réclamant de la peinture métaphysique. Par la puissance de ses immages verbales, elle revêt une forme puissamment onirique et on peut la lire comme le récit d'un rève, dans touts les sens, et la déguster au hasard des page. L'ouvrage écrit en 1029 a été réédité plusieurs fois dont la dernière impression date de 2009.Enfin un ouvrage disponible !
Les dernières lignes de ce poème en prose vous donneront une idée de la poésie qui s'en dégage.
... Cependant, entre le ciel et la vaste étendue des mers, des îles vertes, des îles merveiilleuses passaient lentement, comme passent les navires d'une escadre devant le bateau-amiral, tandis que de longues théories d'oisaux sublimes, d'une blancheur immaculée, volaient en chantant.
Y-a-t-il plus commun que des oiseaux qui chantent. Un oiseau chante : il croasse ou roucoule, ou gazouille. D'où vient donc la musique qui se dégage de "volaient en chantant" ? Cela dépend je suppose de la préparation de cette image par des mots peu banaux tels que "de longues théories d'oiseaux sublimes". Je vous conseille d'acheter ce livre, et d'en déguster la nuit une ou deux pages prises au hasard en vous laissant emporter par le flot onirique et en vous l'appropriant.
Réponse à deux commentaires. Slow Philou est heureux qu'on lui ait dévoilé l'existence de Guy Sacre. J'eusse préféré qu'il apprenne l'existence d'ouvrages sérieux tels que ceux de Pierre Boulez , ou tout simplement les articles de Wikipédia qui sont généralement excellents. J'ai à maintes reprises signalé l'existence de très bons livres, allant en profondeur à l'essentiel. Plutôt que l'existence de Guy Sacre, j'eusse préféré qu'il mette à profit mes billets pour acheter les explications -en un excellent français- du grand Wilhelm Kempff sur la 106 qui lui en apprendra long sur les lamentables critiques de M.Sacre. Qu'il commence par cela. Le Monde de la musique et Diapason donnent une quantité d'informations secondaires et souvent de rares appréciations de valeur sur les interprétations. Pour reprendre mes billets récents, qu'ont-ils fait pour signaler l'existence de la Xeme Symphonie de Beethoven? Et les disques paru recemment de Wilhelm Backhaus, jouant Brahms (les ballades) et Copin (la Sonate funèbre et les études) versions transcendantes? Ou la lecture la plus honnête d'une intégrale Brahms par Walter Klien. Ackoff a démontré qu'une information trop abondante tue l'information. Achetez donc de bons livres d'initiation de base à la musique que vous trouverez à La Flûte de Pan, rue de Rome, cela forgera cent fois plus votre jugement que tous les textes le plus souvent commerciaux des magazines. Ce n'est pas qu'ils se trompent toujours. Au contraire on leur doit, de même qu'à l'Avant Scene Opéra, excellente revue, de précieuses informations. Ils ont ainsi révélé le talent de Clemens Krauss, et celui de Richter. Je vous apprendrai aussi que mes critiques acerbes ou désenchantées envers les critiques, ont été partagées et continuent de l'être par tous les grands compositeurs qui savent à quoi s'en tenir. Je me trouve donc en bonne compagnie! J'attends avec intérêt vos réponses aux miennes, vous voyez bien que je ne les prends pas à la légère.
Réponse à Tom. Je passerai sur le ton injurieux à la limite de la bienséance de M.Tom, qui devrait au moins le respect que l'on doit porter à tout humain. Lorsque j'ai critiqué M.Sacre, cela concernait des points techniques bien finis, l'homme n'était pas visé. Au contraire les attaques proférées à mon égard visaient ma personne et dénote une hargne personnelle inacceptable. Cela ne deshonore que celui qui les commets. Cela dit, entrons plutôt dans une analyse factuelle de ses remontrances et négligeons ces mouvements d'humeur sans intérêt.
En ce qui concerne l'analyse, apprenez qu'il n'y a pas de "mais", car il est artificiel de vouloir opposer l'écoute et l'analyse. Encore que pour tous les connaisseurs quelque soit la discipline, ce qui est sensiblerie est la répudiation de l'analyse froide au profit de je ne sais quel hédonisme. Lisez Pierre Bergé, ou Pierre Boulez, ils ont fait la différence entre le vrai connaisseur et l'amateur. Je vous ai déjà conseillé vivement la lecture de l'interview de Bergé par Laure Adler, il est facile à lire, sans complaisance et formidablement instructif. Enfin pour terminer vous me prêtez des qualificatifs qui sont aussi gratuits qu'injurieux. Pour en revenir à l'accusation de vanité et sur le mot "supériorité, où avez-vous pris que je me trouve supérieur à tous les autres hommes, alors que je ressens douloureusement mes lacunes et que je me suis maintes fois qualifié de "moineau déplumé". Pensez que j'ai vécu pendant deux ans avec la moitié d'un cerveau et dans ces conditions où l'on lutte pour préserver ce qui reste de mémoire; il est difficile de prétendre à une quelconque supériorité, sauf sur des crapules ou des imbéciles. Voyez le personnage de MacWhirr dans Typhon et vous comprendrez. Si vous parlez de hauteurs spirituelles sachez aussi que je ne sais pas plus que vous de quoi vous parlez. C'est un domaine que ma soeur connaît et qu'elle essaie d'atteindre. On peut en dire autant de notre ami S*** dont vous appréciez les paraboles. Quant à moi, je me contente de faire mon job de professeur honnêtement et d'inciter les gens autour de moi, mes clients et mes chers internautes, à progresser dans le domaine merveilleux de la création, au plus profond de sa genèse plus qu'à ses manifestations mondaines et superficielles. C'est tout! Et croyez-moi, ce n'est pas facile en une ère de barbarie ou seul le pouvoir, l'argent et la notoriété comptent. Quant à l'objectivité, qui peut prétendre l'avoir? Chacun juge d'après ses propres échelles de valeur, et les plus grands esprits, les plus profonds créateurs ne sont certainement pas objectifs. Heureusement d'ailleurs. Vivement votre,...et merci pour vos commentaires, Bruno Lussato.
NOTE Le schéma ci-dessous montre une astucieuse représentation graphique de la XIeme fugue de l'Art de la fugue de J.S.Bach. La fugue comprend quatre thèmes représentés par quatre couleurs différentes. En rouge le thème omniprésent, en jaune un autre plaintif ou menaçant, en vert, le thème du malheur, dérivé des notes B.A.C.H. qui transposées trois fois donnent le total chromatique, c'est à dire les douze sons au complet, préfigurant ainsi la technique dodécaphonique de Schönberg. On lit le schéma par groupes de quatre lignes (correspondant aux quatre voix) et de gauche à droite. Le schéma esr donc composé d"une vaste frise tronçonnée en six fragments pour les besoins de l'impression. De bas en haut les lignes correspondent à la basse, ténor, contralto et soprano léger. Les formes correspondent au profil des quatre thèmes et leur fragmentation.
On peut tirer de ce schéma les constations suivantes. 1. Tous les thèmes se présentent sous une forme directe et une forme renversée, comme vues dans un miroir. 2. Il est impossible de prévoir en dépit d'un équilibre formel entre les quatre thèmes, le déroulement de la fugue. A l'oreille elle paraît parfaitement logique, mais la lecture de la partition et son analyse approfondie montre - comme vous le voyez dans le schéma - qu'un désordre indescriptible constitue l'océan musical déferlant contre les rochers stables que sont les thèmes. 3. La complexité est encore accrue si l'on fait intervenir la gestion microscopique dy temps. La même figure apparaît allongée (augmentée) ou raccourcie(diminuée) avec toutes les variétés de démultiplication. Les formes longues peuvent se superposer aux formes courtes de toutes les manières sans que l'on entende le moindre frottement. La lecture simultanée des quatre vois, instant par instant, donne toujours une harmonie parfaitement licite. On reconnaît ainsi les principes énoncés par Paul Klee et commentés par Pierre Boulez, dont il est question dans leurs écrits : la plus grande rigueur se conjuge avec la plus grande liberté. 4. La meilleure exécution sera celle qui permettra d'identifier au cours de l'audition les formes superposées de la fugue. Alors que la plupart des éditions louées par les critiques visent une fausse authenticité (instruments d'époque) les deux versions majeures qui mettent en évidence la structure, sont pour grand orchestre. Il s'agit de celle de Munchinger, rapide et violente, et de celle de Scherchen, de loin la meilleure et publiée par un obscur éditeur.
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Complément au billet du 16 mars "La meilleure introduction à l'art".
A propos du faux Della Robbia qui m'a été vendu pour authentique par François de Rickles (La vente du siècle) voici quelques histoires de faux qui devraient nous faire réfléchir.
LE CAS CHOU LING
Chou-Ling fut, voici quelques décennies mon professeur de peinture chinoise. A cette époque le célèbre Jean-Pierre Dubosc, grand expert un peu spécialisé dans les oeuvres de Wang Uyan C'hi et de Chen Tcheou (l'orthographe varie selon les modes et les conventions en vigueur), actuellement on écrit Wang Yuanqi et Shen Zhou) m'avait présenté deux magnifiques makemonos (rouleaux horizontaux). Si on peut considérer le premier comme le Cezanne chinois, c'est à Botticelli, son contemporain qu'on pourrait comparer le second. Le premier (Environ 1687, dynastie des Qing),prononcer Tchen-jô) m'était offert pour 36 000 francs de l'époque, le second (Un des quatre grands maîtres de la dynastie Ming) pour 50 000 francs, c'est à dire bien au dessus de mes moyens. Je travaillais alors au BHV et mon premier achat avait été un excellent Steinway de New York, le second une belle huile de Hartung achetée à Galliera dans une vente aux enchères, absorbant chacun des achats un an d'économies drastiques. Le Wang Yuan C'hi était mon préféré alors que le Chen Tcheou m'impressionnait et me remplissait d'une admiration respectueuse.
En ce temps-là, je passais mes week ends dans une minable et pittoresque auberge de Recloses datant de 1820 et je passais mon temps à errer dans les gorges de Franchard et les environs rocheux. Le paysage était dépaysant, on se serait cru dans une Chine miniature à la fois par les formes étranges des rochers et celles, torturées des pins et des érables. Je retrouvai ce paysage dans le makemono de Wang Yuan C'hi et je m'y promenais comme on dû le faire les lettrés chinois en déroulant l'illustre rouleau : avec un peu de musique de luth accompagnée par les camélias à l'écoute. Généreux, Jean-Pierre Dubosc qui m'avait initié à l'art de ce peintre, me consentait un payement échelonné qui me permettrait en deux ans de m'acquitter de la dette.
J'étais tombé amoureux du makemono, il se confondait avec le charme qui m'enchaînait aux sites sauvages de la forêt de Fontainebleau, dans les parages d'Arbonne. Cela devenait une obsession. J'en révai toutes les nuits. Je devais l'avoir, le contempler et le parcourir avec révérence pendant les moments de solitude et de cette nostalgie qui m'étouffait. Cependant avant de sauter le pas et d'accepter deux ans de privations, je consultait Chou Ling. Ce dernier sourit et me déclara que comme tout lettré chinois il ne pouvait me donnait son avis. Si je l'aimais, eh bien, je n'avais qu'à l'acheter. Comme j'insistais il me donna le conseil suivant : photographiez le rouleau avec une pellicule lumière naturelle mais en lumière artificielle, puis projetez la diapositive sur un grand écran. Etonné je m'acquittai de cette bizarre formalité et ce qu je vis me laissa sans voix. Le rouleau était truffé d'incohérences, et les rochers étaient sans vie, faibles. L'imagerie m'avait caché la peinture. En voyant ma confusion Chou-Ling sourit et me demanda combien Dubosc m'en demandait.
Je m'ouvris à Dubosc de mes conclusions et lui demandai des explications. Il était affreusement gêné : c'est qu'il s'agit vraisemblablement d'une oeuvre de jeunesse hasarda-t-il. Mais le style était celui dela maturité. Après cela je m'éloignai de celui qui m'avait trompé, en regrettant de ne pas connaître l'original.
Bien plus tard , alors que je visitai le De Young Museum à San Francisco, je fus attiré par une très grande salle plongée dans noir le plus profond. Des centaines de chaises inconfortables faisaient face à une peinture très longue et étroite. En m'approchant, je découvris avec émerveillement ce que je pris pour l'original du makemono.En m'approchant de plus près quelle ne fut pas ma surprise de constater que c'était mon faux Wang Yan C'hi ! Je téléphonai aussitôt à Suzan W*** la directrice du département, que j'eus aussitôt (car on se trouvait aux Etats Unis, pas en Europe!) et lui posai la question suivante : votre Wang Uyan C'hi combien de temps avez vous vécu avec lui avant de l'acheter? - Quelle question : cela aété immédiat. Je l'ai vu,j'ai eu le coup de foudre et je l'ai acheté à Dubosc qui s'y connaît parfaitement, croyez-moi. J'ai quand même l'oeil et je n'ai pas besoin d'heures pour me décider quand une oeuvre est d'une telle qualité! - Vous êtes donc sûre qu'il ne s'agit pas d'un faux? - Un faux? Pas besoin de me poser la question !
- Allez le voir de près, et observez avec un loupe le rocher central et la ligne d'horizon et retéléphonez moi au Sheraton.
Mes propos durent lui mettre la puce à l'oreille car deux heures plus tard, elle était au téléphone. "C'est un faux, pas de doute" dit-elle laconiquement. - Et qu'allez vous en faire? A ce qu'il parait c'est un des clous du musée et vous allez priver une foule d'admirateurs qui grâce à lui voient s'éveiller leur intérêt pour la peinture chinoise ! - Pas question, je restituerai cette chose à Dubosc. C'est une question d'éthique. Un musée ne peut exposer un faux, ce serait se montrer complice du faussaire et un encouragement pour les escrocs. - Mais si vous ne vous en êtes pas aperçue et que vous avez admiré cette oeuvre, pourquoi ne pas en faire profiter les visiteurs? - Je vous l'ai dit, nous sommes un musée réputé et ce serait offrir un exemple déplorable. Notre réputation et notre crédibilité en seraient affectées et pour longtemps.
Je ne fis pas observer à Mme W*** qu'exception faite des musées de Stockholm, d'Honolulu, du Musée du Palais à Formose, et des collections privées japonaises secrêtement cachées par des amateurs privés depuis des siècles, seules 27% des peintures chinoises anciennes sont authentiques ( Je n'ai pas eu les moyens de vérifier, et d'ailleurs comment serait-ce possible?).
Une décennie plus tard j'assistai à l'inauguration du nouveau musée Guimet, merveilleusement rénove, et je fus à peine surpris de voir mon Wang Uyan C'hi trôner à la place d'honneur déployé dans une vitrine longue et étroite (ce qui est d'ailleurs contraire à son utilisation qui commande qu'on le déroule lentement). Est-il besoin de préciser que je me gardai bien d'avertir le conservateur, en admettant qu'on veuille bien me recevoir.
Alors? Quel est votre sentiment? Faut-il le dire, pour reprendre le titre d'une pièce de Labiche ?
Le cas de la ciste étrusque Voir la suite dans le corps du billet (mention : continuez à lire...)
Je m'octroie une petite pause pour remercier notre ami S*** de sa contribution.Son interprétation de la précédente parabole est très imaginative et " Far -fetched " pour un esprit prosaïque comme le le mien. De même on ne s'attendra pas dans mon interprétation de la seconde parabole, à trouver une illumination morale et sociétale. Je prends les choses à la lettre et je trouve que c'est très bien ainsi, ce qui est une manière de compliment pour l'auteur.
Le fermier peut être un chef d'entreprise, un négociant en vins, ou tout simplement ... un fermier! Ce peut être une grande banque comme celle où mon fils gravissait péniblement les échelons qui menaient au poste de Sénior Vice President, et qui sous l'effet de la récession dut licencier, ne pourvant nourrir tout le monde. La coupure du cordon ombilical fut à la fois une perte financière et un sentiment moral d'ingratitude. Il s'exila le coeur serré. Mon transfuge était un des meilleurs de l'entreprise, mais il ne savait pas plaire. Son père, ou était-ce son patron, préféra les flatteurs et les courtisans. Mais une fois que l'homme imaginatif et rebelle eût quitté l'entreprise, la vie fut éteinte et incapable de résister à la concurrence qui demandait une adaptation créative aux conditions nouvelles, elle périclita et dût fermer définitivement. Tous furent mis au chômage mais le père - ou le patron qui aimait bien le jeune transfuge et qui avait un remords de l'avoir ainsi chassé sans ménagement, fut soulagé de constater que son jeune protégé aussi injustement traîté, avait émigré au Quebec et débuté une nouvelle carrière, acquis des connaissances nouvelles et élargies, et comme bien des français qui privés d'emploi dans leur pays réussissent aux Etats Unis, il fit fortune.
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Evidemment sous-entendu, parmi celles qu'il m'a été donné de connaître, et j'en ai lu plusieurs. L'auteur est Pierre Bergé, à qui ce billet est dédié. En début d'après-midi, un beau soleil m'a incité à prendre vingt minutes de loisirs volé sur mes obligations. J'ai été visiter la librairie du Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, où on me connaît bien et il m'est donné de feuilleter tranquillement tous les livres, de quoi avoir un panorama assez étendu sur la production de livres sur l'Art Moderne et contemporain. J'ai ainsi acheté le dernier ouvrage sur Matthew Barney, un autre sur l'interprétation de l'Apocalypse par de jeunes artistes contemporains, le Pays Fertile, étude de Pierre Boulez sur Paul Klee (mon peintre préféré) et celui de Pierre Bergé : Histoire de notre collection, Actes Sud , février 2009. J'espérais ainsi découvrir des vues des appartements de la rue de Babylone, de la rue Bonaparte et d'autres demeures. J'en ai été pour mes frais. Il n'y avait que des reproductions de tableaux déjà illustrées dans les catalogues de la vente (il est vrai que plusieurs sont épuisés,mais ceux sur la peinture sont encore disponibles).
En revanche quelle surprise émerveillée ai-je ressenti à la lecture des entretiens entre Laure Adler et Pierre Bergé. Je ne puis vous en donner une idée de la richesse renfermée dans ces propos où réponse de Bergé me semble essentielle pour la compréhension de l'Art et qui vaut aussi bien pour la bibliophilie que pour la musique, pour l'orfêvrerie que - bien évidemment- pour la peinture. Aussi je me sens mal à l'aise pour en déflorer l'essence. Je ne saurais assez vous engager à vous précipiter sur ce livre qui me semble à la fois accessible, majeur et hors du commun.
Je me hasarde quand même à sélectionner de mémoire parmi les idées de l'ouvrage quelques unes qui m'ont particulièrement frappé.
1°. L'oeuvre d'Art digne de ce nom est aussi précise qu'une théorie mathématique. Est-ce un hasard si Mantegna, comme à une autre échelle évidemment, Alain Tarica, l'initiateur de Bergé et Saint Laurent, soit un mathématicien passionné? Elle requiert pour être appréciée la plus grande attention, et un contact répété, que ce soit une fugue de Bach, un roman de Proust, ou un tableau de Picasso. Le hasard n'y a pas de place, sauf quand il est délibéré et utilisé délibérément.Le hasard devient alors un anti-hasard, comme dans la transe qui saisit Pollock durant son activité de dripping.
2°. Avant de raconter une histoire, un tableau doit s'imposer en tant que peinture autonome, organisée et parfaite. Chaque détail est justifié par l'organisation rigoureuse de la construction formelle, le reste n'est que littérature. C'est une thèse que je partage avec Etienne Gilson qui l'a magistralement développée dans Peinture et imagerie . Pour lui l'image -anecdotique - masque bien souvent la peinture. C'est également la thèse soutenue par Guido Ballo, un des meilleurs initiateurs à la vision authentique : il distingue l'oeil critique de l'oeil commun. Je l'ai bien connu et il m'a aidé à édifier mes salles d'art moderne au Musée de Genève, dont la sélection ne serait pas désavouée par Yves Saint Laurent ni Pierre Bergé. On y trouvait les plus beaux Schwitters (étrangement ignoré par nos collectionneurs, bien que promu inlassablement par Tarica), un Klee exceptionnel de 1914, le premier mixed média sur gaze et d'où sortiront les carrés magiques, les rythmes ou encore la composition organique. J'ai dû dans un billet du blog, reproduire mon analyse de ce Klee et de trois Schwitters majeurs. On trouvait aussi dans cette première collection des Malewitch, des Duchamp, des Rodchenko. Tout ceci fut confisqué par l'inquisition fiscale qui me réclama des sommes que je ne devait pas. J'ai hélas quelque chose en commun avec Yves Saint Laurent : une allergie pour tout ce qui est argent, fiscalité, affaires. Mais je n'avais aucun Pierre Bergé pour me défendre. J'étais - et je suis toujours désespérément nu, aidé heureusement par de nombreux amis puissants et dévoués qui constituent ma raison de vivre. Mais cela ne remplace par un Pierre Bergé hélas. Que l'on me pardonne ces commentaires personnels, mais il est naturel que j'aie retenu en priorité ce qui se rattache le plus organiquement à mon être le plus profond.
3°) Bien des choix découlent de cet axiome. Nos deux héros ne pouvaient que dédaigner la peinture anecdotique, celle qui ne tient que par l'histoire qu'elle raconte, comme Magritte, Salvador Dali, ou - horreur - l'Art di t engagé. Comme Schwitters Bergé déteste l'art politisé et proclame l'autonomie de l'oeuvre d'Art. Néanmoins cela n'empêche pas l'artiste, comme chacun d'entre nous, d'opter pour une cause juste et de lutter contre les monstruosités décrites par Robert Conquest dans Le féroce XXème dont notre malheureuse Europe a été le berceau. Bergé nous parle de Weimar. Comment sous l'occupation de nombreux artistes se sont - par vanité, ou par intérêt - laissé séduire par les nazis. Il ose dénoncer les silences coupables de Picasso pendant cette horrible époque, se dédouanant après la guerre en militant pour les communistes et en servant de caution à des monstres comparables aux nazis sur lesquels il s'est tu. Bergé remarque aussi, que les artistes qui se sont "fait avoir" comme André Derain n'étaient plus à l'apogée de leur art.
4°) Bergé fait judicieusement remarqué que si l'on peut - par l'initiation et l'accoutumance - changer de goût, en revanche il n'en est pas de même pour les dégoûts qui sont, eux, durables. Je comprends cela, car si je puis admettre chez moi un Kosuth auquel je ne comprends rien, jamais un Erro ou un murakami n'entreront chez moi. Encore moins un peintre à la mode comme Annigoni. La vie est courte, et Boulez me disait : pourquoi diriger des artistes secondaires alors qu'il existe des génies comme Wagner ou Berg qui ne demande qu'à être explorés en profondeur? Et qui peut se vanter d'en venir à bout. A mon sens c'est cela l'exigence d'excellence proclamée par Bergé : éviter de s'encombrer d'oeuvres secondaires au détriment d'oeuvres majeures quel que soit le domaine visé.
5°) La signature d'un artiste ne sert qu'à rassurer l'ignorant incapable de juger pa r lui-même de la valeur d'un tableau. Mon Maître Chou Ling, qui m'apprit à reconnaître de faux Wang Yuan C'hi ou Chen Tcheou, dont je n'ai pas voulu et actuellement exposés triomphalement au musée Guimet, se refusa toujours à émettre le moindre jugement sur la valeur d'une oeuvre, ni sur son authenticité (il y a pas loin de 75% de faux dans les musées occidentaux !) Il me dit que les gens méritaient ce qu'ils choisissaient. Si leur ignorance ou leur manque d'attention les empêche de distinguer un faux, tant pis (ou tant mieux s'ils sont satsfaits) pour eux. Il ne me dit jamais que les makemono de ces deux peintres à la provenance illustre (Dubosc) étaient des faux. Il se contenta de m'inviter à plus d'attention et à entrer dans les détails de l'oeuvre en traquant les incohérences. Ce n'est qu'une fois que j'eus de moi-même - au bout d'une investigation minutieuse - qu'il me confirma l'inauthenticité des peintures. Or quelle ne fut pas la surprise de voir mon Vang Yuan C'hi, exposé dans une grande salle noire devant deux centaines de sièges voués à sa contemplation. Je ne vis une telle installation qu'en Italie, pour une oeuvre je crois de Duccio. Je me dis, enfin voici l'original dont j'ai eu la copie entre les mains! Je m'approchai et découvris que c'était "mon faux" makemono. Je téléphonai aussitôt au conservateur responsable une femme intelligente et probe qui me dit : ce n'est pas possible. J'ai un oeil quand même! Je lui demandai : combien de temps avez-vouspassé en compagnie de ce rouleau? Combien? Je ne sais pas. Dès que je l'ai vu j'ai reconnu une oeuvre de génie, je me suis fiée à mon expérience et àmon flair. Cela a été un coup de foudre, en un instant ma décision a été prise! J'engageai madame W*** à examiner à nouveau le rouleau en lui signalant les incohérences en oubliant la beauté et le charme du paysage. Elle me téléphona deux heures après :vous avez raison, Dubosc m'a refilé un faux! - Qu'allez vous faire? lui demandai-je. - Quelle question! Il hors de question de le garder, je vais m'en débarrasser. - Avez-vous pensé que vous allez priver une foule de gens incapables de voir des faiblesses, que vous même n'avez pas décelé, pour admirer sincèrement l'ordonnance splendide de ce faux, son charme, la beauté de ce paysage? Et que ce premier contact attisera leur désir de mieux connaître la grande peinture chinoise? N'oublions pas que Wang Yuan C'hi est le Cezanne chinois, il est extrêmementrare de s'en faire une idée, sauf en Japon, au musée du palais à Formose, et peut-être àHonolulu. - Je ne puis admettre un faux dans ce musée, ce serait malhonnête répéta Mme W***. C'est ainsi que le rouleau finit au musée Guimet. Je me gardais bien de dévoiler la fraude à des conservateurs qui n'auraient sans doute pas daigné de me recevoir, encore moins d'accorder crédit à mes révélations. Et puis revoir ce rouleau près de chez moi, me donne une satisfaction nostalgique. Il me donne à rêver de ce que devait être l'original : un chef-d-oeuvre absolu.On rejoint une exigence de Pierre Bergé qui déclare que la démarche d'un musée, différente de celle d'un collectionneur, est un devoir.
6°) Il ne faut pas mélanger les torchons et les serviettes. Bergé avec raison n'a pas de mots assez durs pour fustiger des muséologues qui sous prétexte de montrer une époque d'une manière exhaustive, font coexister Bougurereau et Manet. Les public bêlant qui admire de bonne foi ces pièces de musée, confond le bon grain et l'ivraie sans que les conservateurs lui apprennent à établir une hiérarche que d'ailleurs, je le crains - ils récusent. André Nakov qui m'a appris beaucoup sur l'avant-garde russe,me disait que pour lui, un musée était une grange vide, peinte en blanc et ne contenant qu'une vingtaine de chefs-d-oeuvre majeurs. Bien de petits musées justifient leur existence par une oeuvre glorieuse qu'ils mettent bien en évidence. Je pense notamment aux Vermeer de La Haye.
7°) Un mauvais tableau au milieu de bons, se décèle immédiatement.Mais la réciproque peut être exacte. Allez au palais des papes à Avignon, dans le musée des multitudes de copies et de suiveurs vite oubliés. Une seule oeuvre domine tout, et fait oublier le tout venant : un merveilleux Botticelli. Cependant Picasso n'a pas tort quant il dit qu'un bon tableau au milieu de croutes semble moins bon et qu'un médiocre au milieu d'oeuvres prestigieuses, semble meilleur. Mais il ne s'agit que d'apparences. Samy Tarica, le père d'Alain qui a fait ma culture, m'a fait vendre un des plus beaux Tàpies et un des rares Poliakoff réussis pour me faire acheter des Schitters et donné un Klee. Losque j'accrochai ces tableaux minuscules à côté des autres , on ne voyait plus qu'eux : ils tuaient le Tàpies et le Poliakoff ! Un chef d'oeuvre est féroce, ils tue en effet toute oeuvre même admirable, qui lui est légèrement inférieure.
8°) Bergé et Saint Laurent se sont méfiés des antiquaires, de marchands de tableaux (les galéristes) et autres intermédiaires de l'Art. Il les oppose aux grands marchands d'autrefois qui défendaient leurs artistes, les aimaient, les soutenaient, les faisaient vivre et collaient à leur oeuvre. Par ailleurs vous avez aussi les très grands marchands qui sont de vrais initiateurs, et qui si vous leur faites confiance et manifestez le sincère désir de progresser, vous conseilleront. Alain Tarica fait partie de ces rares personnages authentiques. Dans mon petit domaine, (la deuxième fondation) je fais ainsi confiance à Tenscher pour les manuscrits anciens, à Clavreuil pour la bibliophilie, à Claude Burgan pour la numismatique et il ne me viendrait pas à l'esprit de m'adresser à leur concurrents ou à discuter leur prix, tant la relation de confiance est solide. C'est le conseil que donne un guide réputé pour les numismates débutants : déceler quel est le marchand qui vous convient et d'une éthique rigoureuse, parmi les plus réputés mondialement et s'y tenir.
9°) Il faut visiter des musées, des expositions, des concerts, de grands évènements artistiques, sans relâche avec une inépuisable curiosité etne pas perdre son temps à paresser, à se vautrer dans la facilité, à paresser au soleil des îles ou de la Côte d'Azur. Je meurs de honte lorsque je pense aux heures que j'ai passé à lire des SAS (c'est au temps où j'étais heureux et où j'avais un cocon familial en Sarre). Oui, des SAS! Des romans policiers de la série noire ou du masque. Et à présent que je voudrais le faire, mon état de santé ne me le permet plus. Mon horizon est bien limité. Peut-être un jour pourrai-je me rendre dans ma patrie, dans mon lieu de naissance, à la Spezia (où Wagner conçut le Ring, à Sienne, à Todi, à Assise... Et assister une fois encore au Festival de Salzbourg (et non de Bayreuth, bien frelâté). Pour l'instant je me cultive, je passe mes nuits à apprendre, le jour dans les musées proches : le MAM, le Guimet. Mais en lisant les entretiens de Bergé j'ai tellement honte, je me sens si petit! Vous qui me lisez, ne croyez pas que les loisirs sportifs ou les obligations professionnelles ne vous laissent pas le temps d'imiter, à une moindre échelle certes, Pierre Bergé. On trouve toujours le temps quand on le veut. Que votre épouse, vos enfants participent de ces moments bénis où le temps s'arrête et où l'on, capte quelques lueurs venues d'en haut. Lisez les grand auteurs attentivement, etn'oubliez pas que l'important ce n'est pas l'histoire qu'ils racontent. C'est l'art avec lequel ils s'expriment, la précision de la langue qu'ils enrichissent. Je vous l'ai dit en lisant le Grand Jerzy Kosinski (encore un polonais de génie). Je me demandai d'où provenait l'atmosphère insolite et angoissante, qui impregne le début de STEPS. J'ai fini par comprendre :l'auteur est un des plus grands stylistes de la langue anglaise. Chez lui le mot juste a la place juste, comme un chef d'oeuvre pictural. Bergé apprécierait certainement cet écrivain aujourd'hui injustement oublié.
Le revers de la médaille Mon admiration sans bornes pour Pierre Bergé ne m'empêche pas d'exercer mon sens critique. Il y a dans son discours comme dans sa pratique de petites incohérences que je pourrais laisser passer, si elles ne provenaient d'une telle autorité et d'un discours péremptoire. Comme je ne veux pas mélanger les éloges, de loin dominants dans mon billet, avec les critiques, somme toute secondaires, je les relègue dans le corps du billet. Pour anticiper, considérer cette image présentée par le commisseur priseur au moment de l'adjudication comme provenant de l'atelier des célèbres céramistes Della Robbia et attribuée à Giovanni, celui qui introduisit la couleur dans les pièces de Luca, le génie, qui se limitait à un camaîeu de bleu et de blanc.
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Le moment est venu de vous livrer une interprétation de l'immense parabole qu'est le texte Typhon, ainsi que divers commentaires qu'il a suscités. Le premier commentaire vient de ma muse préférée, qui n'avait alors lu que l'introduction du récit. Elle avait peur que celui-ci ne verse dans la caricature. La suite de celui-ci devait lui donner raison dans la mesure ou MacWhirr est un personnage vraiment caricatural. Cela nous mène à nous interroger sur la nature et l'intérêt de la caricature qui pour bien des gens a une connotation négative que ce soit à l'égard de l'artiste qui se livre à ce genre mineur, ou du sujet ainsi portraituré. C'est que l'inculture générale les porte à prendre pour référence les "nuls", les dessins satiriques du canard enchaîné ou des masques de carnaval. C'est ne pas faire grand cas des chefs-d'oeuvre de Daumier ou des grands dadaïstes. Mais les connaît-on?
Indépendamment de ces cas d'exception, où les artistes étaient conscients de leur rôle de caricaturistes, il est des périodes et des cultures, ou la caricature est la règle constante.Si l'on appelle caricature le procédé qui consiste à forcer le trait pour faire rire ou à des fins expressives, un bon exemple est donné par la numismatique romaine, qui au contraire de l'art hellénistique, loin d'idéaliser les empereurs ou les héros, les portraiture en faisant ressortir les moindres défauts quand il y en a (Auguste, Hadrien, en sont dépourvus) de façon à améliorer la ressemblance, un peu comme les dessins satiriques visant les dirigeants actuels.
Je vous donne ci-dessous un exemples d'effigies tirées de pieces romaines.
Ci-dessus les empereurs Vespasien, Gaius (Caligula) et Hadrien.Au dessous Brutus, le héros de Shakespeare. On découvre dans ses traits accusés (sans doute forcés) le petit parvenu avide et sans envergure. Note : Cette pièce exceptionnelle, la meilleure des onze connues dans le monde a été acquise par la Deuxième Fondation.
Comme on a pu le constater, pour les monnayeurs romains, caricature était expression de vérité et vérité de l'expression.
En ce qui concerne la litterature, l'universalité de la caricature ne se discute même pas. Que serait Molière ou Balzac sans ces personnages décrits au vitriol et tournée en dérision? Ce n'est que la musique qui n'offre que peu de prise à la caricature. Une plaisanterie musicale de Mozart, Ariane à Naxos ou le Rosenkavalier de Richard Strauss figurent parmi les rares exemples.
La caricature et la vie
Notre éducation si souvent tournée vers l'ironie et la dérision, n'admet cependant pas la caricature comme art à part entière, sauf quand il est couvert par l'alibi de l'ironie et de la dérision. Notre caractère modéré abhorre ce qui est illogique et exagéré. Quand un La Bruyère tourne dans ses Caractères en ridicule les moeurs de sont temps, soit. Le propos est toujours écrit avec finesse et satisfait notre amour pour la logique. Mais il en est tout autrement pour les tirades des fous de Shakespeare ou des sorcières de La nuit de Walpurgis de Faust I (Goethe).
Mais ces propos ne sont guère valables dans le cas où les personnages de l'écrivain sont eux-mêmes des caricatures. Et c'est précisément le cas de MacWhirr. L'approche d'un typhon économique mène à la découverte stupéfaite de ces personnages obtus, incapables de voir plus loin que le bout de leur nez. Des Macwhirr abondent à tous les niveaux de la Hierarchie et tout particulièrement en Hollande patrie des dirigeants sérieux, conscencieux et disciplinés, en un mot professionnels à 120% ! Un certain nombre d'entre eux raisonnent exactement comme le héros du récit.Cela est même plus fréquent qu'on ne l'imagine dans notre propre pays. Alors que nous dansons sur un volcan, des manifestants et des bureaucrates se préoccupent de leur plan de retraite et d'une grève dans une île qui vit en parasite. Les managers que je connais fixent à leurs directeurs des objectifs ambitieux et déplorent une baisse de CA comme si elle était de leur fait. Ils agissent exactement,comme s'il se ne devait se passer rien d'excessif, et que cette crise n'était qu'une des péripéties qu'ils avaient déjà expérimentée dans leur carrière. Ils demandent avec anxiété : quand croyez-vous que la crise finira, alors que la bonne question est : quand croyez-vous que la crise éclatera?
Le texte Typhon contient une surprise, un double fond caché. A vous de le découvrir. Essayez de deviner, car la clé est bien en évidence sous vos yeux et autour de moi personne ne s'en est douté.
Sur ce défi, je vous dis bonne nuit, faites travailler vos méninges!
Bruno Lussato 23h07
Rosenkavalier
Saturday, 14 March 2009Le journal du 14 mars 2009CHRONIQUE Typhon
C'est une histoire hollandaise mais qui s'appliquerait à n'importe quel pays, à n'importe quelle activité, à n'importe quelle organisation. Seul point commun : un paradigme édifiant par les temps qui courent : des dangers d'être un bon gestionnaire hyperprofessionnel et pragmatique par les temps qui courent. Etre dans l'oeil du cyclone, conduit à se fier à des accalmies trompeuses. Dans bien des cas le courage se trouve dans la fuite et non dans l'affrontement volontaire de la tempête dans l'espoir que le navire tiendra grâce à l'engagement et l'abnégation de l'équipage. Mieux vaut éviter de se trouver dans cette situation : reculer pour mieux sauter! Détourner l'obstacle, fuir le danger potentiel toute honte bue, quitte à se faire traîter de lâcheté et de faiblesse. Prendre ses précautions pour assurer une survie coûte cher.Les patrons ont l'oeil fixé sur les résultats, visant les économies à court terme (on se serre la ceinture) et ne peuvent tenir compte d'une catastrophe qui n'existe que dans les livres des prévisionnistes. Comment peuvent-ils savoir sans expérimenter? D'où tirent-ils leur certitude alors qu'il n'ont jamais traversé la mer déchaîné et furieuse? Pratiquons la pensée positive, disent ces bons managers, et ne cédons pas au catastrophisme démobilisateur. Quel que soit l'obstacle, l'homme trouvera toujours une solution pour y faire face. C'est ce que disent Fruttero e Lucentini, auteurs de L'apologie du crétin.
Lire l'histoire hollandaise dans le corps du billet (mention continuer à lire)
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