La dédicace de Faust
Une larme succède aux larmes
Fragments commentés.
ZUEIGNUNG
Ihr naht euch wieder, schwankende Gestalten,
Die früh sich einst dem trüben Blik gezeigt.
Versuch'ich wohl, euch dies mal festhalten?
Fühl' ich mein Herz noch enen Wahn geneigt?
Vous vous rapprochez à nouveau, Figures vacillantes,
Qui jadis vous montrèrent à mon regard voilé
Dois-je tenter cette fois de vous retenir?
Si je traduits mot à mot, c'est que je pense que la traduction la plus simple est la plus adaptée à la compréhension. En allemand, le son mélodieux porte lui-meme sa propre musique intérieure. Le sens est remarquablement concret. Le poète a abandonné le drame, mais celui-ci travaille en son sein. Le voici solitaire devant sa table et voici que la fantasmagorie fait irruption. Ce ne sont pas des vers bien façonnés, précis, logiques. Non. Ce sont des formes (gestalt) non stabilisées comme une apparition fantômatique flamme hésitante qui se rapprochent et cernent le poète. Le mot vacillant est infiniment plus expressif que le plat hésitant du traducteur.
Ihr drängt euch zu ! nun gut, so mögt ihr walten, ....
Vous insistez, eh bien ! Agissez comme bon vous semble.,
Cette rupture énergique de ton, montre que le poète vient de céder aux pressions de l'inconscient poétique... qui lui redonne une jeunesse perdue :
mon sein vibre d'une émotion juvénile au souffle magique qui environne votre cortège.
Mais cette flambée d'enthousiasme renvoie au triste état de celui qui , vieillissant s'est séparé du monde (ce qu'a fait Goethe, se coupant du monde). Ce passage est d'une beauté bouleversante, et revêt un sens tout à fait concrêt pour ceux qui -comme moi- décident d'accueillir à nouveau une nouvelle inspiration. Même géniale elle porte bien des amertumes et des hésitations.
Vous apportez avec vous les images des jours heureux,
et maintes ombres chères surgissent;
telleune légende à demi-oubliée,
le premier amour; la première amitié, renaît avec vous
Le texte en allemand est splendide :
Ihr bringt mit euch die Bilder froher Tage
Un manche liebe Schatten steigen auf;
Les images qui suivent sont déchirantes dans l'originalité de leurs associations.
La douleur devient neuve, la plainte renouvelle
votre course labyrinthique de la vie
et nomme les gens de bien qui frustrés de belles heures
par leur infortune, ont avant moi disparu.
Ce sentiment décrit à la perfection la tristesse des gens âgés et seuls, dépourvu de famille et dont les amis familiers ont disparu fauchés par l'âge et le malheur. Le poignant constat se relie à la solitude du poète privé de son auditoire.
Elles n'entendront pas les chants qui suivent,
les âmes à qui je chantai les premiers;
dissipée la foule amicale; éteint hélas ! le premier écho.
Ma peine résonne pour la foule inconnue,
son ovation même inquiète mon coeur, et ce qui jadis fut charmé par mon chant
erre, s'il vit encore, dispersé et détruit dans le monde.
La conclusion est géniale et inattendue. L'instinct, les émotions, l'affectivité, la douleur et la solitude font irruption dans les associations désolées qui envahissent les vers précédents :
Et je suis pris d'un désir depuis longtemps oublié
de ce silencieux, grave empire des esprits.
Les sons incertains de mon chant chuchoté
fottent désormais pareils à la harpe d'Eole.
L'émotion s'intensifie et débouche sur une tristesse indicible, on est loin du stéréotype du drame allégorique et sechement érudit
Un frisson me saisit, une larme suit les larmes,
le coeur fort et dur, se sent mollir, attendrir
L'apogée tient dans les deux derniers vers qui synthétisent d'une manière juste et impressionnante, l'état même de l'esprit créateur:
Ce que je possède , je le vois comme au loin,
et ce qui fut aboli, devient pour moi réalité.
Cette prise de distance par rapport aux événements contingents, et aux données matérielles, et l'appartion concrète de ce qui vient du lointain et qui vous hante, constitue l'essence de l'état créateur. Ces deux vers contiennent plus de substance que tous les séminaires de créativité !
Note : contrairement à la loi du blog, il n'ay a pas de "continuer", tout est donné d'une pièce. C'est que j'ai répugneé à présenter saucissonné l'apogée de ce blog, qui exige continuité, respect, concentration. Ceux qui n'apprécient pas, doivent savoir qu'ils se trouvent dans le cas général, l'oeuvre a été même ciritiquée par des critiques litteraires, incapables d'adopter le point de vue original.
C'est pourquoi Goethe interdit la publication de son vivant de Faust II? Il prévoyait la réaction et se refusa à écouter les sottises de ses contemporains.
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