ECLATS DE FAUST
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La séquence 220 de L'Entretien
Rencontre au sommet, fusion à la base.
.... INTRODUCTION : Prologue au ciel
Faust I, d'après la traduction de Jean Malaparte, Flammarion.
J'ai choisi des anciens billets propos de Faust en me contentant de les utiliser pour étudier trois aspects du génie dramaturgique de Goethe et pour illustrer la traduction catastrophique qui désinforme gravement le texte.
Le premier billet nous ramène au début de l'oeuvre. Non seulement elle pétille d'ironie, mais de surcroït elle pose le grand projet du monument.
Méphistophélès
Puisque une fois encore tu daignes t'approcher Seigneur,
et tu veux savoir comment va notre populace,
Moi sur qui ton regard aimait à se poser,
Me voici devant toi pour te rendre allégeance.
Pardonne-moi pourtant : j'ignore les grands mots;
Dût tout le paradis se moquer de mes propos,
Et tu rirais toi-même, en écoutant mon pathos,
Si tu savais encore de que c'est de rire.
Je ne parlerai pas de sphères, de soleil :
Je vois l'humanité, sa misère profonde,
Le petit dieu d'en bas est pareil à lui-même.
Sans doute il vivrait mieux sans ta sollicitude;
Qui lui donna l'apparence des clartés du ciel;
Il la nomme raison mais il s'en sert si mal
Qu'il se ravale au rang du dernier animal.
Il est, quitte à blesser les sensibilités délicates;
Comme une sauterelle avec ses longues pattes
Qui saute et vole et saute et reprend son refrain.
Si du moins il ne quittait pas l'herbe où vous le créâtes !
Toujours le nez fourré dans un nouveau crottin !
Le contraste entre la majesté du cadre : le paradis, et la familiarité du discours du diable, qui évite la langue bois habituelle, introduit un oxymoron dans ce prologue étrange : coexistence de grandiose et de terre à terre. Il n'est pas un vers qui ne cache quelque intention ironique. Méphistophélès établit un contraste brutal entre la langue mythique des discours officiels et la langue vernaculaire de la réalité du monde.
Lorsqu'il se moque de la sollicitude divine, il me fait penser à une banderole accrochée à l'entrée de Saint Pierre de Chaillot qui déclarait en substance :
"Mon Dieu, comment te remercier pour tous les bienfaits que tu répands dans le monde".
A quoi, mon diable à moi, Hilarion, ne manque pas de répondre : "que serait-ce si le monde était privé de tes dons : la peste, le génocide, les épidémies. Merci, tes bienfaits tu peux les garder".
On peut également citer L'Ascension et la chute de la ville de Mahoganny de Bertolt Brecht, où l'on voit Dieu menacer les impies des feux de l'enfer. Ces derniers lui répondent : l'enfer, on l'a déjà.
Relevons aussi l'hyperrationnalisme qui transforme les intellectuels pontifiants, énarques, maîtres à penser, philosophes engagés et autres bobos (et vous savez à qui je fais allusion en particulier) en bêtes stupides prêtes à soutenir les causes
les plus répugnantes. Mais laissons parler le Seigneur.
Le Seigneur
N'as-tu rien de mieux à m'apprendre?
Quand cesserai-je de t'entendre
Te plaindre et de tout trouver mauvais?
Mephistophélès
Seigneur, c'est que leur maux ne s'arrêtent jamais ;
Les soucis des humains me posent un problème
Et, vrai, je n'ose plus les tourmenter moi-même.
Curieusement, la négation de la négation aboutit à la sollicitude de l'ennemi des hommes. La méchanceté stupide des humains, effraye même le diable. C'est alors que survient abruptement, le pacte divin. Le Seigneur cite en exemple le docteur Faust pour montrer que tout n'est pas aussi sombre que ne le prétend l'esprit qui nie. Méphistophèlès est défié et relève le pari :
Bon ! Que pariez-vous?
Je m'en vais pour mon plaisir, vous le gagner aussi.
Donnez-moi donc l'autorisation de vous le pervertir
tout doucement !
Le Seigneur accepte le pari et en énonce les termes
Fais-en désormais ton affaire.
Détourne cet esprit de sa source première,
Entraîne-le, si tu peux, en enfer avec toi.
Mais reste confondu s'il te faut reconnaître
Qu'un homme bon, si troublé qu'il puisse être,
Demeure toujours conscient du plus droit chemin.
Méphisto triomphe : le pari ne lui cause pas la moindre émotion. Le Seigneur révèle qu'il reconnaît les qualités du Malin qu'il a donné aux hommes pour secouer sa paresse éternelle. Il ne haît pas "ce compagnon fidèle" ni ses pareils. Le diable resté seul après le départ impressionnant du Seigneur, s'exprime avec sa langue vernaculaire habituelle, suprème ironie. Goethe utilise ce procédé pour distancier cette scène grandiose, et en quelque sorte, neutraliser ce qui pourrait friser le pathos et la grandiloquence. La conclusion de la clef de voute de l'immense drame, se termine sur un anti-climax, jugez-en.
Méphistophélès (seul)
Je vois de temps en temps le vieux bonhomme
et j'aime à garder avec lui ce pied d'intimité.
Avouez que c'est bien, pour le Maître Suprême,
De traiter le Diable lui-même
Avec autant d'humanité !
**** La séquence 220
Volume XV du codex éléphant, p.1639. 353 jours avant l'an 2000
Le Style
Faust II est d'une extrême concision et d'une précision qui en rendent la traduction et la lecture particulièrement difficile. On ne sait pourquoi, la meilleure des versions de Faust I par Lichtenberger, Aubier-Montaigne, est introuvable, remplacée par l'adaptation versifiée et insipide de Malaplate, chez Flammarion. La meilleure manière d'avoir une idée de la concentration du texte est de comparer plusieurs versions à l'allemand, en se munissant d'un bon dictionnaire. Ce que vous trouverez ci-dessous. Vous admirerez la froide ironie sous-jacente de phrases anonymes.
Erste. Ich heisse der Mangel
Zweite. Ich heisse die Schuld.
Dritte. Ich heisse die Sorge
Vierte, Ich heisse die Not
Première - Je me nomme la Pauvreté.
Seconde - Je me nomme la Dette (la Faute).
Troisième - Je me nomme le Souci.
Quatrième - Je me nomme la Detresse
... J'ai nom la Pauvreté.
... J'ai nom la Dette.
... J'ai nom le Souci.
... J'ai nom la Détresse.
... Je suis le Besoin.
... et je suis la Faute....
... Je suis la Misère
... Et moi le Souci.
Zu Drei. Die Tür ist verschlossen, wir können nicht ein
Dein wohnet ein Reicher, wir mögen nicht ein
A trois : La porte est fermée, nous ne pouvons entrer
là habite un riche, nous ne saurions entrer
A trois : La porte est close etc...
Trois d'entre elles : la demeure est close, un riche en est l'hôte
nous ne pouvons pas pénétrer ici.
Mangel : ich werd'ich zum Schatte
Schuld : Da werd' ich zu nicht
Not ; Man wendet von mir ein verwönte Geschicht
Sorge : Ihr Schwestern, ihr könnt nicht und dürft hinein
Die Sorge, sie schleicht sich durch Schlüsselloch ein
Pauvreté : je deviens ombre
Faute : Je deviens rien
Détresse : On détourne de moi un Visage blasé
Souci : Vous, soeurs, vous ne pouvez et n'osez entrer
Le Souci se faufile par le trou de la serrure
... Je me fais ombre
... Je me réduis à rien ...etc...
... Moi, je me fais ombre.
... Et moi, je m'efface.
... Le regard blasé s'écarte de moi
... Un trou de serrure et le souci passe
où vous, mes soeurs n'avez aucun droit... Le souci disparait
Là où les distorsions affectent gravement le génie de Goethe est dans la réponse du souci qui vient de pénétrer dans la pièce fermée à clé, à Faust qui tressaille.
Faust (Erschüttert)
Faust (ébranlé)
Ist jemand hier?
Y-a-t-il quelqu'un ici? *
... id
... Est-il ici quelqu'un?
Sorge : die Frage fordert Ja!
Souci : la Question répond Oui
... A cette question, la réponse est oui!
... Faut-il répondre : "oui"?
Faust. Und du, wer bist denn da?
Faust. Et toi, qui est-tu donc?
... id.
...Eh bien qui donc es-tu?
Sorge. Bin einmal da.
Souci. Je suis ici
...Moi je suis ici.
... Je suis. Cela suffit.
Commentaires à suivre
Faust. Enferne Dich !
Faust. Eloigne toi!
... id.
... Eloigne-toi d'ici.
Sorge: Ich bin am rechten Ort
Souci : Je suis à ma place.
... Je suis bien là.
... Ma présence s'explique