Faust, la dédicace I
Les larmes succèdent aux larmes
Avec le Ring de Richard Wagner, Faust est sans doute l'oeuvre la plus élaborée que nous connaissions. Il lui coûta plus de soixante ans de travail (contre vingt sept ans pour la Tétralogie) d'incessants remaniements témoignent de la lutte entre sa raison, et son inspiration. Faust est composé de deux parties : Tragödie Erster Teil terminée par l'épisode romanesque de Marguerite; et Tragödie Zweiter Teil. Lorsque Goethe reprit la composition de la deuxième partie, il avait soixante dix huit ans. Il l'acheva un peu avant 1832, à la veille de ses quatre vingt trois ans. Cinq ans d'une extrême concentration, d'un travail distillé avec une minutie infinie, fut précédé par un pivot publié dans la dédicace, la scène sur le théâtre et au ciel( le pacte avec le diable). la première : Dédicace est empreinte d'une poignante nostalgie des jours passés. Aucun texte sur le net; ne rend compte de la déception de Goethe de voir rejetée sa demande en mariage par une jeune fille dont il était amoureux et qui aurait pu être sa petite fille. On lui fit compris qu'il était un grand génie universel mais que son parcours sexuel et sentimental était terminé. Il devait avoir à peu-près mon âge et son choc venait de l'image biologique intérieure que lui renvoyait son coeur. Son corps était celui d'un jeune homme, et son esprit d'une vigueur incomparable, mais il avait perdu l'habitude de lire son visage! Il s'ensuivit une dépression, que l'esprit qui l'animait, lui permit de surmonter. Deux ans plus tard, à soixante dix-huit ans, ses forces spirituelles et mentales décuplèrent. En cinq ans, il édifia un monument, laissant loin derrière lui tout ce qui avait été écrit avant et ailleurs. La complexité était telle, que nul ne fut capable de l'apprécier, et le Faust II fut stupidement ensevelé sous le stéréotype d'une oeuvre froide, dépourvue de passion, abstraite, destinée à des érudits.
Marina Fédier et moi, passames bien des nuits à sélectionner un passage et à le commenter, ce fut un émerveillement constant, mais au bout de combien d'échanges entre nous!
Justice rendue par Goethe
On découvrira que le processus créateur de Goethe se rapproche beaucoup de l'esprit de ce blog, cette fusion entre le Yin et le Yang, l'instinct et le calcul...
Goethe à Eckermann, 6 mai 1827
Les Allemands sont des gens bizarres! Avec leurs pensées profondes, avec les idées qu'ils cherchent et qu'ils introduisent partout, ils se rendent vraiment la vie trop dure. Eh ! ayez donc enfin le courage de vous laisser aller à vos impressions, de vous laisser recréer, de vous laisser émouvoir, de vous laisser élever et de vous laisser instruire, enflammer et encourager par quelque chose de grand; et ne pensez pas toujours que tout serait perdu si on ne pouvait découvrir au fond d'une oeuvre quelque idée, qualque pensée abstraite.
Vous venez me demander quelle idée j'ai essayé d'incarner dans mon Faust ! Comme si je le savais, comme si je pouvais le dire moi-même !
"Depuis le ciel, à travers le monde, jusqu'à l'enfer." Voici une explication s'il en faut une; mais cela ce n'est pas l'idée, c'est la marche de l'action. ... ce n'est pas une idée qui puisse servir d'appui à l'ensemble, et à chaque scène détachée.
Dans la suite de cette initiation, j'esquisserai une explication de textes selon la clé émotionnelle exigée par le compositeur. Compositeur, car Faust est un opéra avec chorégraphie et choeurs. Sans cela l'oeuvre est désespérément inachevé, bien que Goethe par endroits essaye de suppleer au manque par une somptuosité confondante... et confondant les spectateurs perturbés et hostile. Schumann en fit la meilleure utilisation mais trop courte car Goethe ne voulait que Mozart, et refusa Beethoven qui était sur les rangs. Que n'a-t-on pas perdu !