Chronique
La flûte et le carillon
Hier j'ai vécu l'expérience d'immersion globale la plus révélatrice de ma vie. Pour en apprécier le sens je suggère à l'internaute la lecture (ou la relecture) de mon analyse de l'oeuvre dans le billet : la mort en filigrane, révisé (notes brunes).
Cela commença très mal. Le jeune homme dont je suis le mentor, de retard en retard, me fit attendre de 3 heures à 20 heures, avant de se rendre disponible pour la flûte. Moi et le pauvre Darek qui avait sacrifié toute sa journée pour attendre patiemment derrière les manoeuvres de l'HQD (la chaîne Marc Levinson). Tout cela pour apprendre qu'il voulait profiter du jet de son père pour rentrer, et qu'il ne voulait pas le manquer. Totalement inculte musicalement, il apprit avec effarement que la version de référence, dure 3heures et demi. Et sans entre actes sans diner; sans un moment pour se détendre. Une expérience que je n'ai moi-même jamais osé tenter, surtout assis sur les fauteuils inconfortables de mon auditorium.
- Si vous voulez, on remet cela à demain, on aura le temps.
- On remettra l'audition ni à demain, ni après demain, ni jamais!
- Mais mon frère veut vous souhaiter ses voeux et vous apporter quelques cadeaux.
- Il aime la musique?
- Je... Je ne crois pas.
- Qu'il vienne me voir, lui, un autre jour. Je ne veux pas perdre plus de deux minutes.
- Il parlemente affreusement gêné.
- Ne partez pas avec lui, ni avec quiconque, jet ou pas jet. Nous nous sommes préparés à vous présenter Mozart, on ne remettra pas, ici c'est Mozart qui compte.
- Il parlemente, puis finit par se décider. : Bon j'accepte, je reste.
- N'oubliez-pas qu'il n'a jamais vu un opéra, ni peut-être un concert, et qu'il prend un risque diplomatique. De plus il est ereinté, changeant sans cesse d'aéroport tout au long de la journée. Il a sacrifié des discussions très importantes avec son père, président d'une des compagnies. De quoi se faire mal voir! Cela implique une confiance totale que je me demande comment mériter.
Tout au long de la projection, le jeune homme a la même attitude que Parsifal pendant le supplice d'Amfortas malade. Je le guide, je lui explique au fur et à mesure la partition. Il écoute avec un intérêt soutenu, concentré. Il refuse l'entre-acte. Je pleure car je viens de reconnaître dans cette oeuvre sublime le sens de ma vie, la métamorphose qui depuis le début de ce blog m'a saisi et bouleversé. Je pleure car je pense que Mozart était en train de mourir et le savait. Il nia les épreuves de la mort, de la souffrance, de la séparation, il ne se laissa pas abattre et suivit les grands codes de la Franc-maçonnerie telle que ressentie par Beethoven, Goethe et les grands adeptes des lumières. Non celle qui envahit les petites combines et précipite des besogneux dans les temples dans l'espoir de se faire des relations. Les commandements de la Flûte correspondent aux covenants qui désormais gouvernent ma vie et m'indique sans cesse le cap : confiance, respect, ponctualité, travail industrieux, pardon pour ceux qui sont dans l'ignorance, implacabilité pour les traitres, amour et douceur, compassion et empathie. Le Maître Sarastro est l'essence de ce que je considère comme LE BIEN, la Reine de la Nuit et Monostatos, le mal. Pour Mozart, contrairement à Prospero, il faut combattre et rejeter le Mal et non composer avec lui.
Je ne comprenais pas bien, comme bien de mes nouveaux amis, la raison de mon désintéressement absolu. A présent oui. Bruno Lussato ne fait que suivre une voie : celle de la Flûte et du carillon pacificateur. Et la flûte est l'esprit de la musique. L'équivalent de "Freude" dans la IX ème Symphonie de Beethoven. Et je pleure, non seulement parce que Mozart est entré en moi - Pardon, pas Mozart, l'esprit de la Flute - mais aussi parce qu'à ma stupéfaction, le jeune homme n'a pas bougé et continue à suivre l'oeuvre avec le même recueillement. Il a compris que la Flûte, lui donne la clé intime de son mentor, et des déterminants les plus inhabituels de mon comportement. Et je comprends qu'il comprend, sans en parler. Le message vient d'effleurer Tamino, car il est Tamino, luttant contre ses monstres à la recherche d'une voie. Et Mozart la lui indique. Il me promet de continuer; de chercher le bien, de pratiquer les règles.
Il n'aura pas beaucoup de mal, un jour il refusa de plaire pour son intérêt, il me dit "je ne sais pas mentir". Un autre jour il fit preuve d'une intelligence et d'une prudence, assorties au silence; au travail actif du bâtisseur, du courage, de l'art de poser sans cesse les questions les plus pertinentes.
J'espère qu'il tiendra le cap. Lorsque je ne serai plus là pour le guider, il sera mur pour Celui qui prendra la relève : l'auteur de la Flûte Enchantée. Pour l'instant, quel honneur pour moi de faire se révéler et évoluer, un Tamino !