Billets marqués comme Brahms
Thursday, 15 November 2007
Une polémique avec Philippe Estivalezes
Les indications : andante mouvementé, expressif. Au soprano la ligne de chant enveloppante, coulante. L'accompagnement est à trois temps (3/4) c'est à dire divisé pour chaque mesure par trois groupes de deux. Pourquoi Michelangeli a-t-il changé le rythme. En visualisant la partition on tient peut-être un élément de réponse. Le pianiste a réparti les six croches en deux fois trois notes : trois correspondant à la main droite (en clé de sol) trois à la main gauche (en clé de fa), et il utilise le pouce de la main gauche pour séparer les deux groupes. (le pouce est placé sur la quatrième croche) ; auditivement cela sonne bien, bien mais faux.
Estivalezes est un homme d'un courtoisie et d'une tolérance à nulle autre pareilles. Il est venu ce soir me rendre visite, notamment parce qu'il est un des hommes qui m'ont porté un respect et une indulgence sans doute excessifs. Cest un excellent mélomane qui ne manque jamais un événement et qui passe son temps à courir d'un concert à un opéra, de Moscou à New-York, du Japon en Australie. Un vrai puit de science, doté d'une mémoire infaillible, capable de distinguer la dernière version de la Sonate VIII de Mozart, au dernier concert de Dinu Lipatti, celui où il se mourait à Besançon, de l'avant dernier où il avait encore un peu de force. Et c'est avec cet homme que je me suis disputé, ou plus exactement que j'ai agressé, car de sa part de dispute point, un sourire tenace agrippé à ses convictions, dont vous devinez qu'elles ne sont point les miennes. Opposition de postulats incompatibles.
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Thursday, 9 August 2007
Repli et retrouvailles
Il continue de pleuvoir. En quelques jours il s’est produit une chute de température de près de vingt degrés, et le château est chauffé. Berne est sinistré, les inondations entravent toute circulation. Mon projet de visite à la fondation Klee, sans cesse différé, est une fois de plus compromis. Mais paradoxalement je me sens plus en forme par ce temps exécrable que dans la moiteur un peu étouffante du beau temps de la semaine dernière. Question de pression sans doute.
Mes collègues sont indifférents au temps, et se perdent dans des discussions passionnées sur des points qui me semblent purement académiques. La géopolitique fait en ce moment bon ménage avec la physique quantique et Marina Fédier en a profité pour écrire un billet sur les relations entre les nouveaux paradigmes de la science (ils n’ont qu’un siècle !) et ce que le XXIe siècle nous prépare pour le meilleur ou pour le pire.
Une des discussions concerne le programme de l’année prochaine et surtout la langue adoptée pour nos rapports. Jusqu’ici j’avais imposé le français, car c’est ma langue véhiculaire par excellence et mon point de vue a prévalu, un de mes collègues étant genevois, deux autres canadiens et le dernier, américain, comprend le français. Mais le souci d’alignement aux normes internationales prévaut, et il est possible que d’ici le mois d’août prochain, ce blog sera au moins en partie rédigé en anglais.
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Saturday, 28 July 2007
Aimez-vous Brahms?
J'écoute très peu de musique enregistrée chez moi, et ailleurs. J'ai une assez bonne mémoire musicale, et je puis à volonté me souvenir des pièces entendues et jouées pendant une vie. Je travaille en me concentrant sur des oeuvres énigmatiques, à la recherche de secrets pressentis et enfouis, bien au delà des notes.
J'ai passé ces jours-ci par des moments éprouvants et de nature à vous emplir à la fois d'enthousiasme et de déception. Un des soutiens les plus précieux a été ce blog, par une certaine affection que je sens -peut être à tort- dans ces passagers inconnus et en particulier ceux qui de minuit à neuf heures du matin se pressent nombreux pendant que je rédige ces lignes. Certains ce sont matérialisés par leurs commentaires, d'autres ont été plus loin et se sont fait connaître par leurs emails, un est même apparu en chair et en os me rendre visite! Mais j'ai ressenti la même présence familière et bienveillante, que m'ont toujours prodigué les étudiants de ma chaire du CNAM. Je les regrette. Ne croyez surtout pas que je sois dépourvu de discernement. En fait je suis très sélectif. J'ai eu une antipathie largement partagée pour les auditeurs de l'APM, qui attire des conférenciers de renom et composés de gens qui se croient arrivés : cadres supérieurs de grandes boites, petits patrons de petites entreprises, roitelets dans leur patelin, tous empreints de condescendance. J'avoue ne pas avoir aimé non plus mon public de HEC, ni les graduates de Wharton. En faisant les comptes, je ne trouve que mes séminaires pour une grande entreprise du Nord, avec des gens venus de la base, désireux de s'instruire, mon public du CNAM, des fidèles, des amis, et enfin à présent mes internautes auquel je m'attache comme si je les conaissais. C'est Beethoven qui à propos de la Missa Solemnis écrivait en exergue "que venu du coeur, cela aille au coeur". Et pourtant cette fresque digne de la Sixtine, contient des passages parmi les plus complexes jamais composés, conçus dans les affres du travail le plus laborieux et le plus douloureux, au terme d'une lutte entre les forces de la convention et celles de la novation. Ainsi le dernier billet de Marina Fédier trouve-t-elle l'illustration la plus frappante dans cette oeuvre transcendante qui, selon l'expression du génie de Bonn, a infusé dans les formes anciennes l'esprit le plus libre.
J'ai réécouté ce soir des pièces tardives pour piano de Johannes Brahms (les op. 118 et 119). L'interprétation admirable de Julius Katchen est toute entière orientée vers l'expression alors que celle, respectueuse du texte de Klien (cf. Brahms quatres ballades) reste en déça. Mais, paradoxe, c'est la version neutre qui l'emporte, car la nostagie du compositeur n'interfère pas avec celle que veut lui infuser l'interprète.
Ces considérations ne sont pas destinées à des musiciens ni à ces mélomanes qui courent les concerts. Les intermezzi de Brahms op.118, non plus.
J'ai écouté ces pièces toute ma vie, mais depuis une vingtaine d'années je les ai perdues de vue. Dans l'intervalle j'ai travaillé les quatre ballades op.10.
Par hasard j'ai écouté sur ma médiocre chaîne d'appoint ces pensées musicales, courtes, évasives, humbles et j'ai ressenti l'âme désenchantée du compositeur s'emparer de mon esprit, de mon coeur, de mes sens. J'ai pleuré à la pensée des souffrances que cet homme a dû enduré pour composer ces miniatures de douceur et d'amertume. Beaucoup de regrets d'une vie sentimentale absente, d'un cancer affectif qui ronge l'âme et pis encore de résignation.
Mais, voilà. On sort de ces vingt minutes d'audition, bouleversés par la beauté inouïe des mélodies, par la subtilité indicible de leur traitement, de l'oxymoron musical : solitude sans fond et sans fin, rêve d'amour et de tendresse, composition d'une rigueur et d'une raffinement insurpassable mais toujours au service de l'expression.
Le privilège d'écouter cette demi-heure de musique, vaut une vie de renoncements. C'est une expérience inimaginable pour qui n'a pas gôuté au sommet de l'art musical, et même pour des mélomanes épris d'oeuvres plus imposantes. Aussi, je voudrais faire un pari avec ceux d'entre vous qui n'êtes pas allergiques à la musique classique.
Achetez les pièces op.118 et 119 de Brahms par Bakhaus (Decca) ou par Katchen (dans l'intégrale de Decca). N'écoutez qu'elles pendant une semaine, à l'exclusion de toute autre musique. Au début vous n'entendrez que des notes informes, ternes, sans relief et peu séduisantes. Continuez. Les mélodies commenceront à apparaître, environnées d'une soupe de sonorités insaisissables. Persistez. Le polaroïd musical continuera de se développer. Il arrivera un moment où tout semblera clair, chantant, logique, et beau. Abandonnez l'écoute, et revenez-y au bout d'une semaine. Un travail de murissement aura décanté les notes. Les mélodies se transmueront instantanément en une plainte d'une douceur infinie : vous parlerez avec Brahms, comme Bach parlait avec Dieu.
Si je vous conseille cette immersion c'est qu'elle est de courte durée et que dévoilées ces petites pièces vous feront comprendre pourquoi les musiciens les considèrent comme le chef d'oeuvre absolu du grand compositeur.
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Sunday, 13 May 2007
..... Qui connaît Walter Klien?
Pas moi.
Mais ce pianiste autrichien avait souvent attiré l'attention de mes amis mélomanes. De l'époque de Brendel, c'était un exemple de l'honnête interprète viennois, scrupuleux, mesuré, sans erreurs de goût.
Il se trouve que la version de référence des Ballades op.10 de Brahms, présentée sur un site plus ou moins pirate comme étant de Backhaus, est en fait de Klien. J'avais salué dans cette interprétation, la seule qui suive la partition dans les moindres nuances, les moindres indications du compositeurs, et je la plaçais très au dessus de toutes les autres. J'ai retrouvé les références dans Abeille Musique et je vous conseille vivement d'acheter la quasi intégrale de l'oeuvre pianistique de Brahms. En voici les références :
Référence : VOXCD5X3612 - 0047163361227 - 5 CD : 59:49 - 58:42 - 55:29 - 58:42 - 61:41 - ADD - Dates et lieux d'enregistrements non précisées (dans les années 50 et 60, en 1969 & 1990) - Notes en anglais
Paru chez Abeille Musique le 14 février 2005
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Prix permanent abeillemusique.com : 23,63 €
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Thursday, 22 March 2007
*** La confusion des sentiments
Une analyse des Quatre Ballades Op 10 de Johannes Brahms.
Extraite de L'Entretien, postface au Chant de Hellewijn, série Contes et légendes. Accompagnée de nouveaux commentaires sur les interprétations désinformantes.
Voici les paroles de la première ballade Op.10 de Brahms superposées, tant bien que mal, à la musique correspondante.
On remarquera ci-dessus l'asymétrie des nuances. Mesure 7 on note un diminuendo absent de la mesure 17. Afin de bien faire ressortir le contraste entre mère et fils Brahms n'a mis qu'un seul sostenuto. La plus grande sobriété technique doit donc être respectée sous peine de tomber dans le mélo des rubati perpetuels. L'expression ne réside pas dans ces maniérismes rythmiques mais dans le respect des nuances très sensibles, du p au pp et des diminuendo imperceptibles qui donnent vie à ces tressaillements de l'âme. Est-il utile de préciser que Katchen admirable de sonorités et de nuances, tombe dans le piège rythmique. Quant à Arturo Benedetti Michelangeli dans son DVD, il semble incapable de contrôler ses pianissimi, ce concentrant non dans l'esprit de l'oeuvre, mais sur l'obtention de la sonorité la plus flatteuse possible. Au moins Katchen exprime parfaitement l'atmosphère troublée de ces pièces étranges, et leur mystère, alors que Michelangeli passe à côté. Quant à Glenn Gould, qui avoue n'avoir jamais entendu des ballades Op10 et les avoir expédiées en un mois à raison de une heure par jour de travail, le mystère reste entier : pourquoi les enregistrer, pourquoi les éditer... et pourquoi les écouter? Lorsqu'on n'aime par une oeuvre, on s'abstient.
L'interprétation ci-dessus, est évidemment subjective. Brahms n'a laissé aucun commentaire permettant de la confirmer. Elle me paraît cependant être étayée par l'unité organique de ces quatre pièces, qui prouve la continuité des états d'âme, dans le prolongement de la première qui nous donne une espèce de pierre de rosette qui permet de décoder les suivantes. Est-il besoin de souligner que les soufflets de la mesure 5, caractéristiques de la sehnsucht chez Brahms, véritables soupirs exprimant une nostalgie presque insoutenable, sont purement ignorés dans les trois interprétations citées?
Les notations ci-dessus font référence au Chant de Hellewyijn dans Contes et Légendes. D'ailleurs ces planches explicatives
sont tirées de L'Entretien. ***
Ce que j'ai nommé "chant de brouillard", est un des passages les plus mystérieux de l'histoire du piano, et célébré comme tel par les critiques. Une des caractéristiques de cette œuvre étrange, indépendamment de l'interférence des croches et des triolets, est la nuance piano et pianissimo, voire plus doux encore que pianissimo, de toute la ballade, et en particulier dans le chant de brouillard : "avec un sentiment très intime, sans trop marquer la mélodie" (indications du compositeur). En effet trop faire ressortir le chant sur le fond des harmonies stagnantes, conduirait à abandonner le pp ou à rendre inaudibles les battements interférants de croches et de triolets. Par ailleurs, psychologiquement, la mélodie doit sembler comme voilée, baignée dans une brume mystérieuse, comme un fantôme. Ces indications doivent être interprétées avec la plus grande enmpathie. Le pianiste doit oublier le piano. Dans un état zen, il doit sentir l'évocation musicale surgir sous ses doigts, sans qu'il intervienne. Le sentiment ne vient pas de l'oreille, mais de la sensation tactile de la pulpe des doigts en contact direct avec les régions les plus troubles de notre inconscient.
Est-il besoin de rappeler une fois de plus, qu'en dépit de ses grimaces de cabotin inspiré, Michelangeli est bien incapable de transmettre ce sentiment très intime? C'est que tout est pris à rebours, la mélodie est jouée lourdement, avec des sonorités pleines et charnues, et bien entendu dans un mezzo forte frôlant le forte. Mais comment le lui reprocher? Le public aime ça, et si les indications du compositeur se prêtent à une écoute dans l'intimité, comme celle du salon de Schumann où le jeune homme blond les interpréta devant ses hôtes émerveillés, en revanche, elles se perdraient peut-être dans une grande salle de concert. Par ailleurs, il est incontestable que la mélodie est plus facile à saisir, ainsi soulignée.
Quoi qu'il en soit, voici un cas exemplaire de désinformation musicale. La lettre est trahie car elle révèle une conception de la musique, et un ressenti intérieur, totalement étrangers à la sensibilité d'un public contemporain. Il faut donc l'aménager, la déformer, supprimer des messages, afin de la rendre comestible. Comme toute désinformation, celle-ci est souterraine, car le public est hors d'état de vérifier la fidélité à la partition, ne connaissant, au mieux, les ballades que par des enregistrements, les pianistes professionnels jugeant la performance de Michelangeli sur des critères purement techniques : correction du jeu (pas de fausses notes) contrôle des sonorités, autorité dans l'interprétation. Et puis n'oublions pas le rôle de l'aura dont est environné le célèbre pianiste italien, sa réputation de rigueur maniaque, de virtuosité sans faille, ses caprices de diva. Qui oserait suggérer qu'il falsifie une partition et qu'il trahit lettre et esprit, sans complexe?
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Tuesday, 13 February 2007
*** Cette version est conforme au thriller original de L'Entretien. Elle contient d'une part une introduction qui met le conte en situation : une petite réunion d'explication de textes, sous l'égide du dissident Vladimir Zoubov, se tient au Campanelli's Resort à Saint Martin, un endroit plutôt claustrophobique. La notion de piège (abordée dans la dernière leçon de Virus, huit leçons sur la désinformation) sert de clé de décodage à ce conte quelque peu perturbant. On ne peut comprendre son atmosphère si on est insensible à la magie des ballades de Herder, et à la trouble nostalgie qui impregne certaines oeuvres post-romantiques des musiciens allemands. (Les quatre ballades de Brahms ou Das Klagende Lied de Mahler). La légende plus ou moins apocryphe de Charles de Coster, passée au crible de ma sensibilité, entre en conflit avec le cynisme de notre époque. Afin de dissiper cette sentimentalité légèrement kisch et décadente fin de siècle, j'ai eu recours au procédé de la mise en abyme et de la distanciation. Les passages les plus troubles sont interrompus par les commentaires stupides des deux milliardaires américaines : Mrs. Reubenstein et Mrs. Fitzgibbons. Ces interruptions ont choqué bien des amis lecteurs, qui ont trouvé qu'elles perturbaient par leur pesante vulgarité, le cours du récit. C'est pourquoi on les a supprimées dans la version réduite. Enfin, les commentaires conclusifs explorent plus profondément, les implications sous-jacentes du conte de Coster. On découvre notamment que le conte est une variante du paradigme des Trois Souhaits.
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