Musique et drame
Saturday, 13 October 2007
Le chant de la Terre
de Gustav Mahler.
Das Lied von der Erde. Otto Klemperer, Christa Ludwig, Fritz Wunderlich. Philarmonia orchestra. EMI Classic
On peut considérer le Chant de la Terre, comme le négatif de la Neuvième Symphonie de Beethoven. Celle-ci partant du désespoir parvient au prix de longues luttes tragiques à "la divine étincelle de l'Elysée". Celle-là, partant semblablement du désespoir, sombre dans la dépression et la mort. Deux neuvièmes, car Mahler par superstition évita de nommer ainsi le Chant de la Terre, plusieurs compositeurs : Beethoven, Schubert, Bruckner, n'ayant pas franchi le seuil fatidique. La ruse se révèlera inopérante et la mort sera à Samarkande. La dixième restera inachevée comme celle de Beethoven. Deryk Cooke complètera le deux ébauches, celle à peine esquissée de Beethoven, celle plus aboutie de Mahler.
Le Chant de la Terre est une vraie symphonie en quatre mouvements. Le premier agité est une chanson à boire sur les malheurs de la terre. Le second décrit la solitude du poète au printemps et sous la désolation perce par endroit une douce nostalgie, celle des jours anciens. Le troisième mouvement est un tryptique un peu ironique, une méditation sur la beauté, la jeunesse et l'ivresse. Le dernier mouvement en deux parties se nomme l'adieu. Les deux parties sont contradictoires. La première est un monologue de l'artiste qui attend l'ami pour le dernier adieu. La seconde est distanciée. C'est l'ami qui rapporte les paroles du poète Entre les deux parties, un interlude est censé évoquer l'approche de celui tant attendu. C'est une marche funèbre d'une douceur déchirante, aux sons âpres, aux mélodies descendantes aigres-douces, l'équivalent au négatif de l'ode à la joie, et à mon avis d'une splendeur équivalente.
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Friday, 12 October 2007
Beethoven. Concerto N°4. Wilhelm Backhaus et Karl Böhm. Wiener symphoniker. (avec la 2eme Symphonie de Brahms). 3 avril 1967 (Unitel). ***
Enfin un enregistrement convenable de celui qui est peut-être le plus grand pianiste allemand : Wilhelm Backhaus, et en DVD de surcroît. Il incarnait l'école classique dans la droite ligne de Beethoven, Czerny, Brahms, Liszt, Eugène d'Albert. Je fus moi-même élevé dans cette atmosphère où curieusement le respect le plus scrupuleux de la lettre musicale, fusionnait avec un mysticisme quasi religieux, l'autorité peremptoire du maître : celui qui sait et a gagné durement son savoir, et l'humilité du dépositaire de la pensée du génie.
Le jeu de Backhaus a valeur d'évidence, il n'admet pas de discussion tant chez lui une technique transcendante se cache derrière une simplicité et une sérénité olympiennes. Comme Toscanini, il s'impose à toutes les grandes âmes et fait grincer les dents aux snobs pommadés, et aux critiques en quête de polémique. Le minuscule Clarendon, dont le titre de gloire fut les orgues de St. Louis des Invalides, coqueluche du beau monde et chroniqueur au Figaro, l'étrilla bien souvent en le comparant à un maître d'école laborieux. Cette condescendance jointe à d'autres aigreurs, décida Backhaus à ne plus remettre les pieds dans la capitale. En soliste du moins, car en tournée il exécuta le IX concerto de Beethoven qu'il affectionnait tout particulièrement.
Je le comprends car d'entre tous les concertos il est le plus personnel, le plus empreint de nostalgie, voire de menaces (le second mouvement). Sa séduction est immédiate et Beethoven montre sa capacité à renouveler un simple rythme, celui de la Veme symphonie, qu'on nomme stupidement " le destin frappe à la porte". C'est une des oeuvres les plus accessibles et le profane peut très bien commencer par là sa quête initiatique. Au plaisir de l'écoute s'ajoute un supplément de nostalgie, d'humour, et de splendeur sans panache. L'oeuvre demeure intime.
Sonate op. 106, Wilhelm Kempff.
Radio Canada;émission télévisée 29 novembre 1964. ***
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Thursday, 11 October 2007
Eblouissement funèbre
Roméo et Juliette de Berlioz, ballet de Sasha Waltz
Je viens de rentrer de l'Opera Bastille et sous le coup de l'émotion, j'ai pondu un billet de quelques dizaines de pages. Rassurez-vous, je ne vous les infligerai pas : je ne sais comment, tout à disparu soudain par un caprice de l'informatique, sans que j'aie commis la moindre fausse manoeuvre. J'enrage,car j'étais content de ces notes où je donnais libre cours à l'admiration que je porte à cette grandiose réalisation, que je considère comme un des moments qui jalonnent une vie.
Patience.Je dois tout recommencer, mais en reformulant d'une manière plus froide mes impressions et forcément plus synthétique.
Dieu sait combien je déteste cette salle funèbre de l'Opera Bastille, morgue tendue de tissu noir, baignant dans une lumière cendrée tombant du zénith. Mais je dois reconnaître qu'elle me paraît idéalement adaptée pour deux spectacles : Tristan et Isolde par Bill Viola (dirigé par Valery Gergiev), Roméo et Juliette mis en scène par la chorégraphe allemande Sasha Waltz. Dans le premier cas, l'ambiance froide et aseptisée de la salle met en relief les écrans géants de Bill Viola et ses dimensions disproportionnées accentuent le caractère onirique et cosmique du drame. Dans l'oeuvre composite de Berlioz, le classicisme décalé et funèbre répond aux symétries macabres de la salle.
La critique
C'est La Tribune qui me paraît décrire le mieux l'effet produit par la scénographie :
Dans cette immense cage de scène où le noir domine, le plateau est en partie recouvert par deux immenses et très anguleux plateaux d'un blanc intense. D'abord superposés, ils s'ouvrent et forment successivement chambre, mur, et finalement plan uniquement plat. Cette aire très géométrique de tous les possibles rappelle la chambre d'amour comme la tombe. Elle offre de magnifiques images, Roméo grimpant désespérément la paroi (émouvant Hervé Moreau), Juliette recouverte de pierre (Aurélie Dupont très sobre), le couple s'engageant dans un très beau pas de deux, une danse des familles pour une fête délirante en tutu balancé façon tcha-tcha-tcha ...
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Wednesday, 10 October 2007
Chronique
Promenade initiatique pour Ben (La bibliothèque)
Le liste que j'ai jetée dans le blog à l'intention de Ben, comprend pêle-mêle, mes disques préférés, ceux que je puis recommander sans hésiter, sans que l'autosuggestion ou la pulsion mimétique interfèrent dans mon choix. Ce sont des enregistrements que j'ai écouté des dizaines de fois, et comparés avec les autres versions, certains pendant des décennies. Cete liste est livrée sans explications. En faut-il? Il suffit d'écouter une dizaine de fois un quelconque de ces enregistrements, pour comprendre.
Cependant j'ai cru utile d'ajouter les raisons de mon choix dans des billets intitulés la discothèque 1, 2, 3, etc. Chaque soir je tâcherai de remplir les rubriques vides, un peu au choix, ou peut-être par ordre de priorité. Les Ben qui me lisent pourront donc commencer à explorer les disques et DVD dans l'ordre où ils sont commentés.
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Commentaires sur mes disques préférés
DVD.
BEETHOVEN IXeme symphonie. (Avec la Vème). Arturo Toscanini, NBC orchestra. Emission télévisée du 3 avril 1948. *******
Il existe d'innombrables moutures de cette retransmission, en particulier la série de RCA dédiée à toutes les symphonies. A acheter et à conserver comme fonds de vidéothèque.
La IXème symphonie est avec le Chant de la Terre de Mahler, l'une des deux illustrations suprèmes de la forme sonate, où l'expression dramatique et poétique est magnifiée par la subtilité de la composition. Raffinement du contrepoint, novation frappante, économie de moyens, perfection formelle, proportions grandioses et discours d'une exceptionnelle densité, progression inéxorable vers un destin voulu et assumé ou subi , tels sont les caractéristiques qui me fascinent dans ces deux monuments de la musique occidentale, sommets dominant toute la production, testament et acomplissement de l'auteur, style porté à son plus haut point d'incandescence et de perfection.
La version de Toscanini est sèche, mal enregistrée, en noir et blanc, orchestre peu spectaculaire, prise de vue nulle, à peine audible. D'où vient que je l'ai jugée la meilleure version?
Tout d'abord parce que seul Toscanini l'exécute avec une telle rigueur, une telle précision, à une vitesse proche de celle souhaitée par Beethoven (proche des trois quart d'heures). La secheresse des attaques, l'énergie et la passion, mettent en valeur l'extraordinaire dynamisme de cette oeuvre tendue à se rompre, proche de la rupture. La battue sèche et d'une simplicité redoutable, la concentration des traits du maestrissimo donnent une leçon non seulement de contrôle impressionnant de cet instrument qu'est le NBC orchestra, mais aussi de probité totale. Probité, exigence, intégrité, perfection du jeu, engagement, maîtrise suprème, autorité écrasante jusqu'à indisposer les amateurs de belle musique et de sons suaves, quelle leçon de vie, dépassant de loin le simple genre musical.
Pour jouir d'un son à peu près correct, on achètera la version intégrale ofiicielle (EMI, La Voix de Son Maître) enregistrée en 1955 si je ne me trompe. Au moment de la parution les enfants de Vicent Auriol offrirent l'intégrale en microsillon au président de la République Française d'alors. Je l'enviais pour ce don, non pour sa fonction suprème.
CRITIQUE
Les New-yorkais vouaient une véritable vénération pour le maestrissimo, à qui ils avaient offert un orchestre entièrement dédié à ses conceptions et à son art suprème. Il le plia à ses exigences en usant d'un veritable terrorisme et ne se privait pas d'insulter les cantatrices indisciplinées. "Lei è un oca" lança-t-il un jour à une de ces divas à l'ego démusuré, irrespectueuse des volontés du compositeur. (Vous êtes une oie !). Il était tellement immergé dans la partition dont il réveillait les démons que les autres chefs laissent assoupis, qu'il hurlait jusqu'à couvrir le son de l'orchestre pour les premiers rangs.
Le résultat de sa IX ème symphonie est perturbant, bien loin des magies sonores d'un Karajan, de la noblesse de Klemperer. Seuls Leibowitz et Scherchen se rapprochèrent de l'authenticité de la conception beethovénienne, mais ils sont difficilement trouvable. Essayez Scherchen qui dépasse Toscanini en intégrité, mais sans l'extraordinaire maîtrise du maestrissimo. (en CD).
Ainsi que de coutume, une conception aussi radicale ne pouvait qu'agacer les critiques parisiens, plus proches des voluptés debussystes, que de la violence excessive du maître de Bonn. Tout en tressant des lauriers à Toscanini (ils n'osaient tout de même pas l'attaquer de front), ils déploraient hypocritement sa démesure, ses tempi exagérés, sa sécheresse, etc... Oublions les.
Le livre conseillé :
Cet ouvrage, écrit par un non-professionnel, met admirablement en valeur la structure de l'oeuvre. Beethoven déplorait que l'on n'aime pas sa musique mais le bruit qu'elle fait. Ceci est une carte de la musique, particulièrement utile pour aborder le labyrinthe de la plus grande des Symphonies. Les mathématiciens et les informaticiens apprécieront, pas les mélomanes qui se soucient peu de soulever le capot du moteur et qui se contentent de la griserie de la vitesse.
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Tuesday, 9 October 2007
Une introduction à la musique classique
Dédié à Ben, un internaute de bonne volonté
On trouvera à la fin de ce billet une liste de disques conseillés
Un parcours initiatique pour la musique classique.
Ce qu'on nomme la musique classique, ou "grande musique" par rapport à la musique de variétés, n’est défini que par l'usage courant qui cependant varie selon les époques. Par exemple, les opéras de Verdi et de Rossini étaient aussi populaires que les productions d'Hollywood, aujourd'hui, et on a oublié les centaines de milliers de symphonies sans intérêt qui pendant deux siècles ont servi de musique décorative aux familles cultivées.
Ce qui permet le mieux d’établir une frontière, est la finalité de la musique classique à atteindre un raffinement technique qui la hausse au dessus d'une simple distraction, un peu comme un poème de Verlaine diffère d'un feuilleton de gare. L’argent produit, le nombre de fans, le succès médiatique, sont des critères, qui primordiaux dans la musique commerciale et populaire, sont secondaires, voire inexistants dans la musique d’élévation. Notre internaute Paul invoquait comme preuve de la qualité de Mireille Mathieu, les nombre de concerts et le nombre de spectateurs par concert. A ce compte, les plus grands compositeurs de ce temps, Dutilleux, Boulez, Glass, Dusapin, Stockhausen… se situeraient tout en bas de l’échelle des valeurs.
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