CHRONIQUE
IDOLES
Idole de fertilité shamanique Mingei. La patine difficile à reproduire en photos est causée par les milliers d'attouchement des femmes désirant avoir un enfant. C'est un rare exemple de fétiche japonais.
Ce billet a été évidemment inspiré par les réactions mondiales exceptionnelles à l'annonce de la mort prévisible de la star Michael Jackson. Ci-dessous à la une de France Soir.
CONTRADICTIONS
Le terme idole est chargé de connotations contradictoires, mais ne livre ses potentialités qu’à l’analyse sémantique.
La notion d'Idole est issu d’une position de l’Eglise Chrétienne et en particulier de sa branche catholique. Seules les saintes reliques et les objets reliés à la foi : la croix, le cilice, les statues, les médailles bénites peuvent être objet d’adoration. Tout le reste n’est qu’idole.
PRATIQUE ET ESTHÉTIQUE
Cette position est confortée par le fait que les idoles proviennent généralement de pays arriérés, non encore christianisés et par l’aspect esthétiquement répugnant de leur figures grimaçantes, et moralement répréhensible des sacrifices humains. Ainsi, pratique et esthétiques se confortent-ils mutuellement pour faire de idoles des reliques au noir, des instruments du diable comme ces fétiches vaudou.
CHANGEMENT DES PARADIGMES ESTHÉTIQUES
Avec le temps, les esprits évoluèrent sur toutes ces croyances et simultanément. Picasso dans les Demoiselles d’Avignon, Derain et d’une manière générale, virent avec un œil de plasticiens ces formes nouvelles. Ils ne purent que constater l’immense réservoir de formes novatrices de ces arts dits dorénavant premiers par opposition de primitifs. Ils comparèrent cette richesse avec la froideur et la monotonie de l’art grec et de ses rejetons, qui aboutirent à l’académisme abhorré et aux sucreries de Saint Sulpice.
J’eus le privilège vers la trentaine de connaître Jacques Kerchache, de loin le plus grand connaisseur mondial d’art africain. Je voulais me constituer une petite collection et avec la verve du marchand, il m’expliqua la différence entre une pièce de qualité et une banale, me fit caresser les statues pour déceler l’harmonie de transitions de forme, toute rupture dans une courbe, tout déséquilibre entre pleins et vides étant un signe de disqualification. J’étais ébloui bien qu’un peu effrayé par son cabinet funèbre mémento mori. La mort imprégnait cet art et certaines pièces émettaient de véritables ondes de terreur qui perturbaient physiquement des âmes sensibles.
Kerchache n’était pas un expert, il avait appris sur le tas, circulant dans les villages les plus déshérités et inaccessibles, voyant tout, ramassant tout, entretenant des relations cordiales avec les populations. Ceci, joint avec une intelligence aiguë et une mémoire infaillible fit de lui la référence incontournable. Il le savait et on dit qu’il en abusa, car c’était un marchand et il était trop tentant de duper les novices comme moi. Je ne pus rien acheter car c’était hors de la portée de ma maigre bourse.
A cette époque se constituèrent de prestigieuses collections ; la Fondation Barbier-Müller de Genève en tête. L’art nègre au surplus se mariait bien avec l’Art Nouveau et il n’ensuivit un phénomène de mode qui ne s’épuise pas, freiné seulement par l’immense déferlement des faux.
Dans de telles conditions, il devenait difficile de qualifier les fabricants d’idoles de primaires. Restait à justifier la sémantique sous-jacente. Admettre au même plan les sacrifices humains, et les rites démoniaques et les danses de possession et la charte chrétienne, ou la sagesse bouddhiste, était difficile à avaler.
CHANGEMENT DES PARADIGMES MORAUX
C’est là que les intellectuels œuvrèrent au nom de principes tiers-mondistes et égalitaires, confortés par les ethnologues peu soucieux de problèmes métaphysiques et religieux. Au nom de quoi avez vous décidé que telle pratique religieuse doit être vouée aux gémonies parce qu’elle ne correspond pas à votre sensibilité ?
LA FOULE ET LA MASSE
Il nous faut à présent considérer une autre face de la notion d’Idole.
Une idole, comme toute relique et symbole religieux, ne peut exister sans des croyants. Plus ceux-ci sont nombreux, plus le symbole se renforce. L’homme qui a le mieux cerné ce phénomène est Rupert Sheldrake, le créateur des notions de morphogenèse et de champs de forme. Il montre, exemples très faciles à reproduire à l’appui, que lorsqu’une forme nouvelle apparaît on peut la comparer à une bille qui dévale une surface plane creusant un sillon. Avec le temps, plus le sillon s’approfondit, plus il attire les billes, jusqu’à devenir une vallée. Il montre ainsi que lorsque des esquimaux sont soumis à un texte en hébreu, il seront plus attirés par ceux qui déclinent la prière millénaire Barouch Attah Adonaï (vous me pardonnerez d’estropier l’orthographe) que par ceux qui lisent le mode d’emploi d’un aspirateur. Ceci n’est pas lié à l’intérêt du texte mais à sa répétition. On se souvient encore de Garap produit inexistant diffusé à grande échelle sans un mot d’explication. Ce fut la ruée, tous voulaient du Garap.
Cz phénomène les systémistes le désignent par « boucle de feedback positif ». La notoriété s’alimente d’elle même. Le phénomène est d’autant marqué que l’élément déclenchant concentre toutes les valeurs dominantes de la population. Andy Warhol comprit cela en vendant à prix d’or un gigantesque symbole du dollar, icône de notre civilisation.
Nous en revenons aux phénomènes d’hystérie collective qui transforme les foules d’individus en masses agglutinées. Nul mieux que Gursky n’a mieux saisi cet effrayant phénomène. Mais on le retrouve dans ces photos du IIIème Reich, où des centaines de bras se levaient parfaitement parallèles tendus vers le fétiche, la croix gammée. On ne connaît que trop où mena cette hystérie collective. Grâce à elle, pour la première fois de l’histoire, l’homme donna des leçons à l’enfer, pour adopter la formule frappante d’André Malraux .
ON A LES IDOLES QU'ON MÉRITE
Il est de ce fait important d’étudier les idoles qui soulèvent les foules. On trouvera le ballon de football exalté à Paris dans une manifestation inspirée des danses de possession tribales. Puis la mort de Diana, promue en symbole de courage non conformiste. Les masses soulevées par la mort d’Elvis Presley furent presque aussi importantes que les manifestations agressives Gay Pride qui paralysent une métropole pendant une journée. Mais le personnage de Jackson en tant que symbole ou fétiche, se disant une idole pose des interrogations sérieuses sur le basculement des valeurs au XXIème siècle. Je vous laisse tout loisir d’y réfléchir sérieusement, car cela nous mènerait trop loin dans un billet déjà bien lourd. Songez tout simplement qu'alors que l'hystérie était manipulée par les chefs poliiques, aujourd'hui c'est elle qui les manipule les forçant de se joindre à sa barbarie et d'y faire chorus pour des raisons électorales.
Rédigé sur Word, ce 29 juin 2009 à Oh.30
Transféré 1h10
De l'Hôpital Cochin, je vous souhaite une bonne nuit.
Votre Bruno Lussato.
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