J'ai une question à vous poser.
Une réflexion à propos des prestations de Sarkozy, Le Pen et Royal.
Il m'a semblé intéressant de soumettre les trois performances à des grilles d'analyse. Nous faisons ici appel aux décodages suivants qui dans une certaine mesure se recouvrent.
1°) Cerveau gauche, cerveau droit.
2°) Yin et Yang.
3°) Langages vernaculaire, référendaire, véhiculaire, mythique (Hayakawa)
4°) Appartenance à un noeud sémantique (Virus, huit leçons sur la désinformation)
1°) Cerveau gauche et cerveau droit.
On sait que le cerveau gauche est le siège de la rationalité, de la raison, de la logique un peu sèche, alors que le cerveau droit est celui des émotions, des échelles de valeur, des idéologies et des idéaux.
Il est clair que Nicolas Sarkozy a fait appel à des arguments cerveau gauche, comme avant lui Juppé. Son discours est émaillé de faits, de données chiffrées, de considérations rationnelles et générales. Il suffit de voir son attitude : il agite sa main, pouce et index formant un O, comme pour expliquer à des enfants des mécanismes simples, et il dit en même temps : je vais être précis. Il fait confiance au sens critique de son auditoire et de sa capacité à appréhender un message quelque peu abstrait et objectif. Le Pen utilise également des arguments rationnels, mais d'une manière moins sèche. Néanmoins, il ne dédaigne pas de recourir au cerveau reptilien et à un certain sentimentalisme, lorsqu'il évoque ses problèmes de couple, son goût affiché pour les moeurs populaires, et son affirmation sécuritaire : défense du territoire et de la patrie.
En revanche, Ségolène Royal, se situe à l'autre extrémité du registre. C'est le cerveau droit qui s'exprime par son discours et son attitude. C'est le siège du coeur, du sentiment, de l'émotionnel, de l'appel à la compassion, à l'empathie et aux réflexes passionnels. Elle veut susciter la sympathie et revendique l'humain. On a relevé aussi son désir de se fondre dans son public, cette approche fusionnelle se manifeste par un sourire ininterrompu (sourire qui n'a rien de carnassier, comme ceux de Le Pen et de Sarkozy, mais qui manifeste la volonté de communiquer, et de persuader, comme une star de l'Oréal), aussi par des propos presque mécaniques " Merci d'être venus apporter votre témoignage, merci pour votre présence, vous avez raison", sans compter des épisodes mélodramatiques comme l'exploitation du malheur d'un handicapé, et le plaidoyer vibrant en faveur des démunis et des faibles.
2°) Yin et Yang, féminin, masculin, la lune et le soleil.
Même opposition radicale. Sarkozy tient un langage combattant, énergique, volontariste, il parle comme un chef ou un guide. Lorsqu'il s'adresse à des démunis, il leur tient des idées générales, abstraites. Il s'intéresse à la concurrence, à la compétitivité de la France dans une jungle économique, dans le combat pour la survie. Poivre d'Arvor lui a tendu un piège en l'opposant à des homosexuels qui l'ont traîté d'homophobe, a des maghrébins qui l'ont l'ont accusé de racisme, à un public agressif qui a suscité des réponses précises et l'ont amené à se défendre, accentuant son image d'agressivité. Il a bien entendu essayé de ne pas tomber dans le piège.
En revanche Ségolène Royal fait constamment état de sa qualité de femme, et son attitude comme ses messages sont congruents avec cette revendication. Poivre d'Arvor a joué sur ce registre: le public était consensuel, sympathisant, et qu'on ne nous objecte pas la neutralité de la sélection SOFRES ! Les questions typiquement YANG qui pouvaient embarasser Royal, (la politique extérieure, l'économie, l'armée, l'ordre, la répression de la délinquance et le rôle de la police) ont été éludées. En revanche, les partisans comme les adversaires de Royal ont remarqué que toute la panoplie des questions réponses se cantonnait à des sujets sociaux, à des préoccupations quotidiennes et pratiques, à des cas émotionnels et particuliers. Ségolène s'est adressée à ses interlocuteurs comme s'ils étaient, individuellement, le centre de ses préoccupations. Elle leur a manifesté sollicitude, considération et par ses gestes, réconfort moral presque maternel. (Je suis une maman). Elle a usé et abusé des cas quotidiens en promettant de les traiter séparément d'une manière ciblée et spécifique. Elle a laissé ses interlocuteurs sur l'impression qu'ils étaient intelligents, importants, que leur prestation était précieuse, nécessaire, alors que Sarkozy, plutôt que de la considération, manifestait de l'attention. Ces considérations jouent en faveur de Royal. En effet, la presse, les média, les instituteurs, le politiquement correct, se tiennent en France dans un registre Yin et instillent tous les jours une propagande anti-Yang.
3°) Le langage vernaculaire.
C'est celui de l'enfance, de la familiarité, du bon sens et du sens commun. Il revendique la convivialité, la simplicité, la proximité. Alors que Sarkozy l'utilise modérément, (et lorsqu'il le fait, il est traité de populiste à cause de son tropisme Yang, comme d'ailleurs Le Pen). Royal et Le Pen pratiquent le langage vernaculaire avec talent. Ils parlent le langage du "peuple", celui du café du commerce, celui qu'un Alain Minc abhorre,
Le langage référendaire se réfère aux statistiques, aux travaux des économistes, des scientifiques. Il revendique l'objectivité, le sérieux, le professionnalisme. Il donne des preuves (qu'elles soient ou non trafiquées).
Lors d'un face à face Lang-Juppé, ce dernier, plongé dans les notes transmises par ses conseillers, l'accablait de chiffres. Lang souriait et frottait son nez. Il ne répondait pas. Devant l'insistance excédée de son adversaire, il finit par s'exclamer : vous mentez ! L'autre, étouffant d'indignation agitait ses notes en répétant d'un ton compassé "soyons sérieux!". Mais Lang continuait de frotter son nez et continuait à lui répondre en rigolant "mais bien sûr que vous mentez, votre nez s'allonge comme celui de Pinocchio quand il ment, oh là là, comme il s'allonge! " Le public s'esclaffait, et je ne suis pas sûr que Juppé ait compris. Les auditeurs oui, si l'on en juge par le score éblouissant du célèbre ministre de la culture. Dans cet exemple, je fais appel à ma mémoire, et je ne puis jurer que la confrontation se soit réellement passée ainsi, mais l'esprit y était. Se non e vero , è ben trovato.
Il faut retenir de tout cela, que le grand public adore l'humour un peu trivial et la plaisanterie un peu grosse des chansonniers. Le langage vernaculaire en fait souvent usage et sert d'aliment à la caisse de résonance des stars des variétés. Le langage des intellos et des technocrates est évidemment à l'opposé du vernaculaire. Il est émaillé de citations savantes plus ou moins sérieuses, toujours prétentieuses.
Le langage véhiculaire est celui de l'objectivité plate, dépourvu d'émotion et d'effets de rhétorique. C'est celui des fonctionnaires et des technocrates, qui, à la télévision, commentent d'un ton neutre un désastre, un accident, ou un scandale financier. Il est évidemment évité par tous les orateurs.
Le langage mythique repose sur des archétypes, il est bourré de symboles, et fait appel au charisme du guide, du gourou, de celui qui est dépositaire d'un message transcendant qui ne saurait être discuté. L'orateur est inspiré, il s'efface devant sa mission, presque sacrée, ce qui le dispense d'entrer dans des considérations triviales et bassement matérielles. Le général de Gaulle était le prototype de l'orateur mythique, et tous se souviennent de son discours de sept minutes qui a décidé de la défaite de ses adversaires, au plus fort de la tourmente de Mai 68. Le langage mythique se moque des réalités, il joue sur l'ambiguïté, et "n'engage que ceux qui s'y laissent prendre". Le "Je vous ai compris!" adressé aux pieds noirs pour les inciter à investir en Algérie, est un modèle du genre.
N'est pas Churchill ni de Gaulle, qui veut. Nicolas Sarkozy ne cache pas son admiration pour la dame de fer, mais son langage est plus volontariste et déterminé que mythique. En revanche Segolène Royal en fait ample usage, lorsqu'elle répond à ses adversaires par des "Je le veux!" ou "je suis porteuse d'avenir". Alors que Sarkozy dit plutôt "je veux qu'on travaille davantage pour gagner plus et pour faire face à la compétition", Ségolène Royal proclame " Je suis la France du travail" et elle se garde bien d'expliquer comment elle fera face à ses défis. Elle ne répond que par des symboles et des mots magiques comme "confiance", "promotion et formation professionnelle pour tous", et autres mots fourre-tout. Comme Mitterrand, dont elle est la fidèle émule, elle n'a pas à démontrer puisqu'elle est.
4°). Appartenance à un noeud sémantique.
Ce concept développé dans Virus désigne des agrégats de croyances, dotés d'une certaine cohérence, propagés par le bouche à oreille ou par les médias, non par persuasion, mais par contagion, pour employer l'image de Paul Claudel dans son Journal.
Les noeuds sémantiques s'infiltrent dans le cerveau droit et nous manipulent à notre insu, déformant nos grilles de lecture et notre interprétation des évènements, comme l'aimant oriente le spectre magnétique. Trois noeuds sémantiques dominent la campagne électorale : Force de la Terre, Matrix et Medusa.
Force de la terre, est le tropisme de la France (comme de l'Amérique) profonde. Ses valeurs sont occidentistes, Travail, Famille, Patrie, ses slogans, lui donnent un parfum sulfureux de pétainisme. L'ordre, la hiérarchie, la méfiance envers les étrangers, et envers l'étranger, la sécurité, la convivialité, l'amour du terroir, la haine du chaos, et une difficulté à percevoir les changements du monde, se doublent d'une ignorance du fait culturel d'avant-garde. Force de la Terre, est le noeud sémantique des classes dites moyennes, laborieuses et traditionnalistes mais aussi des entrepreneurs. Ils sont en voie de régression,voire de disparition, attaqués à la fois par les grandes multinationales et la pression fiscale et bureaucratique. D'où leur agressivité, qui contribue à les discréditer auprès des élites intellectuelles et technocratiques.
Le Pen trouve sa base dans Force de la Terre, à l'instar de Bush. Néanmoins, Force de la Terre présentant une force électorale non négligeable dans nos pays, Ségolène Royal utilise des messages appartenant à l'ADN de ce noeud. Elle a essayé de séduire les petits entrepreneurs, les PME, les chasseurs. Nicolas Sarkozy, en voulant protéger la population de "la racaille" a tenu des propos typiquement Force de la Terre.
Matrix, est le noeud sémantique venu des Etats Unis et qui privilégie le profit, le progrès technologique, la mondialisation, la libre concurrence, la consommation de masse et la banalisation à outrance. Cette force mondiale paraît irressistible et sans réel contrepoids. Elle suscite des réactions de plus en plus violentes contre ses excès. L'aprêté et le cynisme de ses protagonistes, leur indifférence totale à tout ce qui est étranger à leurs intérêts à court terme, ont commencé à provoquer des désastres planétaires. Ce que l'on appelle l'Esprit de Davos est un exemple de ce tropisme, qui a été combattu depuis des décennies, non sans succès par le Club de Rome. C'est au Club de Rome que l'on doit la popularisation du terme écologie et la lutte contre une croissance effrénée. La notion de développement durable est née de là et s'étend rapidement dans le milieu des affaires.
L'esprit Matrix privilégie la lutte, la loi du plus fort, mais il est très difficile de s'y opposer. Attaquer Matrix de front, c'est se résigner à perdre la bataille économique, à se marginaliser, et ne plus pouvoir financer les acquis sociaux.
Les esprits contaminés par Matrix obéissent à d'autres motivations que celle du pragmatisme. Ils adorent l'esprit Matrix, et propagent la mondialisation heureuse comme une nécessité ardente, comme l'unique source de progrès. Alain Minc est le prototype de cet amour malheureux de la logique qui influence toutes les grandes organisations multinationales et qui par réaction a donné naissance à des contestations radicales et violentes. Le problème posé par Matrix, est qu'il détourne l'attention des pouvoirs publics et des entrepreneurs, de solutions alternatives à la fois plus économiques et plus humaines. Matrix se développe au dépens de Force de la Terre, et tient sous sa dépendance les classes moyennes et les petits entrepreneurs. De ce fait, il est la cible de Segolène Royal comme de Le Pen, mais exerce une influence sur tous les agents de la vie économique avec qui le pays doit compter.
MEDUSA est contre. Medusa est une force de contestation à la fois de Force de la Terre et de Matrix. Elle correspond à l'utopie gauchiste, au chaos, à l'entropie, supposés créateurs. Son noyau s'est développé à partir des avant-gardes culturelles et politiques pour s'étendre aux milieux intellectuels, et contaminer les journalistes, les hommes du verbe, les artistes, les professeurs de faculté et les instituteurs. Si Matrix constitue le politiquement correct dans la sphère économique, Medusa détermine le politiquement correct dans tous les autres secteurs de la vie : culture, politique, écologie, spritualité. Matrix et Medusa se partagent l'immense secteur de l'information de masse, à Matrix, le secteur matériel (biens de grande consommation, distraction de masse, star system, vie économique et concurrence, bourse), à Medusa le secteur culturel et spirituel. En adhérant à Medusa, on domine le verbe, l'influence, les media. La France est particulièrement touchée par ce noeud sémantique, qui remonte au siècle des lumières et aux droits de l'homme. Le problème de Medusa, est son caractère dogmatique et utopique. En niant les réalités, elle entraîne des conséquences opposées aux buts affichés, et a recours au double langage et à un futur radieux sans cesse repoussé.
Nicolas Sarkozy est résolument opposé à Medusa, bien qu'à un moindre degré que Le Pen, et doit s'attendre à une guerre des représentations sans merci qui a déjà commencé. Elle explique la caisse de résonance donnée à ses moindres faux pas, la distorsion malveillante d'expressions comme "racaille", une réputation sulfureuse soigneusement entretenue. L'action de Medusa, comme celle de tout politiquement correct, n'est pas issue d'une volonté concertée, ni d'un complot. Il est possible que Poivre d'Arvor, qu'on dit sarkosien, ne se soit pas aperçu du biais en faveur de Medusa de son émission. C'est tout simplement dans l'air du temps. Medusa (d'où le nom que je lui ai donné) est transparent, il fascine, on ne le voit pas plus que le poisson ne voit l'eau où il évolue. Il faut sortir ailleurs, hors de l'eau pour le percevoir. Ailleurs, signifie se trouver dans le champ d'influence de Force de la Terre, ou de Matrix. Mais il sont faibles par rapport à Medusa qui tient le verbe, ainsi que le disait Jack Lang au lendemain de la victoire socialiste de 1981.
Segolène Royal se démarque dans cette émission des purs Medusa comme des idéologues de l'extrême gauche, ou de Jospin, par sa prise en compte de Force de la Terre, qui déteste comme elle certaines postures comme la défense du mariage homosexuel et l'adoption des enfants par des homosexuels, ou encore l'hypertaxation sans nuances du capital. (Elle évite, ou plutôt on lui évite soigneusement toute question sur ce sujet épineux, et promet de détaxer les entreprises qui satisfont certaines conditions). Néanmoins, elle est prise au piège de bien des dogmes incontournables, comme la diabolisation du capital, la retraite à soixante ans, le collectivisme et l'absence totale de la liberté d'entreprendre. Ce qui ne l'empêche pas de prôner la croissance. N'oublions pas non plus que dans le magazine homosexuel Tétu, elle s'est déclarée en faveur du mariage et de l'adoption homosexuels.
Cette note n'est qu'une approximation provisoire d'une analyse qui demanderait à être approfondie.