L'Entretien
Saturday, 21 March 2009
CHRONIQUE
L'héritage LH III
Tout d'abord, il me faut dire qui est L.H.III.C'est le troisième avatar d'un modèle d'homme qui m'a fasciné et joué un grand rôle dans ma vie réelle et imaginaire. L.H.I correspond au jeune homme décrit dans Le Livre de Lasse Hall, celui que je connus à la fin de mon adolescence quand j'habitais avec mes parents au Grand Hotel, place de l'opéra. Il essaya de m'extraire du cocon lamentable où je stagnais , en pleine dépression, pour faire de moi un homme. Jamais personne ne fit autant pour mon bien. Mais j'avais une admiration sans bornes pour ce qui était un idéal inaccessible et je passai des moment inoubliables auprès de lui, dans ses rares heures d'intimité, où cet homme inflexible et impitoyable se détendait auprès de moi, et donnait cours à ses sentiments profonds. La sehnsucht, la nostalgie qu'il ressentait était poignante, je crois qu'il se sentait bien seul. A ce moment je pris une photo de lui et la copiai au crayon pour bien l'imprimer dans ma mémoire. C'est celle que vous avez dû voir dans un billet passé.
Ci-dessus, le livre de L.H. Le texte est daté le 30 juin 1962 à minuit. L'écriture du 29 janvier 1963. Le dessin date d'un Dimanche à Recloses, d'après une photo bien antérieure. Elle disparut comme toute la documentation d'avant 1962. Je crois que c'est ma mère qui détestait les souvenirs qui dût la jeter.
Mais j'avais peur de perdre ma liberté en lui cédant, je voulais par moi-même, sans l'aide de personne, remonter la pente. Je me conduisis avec lui d'une ingratitude inadmissible, et je rejetai avec brutalité le seul être qui m'aimât vraiment. dans tous les sens du mot. Je le regrette amèrement à présent. J'essayai de recoller les morceaux, mais c'était trop tard. Il était l'héritier d'une puissante dynastie et fonda un véritable empire en Amérique du Nord et au Mexique. Oui, c'était trop tard, mon heure était passée.
Ci-dessus, et ci-contre le portrait que je tirai à son insu pendant un de ces moments d'abandon, avec une camera minox. Je crois que le résultat était si mauvais que je dus la recopier avec un papier calque. (Voir l'illustration ci-dessus).
Lasse II, est le héros de l'Entretien, celui qui noue une Idylle avec la mystérieuse Clara. Je tiens le rôle de Valentin Ludell, le mentor de ses enfants issus de sa première femme Christine. Elle nous fit croire, à Lasse et à moi, que les gosses étaient de moi, et je l'épousai. Plus tard, lorsque celui-ci fut marié avec une riche héritière mexicaine, Vera Hartzmann, elle reparut et exerça un chantage sur son ancien amant, réclamant pour les deux enfants, leur part d'héritage du père de Lasse et sa reconnaissance de paternité. Elle n'en eût pas le loisir, car elle mourut peu après dans des conditions troubles. Mais Lasse s'affectionna pour les enfants, incontestablement de lui, et les reconnut. Il ne tolérait pas le chantage.
Ci-contre BL et Martha Modl la plus célèbre Kundry de son temps.
C'était à l'époque de LH I que je fréquentais les plus grands artistes, cela valorisait
et compensait ma médiocrité par rapport à
Lars Hall I.
L'image ci-dessus montre mon desarroi. Ces minuscules cartes plastifiées sont des anti-sèches à glisser sous la manche de la chemise. J'en fis des dizaines contenant l'essentiel de mes cours. Mais le moment venu j'eus tellement peur d'être pris et chassé du CNAM que je ne m'en servis guère. Mais j'avais mis tant de soin à condenser les cours et à les calligraphier en pattes de mouche, que j'appris ainsi sans le vouloir mon cours par coeur !
Ci-dessus, une page d'un cahier de cours, premier compactage destiné à préparer l'anti-sèche.
Je n'avais pas vingt ans, mais mon écriture était celle d'un gosse de quinze ans. L.H. I, lui, devait avoir 22 ans mais était déjà un adulte en pleine possession de ses moyens, comme l'était L.H.III au même âge.
Mon père refusa obstinément de me payer le moindre livre de cours. Je fus obliger d'y rémédier en confectionnant des fiches. J'étais déjà plus âgé, car je suivais les cours de l'INOP, institut de psychologie appliquée. Ci-dessous le papier de Jean Piaget, sur les deux théories qui essayent d'expliquer comment un substrat matériel pouvait influencer un psychisme immatériel. Ainsi, à son insu, Piaget rejoignait d'une manière détournée les concepts de Popper relatifs aux trois mondes et soutenant la thèse d'un esprit sans masse, ni dimension. Cette problématique fut à la basede toute ma vision du monde.
L'Idylle entre entre Lasse et Clara, sort de mon imagination car elle puise ses ressorts dans la structure profonde de L'Entretien . Il me fallaît développer le thème de la fusion des contraires et la manière dont l'un modifie l'autre. Mais les caractères dans leur épaisseur sont à peu près préservés, dans la mesure où ils ne sont pas transformés par les nécessités structurelles. Par exemple les photos de Lars Hall II et de Clara sont extraites de la réalité.
Ci dessus, Lasse II et Clara, morceaux choisis de l'Entretien.
Il m' été impossible de retrouver dans les milliers de pages du texte original "éléphant" les passages reproduits dans le tapuscrit des morceaux choisis. J'ai dû me contenter des mauvaises images de la version imprimée.
Lasse II diffèrait de Lasse I par son ambiguïté à mon égard, alternant l'affection qu'il doit à son mentor (Valentin, alias votre serviteur) et une cruauté consistant à faire planer sur moi une menace terrifiante. Il aimait je suppose ce jeu du chat et de la souris.Il résidait un peu partout dans le monde mais le siège de son empire se trouvait entre Los Angeles et San Diego. à Santa Samarea. Il subventionnait le zoo de la ville et le centre de tératologie. La ville était mystérieuses, d'une insécurité et d'une corruption totales, peuplée d'immigrés venant de tous les pays du monde et se regroupant par origine, dans des quartiers spécifiques : la petite France, Venise, le quartier juif, l'enclave chinoise etc. Clara avait étudié à l'université de Fontanahead, d'une qualité surprenant pour une ville aussi deshéritée. Une brume l'enveloppait comme la vapeur d'un hammam, mais tantôt nauséabonde, tantôt suffocante. Mais on le devine sans peine, Lars et Vera ne demeuraient pas dans la ville, mais loin au dessus dans la colline avoisinante de Bringstile, un paradis de verdure et d'opulence discrète, habitée par les milliardaires du coin et gardée par des miliciens sinistres armés jusqu'aux dents.
On en vient maintenant à Lars III. Il parlait bien le français et son père, issu d'une longue et glorieuse dynastie qui joua un rôle majeur dans l'histoire de son pays, un vrai seigneur qui en imposait à tout le monde par son charme et sa chaleur naturelle, voulut que je lui serve de sponsor. Comme Lasse I auprès de qui je remplis au départ un rôle pédagogique.
Je vis le jeune homme sortir d'une limousine noire et se diriger vers moi d'un pas assuré. Il était d'une rare élégance dans le style classique formel, et d'une extraordinaire distinction. J'eus un éblouissement en le voyant. C'était le sosie physique de Lasse I et, je m'en apeçus par la suite, la ressemblance n'était pas seulement extérieure mais également morale et cactérielle. Il était aussi glacial que son père était chaleureux et d'un laconisme extrême. Je ne connus jamais un homme de son âge (il avait alors 22 ans) aussi intelligent, aussi désireux de se cultiver et dans tous les domaines,. C'était une véritable éponge. Hier, une dame assez pipelette me dit qu'elle n'avait jamais connu d'intelligence aussi fulgurante, dotée de la capacité de comprendre les intrigues les plus compliquées en un clin d'oeil. Cependant lui et son père étaient craints de ceux qui dépendaient d'eux. m'apprit une journaliste. Par la suite je découvris qu'il menait une vie qui dépassait mon
entendement. Mes clients sont des gens modestes et avares bien que fortunés, à qui il ne viendrait pas à l'esprit d'avoir un jet privé, un bateau ultra rapide pour se rendre d'une résidence sur la côte d'azur à une autre à Montecarlo. Des maisons un peu partout, dans les emplacements les plus privilégiés. Mais ce n'était pas un fils à papa, loin de là. Certes il profitait de ces avantages matériels, mais sans s'en rendre compte tant c'était naturel pour lui. Il n'en parlait jamais et ce n'est qu'en le connaissant que je l'appris par inadvertance. En revanche ce que tout le monde lui reconnaissait, c'était une capacité illimitée de travailler vite et bien, une autorité naturelle qui faisait qu'il jouissait d'une crédibilité et d'un respect rare pour un homme aussi jeune. Il était aimé par les travailleurs de la base, et leur chefs, pour qui il était "Monsieur Lars", et qui lui obéissaient au doigt et à l'oeil. Partout où il était passé au cours de stages chez des crelations d'affaires, son départ laissa une impression de vide et périodiquement j'entendais dire : "que devient Lars? On voudrait bien le revoir." En revanche il se méfiait des gens du haut, et en particulier des PDG et des DG, qu'il trouvait prétentieux, suffisants, et paresseux. Il n'hésitait jamais à couper la tête de ses vizirs et préférait payer des indemnités coûteuses ou d'affronter les prud'hommes que d'admettre dans ses sociétés, des éléments faibles, qu'il serait de plus en plus difficiles de licencier par la suite.
Je m'attachai profondément à lui, plus que de raison certainement, pour des motifs divers, souvent pas glorieux. Il me rappelait irresistiblement Lars I que j'avais rejeté, et je me promis de ne pas faire une telle erreur une seconde fois. Puis j'étais fier d'être le mentor d'une telle personnalité. Certes toute la famille était d'une distinction remarquable, mais lui - était-ce dû à sa réserve et à son élégance sévère? - les dépassait. Il possédait plus que de la classe, il était racé comme ces superbes chevaux de course peints par Van Dyck. J'avoue qu'un tel motif d'attachement est puéril et indigne d'un intellectuel, mais enfin... malgré que j'en aie, je ne suis pas un intellectuel et je suis affecté par toutes les naïvetés d'un vaniteux , le caractère d'un parvenu qui a manqué son but et qui admire ceux qui lui en imposent.
Au fil des ans, mon attraction et mon attachement se transformèrent en un dévouement absolu, résistant à toutes le rebuffades et les cruautés, que Lars III partageai avec ce prédécesseurs. C'est ainsi qu'il joua longuement avec moi au chat et à la souris, alternant une tendresse extrême avec une indifférence inxplicable. Il devenir inaccessible pendant de longs mois. Il m'avoua un jour après mûre d'affection qu'il tenait à moi comme à un bon professeur, mais qu'il ne ressentait aucune affection pour moi. Il ajouta qu'à ma place, il m'aurait quitté depuis longtemps. Cette cruauté, le rendait inhumain et son père lui-même le déplorait... Et puis, tout bascula voici deux semaines. Je découvris qu'il portait une affection indicible pour son père, et un jour il me confia gêné, qu'il n'était pas très sérieux lorsqu'il me déclarait qu'il n'avait aucune affection pour moi.
J'avai pensé depuis longtemps lui léguer ma bibliothèque avec mes manuscrits les plus significatifs, à l'exception de l'Apocalypse destinée à la salle des manuscrits anciens de la BNF. et à condition d'être sûr qu'il ne les laisserait pas pourri dans un grenier. Lorsqu'il les vit avec moi, il en fut si heureux, il les aima tant, que ma décision fut prise aussitôt. Je n'attendrais pas mon dernier souffle pour les lui léguer. Son père désirait qu'il prenne un appartement à Paris, auprès de mon domicile et il en cherche actuellement un qui lui convienne. Dès qu'il aura une bibliothèque, je lui donnerai aussitôt mes livres préférés et mes manuscritset le lui annonçai. Je crois que c'est alors qu'il comprit qu'il détiendrait une partie de mon âme , cette partie qui me survivra. Certes, je ressentirai un manque cuisant, un vide nostalgique, mais il arrive un moment où il faut savoir se dépouiller, vant que la mort ne le fasse.
Si je me suis tant étendu sur ce sujet, c'est pour expliquer la signification de cet héritage. Il ne prétend pas à l'excellence culturelle et ni à une portée spirituelle, ni même à une perfection artisanale. Ces livres manuscrits ont été faits dans l'intention un peu puérile, je le reconnaîs, d'imiter ces sublimes livres de peintres que j'ai vu chez Nicaise ou Lardancher, et que j'ai contemplé jusqu'à l'obsession dans leurs catalogues. N'ayant jamais eu les moyens de me les payer, et à défaut j'essayai d'un posséder un reflet.
Dans le corps du billet, vous pourrez prendre connaissance de quelques témoins de ce travail. C'est tout ce qui me restera de mon passé, et j'aimerai partager avec vous ces moments de mémoire. Après tout si Lasse III et bien des amateurs et des professionnels les ont apprécié,pourquoi pas vous? Et pourquoi n'essayez vous pas de faire votre propre livre manuscrit ? (c'est bien mieux que le traitement de texte).
Page d'ouverture de La flûte de jade.
Dali voulait faire croire que mes aquarelles étaient des vrais Dalì. Il m'encouragea à poursuivre, mais jen'en n'eus pas le courage.C'était au temps de la parution de L'Apocalypse de Joseph Foret, et j'essayai d'imiter même dans son emboitâage de satin blanc, un exemplaire de tête qui était bien au dessus de mes moyens. Dalì descendait à l'hôtel Meurice, et Marina lui rendait toutes sortes de services, moi-même déjeunant tous les jours avec lui en tant que "conseiller scientifique". Sa curiosité était inépuisable et il était un des êtres les plus sensés qu'il m'ait été donné de connaître.Il simulait la folie à la manière des bouffons de Shakespeare, et se propos les plus loufoques étaient de la sagesse concentrée et les gens riaient sans comprendre! Lui s'amusait beaucoup de ces moqueries qui satisfaisaient son ironie pince sans-rire. En tête à tête c'était un homme très doué pour les affaires, et qui m'enseigna bien des recettes pour mon job.
Calligraphie "bambou" de la Flûte de Jade.
Pour les illustrations, voir le corps du billet (continuer la lecture).
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Wednesday, 11 March 2009
CHRONIQUE
Mélanges
Mon serveur consentant à obéir, je vais regrouper ci dessous les photos qu'il avait rejétées.
Voir notamment le billet du 5 mars sur le Mingei.
Il est 17h 37. Depuis 13 heures mon serveur n'accepte plus de transferer quelque image que ce soit sur mon blog!
Emmanuel Dyan brille par son absence ! Ce mouvement d'humeur ne tient pas compte du fait que l'univers ne tourne pas autour de moi, ni de mon blog, et que le pauvre a des obligations professionnelles qui assurent après tout son gagne-pain, tout comme moi d'ailleurs. Mais alors que j'ai la chance de disposer de mon temps comme je l'entends, l'immense majorité des gens compétents sont surchargés. Ils sont si rares! Cette impatience est d'ailleurs teintée d'un soupçon d'ingratitude,défaut que je déteste,que car si ce blog existe et qui a le succès qu'on sait, c'est entièrement grâce à lui. Donc, un grand merci à Emmanuel, et je sais ue je parle au nom detous les internautes!
Autour de L'Entretien
Dans l'attente hypothétique d'une remise en marche prochaine de mon serveur, je voudrais vous entretenir d'une de mes préoccupations de ce 11 mars. Il s'agit de la version définitive, au propre, des volumes 35 x 35 sur papier éléphant destinés au département des munscrits anciens de la BNF. Deux considérations motivent cette décision : les peintures et la calligraphie, souvent innovantes qui ont inspiré la décision de la BNF de m'accueillir dans son sanctuaire le plus précieux, mais d'une facture très inégale ; des parties du texte ininteressantes ou d'une crudité insoutenable, atroce, pis encore que les passages les plus affreux de STEPS de Jerzy Kosinski. D'après Coetzee qui parle par la bouche d'une de ses créatures : Elisabeth Costello, en livrant impunément au public de pareilles ignominies, on ressuscite l'esprit du mal. Pour Coetzee, le mal a une existence en soi. Il est lové au plus profond de nous mêmes. Si en théorie nous devrions subir une répulsion indicible à son contact, émotionnellement il risque d'exciter les zones les plus troubles de notre inconscient. l'esprit dumalserait un archétype, ou si l'on préfère, un esprit qu'il faut bien se garder de réveiller.
Malheureusement le graphisme le plus réussi est précisément celui consacré au mal. On sait que la partie la plus populaire et sans doute la plus forte de la Commedia, la Divine Comédie de Dante, est précisément l'enfer. En sacrifiant l'horreur je prive L'Entretien de l'essentiel de son originalité, de sa force et de son accessibilité. Jusqu'ici cela ne me gênait guère car la consultation de l'oeuvre à la BNF est assortie de tant d'entraves, que seuls quelques privilégiés pourront y avoir accès. Mais si je mets au propre le texte, c'est en vue de le diffuser et les choses deviennent différentes. Jusqu'à présent les "moreceaux choisis" que j'ai imprimé moi-même, ont résolu le problème. Il suffisait de modifier les images et d'éliminer les séquences mal pensantes. Mais si je décide de mettre au propre l'ensemble de l'oeuvre, le problème ressurgira à nouveau. Cette mise au net devra donc être assortie de difficiles modifications afin de conserver la forme innovative de la calligraphie et des images, et la dureté du texte.
Hermann B*** un ami de longue date, a connu le mal en tant que spécialiste de la sécurité délégué par Bruxelles en Yougoslavie. Il a assisté à toutes les horreurs de la guerre ethnique entre musulmans et chrétiens, à toute la perversité de l'intoxication dont ont été victimes et complices les bons intellectuels occidentaux. Ajoutons à cela un vif penchant pour l'ésotérisme et on comprendra que non seulement il pouvait admettre lespassages les plus durs,mais il voulait posséder avec avidité, les brouillons et la genèse de ce travail, livres manuscrits à ne pas laisser traîner. Il lui seront donc destinés.
Hermann a apprécié mon projet, et bien qu'il aime le format "jésus", il préfère évidemment que je continue le manuscrit "Pepys". Je rappelle ci-dessous l'apparence du "Jesus" et du "Pepys".
Ci-dessus le format Jesus.
Ci-dessus le format original sur papier "éléphant" 35 X 35 cm
Ci-dessus, manuscrit "Pepys" vol. II
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Saturday, 7 March 2009
CHRONIQUE
L'héritage de Lasse Hall
A dire vrai ce n'est pas Lasse Hall que je fais allusion, mais à son sosie qui lui resemble aussi bien physiquement que moralement. Appelons-le Brutus. Même adoration pour son père, contrastant avec son attitude glaciale envers les autres. Même pouvoir de séduction, lorsque cela lui convient. Se sentant à l'aise parmi les travailleurs de la base, n'hésitant pas à couper la tête des vizirs quand ils deviennent paresseux et prétentieux. Même laconisme dans l'expression, même élégance naturelle due à une ascendance illustre.
Mais il est une exception près et de taille. Elle a trait à nos relations, inversée chez Brutus par rapport à Lasse. Lasse me surprotégeait, il m'aimait infiniment, trop même et voulait m'améliorer, changer mon caractère, faire de moi un homme. Ce profond engagement, pensé-je, menaçait mon indépendance. Je fus changeant, méfiant, hostile envers lui tout en étant fasciné. je finis par le fuir. Combien regretté-je cette décision ! J'en traîne encore remords et regrets.
Ce rapport fut inversé entre Brutus et moi. Je le surprotégais (alors qu'il n'en avait pas toujours besoin), je fus son mentor et voulais l'améliorer et faire de lui un humaniste dans tous les sens du terme. Je dois reconnaître qu'il est était heureux d'apprendre, avide de culture et de connaissance. Mais humain, certes pas avec moi. Il jouait au chat et à la souris, un jour humble et respectueux, un autre me fuyant pour des semaines. Il finit par m'avouer qu'il n'éprouvait aucune affection pour moi, qu'il n'y pouvait rien, mais me considérait comme un bon professeur, rien de plus. Il m'annonça cela froidement après avoir réfléchi pendant une nuit et sans se demander l'effet que cela pouvait produire sur l'être affaibli que j'étais. Pourtant, l'année dernière il fit le voyage d'Athènes pour me voir à l'hopital. J'étais en train de mourir et je ne le savais pas. Des témoins de la rencontre me racontèrent qu'il resta tout la journée à mon chevet en me tenant la main, comme il le fait avec son père. Il pleurait, lui, l'homme d'acier, de me voir ainsi inanimé, ayant perdu l'usage de ma mémoire et incapable d'une pensée cohérente. Les semaines qui suivirent il replongea dans l'indifférence et disparut. Cette alternance de tendresse et de mépris me perturba profondément. Et bien souvent, la nuit venue, je pleurai toute les larmes de mon corps. En écrivant ces mots, je me rends compte de l'effet exagéré et surrané qu'elles peuvent produire sur monlecteur. Mais c'est dû à mes lectures d'enfance pétries de ce sentiment qu'on trouve dans Shakespeare ou chez Goethe: tränen fogen die tränen : les larmes succèdent aux larmes, écrit le poète dans sa dédicace au deuxième Faust. Envahi par la solitude, incompris, il se rappelait avec nostalgie du passé alors qu'il était entouré d'amis, d'admirateurs, et d'amoureuses, tous morts ou dispersés par le temps et l'adversité.
Il vint me voir récemment et pour la première fois il comprit que son père adoré m'avait admis dans la famille, et combien il souhaitait qu'il me rende un peu de l'affection que je lui portais. Lorsque lors de nos entretiens je lui parlai de mes amis de coeur, ceux qui par leur amour me soutinrent dans les épreuves, je ne le mentionnai pas. - Et moi dit-il je ne compte pas? - Je lui rappelai alors de son refus de me considerer autrement que comme un bon professeur. Mais je n'étais pas sérieux !
Tout bascula à cause de l'héritage que je lui destinais. Dans mon esprit,et c'est toujours vrai, je consacrai au département des manuscrits anciens, à la BNF Richelieu, tout ce qui a trait à l'Entretien. C'est un honneur insigne auquel je suis sensible de trouver l'oeuvre de ma vie dans la même salle que les manuscrits de Victo-Hugo ou les plus beaux manuscrits à peintures du Moyen Âge
La collection de manuscrits musicaux viendra enrichir la Première Fondation à UCCLE. Mes documents intimes et mes papiers personnels notamment biographique ou autobiographiques reviendront à ma muse-ange gardien. À qui léguer mes livres préférés comme les oeuvres de Sahakespeare du Club du livre, et surtout de mes manuscrits à peintures autres que L'Entretien?
Je rappelle que dans l'impossibilité faute de moyens, d'acquérir de grands livres de peintres illustres comme le Picasso et le Chagall de Tériade ou la Théogonie d'Hésiode illustrée de gravures de Braque, je décidai d'en fabriquer des substituts, mais avec des textes personnels : poésies chinoises apocryphes comme L'Histoire d'un fleuve d'après Wang Wei, notes de voyages, (dans le Périgord noir et à Vironvay entre Seine et Eure), poèmes divers.
Ci-dessus la première page du Journal d'automne sur papier Richard de Bas
St.Cyprien, vu de ma fenêtre.
Et les emboîtages s'inspiraient des tableaux de Tàpies qui rappelaient les murs couverts de cicatrices que je retrouvais à Saint Cyprien près de Sarlat.
Ci-dessus deux pages de Hors des sentiers battus couverture en parchemin, caractères Europe au rapidographe, d'après Iliazd.
Couverture en bas-relief de L'Entretien en pâte à sel.
Le livre qui me donna le plus de mal fut une imitation de L'Apocalypse de Joseph Foret qui conçut le projet de faire le livre illustré le plus beau (et le plus cher! ) du monde. L'original était doté d'une couverture-bas-relief de Salvador Dali, mais Foret en dépit de ses dons de persuasion ne put se procurer l'appui des grands peintres et dût se rabattre sur des Trémois et d'autres troisièmes couteaux, indignes du projet.Le plus admirable à mon sens fut la calligraphie sur parchemin de Micheline Nicolas, une handicapée pleine de talent. Elle accomplit le tour de force de réaliser plus d'une centaine de pages en une humaniste droite, si je ne me trompe, à moins que ce soit une semi-onciale, à l'encre de chine, à l'or à la coquille, sur basane ou cuir de chevreau découpé (digne du manuscrit de 1384 de Padoue, tout en lettres d'or à la coquille, unique au monde et réservé pour la Seconde Fondation). Les exemplaires de luxe qui en furent tirés, contenaient outre une aquarelle originale de Dali, un fac-simile de la calligraphie de Micheline Nicolas, imprimé sur Japon nacré (dont je découvris à cette occasion la somptuosité). L'ensemble était protégé par un étui en satin blanc frappé de lettres d'or. Je révais des nuits entières à ces exemplaires de tête, et je brûlais de convoitise, frustré de n'avoir pas les moyens de m'en payer un. Il faut cependant reconnaître que la passion qui m'animait ne visait ni le texte que je connaissais déjà, ni les aquarelles de peintres sans génie qui l'illustrait. Non, ce qui me fasciné était le support : étui de satin au dos frappé à l'or fin, impression sur japon nacré, superbe calligraphie exaltée par l'impression sur le papier nacré.
Ci-dessus écrin en satin et calligraphies originales sur japon nacré, imitation des exemplaires de tête du livre de Joseph Foret.
C'est ainsi que naquit mon manuscrit sur les poèmes de la Flûte de Jade mon livre de chevet édité aux éditions Piazza sur une traduction de Franz Toussaint. Je rappelle que plusieurs pièces de ce livre, dans la version allemande de Hans Bethge, servirent de support au Chant de la Terre de Mahler.
Ci-dessus la première édition, exemplaire tête sur japon impérial, de La Flûte de Jade de Franz Toussaint, éditions Piazza.
Ci-dessus, couverture sur papier Richard de Bas travaillé pour imiter un tableau de Tàpies qui était en ma possession. Evoquant également de vieux murs, comme j'en trouvais àSt. Cyprien.
Brutus adorait ces manuscrits à peinture et tout particulièrement le premier journal de Printemps, réalisé à Vironvay et peuplé de vaches rapidement croquées sur le vif et aussi le plan de mes randonnées pédestres entre Louviers et au delà et St.Pierre de Vouvray, au bord de la Seine.
J'adorais tout particulièrement les environs de Louviers où résidait Lady Patachou et quelques autres célébrités. Je me promenais dans les collines avoisinantes de l'autre côté de l'Eure et je contemplais, plein de nostalgie les coquettes maisons normandes habitées par des familles heureuses et équilibrées, moi le juif errant.
Brutus manifesta une telle joie à l'idée d'hériter un jour de ces manuscrits, que ma décision fut prise instantanément. Ils seraient siens, sans conditions, sans réserve, sans période probatoire. Nulle part ils ne seraient plus aimés, plus regardés, s'intégrant dans la bibliothèque familiale et portant mon souvenir quand je ne serais plus là.
L'attitude de Brutus envers moi changea brusquement. Même dans ses périodes de tendresse, il y avait quelque chose de contraint de sa part. Ce soir là, il rayonnait de bonheur, il souriait comme lorsqu'il était en présence de son cher père. Je crois que ces manuscrits en tant que manifestation concrête de mon engagement sans faille pour lui, a fait beaucoup plus pour nous rapprocher que tous les services et les enseignements que j'ai pu lui apporter. Certes, je ne le sais que trop, il peut encore changer, rentrer dans sa coquille et manifester la plus cruelle indifférence à mon égard. Mais qu'importe, j'ai décidé de thésauriser les heures heureuses et de passer sur les petites hostilités et les petites jalousies qu'inspirent ceux qui trouve dans la malveillance un moyen de se venger de ce qu'ils prennent pour une supériorité sur eux. Je crois que c'est Moshe Luzzatto, mon ancêtre cabaliste qui disait qu'on doit payer le don de vision par de terribles souffrances physiques. C'est la resistance à de tels supplices que se forge le caractère des hommes ordinaires et le porte au dessus d'eux mêmes. Mais il y a aussi les souffrances morales, bien plus supportables mais laissant dans leur sillage découragement et amertume. Celles-là on peut les éviter en conjurant l'esprit du mal. Sinon elles vous rongent l'âme et vous affaiblissent irrémédiablement. Du temps où j'étais complètement amnésique j'étais heureux d'une certaine manière. Aucune apprehension ne me troublait puisque j'oubliais le futur, aucun préjugé puisque j'oubliais le passé. Je pus ainsi goûter la richesse des belles demeures hausmanniennes en pierre de taille qui font la gloire de notre capitale.Rien ne vint troubler mon empathie pour le pauvre moineau déplumé, qui en boitillant fouillait dans les poubelles de chez Hédiart. Au point que je finis par m'identifier à ce modeste et attendrissant volatile.
Mes pensées sont, pendant la nuit, tournées vers la réalisation de L'Entretien sur les livres blancs Pepys. J'ai pu retrouver les instruments et les couleurs naturelles (outremer, vermillon) et précieuses (or, argent) nécessaires à la poursuite de mon laborieux projet. Mais j'essayai un graphoplex à plume tubulaire capable de tracer des traits d'un cheveu. Mais je m'aperçus que c'est avant tout la main qui guide l'instrument, le cerveau qui guide la main qui est devenue comme une extension naturelle de celle-ci. J'essayé de reconstituer la gravure qui orne la devanture de boucherie, mais ma main était mal assurée, et je compris que pour obtenir des traits d'une finesse comparable, le cerveau doit les visualiser. Et ce n'est point chose facile !
Pour ceux qui veulent avoir des images de quelques manuscrits convoités par Brutus, voir le corps du billet (mention " continuer").
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