CHRONIQUE
L'héritage LH III
Tout d'abord, il me faut dire qui est L.H.III.C'est le troisième avatar d'un modèle d'homme qui m'a fasciné et joué un grand rôle dans ma vie réelle et imaginaire. L.H.I correspond au jeune homme décrit dans Le Livre de Lasse Hall, celui que je connus à la fin de mon adolescence quand j'habitais avec mes parents au Grand Hotel, place de l'opéra. Il essaya de m'extraire du cocon lamentable où je stagnais , en pleine dépression, pour faire de moi un homme. Jamais personne ne fit autant pour mon bien. Mais j'avais une admiration sans bornes pour ce qui était un idéal inaccessible et je passai des moment inoubliables auprès de lui, dans ses rares heures d'intimité, où cet homme inflexible et impitoyable se détendait auprès de moi, et donnait cours à ses sentiments profonds. La sehnsucht, la nostalgie qu'il ressentait était poignante, je crois qu'il se sentait bien seul. A ce moment je pris une photo de lui et la copiai au crayon pour bien l'imprimer dans ma mémoire. C'est celle que vous avez dû voir dans un billet passé.
Ci-dessus, le livre de L.H. Le texte est daté le 30 juin 1962 à minuit. L'écriture du 29 janvier 1963. Le dessin date d'un Dimanche à Recloses, d'après une photo bien antérieure. Elle disparut comme toute la documentation d'avant 1962. Je crois que c'est ma mère qui détestait les souvenirs qui dût la jeter.
Mais j'avais peur de perdre ma liberté en lui cédant, je voulais par moi-même, sans l'aide de personne, remonter la pente. Je me conduisis avec lui d'une ingratitude inadmissible, et je rejetai avec brutalité le seul être qui m'aimât vraiment. dans tous les sens du mot. Je le regrette amèrement à présent. J'essayai de recoller les morceaux, mais c'était trop tard. Il était l'héritier d'une puissante dynastie et fonda un véritable empire en Amérique du Nord et au Mexique. Oui, c'était trop tard, mon heure était passée.
Ci-dessus, et ci-contre le portrait que je tirai à son insu pendant un de ces moments d'abandon, avec une camera minox. Je crois que le résultat était si mauvais que je dus la recopier avec un papier calque. (Voir l'illustration ci-dessus).
Lasse II, est le héros de l'Entretien, celui qui noue une Idylle avec la mystérieuse Clara. Je tiens le rôle de Valentin Ludell, le mentor de ses enfants issus de sa première femme Christine. Elle nous fit croire, à Lasse et à moi, que les gosses étaient de moi, et je l'épousai. Plus tard, lorsque celui-ci fut marié avec une riche héritière mexicaine, Vera Hartzmann, elle reparut et exerça un chantage sur son ancien amant, réclamant pour les deux enfants, leur part d'héritage du père de Lasse et sa reconnaissance de paternité. Elle n'en eût pas le loisir, car elle mourut peu après dans des conditions troubles. Mais Lasse s'affectionna pour les enfants, incontestablement de lui, et les reconnut. Il ne tolérait pas le chantage.
Ci-contre BL et Martha Modl la plus célèbre Kundry de son temps.
C'était à l'époque de LH I que je fréquentais les plus grands artistes, cela valorisait
et compensait ma médiocrité par rapport à
Lars Hall I.
L'image ci-dessus montre mon desarroi. Ces minuscules cartes plastifiées sont des anti-sèches à glisser sous la manche de la chemise. J'en fis des dizaines contenant l'essentiel de mes cours. Mais le moment venu j'eus tellement peur d'être pris et chassé du CNAM que je ne m'en servis guère. Mais j'avais mis tant de soin à condenser les cours et à les calligraphier en pattes de mouche, que j'appris ainsi sans le vouloir mon cours par coeur !
Ci-dessus, une page d'un cahier de cours, premier compactage destiné à préparer l'anti-sèche.
Je n'avais pas vingt ans, mais mon écriture était celle d'un gosse de quinze ans. L.H. I, lui, devait avoir 22 ans mais était déjà un adulte en pleine possession de ses moyens, comme l'était L.H.III au même âge.
Mon père refusa obstinément de me payer le moindre livre de cours. Je fus obliger d'y rémédier en confectionnant des fiches. J'étais déjà plus âgé, car je suivais les cours de l'INOP, institut de psychologie appliquée. Ci-dessous le papier de Jean Piaget, sur les deux théories qui essayent d'expliquer comment un substrat matériel pouvait influencer un psychisme immatériel. Ainsi, à son insu, Piaget rejoignait d'une manière détournée les concepts de Popper relatifs aux trois mondes et soutenant la thèse d'un esprit sans masse, ni dimension. Cette problématique fut à la basede toute ma vision du monde.
L'Idylle entre entre Lasse et Clara, sort de mon imagination car elle puise ses ressorts dans la structure profonde de L'Entretien . Il me fallaît développer le thème de la fusion des contraires et la manière dont l'un modifie l'autre. Mais les caractères dans leur épaisseur sont à peu près préservés, dans la mesure où ils ne sont pas transformés par les nécessités structurelles. Par exemple les photos de Lars Hall II et de Clara sont extraites de la réalité.
Ci dessus, Lasse II et Clara, morceaux choisis de l'Entretien.
Il m' été impossible de retrouver dans les milliers de pages du texte original "éléphant" les passages reproduits dans le tapuscrit des morceaux choisis. J'ai dû me contenter des mauvaises images de la version imprimée.
Lasse II diffèrait de Lasse I par son ambiguïté à mon égard, alternant l'affection qu'il doit à son mentor (Valentin, alias votre serviteur) et une cruauté consistant à faire planer sur moi une menace terrifiante. Il aimait je suppose ce jeu du chat et de la souris.Il résidait un peu partout dans le monde mais le siège de son empire se trouvait entre Los Angeles et San Diego. à Santa Samarea. Il subventionnait le zoo de la ville et le centre de tératologie. La ville était mystérieuses, d'une insécurité et d'une corruption totales, peuplée d'immigrés venant de tous les pays du monde et se regroupant par origine, dans des quartiers spécifiques : la petite France, Venise, le quartier juif, l'enclave chinoise etc. Clara avait étudié à l'université de Fontanahead, d'une qualité surprenant pour une ville aussi deshéritée. Une brume l'enveloppait comme la vapeur d'un hammam, mais tantôt nauséabonde, tantôt suffocante. Mais on le devine sans peine, Lars et Vera ne demeuraient pas dans la ville, mais loin au dessus dans la colline avoisinante de Bringstile, un paradis de verdure et d'opulence discrète, habitée par les milliardaires du coin et gardée par des miliciens sinistres armés jusqu'aux dents.
On en vient maintenant à Lars III. Il parlait bien le français et son père, issu d'une longue et glorieuse dynastie qui joua un rôle majeur dans l'histoire de son pays, un vrai seigneur qui en imposait à tout le monde par son charme et sa chaleur naturelle, voulut que je lui serve de sponsor. Comme Lasse I auprès de qui je remplis au départ un rôle pédagogique.
Je vis le jeune homme sortir d'une limousine noire et se diriger vers moi d'un pas assuré. Il était d'une rare élégance dans le style classique formel, et d'une extraordinaire distinction. J'eus un éblouissement en le voyant. C'était le sosie physique de Lasse I et, je m'en apeçus par la suite, la ressemblance n'était pas seulement extérieure mais également morale et cactérielle. Il était aussi glacial que son père était chaleureux et d'un laconisme extrême. Je ne connus jamais un homme de son âge (il avait alors 22 ans) aussi intelligent, aussi désireux de se cultiver et dans tous les domaines,. C'était une véritable éponge. Hier, une dame assez pipelette me dit qu'elle n'avait jamais connu d'intelligence aussi fulgurante, dotée de la capacité de comprendre les intrigues les plus compliquées en un clin d'oeil. Cependant lui et son père étaient craints de ceux qui dépendaient d'eux. m'apprit une journaliste. Par la suite je découvris qu'il menait une vie qui dépassait mon
entendement. Mes clients sont des gens modestes et avares bien que fortunés, à qui il ne viendrait pas à l'esprit d'avoir un jet privé, un bateau ultra rapide pour se rendre d'une résidence sur la côte d'azur à une autre à Montecarlo. Des maisons un peu partout, dans les emplacements les plus privilégiés. Mais ce n'était pas un fils à papa, loin de là. Certes il profitait de ces avantages matériels, mais sans s'en rendre compte tant c'était naturel pour lui. Il n'en parlait jamais et ce n'est qu'en le connaissant que je l'appris par inadvertance. En revanche ce que tout le monde lui reconnaissait, c'était une capacité illimitée de travailler vite et bien, une autorité naturelle qui faisait qu'il jouissait d'une crédibilité et d'un respect rare pour un homme aussi jeune. Il était aimé par les travailleurs de la base, et leur chefs, pour qui il était "Monsieur Lars", et qui lui obéissaient au doigt et à l'oeil. Partout où il était passé au cours de stages chez des crelations d'affaires, son départ laissa une impression de vide et périodiquement j'entendais dire : "que devient Lars? On voudrait bien le revoir." En revanche il se méfiait des gens du haut, et en particulier des PDG et des DG, qu'il trouvait prétentieux, suffisants, et paresseux. Il n'hésitait jamais à couper la tête de ses vizirs et préférait payer des indemnités coûteuses ou d'affronter les prud'hommes que d'admettre dans ses sociétés, des éléments faibles, qu'il serait de plus en plus difficiles de licencier par la suite.
Je m'attachai profondément à lui, plus que de raison certainement, pour des motifs divers, souvent pas glorieux. Il me rappelait irresistiblement Lars I que j'avais rejeté, et je me promis de ne pas faire une telle erreur une seconde fois. Puis j'étais fier d'être le mentor d'une telle personnalité. Certes toute la famille était d'une distinction remarquable, mais lui - était-ce dû à sa réserve et à son élégance sévère? - les dépassait. Il possédait plus que de la classe, il était racé comme ces superbes chevaux de course peints par Van Dyck. J'avoue qu'un tel motif d'attachement est puéril et indigne d'un intellectuel, mais enfin... malgré que j'en aie, je ne suis pas un intellectuel et je suis affecté par toutes les naïvetés d'un vaniteux , le caractère d'un parvenu qui a manqué son but et qui admire ceux qui lui en imposent.
Au fil des ans, mon attraction et mon attachement se transformèrent en un dévouement absolu, résistant à toutes le rebuffades et les cruautés, que Lars III partageai avec ce prédécesseurs. C'est ainsi qu'il joua longuement avec moi au chat et à la souris, alternant une tendresse extrême avec une indifférence inxplicable. Il devenir inaccessible pendant de longs mois. Il m'avoua un jour après mûre d'affection qu'il tenait à moi comme à un bon professeur, mais qu'il ne ressentait aucune affection pour moi. Il ajouta qu'à ma place, il m'aurait quitté depuis longtemps. Cette cruauté, le rendait inhumain et son père lui-même le déplorait... Et puis, tout bascula voici deux semaines. Je découvris qu'il portait une affection indicible pour son père, et un jour il me confia gêné, qu'il n'était pas très sérieux lorsqu'il me déclarait qu'il n'avait aucune affection pour moi.
J'avai pensé depuis longtemps lui léguer ma bibliothèque avec mes manuscrits les plus significatifs, à l'exception de l'Apocalypse destinée à la salle des manuscrits anciens de la BNF. et à condition d'être sûr qu'il ne les laisserait pas pourri dans un grenier. Lorsqu'il les vit avec moi, il en fut si heureux, il les aima tant, que ma décision fut prise aussitôt. Je n'attendrais pas mon dernier souffle pour les lui léguer. Son père désirait qu'il prenne un appartement à Paris, auprès de mon domicile et il en cherche actuellement un qui lui convienne. Dès qu'il aura une bibliothèque, je lui donnerai aussitôt mes livres préférés et mes manuscritset le lui annonçai. Je crois que c'est alors qu'il comprit qu'il détiendrait une partie de mon âme , cette partie qui me survivra. Certes, je ressentirai un manque cuisant, un vide nostalgique, mais il arrive un moment où il faut savoir se dépouiller, vant que la mort ne le fasse.
Si je me suis tant étendu sur ce sujet, c'est pour expliquer la signification de cet héritage. Il ne prétend pas à l'excellence culturelle et ni à une portée spirituelle, ni même à une perfection artisanale. Ces livres manuscrits ont été faits dans l'intention un peu puérile, je le reconnaîs, d'imiter ces sublimes livres de peintres que j'ai vu chez Nicaise ou Lardancher, et que j'ai contemplé jusqu'à l'obsession dans leurs catalogues. N'ayant jamais eu les moyens de me les payer, et à défaut j'essayai d'un posséder un reflet.
Dans le corps du billet, vous pourrez prendre connaissance de quelques témoins de ce travail. C'est tout ce qui me restera de mon passé, et j'aimerai partager avec vous ces moments de mémoire. Après tout si Lasse III et bien des amateurs et des professionnels les ont apprécié,pourquoi pas vous? Et pourquoi n'essayez vous pas de faire votre propre livre manuscrit ? (c'est bien mieux que le traitement de texte).
Page d'ouverture de La flûte de jade.
Dali voulait faire croire que mes aquarelles étaient des vrais Dalì. Il m'encouragea à poursuivre, mais jen'en n'eus pas le courage.C'était au temps de la parution de L'Apocalypse de Joseph Foret, et j'essayai d'imiter même dans son emboitâage de satin blanc, un exemplaire de tête qui était bien au dessus de mes moyens. Dalì descendait à l'hôtel Meurice, et Marina lui rendait toutes sortes de services, moi-même déjeunant tous les jours avec lui en tant que "conseiller scientifique". Sa curiosité était inépuisable et il était un des êtres les plus sensés qu'il m'ait été donné de connaître.Il simulait la folie à la manière des bouffons de Shakespeare, et se propos les plus loufoques étaient de la sagesse concentrée et les gens riaient sans comprendre! Lui s'amusait beaucoup de ces moqueries qui satisfaisaient son ironie pince sans-rire. En tête à tête c'était un homme très doué pour les affaires, et qui m'enseigna bien des recettes pour mon job.
Calligraphie "bambou" de la Flûte de Jade.
Pour les illustrations, voir le corps du billet (continuer la lecture).
Détail de la Flûte de jade
Il a pour but de montrer la forme de ces caractères un peu brisés qui sont de mon inventions et qui par leurs aspérités et leurs ruptures peuvent évoquer de ronces ou des tiges de bambou.
J'ai eu du mal à me souvenir de ces caractères dont l'exécution et la logique de construction sont plus compliqués qu'il n'y parait. Il me semble qu'il s'agit là d'une mes rares incurstions innovatives oùj suis désespérément classique. Je suis encore influencé pour le magnifique alphabet que Claude Mediavilla avait tracé à mon égard.
LE DEUXIÈME JOURNAL DE PRINTEMPS
Commençons par le deuxième Journal de Printemps. Il fut réalisé pendant un des moments les plus heureux de ma vie, alors que j'étais en convalescence d'une opération de la rate. Je devais avoir trente sept ans et en hiver, errant dans les grèves désertes des plages du nord, mer démontée, je commençai L'Entretien, sans me douter des proportions qu'il prendrait par la suite. Après avoir déjeuné à la Périgourdine les yeux fixés sur une carte gastronomique de la région, hautement pittoresque, je compris que j'adorais cette cuisine et fus saisi du désir de visiter le Périgord noir, celui qui était occupé par les anglais, qui entoure Sarlat et peuplé de souvenirs : les chateaux, les Eyzies, un Lascaud bis, un paysage tout entier livré à la mémoire. Je dénichai une modeste mais charmante hôtellerie en face de l'abbaye de Saint Cyprien, non loin de döme, et tenue par un jeune homme d'origine irlandaise, un certain Malaurie. Je lui tins le langage suivant : je vous paye un forfait de vingt francs par jour et vous m'initiez à la gastronomie du pays, en une semaine je vous laisse carte blanche. Je viens chez vous, comme on va à un musée. il releva le défi avec une rare conscience professionnelle. C'st ainsi que je dégustai des lièvres à la royale, des truffes sous la cendre et d'autres merveilles. Le fait de ne pas savoir conduire m'aida : je parcourus quarante kilomètres par demi-journées, et il m'arriva des incidents pittoresques. Comme jen'avais pas un centime en poche, le gardien du chateau de Bénac me refusa l'entrée. J'avais gravi un butte escarpée en pure perte, quelle frustration ! Mais je découvris la vue sur les environs. Je fis la connaissance d'un collectionneur de châteaux qui faisait commerce de répliques de statues en pierre où des lichens avaient été incorporés.Du côté de Dôme habitait Joséphine Baker, et les hollandais avaient peuplé la région et se fréquentaient entre eux.
Pendant la journée, je croquais le paysage sur un petit carnet qui ne me quittait pas. La soir, après dîner, souvent à la lumière des chandelles, j'en tirai des aquarelles sur la demi-page du haut le plus souvent, le bas étant occupée par des considérations très abstraites sur la psychologie de l'Art. Un soir, la cire d'une chandelle coula sur un lezard et un coquelicot. Jen fus frustré, mais aujourd'hui je trouve cette trace du temps pittoresque. J'étais aussi amoureux des vieux murs qui me rappelaient un Tapiès splendide de 1958 qui habitait mon salon. Il inspira la couvertues de l'emboîtage des doubles pages non reliées de ce journal.
Ci-contre,la couverture de l'emboîtage, inspiré par mon tableau de Tàpies. Papier Richard de Bas travaillé et peint en trompe l'oeil.
Vue de mon balcon, à l'hôtellerie de l'Abbaye.
Vieux murs
Saint Cyprien,promenade.
Ci-dessus,détails,notamment des vieux murs. On remarquera les coulures de la chandelle qui a endommagé cette page comme d'autres.
LE JOURNAL D'AUTOMNE
J'ai passé plus de quinze ans à arpenter , solitaire, la forêt de Fontainebleau. Mon port d'attache était l'auberge de la Glandée une minable mais poétique maison datée de 1820, ancien relais de poste.
Ci-contre:
après
la promenade
dans l'auberge
Ci-dessus votre serviteur, penché sur ses pinceaux, à l'hôstellerie de la Glandée.
Je connaissaîs intimement,par mes jambes couvertes d'un vieux short et mes pieds chaussés d'un pataugaz usagé, chaque pierre, chaque rocher, chaque touffe de bruyère des environs. D'un côté j'atteignais Arbonne, puis en tournant vers le sud, Villiers-sous-Grez oùje rendis visite à la femme de Marcel Duchamp qui se cachait derrière les hauts murs qui bordaient les fermes. Puis, Busseau petit hameau lové dans une cuvette protégée comme un niz et entouré de belles habitations de bois habitées par une colonie scandinave et fondues dans la nature, Larchant et sa basilique endroit mort et abandonné, mais d'une beauté remarquable, et ses hauteurs rocheuses où poussaient des plantes étranges, très primitives entre pins tordus et bouleaux violets. En continuant le périple, on rencontrait Foljuis et Saint Pierre lès-Nemours, animé par une cascade qui venait du canal du Loing. On visitait alors Grès-sous-Loing où se trouvait un restaurant réputé. Un jour de Noël, par un moins douze degrés ensoleillé, réverbérant sous le manteau de neige, je ne puis trouver de quoi acheter une banane et du chocolat, qui constituent mon déjeuner. J'arrivai au joli hôtel de famille-pension, affamé. Les familles bourgeoises attablées mangeaient concentrée avec application sur les victuailles anciennes: poulardes roties aux cèpes, foie de canard complet, poissons en papillottes et huitres portuguaises arrosées de vin d'Alsace sucré. Je ne jurerai pas de l'exactitude de ce menu, issu de mon imagination il devait néanmoins être assez proche de la réalité. J'étais comme un chien quémandeur, mais moins bien traîté, car je ne reçus ayucune miette du festin, seulement des regards méfiants et une réaction agacée de la part des serveuses au tablier coquet. C'est un souvenir qui me poursuit encore aujourd'hui.
Il me reste de cette période un manuscrit intitulé Journal d'Automne, qui me paraît rendre l'atmosphère d'un lieu, qui hélas a disparu aujourd'hui, ayant perdu son caractère fortement onirique. Oh ! Cette sablière, située entre Bourron-Marlotte et le merveilleux petit hôtel-restaurant située sur les eaux bouillonnantes. Encore un endroit inaccessible ! La sablière était une vaste étendue valonnée, blanche comme de la neige, enserrée entre les bouleaux et les sapins. Un jour, je m'y trouvais pendant qu'il neigeait au couchant des flocons d'or avec un arc-en-ciel en fond de ciel mauve. Pourquoi recherches de l'exotisme aux antipodes, me murmurait mon âme en feu?
Une autre impulsion me poussa a confectionner ce journal d'automne. La révélation de la beauté d'un certain papier à la cuve du moulinr Richard de Bas, aujourd'hui disparu. Dalì l'avait utilisé pour la couverture de l'Apocalypse, l'incorporant à toutes sortes d'ingrédients. Braque l'avait aussi estampé, je crois. Ils me servirent d'inspiration. Faute de plumes calligraphiques (inexistant à ce moment là, il n'y avait que des plumes d'oiseau), j'utilisai un stylo tubulaire à fil et la seule variation expressive consista dans le mélange des encres. J'utilisais pour ce manuscrit un bleu gris comme le ciel de recloses, et un brun ocre, rappelant la riche glèbe des champs.
J'avais donc trente ans à cette époque.
Une des rues typiques de la région, ici Villiez-sous-Grez
Les environs de Recloses. La plaine était concave comme une planète de petite taille, je pouvais parcourir une dizaine de kilimètres sans rencontrer un être vivant. Le bruit du vent, et c'est tout. Réalisé avec une tempera de Muzii, au miel et à l'oeuf, aujourd'hui introuvable.
Le format très allongé du manuscrit ne permet de saisir que des détails.
CARNAVAL
De tous mes manuscrits à peintures, celui-ci est peut-être mon préféré par son laconisme de Hai-ku, et sa variété sous un petit volume. Comme les autres, mais plus que les autres, il simule les éditions de tête avec leurs suites sur différents papiers et leurs suppléments.
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Les photos ci-dessus, sont scannées et ne rendent pas compte de la matière du japon nacré et de la tempera de Musii. Ci-dessous les photos prises au coolpix.
Le premier "Haï-ku", Masques et étendards, se réfère à deux sources.Tout d'abord le carnaval de Vienne de Schumann que j'entendis par Sjatoslav Richter dans une interprétation indépassable. Puis un rève qui m'impressionna passablement. Je me trouvai mêlé dans la procession qui remontait vers une destination mystérieuse, et j'eus un coup de foudre pour une des jeunes femmes qui regardaient le courant ascendant. D'un coup d'aile (car je devais être un oiseau, je me perchai sur son balcon, et elle ôta son masque. Une tête de bourrique apparut alors. Un grand cri et je m'éveillai.
Le second,"les yeux de L.H." fait allusion à la couleur extraordinaire de ceux de mon ami. Un mélange de violet et de vert, que j'expérimentai maintes fois pour reproduire le ciel de Recloses. Dans l'illustration, j'en donne une autre évocation, celle d'une mer du nord un peu agitée. Il est suivi par "les cheveux de C.H". Il s'agit de Christiane Hall-Bentzinger, sa soeur, dont j'admirais éperdument les cheveux d'or pâle, épais et rêches, qu'elle avait du mal à discipliner. Je 'en retrouvai la magie dans les champs d'orge niellés de la plaine de Recloses, de même que la peau bronzée, dans la glèbe brulée, les yeux dans les bleuets, les lèvres de corail dans les coquelicots.
Le quatrième Haï-ku, Le chant de Hellewijn fait explicitement allusion à la légende de De Coster, qui devait connaître par la suite une place centrale dans L'Entretien. Il décrit la fascination morbide et vénéneuse exercée par le summum de la perversité : la fusion de la beauté physique et du sadisme essentiel. Ajoutez à cela un mélange de charme, de séduction, de tendresse authentique, magnifiés par la possession du pouvoir et de la fortune, et de la puissance sexuelle, et vous aurez une idée de ce que Coetzee appelle l'esprit du mal.
Le texte qui accompagne les illustrations datées des années 50 dans ce qu'elles ont de démodé, sont explicites :
L'astre menace/les moustiques volent bas/sur le lac dormant/ce soir tu m'appartiendras.
Je te désire/de toute ma chaleur/je te désire/et tu seras à moi/ce soir/a moi malgré toi/par toi/vaincue/je te veux/de toute lamagie/de ma hai,e/viens y goûter/ne resiste pas.
Ainsi parla Hellewijn/et elle céda.
Si je pratique ainsi l'autocitation, c'est parce que l'Idylle entre L.H II et Clara, est déjà en germe dans ces quelques lignes.
Si Miroir, est une pièce desespérée, où l'auteur, exclu de toute société, se réfugie dans l'imaginaire, ce qui suit, Sérénade en dépit de son ambiance feutrée, est un écho atténué comme une réponse érotique au Chant de Hellewijn. Comme dans les chansons de la vallée - rien n'est plus effrayant que ces faux pays d'accueil. où se réfugient les artistes en rupture de ban de la société. On rappellera à ce propos la fin du Chant de la Terre de Gustav Mahler, en quête d'une retraite au delà des montagnes. Sérénade sera développée in extenso dans la deuxième partie de L'Entretien Banlieue,les armes de la mort joyeuse) où le héros inspiré par L.H. I, et par bien de jeunes fanatiques en quête de gloire, étouffe dans la banlieue médiocre des quartiers limitrophes des riches stations de la côte d'Azur, ici, Juan-les-Pins.
Avec De la loge , on change radicalement de registre. La référence au cheval blanc de L'Apocalypse, au glamour et aux projecteurs qui magnifient le vainqueur, l'arc de triomphe vers lequel converge la perspective, est une pendant de la fascination qu'exerce Hellewijn. L'un pervertit les masses,l'autre les âmes.
Le texte est explicite : Exister/se laisser/bercer par/les ans/jusqu'a en/mourir.
Il montre l'autre versant de la fascination exercée par les dictatures, et les armes de la distraction massive exercée par les maîtres du monde. Elle a pour but de décerveler les consommateurs, les "insectiser" leur infuser le culte de l'hédonisme le plus puéril, en vérité, ce sont des armes de destruction massive de ce qu'il y a d'humain dans l'homme. Si l'on y songe bien, y-a-t-il moins de perversion chez tel honnête VP.marketing d'un multinationale prospère, que chez Hellewijn?
Le texte est explicite : trois bestioles répugnantes, se promènent sur la grève et déterrent un crâne. Ils sont venus trop tôt, mais bientôt, mais bientôt... On fait allusion à tous les récits d'horreur tels que les dernières séquences de Rèves de Kurosawa, oùl'on voit pousser des hybrides inquiétants et immondes, survivants à la catastrophe nucléaire. Quand? Bientôt ou jamais? Pour l'instant les cris d'alarmes viennent des thrillers à grand succès, rien d'officiel.
Ci dessus, la planche sur japon nacré et tempera de Musii dissimulée derrière une protection en papier japonais, telle qu'on la voit dans le manuscrit. Au dessous, l'illustration à l'état nu.
HORS DES SENTIERS BATTUS (Voyage d'Hiver)
L'avant dernière page de Voyage d'Hiver (hors des Sentiers battus)
Voyage d'Hiver, colophon.
J'avais alors dépassé la trentaine, et je suis rétrospectivement épouvanté, lorsque je songe où des jeunes hommes bâtissent des fortunes, des savants publient leurs théories les plus originales, les artistes, ont déjà une oeuvre aboutie et mûre derrière eux, je traînais lamentablement mon mal-vivre, adolescent attardé physiquement, spirituellement et culturellement. Je ne l'ignorais pas alors, et je me demandais avec angoisse, comment tout cela se terminerait. Mon père n'affirmait-il pas que j'échouerai comme un laborantin, à essuyer les paillasses et les éprouvettes. Et ma mère, qu'un souffle suffirait pour m'abattre physiquement? Après l'épisode traumatisant de ma rencontre avec L.H. I j'eus l'outrecuidance de penser que je pourrais me construire tout seul. J'échouai. Le temps, perdu, assassiné par ma paresse foncière, pouvait cependant être plus mal employé. Il me fut donné, par le dénuement financier où me plongeait mon père, qui estimait que je n'avais qu'à dépenser ce que je gagnais, d'éviter de fréquenter mes camarades et de futiles petites amies, si je n'attirai guère au moins puis-je me garder des influences néfastes. Je fus donc obligé de me réfugier dans mon univers intérieur, mais aussi dans le contact intime et prolongé avec la nature dans ce qu'elle a de plus poétique, chargée d'histoire et dont le silence permettait à mon discours intérieur de se tenir sans interruption pendant deux jours par semaine. Le livre manuscrit "hors de sentiers battus" est une exacte description de cette période de Recloses, la plus fantasmagorique de mon parcours. C'est un véritable journal auquel je me confie, un peut comme avec vous mes chers internautes, mais évidemment avec encore plus de liberté sinon de spontanéité. Cet ouvrage écrit sur BFK de Rives avec un Montblanc à encre de Chine, montre une rare maladresse qui apparaît lors des agrandissements. Ce n'est qu'avec La Flûte de Jade, que j'acquis une sûreté de main qui me permit de suivre avec fruit l'apprentissage avec le grand calligraphe Claude Mediavilla. On notera enfin les tonalités violettes où de mêlent un rose mélancolique, et qui constituent la note unificatrice de ce livre.
HISTOIRE D'UN FLEUVE, CHANSONS DE LA VALLÉE
Histoire d'un fleuve, III, Plaine. Report d'encre typographique sur papier japon impérial.
Chansons de la vallée IV. Deuxième version sur BFK Rives.
Chansons de La Vallée. IV. Hiver. Dernière page. Caractères bâton sur japon impérial. 9 Juin 1962.
Ci-dessous, histoire d'un fleuve II sur papier de Rives et papier translucide.
Mer, Histoire d'un fleuve IV. Deuxième version sur BFK de Rives. Caractères imitant l'Europe de Iliazd. 6 juillet 1962.
Ce manuscrit revêtit une telle importance pour moi, que je le recommençai sur de nouvelles bases la même année. Les sources en sont clairement identifiées. La structure est simple et très claire. Le titre global s'appelle Des êtres et des pays étranges, en hommage du cycle de Schumann (Chansons de la Forêt). Le mot "Etranger" chez Schumann est devenu "étrange" chez moi. Le second apport a été le cycle voisin de Wang Wei, peut-être le plus grand poète et peintre chinois. antérieur à la Chansons de la Vallée
Ce cycle est l'exact pendant du précédent. Dans le premier mouvement, allegro moderato, on trouve le poète parvenu au pays espéré à la fin du premier cycle. Silence, beauté, poésie. (La retraîte). Le second mouvement, adagio, (La maison au fond des bois) évoque le charme des demeures passées et oubliées : silence et sommeil. Le troisième mouvement (Danse champêtre) est un scherzo de forme traditionnelle ironique comme le demande le genre. Ce qu'on prenait pour la réalité, n'est que fantasme. Le dernier mouvement ( Les Saisons, Thème varié) condense toute la forme et la matière du cycle. Il est quatripartite comme l'exige la succession des saisons. Le printemps est une pièce très courte, un Haï-ku, c'est un allegro alerte, l'été est écrasé par le silence et la chaleur, il est plus développé que le précédent et constitue un adagio somnolent, le troisième mouvement, l'automne est inquiétant et spectral, c'est un pressentiment de ce qui suivra. L'hiver, qui comprend à son tour quatre strophes, finit dans le désespoir. Il montre le danger de s'isoler dans un univers intérieur où une solitude pire que la solitude vous glace les os
LE PREMIER VOYAGE DE PRINTEMPS.
Ce fut un des moments de pur bonheur, où s'estompe la frontière entre le rève et la réalité. Je n'avais pas encore atteint la trentaine et j'étais devenu le chou-chou du BHV dont le Président, Georges Lillaz, veillait jalousement sur ma santé, fort chancelante alors. Je sortais d'une forte grippe et pour hâter mon rétablissement, on m'interdit de regagner mon bureau du sous-sol. On mit à ma disposition la vieille Rolls-Royce du président d'alors, M.Viguier et on m'envoya me reposer et me refaire une santé dans un patelin entre Seine et Eure nommé Vironvay. L'auberge, "Les Saisons" restaurant réputé des environs tenu par l'excellent monsieur Bouchinet, consistait en une dizaine de jolis pavillon d'un étage disséminés dans un pré à vaches. Ma chambre, " La Mamounia" était située au premier étage du pavillon baptisé "Les Roses". Elle était de style marocain avec la baignoire dans la chambre. En prenant mon bain je voyais les vaches déambuler dans le prés. Si la plaine de Recloses était vide, désespérément vide, celle de Vironvay, située sur les hauteurs, dominant Louviers et St. Pierre du Vauvray était littéralement infestée par les vaches. J'ai passé mon temps à croquer des vaches, très vite parce que contrairement à ce qu'on pense, ce bêtes n'arrètent pas de bouger. Je crois avoir écrit ailleurs mes incursions à Louviers, dans la vallée où on montrait la maison de Lady Patachou. Et mes promenades sur les collines avoisinantes, de l'autre côté de l'Eure, où les jolies villas bourgeoises résidences de vacances de familles heureuses, cossues et sans problèmes, me remplissaient de nostalgie, moi,errant sans toit sur la tête.
Ci-contre,
vue de ma chambre
LES MANUSCRITS AUXILIAIRES
Ils sont beaucoup moins importants que les précédents, car ils correspondent à des textes publiés. Et bien entendu la grande partie de la production, en quantité et en qualité, est destinée à la BNF ce qui les soustrait à l'héritage.
EMPREINTES
Il s'agit du manuscrit original de l'ouvrage édité aux Editions d'Organisation, si ma mémoire est bonne.
DÉCODAGES
Ci-dessus un grand volume format Jesus.
Ce manuscrit en deux tomes a été réalisé comme dans un état second. Il est associé à l'un des moments les plus douloureux de ma vie. Ma femme, ma chère Christa, était plongée dans le coma et je la veillais avec sa mère, qui fit preuve d'un courage admirable. Pas un pleur, pas un mot car les grandes douleurs sont souvent muettes.
MAKEMONO D'APRÈS SESSHU
Ci-dessus, deux pages du makemono d'après Sesshu
J'y ai mis à profit les leçons de peinture chinoise que m'a prodiguées sans compter Chou-Ling. Evidemment l'inspiration venait du plus grand peintre japonais : le bonze Sesshu, et l'évocation, des paysages rocheux hérissés de pins des gorges de Franchard, en Forêt de Fontainebleau, mais avant tout du formalisme chinois qui apprend ceomment "écrire" un arbre ou des rochers moussus.
UN "ART DE FRANCE" FACTICE
Je fus séduit par une nouvelle revue d'un haut niveau culturel et qui ambitionnait de surclasser toutes les autres. J'essayai d'en faire un fac simile en traitant de l'évolution de l'écriture et les cours de Chou Ling sur la peinture chinoise, qui m'apprit à écrire un arbre, des rochers, des cascades, des pics et des dômes. Puis il fallait avec ces éléments de base, les composer librement mais savamment, pour atteindre une logique poétique.
Ci-dessous vous trouveres une page de calligraphie renaissance, bien maladroite car je ne connaissais guère les instruments adéquats et je dessinais au lieu d'écrire. Suivent quelques exercices de peinture chinoise élémentaire.