Billets marqués comme nostalgie
Tuesday, 20 November 2007
Les fraises sauvages
Les deux cinéastes que je révère le plus sont Ingmar Begman (la Flûte Enchantée, le Septième Sceau, les Fraises Sauvages), et Fédérico Fellini (Le Satyricon, Giulietta delli Spiriti) Alors que le Septième Sceau et Le Satyricon, sont des monuments d'horreur, chacun dans son régistre : pompéien ou médiéval, les Fraises Sauvages et Giuliette, sont des miracles d'évanescence, de nostalgie magnifiés par des images d'une pénétrante profondeur, excitant les fibres les plus sensibles de notre mémoire.
L'histoire des fraises sauvages, comme son nom ne l'indique pas, est le périple d'n vieil homme qui se rend à Stockholm pour recevoir le prix Nobel et qui s'interroge sur le sens de sa vie écoulée; je crois que Selma Lagerlöv et la fausse Elisabeth Costello, parcourent une voie mentale parallèle, bercés par le balancement régulier et doux du wagon. La somnolence s'installe et entre les portées musicales du ronronnement monotone, se glissent des parasites, bientôt prenant forme de scénario décousu.
Dimanche dernier, Alexandre (un de mes Alexandre, devinez lequel) vint me chercher pour m'emmener à Lille. Il est généralement d'un abord glacial avec moi, mais séduisant et irresistible avec son entourage. Je lui demandai pourquoi cette différence, il me répondit avec pertinence : je ne sais pas. Je dus m'en contenter.
Alexandre est un gardien parfait de l'orthodoxie de ce blog. Il n'y a aucun épanchement sentimental à en attendre. Parfaitement pragmatique, il me prend pour ce que je suis : un modeste professeur, susceptible mieux que quiconque de le faire accéder aux "veines de dragon" qui assurent la trame de la vie. Il a tous les biens matériels, et je n'ai que mon intégrité et ma passion d'enseigner; c'est dire,que si je suis toléré dans la cour des grands, je n'y suis guère admis.
Or Dimanche dernier, un événement significatif se produisit qui me toucha beaucoup. Il insista pour voir mon "album de famille" et en éplucha avec attention chaque image. A la fin, il me dit "je suis content d'avoir vu cela, je vous connais mieux à présent". J'avais donc cessé d'être une sorte de volatile déplumé, pour devenir un être humain en chair et en os, qu'on puisse aimer ou détester.
En se promenant parmi les images en désordre, je revis un promeneur isolé, nostalgique,essayant d'établir un dialogue avec les êtres chéris et passés comme les feuilles d'un herbier. Et puis, voici que mon employée de maison, jette un oeil sur un dessin et s'exclame : mais c'est le jeune homme qui est au salon! Je lui répondis que c'était impossible, car celui du dessin datait de plus de cinquante ans. Il avait 22 ans et moi 24. Mais je m'avisai par la suite que le caractère, la situation, l'énergie conquérante, les cheveux blonds rabattus sur le front, la laconisme, en faisaient des jumeaux - par delà les décennies.
Ce jeune homme fut mon seul ami. Je lui prédisis un sort de pouvoir et de fécondité. Issu d'une puissante dynastie, il en fonda la sienne propre et aujourd'hui il figure avec les Deripaska parmis les grands de ce monde. La mort dans l'âme, je rompis avec lui au bout d'un an...lui, le seul qui s'interessât au chétif que tous rejetaient. Une affection, une tendresse infinie nous liait, ce qui nous séparait était mon catholicisme étroit, ma réprobation pour un homme de guerre, un lutteur implacable, capable de cruauté patiente et sadique, et antisémite de surcroît. Un monstre pour le puritain que j'étais... Je ne regretterai jamais assez le rejet que j'opposai à mon seul ami. Par la suite je tombai follement amoureux d'une jeune allemande, Christine, issue d'une dynastie de Bielefeld, elle rompit sous l'influence de ses proches pour se marier avec l'ami de son frère; propriété de l'aciérie contigu. En fait, je n'avais pas ma place ni auprès de mon ami ni de ma fiancée.
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Monday, 15 October 2007
Le Chant de la Terre de Gustave Mahler
La trilogie de Li-Tai-Po (702-763)
Texte revu et corrigé .
Les mouvements 3, 4 et 5 forment un tryptique dont la partie centrale est une pièce nostalgique contrastant avec l'ironie des mouvements qui l'encadrent. Ce billet n'est pas consacré à l'analyse musicale de l'oeuvre, mais à sa structure sémantique et aux déformations qu'à subi le poème en passant de Toussaint à Bechtle avant d'être tranfiguré par l'art du dernier Mahler. On verra que Bechtle développe à partir de l'original de Li-Tai-Po les connotations personnelles qui attirèrent le musicien comme étant en accord avec ses émotions les plus douloureuses, les plus profondes. Ce qui frappe dans les trois oeuvres est une ironie, qui légère et teintée de mélancolie au départ, incisive, voire cruelle à la fin, laisse libre court dans la partie centrale à l'émotion la plus douloureuse. La musique suit, évidemment.
Note : le texte de Bechtle qui sert de support à Mahler est en vert, l'original de Li-Tai-Po traduit par Franz Toussaint, en violet. Comparez et communiquez-moi votre sentiment.
Le quatrième mouvement du Chant de la Terre. Partie centrale du scherzo.
De la Beauté
Sur les bords du Jo-Yeh
Introduction orchestrale
Des jeunes filles cueillent des fleurs,
cueillent des fleurs de lotus qu bord de l'eau.
Des jeunes filles cueillent des nénuphars
sur les bords du Jo-Yeh
Entre les buissons et les feuilles elles sont assises
elles assemblent des fleurs sur leur genoux, s'interpellent et se taquinent.
Parmi les bambous, elles s'interpellent et se cachent en riant.
Le soleil doré flotte autour de leur corps
les reflètent dans l'eau étincelante.
Le soleil reflète leurs formes élancées
leurs tendres yeux
et le Zephyr soulève et caresse le tissu
de leurs manches, répand le charme
de leur arôme à travers l'air.
L'eau réfléchit leurs belles robes
qui parfument la brise.
O vois, quels sont ces beaux garçons qui s'ébattent
là-bas, au bord de l'eau sur leurs fiers coursiers?
Au loin ils brillent come les rayons du soleil;
voici qu'à travers les branches des saules verts
arrive au galop leur jeune troupe!
Des cavaliers passent entre les saules de la rive...
Le cheval de l'un d'eux hennit joyeusement,
s'effraie et passe en coup de vent.
Un des chevaux hennit. Son maître regarde en vain de tous côtés
puis s'éloigne.
Interlude orchestral
Sur les fleurs, sur les herbes tressautent les sabots.
Ils piétinent en un tourbillon impétueux
les fleurs qui s'abattent.
Holà, quel remous agite sa crinière,
comme fument ses nasaux brûlants!
Le soleil d'or flotte autour de leurs corps,
les reflète dans l'eau étincelante.
Et la plus belle des jeunes filles
lui adresse de longs regards pleins de désir.
Sa fière attitude n'est qu'un semblant.
Dans l'étincelle de ses grands yeux,
dans la noirceur de son regard brûlant,
bat l'onde plaintive de l'exaltation de son coeur.
Une des jeunes filles laisse tomber ses nénuphars
et comprime son coeur qui bat à grands coups
Epilogue orchestral
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Thursday, 30 August 2007
Voyage d'Hiver
Note : les trois billets de la série "Le samovar de Galina Zoubov", sont des exercices de décodage. Les poèmes commentés par l'assistance choisie par Zoubov, contiennent en fait des pièges, que vous découvrirez peut-être, car je me garde bien de les signaler. Plus tard, peut-être. Disons, que derrière l'information poétique et l'atmosphère post-romantique de ces textes, de cache une autre information qui n'est ni poétique, ni, encore moins, sentimentale. Pour ceux qui veulent aller plus loin, je signale Les Sonnets de Shakespeare, Le Chant de la Terre de Gustav Mahler dans la version de Klemperer (et à ne pas télécharger, car le son est important,ainsi que le livret bilingue), et La Flûte de Jade de Franz Toussaint, dans l'édition Piazza, épuisée, mais peut-être accessible sur Amazon ou ailleurs dans le Net. Cherchez Google.
JOHN ABELL
I. Prologue
Cette nuit, j'ai joué ma dernière partie et j'ai perdu. Je contemple les nuits perdues auprès de toi et pleure mes premières larmes adultes. Tu m'as blessé et je ne pouvais me justifier tant tu croyais comprendre. Cette nuit, je cède. Non. Je lutte en cette heure de mon dernier combat. Des perspectives lointaines traversées par de grands vents hurlants m’apparaissent. Déchiré, mutilé, ne sachant où aller, je sors anéanti de notre dernière rencontre, et tu croyais donner! Qu'adviendra-t-il de ma pensée, jadis close et compacte?
La jeunesse ne m'a pas été douce.
Continuer à lire "Le samovar de Galina Zoubov III"
Saturday, 28 July 2007
Aimez-vous Brahms?
J'écoute très peu de musique enregistrée chez moi, et ailleurs. J'ai une assez bonne mémoire musicale, et je puis à volonté me souvenir des pièces entendues et jouées pendant une vie. Je travaille en me concentrant sur des oeuvres énigmatiques, à la recherche de secrets pressentis et enfouis, bien au delà des notes.
J'ai passé ces jours-ci par des moments éprouvants et de nature à vous emplir à la fois d'enthousiasme et de déception. Un des soutiens les plus précieux a été ce blog, par une certaine affection que je sens -peut être à tort- dans ces passagers inconnus et en particulier ceux qui de minuit à neuf heures du matin se pressent nombreux pendant que je rédige ces lignes. Certains ce sont matérialisés par leurs commentaires, d'autres ont été plus loin et se sont fait connaître par leurs emails, un est même apparu en chair et en os me rendre visite! Mais j'ai ressenti la même présence familière et bienveillante, que m'ont toujours prodigué les étudiants de ma chaire du CNAM. Je les regrette. Ne croyez surtout pas que je sois dépourvu de discernement. En fait je suis très sélectif. J'ai eu une antipathie largement partagée pour les auditeurs de l'APM, qui attire des conférenciers de renom et composés de gens qui se croient arrivés : cadres supérieurs de grandes boites, petits patrons de petites entreprises, roitelets dans leur patelin, tous empreints de condescendance. J'avoue ne pas avoir aimé non plus mon public de HEC, ni les graduates de Wharton. En faisant les comptes, je ne trouve que mes séminaires pour une grande entreprise du Nord, avec des gens venus de la base, désireux de s'instruire, mon public du CNAM, des fidèles, des amis, et enfin à présent mes internautes auquel je m'attache comme si je les conaissais. C'est Beethoven qui à propos de la Missa Solemnis écrivait en exergue "que venu du coeur, cela aille au coeur". Et pourtant cette fresque digne de la Sixtine, contient des passages parmi les plus complexes jamais composés, conçus dans les affres du travail le plus laborieux et le plus douloureux, au terme d'une lutte entre les forces de la convention et celles de la novation. Ainsi le dernier billet de Marina Fédier trouve-t-elle l'illustration la plus frappante dans cette oeuvre transcendante qui, selon l'expression du génie de Bonn, a infusé dans les formes anciennes l'esprit le plus libre.
J'ai réécouté ce soir des pièces tardives pour piano de Johannes Brahms (les op. 118 et 119). L'interprétation admirable de Julius Katchen est toute entière orientée vers l'expression alors que celle, respectueuse du texte de Klien (cf. Brahms quatres ballades) reste en déça. Mais, paradoxe, c'est la version neutre qui l'emporte, car la nostagie du compositeur n'interfère pas avec celle que veut lui infuser l'interprète.
Ces considérations ne sont pas destinées à des musiciens ni à ces mélomanes qui courent les concerts. Les intermezzi de Brahms op.118, non plus.
J'ai écouté ces pièces toute ma vie, mais depuis une vingtaine d'années je les ai perdues de vue. Dans l'intervalle j'ai travaillé les quatre ballades op.10.
Par hasard j'ai écouté sur ma médiocre chaîne d'appoint ces pensées musicales, courtes, évasives, humbles et j'ai ressenti l'âme désenchantée du compositeur s'emparer de mon esprit, de mon coeur, de mes sens. J'ai pleuré à la pensée des souffrances que cet homme a dû enduré pour composer ces miniatures de douceur et d'amertume. Beaucoup de regrets d'une vie sentimentale absente, d'un cancer affectif qui ronge l'âme et pis encore de résignation.
Mais, voilà. On sort de ces vingt minutes d'audition, bouleversés par la beauté inouïe des mélodies, par la subtilité indicible de leur traitement, de l'oxymoron musical : solitude sans fond et sans fin, rêve d'amour et de tendresse, composition d'une rigueur et d'une raffinement insurpassable mais toujours au service de l'expression.
Le privilège d'écouter cette demi-heure de musique, vaut une vie de renoncements. C'est une expérience inimaginable pour qui n'a pas gôuté au sommet de l'art musical, et même pour des mélomanes épris d'oeuvres plus imposantes. Aussi, je voudrais faire un pari avec ceux d'entre vous qui n'êtes pas allergiques à la musique classique.
Achetez les pièces op.118 et 119 de Brahms par Bakhaus (Decca) ou par Katchen (dans l'intégrale de Decca). N'écoutez qu'elles pendant une semaine, à l'exclusion de toute autre musique. Au début vous n'entendrez que des notes informes, ternes, sans relief et peu séduisantes. Continuez. Les mélodies commenceront à apparaître, environnées d'une soupe de sonorités insaisissables. Persistez. Le polaroïd musical continuera de se développer. Il arrivera un moment où tout semblera clair, chantant, logique, et beau. Abandonnez l'écoute, et revenez-y au bout d'une semaine. Un travail de murissement aura décanté les notes. Les mélodies se transmueront instantanément en une plainte d'une douceur infinie : vous parlerez avec Brahms, comme Bach parlait avec Dieu.
Si je vous conseille cette immersion c'est qu'elle est de courte durée et que dévoilées ces petites pièces vous feront comprendre pourquoi les musiciens les considèrent comme le chef d'oeuvre absolu du grand compositeur.
Continuer à lire "Le journal du 29 juillet 2007"
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