Friday, 12 October 2007
Désenchantement
Il arrive parfois que les vagues grises de la déception recouvrent les plaines fertiles de l'imagination. Il suffit de peu pour que la tristesse déborde. Ce soir j'ai laissé tomber mon téléphone portable dans la baignoire. On ne peut plus me joindre. Plus tard, j'ai essayé d'expliquer le Ring à Alexandre Hall-Bentzinger, mais j'étais sans cesse interrompu par des communications urgentes qui me rappelaient qu'il est pris par des occupations autrement importantes que les aventures de Wotan. Je me suis senti misérable et inutile. Que pèse la culture humaniste dans un monde gouverné par le pouvoir et l'argent ?
Pour couronner le tout, j'ai eu droit de la part d'un soviétologue renommé à un discours sur l'âme russe (mais n'est-il pas applicable aux grands qui nous dominent?). Sans penser à mal, les Slaves vous posent des lapins, changent d'idée comme de chemise, renient des promesses jurées dans l'élan de l'instant, pour renier ensuite leur reniement, passent des déclarations les plus chaleureuses à l'indifférence la plus glaciale... Comment l'amitié peut-elle naître et tenir sur ce sol ingrat, balayé par le vent du caprice, où l'oubli gomme les projets les plus audacieux, où tout est mirage? Cette question peut vous laisser indifférents sauf lorsque vous êtes engagés dans une relation amicale et profonde, ce qui est mon cas.
En guise de consolation, j'ouvre mon recueil de La Flûte de Jade, qui a servi de source d'inspiration à Mahler pour son Chant de la Terre et qui mieux que n'importe quelle poésie , résonne dans mon âme. J'en relis quelques uns de ces concentrés de vie douce-amère.
Je me promenais
En files noires de oies sauvages traversent le ciel;
On voit dans les arbres des nids abandonnés
Les montagnes semblent plus lourdes
J'ai trouvé, près de la fontaine, la flûte de jade que tu avais perdue, cet été; l'herbe haute l'avait soustraite à nos recherches. Mais l'herbe est morte, et ta flute brillait au soleil, ce soir.
J'ai pensé à notre amour,qui est resté si longtemps enseveli sous nos scrupules.
Chang Wou Kien 1879
Sagesse
Lorsqu'une femme te parle, souris et ne l'écoute pas. Livre des rites, 7e siècle av.J.C.
Notre bateau glisse sur le fleuve calme
Au delà du verger qui borde la rive, je regarde les montagnes bleues et les nuages blancs
Mon amie sommeille, la main dans l'eau. Un papillon s'est posé sur son épaule, a battu des ailes, puis s'est envolé. Je l'ai suivi des yeux, longtemps. Il se dirigeait vers les montagnes de Tchang-nân. Etait-ce un papillon ou le rêve que venait de faire mon amie?
Chang Wou Kien
Le bonheur
Je suis vieux. Rien ne m'intéresse plus. D'ailleurs je ne suis pas très intelligent, et mes idées ne sont jamais allées plus loin que mes pas.
Les doigts bleus de la lune caressent mon luth.Le vent qui disperse les nuages, cherche à dénouer ma ceinture.
Vous me demandez quel est le suprême bonheur ici-bas?
C'est d'écouter la chanson d'une petite fille qui séloigne après vous avoir demandé son chemin.
Le livre des Rites
Les trois princesses
Au pays de Sin, trois princesses, jeunes et belles, sont assises sur une plage blanche. Elles cherchent du regard une nef qui les emmenerait, très loin, au delà de l'horizon, vers une île qui doit exister, où les femmes sont heureuses. La mer est bleue.
Au pays de Sin, trois princesses, qui ne sont plus ni jeunes ni belles, pleurent debout, sur une plage blanche. La mer est bleue.
Au pays de Sin, trois princesses ,, vieilles et sans voix, sont accroupies sur une plage blanche. Elles jouent avec le sable et s'en inondent les cheveux, croyant que les grains de sable sont des fleurs. La mer est bleue.
La Ksu Feng. IIIe siècle de l'ère chrétienne.
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Beethoven. Concerto N°4. Wilhelm Backhaus et Karl Böhm. Wiener symphoniker. (avec la 2eme Symphonie de Brahms). 3 avril 1967 (Unitel). ***
Enfin un enregistrement convenable de celui qui est peut-être le plus grand pianiste allemand : Wilhelm Backhaus, et en DVD de surcroît. Il incarnait l'école classique dans la droite ligne de Beethoven, Czerny, Brahms, Liszt, Eugène d'Albert. Je fus moi-même élevé dans cette atmosphère où curieusement le respect le plus scrupuleux de la lettre musicale, fusionnait avec un mysticisme quasi religieux, l'autorité peremptoire du maître : celui qui sait et a gagné durement son savoir, et l'humilité du dépositaire de la pensée du génie.
Le jeu de Backhaus a valeur d'évidence, il n'admet pas de discussion tant chez lui une technique transcendante se cache derrière une simplicité et une sérénité olympiennes. Comme Toscanini, il s'impose à toutes les grandes âmes et fait grincer les dents aux snobs pommadés, et aux critiques en quête de polémique. Le minuscule Clarendon, dont le titre de gloire fut les orgues de St. Louis des Invalides, coqueluche du beau monde et chroniqueur au Figaro, l'étrilla bien souvent en le comparant à un maître d'école laborieux. Cette condescendance jointe à d'autres aigreurs, décida Backhaus à ne plus remettre les pieds dans la capitale. En soliste du moins, car en tournée il exécuta le IX concerto de Beethoven qu'il affectionnait tout particulièrement.
Je le comprends car d'entre tous les concertos il est le plus personnel, le plus empreint de nostalgie, voire de menaces (le second mouvement). Sa séduction est immédiate et Beethoven montre sa capacité à renouveler un simple rythme, celui de la Veme symphonie, qu'on nomme stupidement " le destin frappe à la porte". C'est une des oeuvres les plus accessibles et le profane peut très bien commencer par là sa quête initiatique. Au plaisir de l'écoute s'ajoute un supplément de nostalgie, d'humour, et de splendeur sans panache. L'oeuvre demeure intime.
Sonate op. 106, Wilhelm Kempff.
Radio Canada;émission télévisée 29 novembre 1964. ***
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Thursday, 11 October 2007
Eblouissement funèbre
Roméo et Juliette de Berlioz, ballet de Sasha Waltz
Je viens de rentrer de l'Opera Bastille et sous le coup de l'émotion, j'ai pondu un billet de quelques dizaines de pages. Rassurez-vous, je ne vous les infligerai pas : je ne sais comment, tout à disparu soudain par un caprice de l'informatique, sans que j'aie commis la moindre fausse manoeuvre. J'enrage,car j'étais content de ces notes où je donnais libre cours à l'admiration que je porte à cette grandiose réalisation, que je considère comme un des moments qui jalonnent une vie.
Patience.Je dois tout recommencer, mais en reformulant d'une manière plus froide mes impressions et forcément plus synthétique.
Dieu sait combien je déteste cette salle funèbre de l'Opera Bastille, morgue tendue de tissu noir, baignant dans une lumière cendrée tombant du zénith. Mais je dois reconnaître qu'elle me paraît idéalement adaptée pour deux spectacles : Tristan et Isolde par Bill Viola (dirigé par Valery Gergiev), Roméo et Juliette mis en scène par la chorégraphe allemande Sasha Waltz. Dans le premier cas, l'ambiance froide et aseptisée de la salle met en relief les écrans géants de Bill Viola et ses dimensions disproportionnées accentuent le caractère onirique et cosmique du drame. Dans l'oeuvre composite de Berlioz, le classicisme décalé et funèbre répond aux symétries macabres de la salle.
La critique
C'est La Tribune qui me paraît décrire le mieux l'effet produit par la scénographie :
Dans cette immense cage de scène où le noir domine, le plateau est en partie recouvert par deux immenses et très anguleux plateaux d'un blanc intense. D'abord superposés, ils s'ouvrent et forment successivement chambre, mur, et finalement plan uniquement plat. Cette aire très géométrique de tous les possibles rappelle la chambre d'amour comme la tombe. Elle offre de magnifiques images, Roméo grimpant désespérément la paroi (émouvant Hervé Moreau), Juliette recouverte de pierre (Aurélie Dupont très sobre), le couple s'engageant dans un très beau pas de deux, une danse des familles pour une fête délirante en tutu balancé façon tcha-tcha-tcha ...
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Wednesday, 10 October 2007
Chronique
Promenade initiatique pour Ben (La bibliothèque)
Le liste que j'ai jetée dans le blog à l'intention de Ben, comprend pêle-mêle, mes disques préférés, ceux que je puis recommander sans hésiter, sans que l'autosuggestion ou la pulsion mimétique interfèrent dans mon choix. Ce sont des enregistrements que j'ai écouté des dizaines de fois, et comparés avec les autres versions, certains pendant des décennies. Cete liste est livrée sans explications. En faut-il? Il suffit d'écouter une dizaine de fois un quelconque de ces enregistrements, pour comprendre.
Cependant j'ai cru utile d'ajouter les raisons de mon choix dans des billets intitulés la discothèque 1, 2, 3, etc. Chaque soir je tâcherai de remplir les rubriques vides, un peu au choix, ou peut-être par ordre de priorité. Les Ben qui me lisent pourront donc commencer à explorer les disques et DVD dans l'ordre où ils sont commentés.
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Commentaires sur mes disques préférés
DVD.
BEETHOVEN IXeme symphonie. (Avec la Vème). Arturo Toscanini, NBC orchestra. Emission télévisée du 3 avril 1948. *******
Il existe d'innombrables moutures de cette retransmission, en particulier la série de RCA dédiée à toutes les symphonies. A acheter et à conserver comme fonds de vidéothèque.
La IXème symphonie est avec le Chant de la Terre de Mahler, l'une des deux illustrations suprèmes de la forme sonate, où l'expression dramatique et poétique est magnifiée par la subtilité de la composition. Raffinement du contrepoint, novation frappante, économie de moyens, perfection formelle, proportions grandioses et discours d'une exceptionnelle densité, progression inéxorable vers un destin voulu et assumé ou subi , tels sont les caractéristiques qui me fascinent dans ces deux monuments de la musique occidentale, sommets dominant toute la production, testament et acomplissement de l'auteur, style porté à son plus haut point d'incandescence et de perfection.
La version de Toscanini est sèche, mal enregistrée, en noir et blanc, orchestre peu spectaculaire, prise de vue nulle, à peine audible. D'où vient que je l'ai jugée la meilleure version?
Tout d'abord parce que seul Toscanini l'exécute avec une telle rigueur, une telle précision, à une vitesse proche de celle souhaitée par Beethoven (proche des trois quart d'heures). La secheresse des attaques, l'énergie et la passion, mettent en valeur l'extraordinaire dynamisme de cette oeuvre tendue à se rompre, proche de la rupture. La battue sèche et d'une simplicité redoutable, la concentration des traits du maestrissimo donnent une leçon non seulement de contrôle impressionnant de cet instrument qu'est le NBC orchestra, mais aussi de probité totale. Probité, exigence, intégrité, perfection du jeu, engagement, maîtrise suprème, autorité écrasante jusqu'à indisposer les amateurs de belle musique et de sons suaves, quelle leçon de vie, dépassant de loin le simple genre musical.
Pour jouir d'un son à peu près correct, on achètera la version intégrale ofiicielle (EMI, La Voix de Son Maître) enregistrée en 1955 si je ne me trompe. Au moment de la parution les enfants de Vicent Auriol offrirent l'intégrale en microsillon au président de la République Française d'alors. Je l'enviais pour ce don, non pour sa fonction suprème.
CRITIQUE
Les New-yorkais vouaient une véritable vénération pour le maestrissimo, à qui ils avaient offert un orchestre entièrement dédié à ses conceptions et à son art suprème. Il le plia à ses exigences en usant d'un veritable terrorisme et ne se privait pas d'insulter les cantatrices indisciplinées. "Lei è un oca" lança-t-il un jour à une de ces divas à l'ego démusuré, irrespectueuse des volontés du compositeur. (Vous êtes une oie !). Il était tellement immergé dans la partition dont il réveillait les démons que les autres chefs laissent assoupis, qu'il hurlait jusqu'à couvrir le son de l'orchestre pour les premiers rangs.
Le résultat de sa IX ème symphonie est perturbant, bien loin des magies sonores d'un Karajan, de la noblesse de Klemperer. Seuls Leibowitz et Scherchen se rapprochèrent de l'authenticité de la conception beethovénienne, mais ils sont difficilement trouvable. Essayez Scherchen qui dépasse Toscanini en intégrité, mais sans l'extraordinaire maîtrise du maestrissimo. (en CD).
Ainsi que de coutume, une conception aussi radicale ne pouvait qu'agacer les critiques parisiens, plus proches des voluptés debussystes, que de la violence excessive du maître de Bonn. Tout en tressant des lauriers à Toscanini (ils n'osaient tout de même pas l'attaquer de front), ils déploraient hypocritement sa démesure, ses tempi exagérés, sa sécheresse, etc... Oublions les.
Le livre conseillé :
Cet ouvrage, écrit par un non-professionnel, met admirablement en valeur la structure de l'oeuvre. Beethoven déplorait que l'on n'aime pas sa musique mais le bruit qu'elle fait. Ceci est une carte de la musique, particulièrement utile pour aborder le labyrinthe de la plus grande des Symphonies. Les mathématiciens et les informaticiens apprécieront, pas les mélomanes qui se soucient peu de soulever le capot du moteur et qui se contentent de la griserie de la vitesse.
Continuer à lire "Accéder à la culture. La discothèque 1"
Un détail
Un de mes collègues étrangers de passage à Paris m'a fait part de son étonnement sur la capacité de Medusa à diffuser des désinformations grossières sous l'indifférence des élites, sinon leur approbation. Je ne lis plus les journaux et que je ne vois plus les nouvelles (cela n'est permis par le protocole de l'ISD, qu'à certaines période définies, afin d'éviter l'accoutumance aux médias). Je l'ai donc prié de me mettre au courant. En fait il ne s'agit de rien d'autre que d'un des procédés classiques, étudiés en détail dans Virus, et qui réside d'une double opération de contamination. Elle consiste à extraire un mot de son contexte tiré d'un propos de l'homme à diaboliser, et de rechercher un contexte connoté négativement car provenant du diable, et où se trouve ce mot pour créer une association entre les deux émetteurs. Ainsi, si Petain dit que le travail, la famille et la patrie sont choses bonnes et admirables, tout adversaire qui utilisera ces mots sera déclaré pétainiste.
L'application de ce principe concerne le discours de Fillon au sujet du test ADN.
Le contexte était l'abus flagrant du regroupement familial où sous ce prétexte on accueille des populations indésirables car non-intégrables; Ainsi, il suffit qu'une femme suivie de dix enfants africains, déclare qu'ils sont les siens pour qu'immédiatement on leur ouvre les portes de notre pays, quitte à bouleverser durablement l'équilibre démographique. Le test est un des moyens utilisés pour limiter la fraude. Il est sans douleur ni contreindications connues. Sans un tel outil on se condamne à ouvrir nos frontières à n'importe qui et à inciter à la fraude.
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