Musique et drame
Thursday, 11 October 2007
Eblouissement funèbre
Roméo et Juliette de Berlioz, ballet de Sasha Waltz
Je viens de rentrer de l'Opera Bastille et sous le coup de l'émotion, j'ai pondu un billet de quelques dizaines de pages. Rassurez-vous, je ne vous les infligerai pas : je ne sais comment, tout à disparu soudain par un caprice de l'informatique, sans que j'aie commis la moindre fausse manoeuvre. J'enrage,car j'étais content de ces notes où je donnais libre cours à l'admiration que je porte à cette grandiose réalisation, que je considère comme un des moments qui jalonnent une vie.
Patience.Je dois tout recommencer, mais en reformulant d'une manière plus froide mes impressions et forcément plus synthétique.
Dieu sait combien je déteste cette salle funèbre de l'Opera Bastille, morgue tendue de tissu noir, baignant dans une lumière cendrée tombant du zénith. Mais je dois reconnaître qu'elle me paraît idéalement adaptée pour deux spectacles : Tristan et Isolde par Bill Viola (dirigé par Valery Gergiev), Roméo et Juliette mis en scène par la chorégraphe allemande Sasha Waltz. Dans le premier cas, l'ambiance froide et aseptisée de la salle met en relief les écrans géants de Bill Viola et ses dimensions disproportionnées accentuent le caractère onirique et cosmique du drame. Dans l'oeuvre composite de Berlioz, le classicisme décalé et funèbre répond aux symétries macabres de la salle.
La critique
C'est La Tribune qui me paraît décrire le mieux l'effet produit par la scénographie :
Dans cette immense cage de scène où le noir domine, le plateau est en partie recouvert par deux immenses et très anguleux plateaux d'un blanc intense. D'abord superposés, ils s'ouvrent et forment successivement chambre, mur, et finalement plan uniquement plat. Cette aire très géométrique de tous les possibles rappelle la chambre d'amour comme la tombe. Elle offre de magnifiques images, Roméo grimpant désespérément la paroi (émouvant Hervé Moreau), Juliette recouverte de pierre (Aurélie Dupont très sobre), le couple s'engageant dans un très beau pas de deux, une danse des familles pour une fête délirante en tutu balancé façon tcha-tcha-tcha ...
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Wednesday, 10 October 2007
Chronique
Promenade initiatique pour Ben (La bibliothèque)
Le liste que j'ai jetée dans le blog à l'intention de Ben, comprend pêle-mêle, mes disques préférés, ceux que je puis recommander sans hésiter, sans que l'autosuggestion ou la pulsion mimétique interfèrent dans mon choix. Ce sont des enregistrements que j'ai écouté des dizaines de fois, et comparés avec les autres versions, certains pendant des décennies. Cete liste est livrée sans explications. En faut-il? Il suffit d'écouter une dizaine de fois un quelconque de ces enregistrements, pour comprendre.
Cependant j'ai cru utile d'ajouter les raisons de mon choix dans des billets intitulés la discothèque 1, 2, 3, etc. Chaque soir je tâcherai de remplir les rubriques vides, un peu au choix, ou peut-être par ordre de priorité. Les Ben qui me lisent pourront donc commencer à explorer les disques et DVD dans l'ordre où ils sont commentés.
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Commentaires sur mes disques préférés
DVD.
BEETHOVEN IXeme symphonie. (Avec la Vème). Arturo Toscanini, NBC orchestra. Emission télévisée du 3 avril 1948. *******
Il existe d'innombrables moutures de cette retransmission, en particulier la série de RCA dédiée à toutes les symphonies. A acheter et à conserver comme fonds de vidéothèque.
La IXème symphonie est avec le Chant de la Terre de Mahler, l'une des deux illustrations suprèmes de la forme sonate, où l'expression dramatique et poétique est magnifiée par la subtilité de la composition. Raffinement du contrepoint, novation frappante, économie de moyens, perfection formelle, proportions grandioses et discours d'une exceptionnelle densité, progression inéxorable vers un destin voulu et assumé ou subi , tels sont les caractéristiques qui me fascinent dans ces deux monuments de la musique occidentale, sommets dominant toute la production, testament et acomplissement de l'auteur, style porté à son plus haut point d'incandescence et de perfection.
La version de Toscanini est sèche, mal enregistrée, en noir et blanc, orchestre peu spectaculaire, prise de vue nulle, à peine audible. D'où vient que je l'ai jugée la meilleure version?
Tout d'abord parce que seul Toscanini l'exécute avec une telle rigueur, une telle précision, à une vitesse proche de celle souhaitée par Beethoven (proche des trois quart d'heures). La secheresse des attaques, l'énergie et la passion, mettent en valeur l'extraordinaire dynamisme de cette oeuvre tendue à se rompre, proche de la rupture. La battue sèche et d'une simplicité redoutable, la concentration des traits du maestrissimo donnent une leçon non seulement de contrôle impressionnant de cet instrument qu'est le NBC orchestra, mais aussi de probité totale. Probité, exigence, intégrité, perfection du jeu, engagement, maîtrise suprème, autorité écrasante jusqu'à indisposer les amateurs de belle musique et de sons suaves, quelle leçon de vie, dépassant de loin le simple genre musical.
Pour jouir d'un son à peu près correct, on achètera la version intégrale ofiicielle (EMI, La Voix de Son Maître) enregistrée en 1955 si je ne me trompe. Au moment de la parution les enfants de Vicent Auriol offrirent l'intégrale en microsillon au président de la République Française d'alors. Je l'enviais pour ce don, non pour sa fonction suprème.
CRITIQUE
Les New-yorkais vouaient une véritable vénération pour le maestrissimo, à qui ils avaient offert un orchestre entièrement dédié à ses conceptions et à son art suprème. Il le plia à ses exigences en usant d'un veritable terrorisme et ne se privait pas d'insulter les cantatrices indisciplinées. "Lei è un oca" lança-t-il un jour à une de ces divas à l'ego démusuré, irrespectueuse des volontés du compositeur. (Vous êtes une oie !). Il était tellement immergé dans la partition dont il réveillait les démons que les autres chefs laissent assoupis, qu'il hurlait jusqu'à couvrir le son de l'orchestre pour les premiers rangs.
Le résultat de sa IX ème symphonie est perturbant, bien loin des magies sonores d'un Karajan, de la noblesse de Klemperer. Seuls Leibowitz et Scherchen se rapprochèrent de l'authenticité de la conception beethovénienne, mais ils sont difficilement trouvable. Essayez Scherchen qui dépasse Toscanini en intégrité, mais sans l'extraordinaire maîtrise du maestrissimo. (en CD).
Ainsi que de coutume, une conception aussi radicale ne pouvait qu'agacer les critiques parisiens, plus proches des voluptés debussystes, que de la violence excessive du maître de Bonn. Tout en tressant des lauriers à Toscanini (ils n'osaient tout de même pas l'attaquer de front), ils déploraient hypocritement sa démesure, ses tempi exagérés, sa sécheresse, etc... Oublions les.
Le livre conseillé :
Cet ouvrage, écrit par un non-professionnel, met admirablement en valeur la structure de l'oeuvre. Beethoven déplorait que l'on n'aime pas sa musique mais le bruit qu'elle fait. Ceci est une carte de la musique, particulièrement utile pour aborder le labyrinthe de la plus grande des Symphonies. Les mathématiciens et les informaticiens apprécieront, pas les mélomanes qui se soucient peu de soulever le capot du moteur et qui se contentent de la griserie de la vitesse.
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Tuesday, 9 October 2007
Une introduction à la musique classique
Dédié à Ben, un internaute de bonne volonté
On trouvera à la fin de ce billet une liste de disques conseillés
Un parcours initiatique pour la musique classique.
Ce qu'on nomme la musique classique, ou "grande musique" par rapport à la musique de variétés, n’est défini que par l'usage courant qui cependant varie selon les époques. Par exemple, les opéras de Verdi et de Rossini étaient aussi populaires que les productions d'Hollywood, aujourd'hui, et on a oublié les centaines de milliers de symphonies sans intérêt qui pendant deux siècles ont servi de musique décorative aux familles cultivées.
Ce qui permet le mieux d’établir une frontière, est la finalité de la musique classique à atteindre un raffinement technique qui la hausse au dessus d'une simple distraction, un peu comme un poème de Verlaine diffère d'un feuilleton de gare. L’argent produit, le nombre de fans, le succès médiatique, sont des critères, qui primordiaux dans la musique commerciale et populaire, sont secondaires, voire inexistants dans la musique d’élévation. Notre internaute Paul invoquait comme preuve de la qualité de Mireille Mathieu, les nombre de concerts et le nombre de spectateurs par concert. A ce compte, les plus grands compositeurs de ce temps, Dutilleux, Boulez, Glass, Dusapin, Stockhausen… se situeraient tout en bas de l’échelle des valeurs.
Continuer à lire "Accéder à la culture humaniste IV"
Saturday, 6 October 2007
Chronique
Statistiques
Le billet de Marina Fédier, continue son incroyable ascension. On se dirige à présent vers les 15.000 visites. Le nombre total de visites du blog a largement dépassé les 100.000 visites et le rythme de croisière dépasse les 1000 visites par jour. Ceci est réconfortant car c'est la démonstration que la culture peut aussi trouver un public... d'entrepreneurs et de professeurs, mais surtout de jeunes étudiants ou començant leur carrière.
La rencontre Dutilleux- Gergiev. Edition revue et complétée
Ci-contre, Valery Gergiev, Sergei Pugachev, sénateur de Russie , Marina Fédier et Bruno Lussato
Dans le prolongement du triomphal concert où Henri Dutilleux a été ovationné longuement et chaleureusement par la salle et l'orchestre, le compositeur a rencontré le grand chef d'orchestre Valery Gergiev pour préparer le concert du 26 octobre 2007 où Mystère de l'instant sera interprété. Le compositeur ne tarissait pas d'éloges sur Seiigi Osawa dont la direction géniale a donné lors de la première au Japon, mais surtout hier au Théâtre des Champs Elysées, une version de référence. Dutilleux était stupéfait par la mémoire du chef japonais. Qu'il dirige sans partition la Pavane pour une infante défunte de Ravel, soit. Mais Mystère de l'Instant est infiniment plus difficile à retenir." Dutilleux s'étendit longuement sur le génie de Berlioz, sa capacité d'invention, et l'influence qu'il exerça sur les compositeurs. Il aime tout particulièrement la Fantastique, tour de force accompli par un jeune homme qui n'avait pas trente ans.
Ci-dessous, Marina Fédier, Henri Dutilleux, Valery Gergiev
Le problème à la Chapelle Royale de Versailles, où on jouera Mystère de l'Instant est son exiguïté et les incertitudes qui pèsent sur son acoustique. Valery Gergiev déclare qu'il va devoir procéder avec infiniment de délicatesse pour adapter l'oeuvre à l'acoustique de la salle qu'il connaît mal, mais qui peut réserver des surprises heureuses.
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Thursday, 4 October 2007
Une oeuvre de Dutilleux au théâtre des Champs-Elysées
Je suis allé entendre Mystère de l'instant de Henri Dutilleux, grâce à qui j'ai pu échanger un strapontin inconfortable contre deux sièges dans la loge d'honneur. J'en ai profité pour emmener avec moi un haut dignitaire russe, ami de la France et qui s'est révélé un connaisseur très fin. Il a été comme moi enthousiasmé par les sonorités tantôt feutrées, tantôt incisives, avec des ppp aux cordes qui n'appartiennent qu'au compositeur. La musique est bien de notre temps, mais tempérée, d'une beauté de timbres, une variété de rythmes, et un souffle mystérieux, comme un vent silencieux qui jouerait entre les portées de musiques. Une telle musique peut reconcilier avec l'art contemporain bien des amoureux inconditionnels de la musique romantique et des admirateurs de Debussy et de Ravel. Pavane pour une infante défunte de ce dernier ouvrait d'ailleurs le concert.
Je ne me souviens pas de moment plus émouvant que de voir tout un orchestre, Seigi Osawa en tête, en train d' applaudir le compositeur qui se tenait au parterre au milieux du public. Henri Dutilleux, non seulement figure parmi les compositeurs les plus illustres de notre temps, il est aussi d'une générosité, d'une modestie, d'une bienveillance pour les musiciens, que je n'ai jamais rencontrées portées à ce point. Il a la chance d'avoir le soutien de Geneviève Joy, son épouse, grande pianiste et inspiratrice, et ce couple correspond à l'idéal décrit par Marina Fédier dans son dernier billet.
La Symphonie Fantastique d'Hector Berlioz clôturait le concert, Succès assuré, salle croulant sous les applaudissements, mais à ma surprise, mon ami russe, préférait Dutilleux. Trop classique disait-il en parlant de la Fantastique. Je finis par comprendre ce qu'il entendait par là. Le chef-d-oeuvre de Berlioz est aussi génial, sinon plus, que les autres symphonies de l'époque romantique. Il l'emporte par la couleur orchestrale portée à son plus haut point de l'expression et ouvrant la voie à Wagner et à tous les musiciens contemporains. L'extraordinaire invention de mélodies et d'effets, est magnifiée par une surprise constante devant les trouvailles rythmiques et orchestrales, surprise qui ne s'émousse pas avec le temps historique ni le temps individuel. Seigi Osawa était parfaitement adapté à cette musique et les contrastes dynamiques et rythmiques correspondaient à ce que Berlioz recherchait par dessus tout : l'effet sur l'auditeur. On comprend tout cela en lisant ses mémoires, où il accumule les superlatifs pour qualifier l'impression recherchée sur le public.
D'où vient donc cette réticence de mon ami? C'est que lorsqu'on entend la valse, la marche au supplice, le sabbat des sorcières, cette musique se veut étourdissante, cruelle, effrayante, démoniaque, sulfureuse, et elle y parvient. Mais décrire la peur n'est pas avoir peur, vouloir paraître effrayant n'est pas inspirer l'effroi, sinon par jeu. Une symphonie de Malher ne joue pas elle. La neuvième symphonie et la dixième posthume, ("écrite" en partie après sa mort!).nous plongent dans un état de terreur suspendue. Une symphonie de Brahms et plus encore les premières ballades Op.10 comme les dernières pièces pour piano, ne décrivent pas le désenchantement, la trouble nostalgie, elles sont désenchantées et nostalgiques. Ces sentiments ne sont pas voulus, ni calculés. Ils impregnent l'oeuvre d'une manière organique, en osmose avec l'état d'âme du compositeur.
Je n'ose plus jouer la fugue de l'Op.106 de Beethoven, non pas parce que, comme le prétend Guy Sacre, elle n'est pas comestible (au contraire c'est une splendeur pianistique pour qui la joue convenablement), ni parce qu'elle soumet le pianiste à un supplice digital et conceptuel (Jouer les études de Chopin est bien plus éprouvant, et du point de vue conceptuel, les variations Goldberg sont insurpassables de complexité). Je joue l'adagio et je pleure l'infinie solitude de l'artiste, je ne joue pas la fugue parce qu'elle me fait peur. Presque physiquement peur. Le sentiment qui "venu du coeur va au coeur", me terrorise. Après des décennies d'approfondissement j'ai l'impression de m'enfoncer dans les entrailles de l'horreur, visions inouïes, intuition qu'il s'agit là de violer une sepulture et libérer des forces effrayantes. Oui. Je sais que tout cela est bien romantique, j'en conviens. Et après? Pour en revenir à mon propos initial, la grande musique expressive allemande va plus profond, prétend à un contact avec le sacré, l'au delà, qui est plus rare dans ma musique française.
Là tout n'est qu'ordre et beauté
Luxe, calme et volupté
Ces vers correspondent parfaitement aux fresques de Puvis de Chavannes qui décorent le théâtre, à l'Art déco, et en définitive à la musique française. Elle offre à nos oreilles éblouies, un cocktail digne des plus fines tables. Les mélanges sonores, dignes des meilleurs parfums, et des plats les plus raffinés, sont un aliment exquis pour nos oreilles, faisant vibrer de volupté nos fibres les plus sensibles. En Allemagne, RIchard Strauss poursuivait un même but, dans le Chevalier à la Rose ou Ariane à Naxos. On a pu dire à son propos "culinarisch", culinaire, dans le sens de haute gastronomie. Dans une certaine mesure la Fantastique de Berlioz, c'est aussi de la haute gastronomie musicale portée par l'étincelle du génie le plus sublime, l'innovation la plus radicale et la plus féconde. Mais qui pourrait croire au pandémonium final?
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