Musique et drame
Tuesday, 16 October 2007
A propos du second Faust
Infidélités incompréhensibles
Les traductions présentent par définition tous les modes de désinformation, généralement dans le sens le plus anodin car il est pratiquement impossible de trouver un équivalent d'une langue dans l'autre, lorsqu'il ne s'agit pas d'un mode d'emploi d'appareils ménagers ou de dépèches de l'AFP. Cependant il est de nombreux cas où le mot est plus juste et plus fort que la traduction. Il suffirait alors au traducteur de se livrer à une banale transcription. C'est justement ce qui irrite ces messieurs. Si tous pratiquaient l'évidence, ils parviendraient au même résultat, et adieux droits d'auteurs ! Je donne ci-dessous un extrait de Minuit une des scènes les plus angoissantes du chef d'oeuvre de Goethe en mettant en regard le mot à mot, l'excellente traduction de Henri Lichtenberger (Edition Montaigne, réédition Aubier) et l'infecte transcription de Jean Malaparte chez Flammarion, la seule disponible. Dans l'ordre on trouvera l'original, le mot à mot, la traduction Lichtenberger, puis Malaplate.
CODE : En noir gras, l'original allemand. En rouge, le mot-à-mot français. En noir maigre, la traduction Lichtenberger. En brun, la traduction Malaparte.
Mitternacht
Minuit
Vier graue Weiber treten auf
Quatre femmes grises entrent
Quatre femmes grises s'avancent
Entrent quatre femmes vêtues de gris
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Monday, 15 October 2007
Le Chant de la Terre de Gustave Mahler
La trilogie de Li-Tai-Po (702-763)
Texte revu et corrigé .
Les mouvements 3, 4 et 5 forment un tryptique dont la partie centrale est une pièce nostalgique contrastant avec l'ironie des mouvements qui l'encadrent. Ce billet n'est pas consacré à l'analyse musicale de l'oeuvre, mais à sa structure sémantique et aux déformations qu'à subi le poème en passant de Toussaint à Bechtle avant d'être tranfiguré par l'art du dernier Mahler. On verra que Bechtle développe à partir de l'original de Li-Tai-Po les connotations personnelles qui attirèrent le musicien comme étant en accord avec ses émotions les plus douloureuses, les plus profondes. Ce qui frappe dans les trois oeuvres est une ironie, qui légère et teintée de mélancolie au départ, incisive, voire cruelle à la fin, laisse libre court dans la partie centrale à l'émotion la plus douloureuse. La musique suit, évidemment.
Note : le texte de Bechtle qui sert de support à Mahler est en vert, l'original de Li-Tai-Po traduit par Franz Toussaint, en violet. Comparez et communiquez-moi votre sentiment.
Le quatrième mouvement du Chant de la Terre. Partie centrale du scherzo.
De la Beauté
Sur les bords du Jo-Yeh
Introduction orchestrale
Des jeunes filles cueillent des fleurs,
cueillent des fleurs de lotus qu bord de l'eau.
Des jeunes filles cueillent des nénuphars
sur les bords du Jo-Yeh
Entre les buissons et les feuilles elles sont assises
elles assemblent des fleurs sur leur genoux, s'interpellent et se taquinent.
Parmi les bambous, elles s'interpellent et se cachent en riant.
Le soleil doré flotte autour de leur corps
les reflètent dans l'eau étincelante.
Le soleil reflète leurs formes élancées
leurs tendres yeux
et le Zephyr soulève et caresse le tissu
de leurs manches, répand le charme
de leur arôme à travers l'air.
L'eau réfléchit leurs belles robes
qui parfument la brise.
O vois, quels sont ces beaux garçons qui s'ébattent
là-bas, au bord de l'eau sur leurs fiers coursiers?
Au loin ils brillent come les rayons du soleil;
voici qu'à travers les branches des saules verts
arrive au galop leur jeune troupe!
Des cavaliers passent entre les saules de la rive...
Le cheval de l'un d'eux hennit joyeusement,
s'effraie et passe en coup de vent.
Un des chevaux hennit. Son maître regarde en vain de tous côtés
puis s'éloigne.
Interlude orchestral
Sur les fleurs, sur les herbes tressautent les sabots.
Ils piétinent en un tourbillon impétueux
les fleurs qui s'abattent.
Holà, quel remous agite sa crinière,
comme fument ses nasaux brûlants!
Le soleil d'or flotte autour de leurs corps,
les reflète dans l'eau étincelante.
Et la plus belle des jeunes filles
lui adresse de longs regards pleins de désir.
Sa fière attitude n'est qu'un semblant.
Dans l'étincelle de ses grands yeux,
dans la noirceur de son regard brûlant,
bat l'onde plaintive de l'exaltation de son coeur.
Une des jeunes filles laisse tomber ses nénuphars
et comprime son coeur qui bat à grands coups
Epilogue orchestral
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Le deuxième mouvement du Chant de la Terre
Le deuxième mouvement du Chant de la Terre est un mouvement lent, et cela se sent dans le texte, en violent contraste avec la Chanson à boire aux malheurs de la terre. De même que l'autre adagio, conclusif, le poème n'est pas de Li-Tai-Po et ne figure pas dans la traduction française de la Flûte de Jade par Frantz Toussaint. On ne saurait mieux exprimer la solitude qui frappe lorsque vient l'âge des regrets et que l'on notait déjà dans la dédicace de Faust. La musique transfigure un texte dont l'envergure poétique est au dessous d'un Verlaine, et la hisse à un niveau encore supérieur, tout en faisant corps avec elle. La musique devient poésie et le poème symphonie.
Le solitaire en automne D'après Chang-Tsi (1560 - 1618 )
Introduction orchestrale
Les brouillards bleuâtres de l'automne flottent sur le lac
La gelée a touché toutes les herbes:
On dirait qu'un artiste a répandu de la poussière de jade
Sur les précieuses floraisons
Le doux parfum des fleurs s'est évanoui
Le vent froid courbe leurs tiges.
Bientôt les feuilles d'or des fleurs de lotus,Introduction orchestrale
fanées,tomberont dans l'eau.
Mon coeur est fatigué. .....................
Reprise de l'introduction orchestrale
............................... ma petite lampe
s'est éteinte en grésillant,je pense au sommeil.
Je viens à toi, demeure bien-aimée!
Oui, donne-moi le repos : j'ai besoin de réconfort !
Je pleure beaucoup dans mes solitudes.
L'automne dans mon coeur persiste trop longtemps.
Soleil de l'amour, plus jamais ne brilleras-tu de nouveau
pour doucement sécher mes larmes amères?
Postlude orchestral
Saturday, 13 October 2007
Le Chant de la Terre de Gustav Mahler
Quand le chagrin approche,
Wen des Kummer naht
Les jardins de l'âme gisent déserts.
liegen wüst die Gärten des Seele,
Li TAi PO et le post romantisme
Les poètes chinois de l'époque Song à la fin du XIXe siècle, sont souvent très proches de notre sensibilité, la phraséologie en moins. Sans sacrifier à l'émotion ( ce que font quelquefois les hai ku japonais) ils recherchent la concision ainsi qu'on peut le constater dans le billet sur la Flûte de Jade. C'est cette veine post romantique qui a inspiré la traduction de Hans Bechtle, dont l'atmosphère sentimentale jette un pont entre le laconisme de Li Tai Po, le plus grand poète chinois, et la musique du Chant de la Terre.
Nous proposons ici le poème original du Chant de la terre par Bechtle, et l'original de l'original traduit par Franz Toussaint (Editions Piazza).
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Le chant de la Terre
de Gustav Mahler.
Das Lied von der Erde. Otto Klemperer, Christa Ludwig, Fritz Wunderlich. Philarmonia orchestra. EMI Classic
On peut considérer le Chant de la Terre, comme le négatif de la Neuvième Symphonie de Beethoven. Celle-ci partant du désespoir parvient au prix de longues luttes tragiques à "la divine étincelle de l'Elysée". Celle-là, partant semblablement du désespoir, sombre dans la dépression et la mort. Deux neuvièmes, car Mahler par superstition évita de nommer ainsi le Chant de la Terre, plusieurs compositeurs : Beethoven, Schubert, Bruckner, n'ayant pas franchi le seuil fatidique. La ruse se révèlera inopérante et la mort sera à Samarkande. La dixième restera inachevée comme celle de Beethoven. Deryk Cooke complètera le deux ébauches, celle à peine esquissée de Beethoven, celle plus aboutie de Mahler.
Le Chant de la Terre est une vraie symphonie en quatre mouvements. Le premier agité est une chanson à boire sur les malheurs de la terre. Le second décrit la solitude du poète au printemps et sous la désolation perce par endroit une douce nostalgie, celle des jours anciens. Le troisième mouvement est un tryptique un peu ironique, une méditation sur la beauté, la jeunesse et l'ivresse. Le dernier mouvement en deux parties se nomme l'adieu. Les deux parties sont contradictoires. La première est un monologue de l'artiste qui attend l'ami pour le dernier adieu. La seconde est distanciée. C'est l'ami qui rapporte les paroles du poète Entre les deux parties, un interlude est censé évoquer l'approche de celui tant attendu. C'est une marche funèbre d'une douceur déchirante, aux sons âpres, aux mélodies descendantes aigres-douces, l'équivalent au négatif de l'ode à la joie, et à mon avis d'une splendeur équivalente.
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Friday, 12 October 2007
Beethoven. Concerto N°4. Wilhelm Backhaus et Karl Böhm. Wiener symphoniker. (avec la 2eme Symphonie de Brahms). 3 avril 1967 (Unitel). ***
Enfin un enregistrement convenable de celui qui est peut-être le plus grand pianiste allemand : Wilhelm Backhaus, et en DVD de surcroît. Il incarnait l'école classique dans la droite ligne de Beethoven, Czerny, Brahms, Liszt, Eugène d'Albert. Je fus moi-même élevé dans cette atmosphère où curieusement le respect le plus scrupuleux de la lettre musicale, fusionnait avec un mysticisme quasi religieux, l'autorité peremptoire du maître : celui qui sait et a gagné durement son savoir, et l'humilité du dépositaire de la pensée du génie.
Le jeu de Backhaus a valeur d'évidence, il n'admet pas de discussion tant chez lui une technique transcendante se cache derrière une simplicité et une sérénité olympiennes. Comme Toscanini, il s'impose à toutes les grandes âmes et fait grincer les dents aux snobs pommadés, et aux critiques en quête de polémique. Le minuscule Clarendon, dont le titre de gloire fut les orgues de St. Louis des Invalides, coqueluche du beau monde et chroniqueur au Figaro, l'étrilla bien souvent en le comparant à un maître d'école laborieux. Cette condescendance jointe à d'autres aigreurs, décida Backhaus à ne plus remettre les pieds dans la capitale. En soliste du moins, car en tournée il exécuta le IX concerto de Beethoven qu'il affectionnait tout particulièrement.
Je le comprends car d'entre tous les concertos il est le plus personnel, le plus empreint de nostalgie, voire de menaces (le second mouvement). Sa séduction est immédiate et Beethoven montre sa capacité à renouveler un simple rythme, celui de la Veme symphonie, qu'on nomme stupidement " le destin frappe à la porte". C'est une des oeuvres les plus accessibles et le profane peut très bien commencer par là sa quête initiatique. Au plaisir de l'écoute s'ajoute un supplément de nostalgie, d'humour, et de splendeur sans panache. L'oeuvre demeure intime.
Sonate op. 106, Wilhelm Kempff.
Radio Canada;émission télévisée 29 novembre 1964. ***
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