La campagne de Recloses
Lorsque j'étais jeune, j'étais un promeneur infatigable. Hiver comme été, je parcourais en tous sens la plaine qui s'étend de Recloses, en lisière sud de la forêt de Fontainebleau, à la ville de Nemours. La plaine était convexe, dépourvue d'oiseaux, d'animaux, d'être humains. Mon parcours, de Recloses à Saint Pierre lès Nemours, ou à Montigny sur Loing, traversait une sablière, vaste vallée neigeuse, aujourd'hui anéantie, les villages oubliés de Grès sous Loing, où habitait la veuve de Marcel Duchamp, Larchant fière de sa cathédrale, blottie dans un vallon en ruines, entouré des rochers chaotiques où poussaient des plantes préhistoriques, des mousses étranges, des bouleaux violacés et des pins torturés. Le silence total aspirait des sons imaginaires, surgis des profondeurs inconnues de la psyché: bruissements de voix, tintement de clochettes et de glockenspiels, paroles éparses, dispersées par le vent acide de la plaine.
Revenu à mon auberge, l'humble relais de poste, du début du XIXeme siècle, le saisissais mes pinceaux, et je traçais sur le magnifique papier Richard de Bas, des signes que nul ne lirait. J'avais toute la vie devant moi, riche d'opportunités. Manquées hélas, car oblitérées par l'angoisse du chômage, de la maladie, de la solitude, du mépris des vivants.
Aujourd'hui mon parcours s'achève, des nuages menaçants s'accumulent prêts à déverser des trombes de maléfices dès le mois d'octobre. Mais je me sens jeune de toutes mes années perdues, non vécues, plus jeune qu'alors. Une joie intérieure me pénètre, l'espoir de la survie chèrement acquise, et autour de moi "i spiriti gentili" les esprits bienveillants : amis récents, d'une qualité et d'une noblesse que je ne connus jamais, me témoignant respect et affection filiale... ou plutôt celle qu'on porte à ces grands pères de légende. Et puis, le miracle de ces voix inconnues qui me lisent sur le blog, bouteille à la mer sans cesse arrivée à destination.
Si j'écris ces quelques pages dont l'intimité justifie le hors blog, c'est qu'il est possible que ma voix s'affaiblisse, et s'éteigne. Je demande aux quelques uns que je connais, Poil à Gratter, Herbe et les autres, de faire une petite prière pour celui qui se prépare à accomplir une voyage chargé d'incertitudes. Même les esprits forts, même les athées peuvent prier, et les études de parapsychologie récentes semblent montrer que lorsqu'on est environnés d'affection, même d'inconnus, on resiste mieux à l'adversité.
Permettez-moi de retranscrire cette poésie chinoise, à ma manière :
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