L'information derrière l'information derrière l'information
Cette formule sybilline cache un des processus les plus pervers de désinformation. Le "cas Angoulème" en est un exemple que j'ai choisi dans ce but, et pendant que je le complétais la confirmation de s'est pas faite attendre, un internaute m'apostrophait : " Vous allez vous attirer des ennuis avec votre condamnation de l'islamisme! Ce tract n'est qu'une provocation."
A sa grande confusion je lui fis constater que le titre de l'article était précisément "une provocation d'extrême droite" et que mon propos était précisément de mettre en garde le citoyen contre de genre de désinformation. Je lui demandai alors à quoi il attribuait cette lecture grossièrement désinformée. Il me répondit en hésitant qu'il n'avait pas bien lu l'article, il l'avait survolé, comme tout internaute... Il bafouillait, un peu honteux.
Mais ce "mal perçu" était trop marqué pour qu'il relève uniquement de la distraction. Le titre était affiché dans de gros caractères gras et très visible. Que s'était--il passé? C'est qu'un virus, un véritable bug, a contaminé son circuit de communication, à son insu, mais non dépourvu d'intentionnalité. Ce virus a tout simplement inversé la phrase en remplaçant provocation d'extrême droite par provocation islamiste.
D'où provenait donc ce message que l'on peut en schématisant décrire comme donnant raison au tract. Autrement dit, le contenu du tract dominait celui de l'article, comme une tache d'humidité finit par transparaître derrière un mur fraîchement peint. Or cet article mettait à jour une structure à trois niveaux des propos insultants.
L'information de surface, ou enveloppe, était un brulôt de haine fanatique conforme à l'idée qu'on se fait des islamistes radicaux.
Derrière cette information, se cache une autre information. Elle révèle la volonté d'utiliser le message pour susciter une réaction de répulsion et d'indignation contre les fanatiques, en escomptant cependant que par contamination, sous l'effet de la passion véhiculée par l'information de surface, on ferait l'amalgame avec les musulmans dans leur ensemble. On peut attribuer cette information derrière l'information à des groupuscules d'extrême droite.
Mais par une étrange inversion, une partie du message provocateur, par sa violence et sa congruence avec certains évènements spectaculaires, largement évoqués pendant la campagne électorale, finit par dominer et s'imposer.
On connait le mécanisme pervers, utilisé bien souvent par certains organes de presse, et qui consiste à rectifier certaines désinformations hurlées dans la une, en communicant l'information "claire" dans un entrefilet dans la quatrième page. Un procédé similaire consiste à affirmer solennellement qu'on n'a jamais déclaré que notre adversaire est un pédophile et un être corrompu, que ce ne sont sans doute que des rumeurs, et qu'aucune preuve concrète n'a été avancée dans ce sens. La connotation "il n'y a pas de fumée sans feu" est sous-jacente.
Dans le cas de l'affaire d'Angoulème, certes, la réfutation du tract, à la fois comme étant une provocation et un texte raciste ignoble quelque soit son intention, équilibre largement le message perturbant. Mais émotionnellement, le poids de la raison qui l'emporte dans l'analyse, ne vaut que celui de l'entrefilet de quatrième page dans le journal. Que faut-il donc faire?
On retrouve cette problématique dans le chapitre d'un roman du prix Nobel Coetzee (Elisabeth Costello, Eight Lessons) , intitulé Le problème du Mal. L'auteur émet l'opinion qu'il faut taire certaines informations. Par exemple en décrivant les tortures subies par les conjurés de l'attentat contre Hitler, on les tue une seconde fois, et on excite les forces du mal qui s'échappent de la boite de Pandore. Ces forces acquièrent une autonomie ,mystérieuse, et comme les spores de la désinformation, véhiculés par le vent électronique, elles contaminent les esprits. Un jour, si les circonstances s'y prêtent, les spores se développeront et nous envahiront.
De mpême on pourrait prétendre que, comme mon internaute, les visiteurs de cette aire interdite, ne pourront en sortir indemne. En dépit de tout les postulats barbares, s'inscriront dans leur inconscient , provoquant chez le plus grand nombre des réactions d'indignation ou simplement de malaise, et chez d'autres, un assentiment hnteux et caché, qui à la faveur d'une crise grave pourront balayer la raison.
Que faut-il donc faire? Supprimer le cas, Angoulème, ou simplement le faire précéder par le signal rouge, équivalent du carré blanc destiné aux enfants de la télévision? J'aimerai avoir votre avis. Je ne connais pas la réponse. Evidemment, vous l'avez compris, ce n'est pas le fait divers, somme toute marginal qui importe dans cet article, mais la mise en évidence des processus à triple détente qui rendent la désinformation si efficace.
Commentaires