CHRONIQUE
La plume et la pensée
On pense trop souvent que la pensée est chose abstraite qui se fixe certes dans l'écrit, mais qui est indifférente à la forme de ce dernier. Quelle importance que ce soit une demi-onciale du IXème siècle, comme celle du Livre de Kells, La Divine Comédie dans le premier folio illustré d'après Botticelli, ou en livre de poche?
LE JARDIN ALBERT KAHN
Je me permets une digression pour vous présenter ces jardins et en particulier la section dédiée au Japon. J'y suis allé un moment ce matin, car le temps était radieux et cette description par les images, aurait mieux trouvé sa place dans le billet dédié au printemps. Vous pouvez vous procurer le catalogue, un peu confus et dont les images ne vaudraient pas les votres sur un seul coolpix de Nikon.
Pour voir mes photos, reportez-vous au corps du billet.
Le tout début de l'écriture
Vous trouverez une explication très claire et remarquablement complète dans le livre magistral de Claude Mediavilla Calligraphie parue en 1993 à l'Imprimerie Nationale. L'exploit constitué par les 332 pages grand format de ce volume abondamment illustré par des reproductions, des planches, des synoptiques, n'est pas près d'être recommencé. On ne saurait assez recommander l'achat de ce livre exceptionnel.
J'essayerai de synthétiser les principales étapes de la découverte de l'écriture sans remonter au déluge,c'est à dire aux grottes de Lascaux! Tout le monde sait que l'origine des signes scripturaux a pour fondement la nécessité de comptabiliser les biens.C'est à Sumer et à Uruk au niveau dit Warka IV , 3500 Ans avant Jésus-Christ qu'apparaissent les premières tablettes sémi-pictographiques. La transition se fait graduellement vers les célèbres tablettes cunéiformes. J'en avais une dans le cadre de ma collection du Musée du Stylo et de l'écriture, et elle disparut au cours du hold-up sanglant de 2001, avec l'essentiel des pièces les plus rares.
Mais le rôle ne se limita pas par la suite à favoriser les inventaires et les échanges commerciaux. Entre 2000 et 1000 BC, l'extension considérable de cette écriture la rendit propre aux échanges diplomatiques dans tout le Proche-Orient.
En Egypte, trois mille ans avant notre ère, l'Egypte disposait déjà d'un système phonétique et symbolique complet et elle comprenait trois types d'écriture dont une, dite démotique était tracée sur papyrus et devint adoptée par l'administration mais aussi la littérature. Malheureusement la civilisation des pharaons ne se soucia guère de précision et en resta au stade de l'évocation et de l'hiératique. Elle en mourut.
La Crête offre un exemple d'une civilisation extrêmement aboutie, dotée d'une écriture très différenciée, témoin ce disque d'argile trouvé à Phaestos, daté de 1700 BC et non pas taillé mais moulé à partir d'une matrice. Malheureusement cette écriture nous est encore totalement impénétrable en dépis de toutes les recherches et demeure une des plus irritantes énigmes de l'histoire de l'écriture.
L'alphabet phénicien à partir de 1200 BC est à la base de toutes les écritures occidentales modernes. Il est encore écrit de droite à gauche et ne comporte que des consonnes ce qui est encore le cas de l'hébreu et de l'arabe contemporain. Il donna naissance à l'alphabet grec, matrice de toutes les langues occidentales, du latin au cyrillique. Les lettres grecques appelées par Hérodote lettres phéniciennes, est le plus riche de toutes l'Antiquité et a été le premier à noter les voyelles. Mais son orientation est toujours de droite à gauche.Les grecs ont abandonné les consonnes gutturales sémitiques et ont utilisé les signes des gutturales sémitiques en sognes destinés à figurer des voyelles dont on ne pouvait se passer. En 338 BC, on distingue trois types d'écriture : celle des livres et manuscrits, celle de chancellerie, et celle des documents privés. On notera que les premières monnaies existaient déjà depuis plus de deux siècles et de ce fait constituent des documents irremplaçables.
C'est à l'alphabet latin que l'on doit les premières réalisations vraiment esthétiques. On distingue l'écriture actuaire relativement négligée et utilisée pour les actes juiridiques et comptables, et la magnifique écriture monumentale dont les caractères sont encore les notres. Mais ce n'est qu'à partir du IVème siècle que l'orientation vers la droite l'emporte définitivement.
Par ailleurs la capitale romaine présente de nombreuses variantes et ne s'est pas créée d'un coup. Ce n'est sans doute qu'au IIème siècle qu'elle se stabilise. Elle donnera naissance à toutes les écritures ultérieures. Il est également de noter l'abandon du pinceau, pour des instruments comme un simple bout de craie carré ou un calame biseauté. Dernière particularité d'une extrême importance : l'écriture même la plus élaborée était exécutée à main levée sans recours au compas et à la règle. Le maître la possédait en lui et l'exprimait avec une spontanéité créativité remarquables. On est loin des théorisations de Tory et autres humanistes qui recherchèrent des règles de construction rationnelles, n'aboutissant qu'à une sorte de perfection froide, mécanique et ennuyeuse.
Les ancêtres chinois
Comme Claude Mediavilla, expert en la matière, l'explique dans son ouvrage l'abcdaire de la calligraphie chinoise (Flammarion 2002) l'écriture chinoise daterait de la dynastie Chou (soit 800 BC).Mais ce n'est qu'en 221 BC qu'elle devint unifiée, telle qu'on la connaît.
Une caractéristique de cette écriture, est qu'elle ne se contente pas d'être compréhensible et de refléter le signifié,mais elle devait être belle.Certes, l'écriture occidentale peut revêtir des aspects d'une grande beauté, mais il restent stéréotypés, si l'on excepte la cursive courante, plus intéressante pour le graphologue que pour l'amateur d'art.C'est ce qui explique qu'en Occident, l'écriture ne parvint jamais à la distinction d'art majeur, comme en Chine, où elle était prisée à égalité avec la peinture, qu'elle complétait souvent. Ces remarques expliquent aussi la dissociation opérée par les "intellectuels" et les muséologues, qui dans bien des cas ne voyaient pas de différence entre un texte bien ou mal calligraphié, ou diffusé en livre de poche, voire téléchargé dans l'internet ! On se reportera avec fruit, à l'avis Une caractéristique de l’écriture chinoise est qu’en principe elle est formée de blocs tenant dans un carré, et disjoints. Mais on peut également relier ces blocs entre eux pour former un ductus fluide et imaginatif, ressemblant à une cursive spontanée, l’esthétique en plus. Cette variété inépuisable de formes, hautement individualisée permet de distinguer les grands maîtres des honnêtes calligraphes. Rien de tel dans la calligraphie occidentale d’une grande uniformité au sein d’un modèle donné : caroline ou fraktur. Certes les calligraphes contemporains essayent de s’évader de ce carcan mais ils tombent alors dans l’art pour l’art alors que dans la calligraphie chinoise, les deux sont indissolublement liés.
L’écriture arabe partage avec l’écriture chinoise la continuité de son ductus qui lui confère une beauté indéniable et des possibilités de variantes individuelles. Là encore, la calligraphie a une fonction sacrée ou hautement symbolique, sans atteindre néanmoins le raffinement de la peinture chinoise. Dans les deux écritures on se sert, non pas de la plume, mais du pinceau ou di calame.
Est-ce à dire que l’écriture occidentale est impuissante à transmettre une impression de beauté et qu’autant avoir recours à un téléchargement par l’Internet ? Rien n’est moins vrai. Un excellent exemple est fourni par le célèbre Livre de Kells antérieur à l’an mil et dont on disait que seuls les anges pouvaient réaliser les arabesques d’une extrême complexité et d’une liberté dans la rigueur jamais dépassée. Sans nul doute notre expert muséologue cité par Socrate eût préféré le texte donné par l’internet à cette réalisation unique. (Il en existe des facsimile superbes et réussis, car le manuscrit n’a pas d’ors, impossible à reproduire, mais de l’orpiment jaune).
d'un des experts qui ont fait échouer la deuxième fondation. On le comprend. Il était fermé à ce à quoi les chinois et les japonais sont ouverts, et cette attitude devient hélas dominante aujourd'hui dans notre société utilitaire.
Photos du Japon au jardin Kahn et aux Capucins
Mon Centre culturel des Capucins a toujours fait une part importante au Japon avec le Musée du Washi, don du Musée du papier de Tokyo et des principaux artisans japonais, la donation d'objets en kozo teint dans le kaki, par Hiroko Noguchi, et bien entendu des carpes splendides, don du Président de Mitzubishi. Ci-dessous, une photo extraite du livre Les jardins Albert Kahn, (JAC). Cette vue n'est visible que par les initiées et prise d'une des maisons. L'atmosphère japonaise est bien reconstituée.
Les Capucins. Des visiteurs admirent les performances d'artistes japonaises dans la maison du Japon. Derrière eux, un magnifique paravent sur toile et feuille d'or, par Imai. A droite, Marcel Ringeard, un des dirigeants de Pilot-Namiki et sponsor du Centre.
Deux artistes de passage. En haut, démonstration d'habillage, en bas concert.
JKH Une maison enfouie sous la verdure.
Une des splendides carpes multicolores, don, m'a-t-on dit de l'ambassadeur du Japon. Posséder une carpe est un signe de grande distinction au Japon, et toute haute personnalité se doit d'avoir une pièce d'eau avec une ou plusieurs carpes anciennes. Les prix sont prohibitifs.
Carpes disputant aux poissons rouges quelques miettes. Don du Président de Mitzubishi au Centre Culturel des Capucins.
Ci-dessus carpes à JAC, non reproduites dans le livre.
JAC. Le portail menant au jardin japonais.
Maison de thé, JAC.
Ponts dans le nouveau jardin japonais. JAC.
JAC. Maisons japonaises, Ci-dessus et ci-dessous
JAC. Nouveau jardin. L'architecture est symbolique et retrace les étapes de la vie d'Albert Kahn.Ici, la spirale de mort.
Après l'axe de mort, voici l'axe de Vie, dans le nouveau jardin.
La salle japonaise des Capucins ne sera pas détruite mais retransportée et adaptée, dans l'auditorium du musée du stylo et de l'écriture dédiée à Henri Dutilleux. On admire une calligraphie de Claude Mediavilla sur "quatre vers nocturnes" de la poétesse Claudine Helft.