CHRONIQUE
Accalmie
Le printemps est ma saison préférée. En ce moment, sous un beau soleil sa splendeur explose dans les jardins parisiens. J'aimerais bien voir les jardins Kahn à Boulogne, parmi les plus fascinants de la capitale. Peut-être demain, aujourd'hui j'irai admirer les arbres en fleur au Pré Catelan. Toutes les sombres prédictions concernant la crise, s'évanouissent dans la douce amnésie des jours ensoleillés. Qu'on me permette de citer un magnifique passage à la gloire du Printemps.
Commencez !
Ainsi le printemps appelait dans la forêt.
Comme l'écho des vagues résonne
comme de vagues lointaines,
un autre chant s'approche, et s'approche plus prés;
le bois résonne
d'un concert de douces voix;
maintenant fort et clair il s'approche déjà
de plus en plus puissant! Comme des son de cloches
la jubilation retentit !
La forêt, qui bientôt
répond à l'appel,
elle retrouve une vie nouvelle,
et entonne
le doux chant du Printemps !
Dans une haie de ronces,
consumé par l'envie et l'envie,
armé de sa fureur,
l'hiver plein de rage,
caché parmi les bruissements de feuilles mortes,
épie et écoute se demandant,
comment causer du tort
à ces chants joyeux.
Ces vers proviennent du premier acte des Maîtres Chanteurs de Richard Wagner. Il nous rappelle que les médisances, les aigreurs, la mauvaise foi, la calomnie, la jalousie, sont toujours tapies dans l'ombre continuant leur travail de sape.
A ce propos, après la petite-fille, la fille, Fabienne Gaston-Dreyfus. Je reconnais que " la passion de son père, partagée avec sa femme, était sa collection de peinture, constituée avec l'aide d'Alain Tarica dont il était devenu un ami précieux." Je n'ai garde de l'oublier, ainsi que sa décision courageuse d'échanger sa collection d'impressionnistes (si je ne me trompe) contre d'authentiques chefs d'oeuvre d'Art Moderne. Je me souviens notamment de son merveilleux Hommage à Picasso, un des Paul Klee les plus précieux. J'ai partagé son amitié avec Alain Tarica, qui m'a avec son père Samy, fait découvrir Kurt Schwitters dont j'ai pu acquérir des oeuvres majeures, comme Merzbild Rossfett de 1918, et Merzbild mit Kerze, (assemblage à la bougie) qui ont figuré dans mont centre d'Art contemporain au Musée de Genève et que j'ai analysé in extenso dans une plaquette qui a rencontré un notable succès. Cela me donne l'idée de consacrer un billet à cet immense artiste, encore méconnu. Les Tarica ont changé toute ma vision de l'Art, ainsi qu'à Alain. Ils font partie de ces immenses marchands qui font les grandes collections (y compris celle de Bergé-Saint Laurent). Ils ne se contentaient pas de nous procurer des moutons à cinq pattes, ils étaient également de grands pédagogues et des initiateurs désinteressés.
Je ne puis donc que comprendre l'indignation de la famille d'Alain Gaston-Dreyfus, et je lui ai déjà exprimé mes plus plates excuses, qu'elle n'a pas dû lire sans doute. Quant à la malveillance, c'était plutôt de l'aigreur et je m'en suis expliqué. J'ai été mortellement déçu de voir s'échapper le fond Kandinsky et j'ai mis bien du temps pour digérer cette déception. Elle fait écho à une autre occasion, d'une tout autre envergure, que mon père avait dédaigné. Il ne s'agissait de rien moins que de la vente de la succession Klee, qui était alors à vendre. Mais nous venions à peine de sortir de la guerre et Klee ne suscitait pas parmi les riches mécènes l'envie de consentir un effort financier considérable pour l'époque. Mon père avait largement les moyens de l'acheter. Il préféra investir dans les vignobles de Tunisie dont il contrôlait une grande partie. Il a tout perdu depuis avec la nationalisation des biens français. Je fis des pieds et des mains pour le décider. J'en étais malade. Mais mon père me considérait avec agacement, comme un rêveur utopiste, et détestait la peinture moderne qu'il prenait comme tant d'autres, pour de la fumisterie. Mais ce n'était pas le cas d'Alain Gaston-Dreyfus qui connaissait bien la valeur artistique du fonds.
Sur le chapitre des rigueurs de l'hiver, j'évoquerait la grotesque affaire des excuses de Madame Royal, au Président Zapatero, cette fois. J'enparlerait car c'est un excellent exemple de désinformation qui illustre les ambiguïtés de la sémantique.
Venons-en aux faits de première main tels qu'ils ont été rapportés par des parlementaires de gauche et de droite, et unanimes quent à leur version des faits. Gillez Carrez, rapporteur des Finances de l'Assemblé Nationale a témoigné des propos élogieux tenus par Nicolas Sarkozy au sujet de Jose Luis Zapatero;
"Il gère au mieux son pays et a su se faire réélire alors que d'autres se prétendant très intelligents ont été incapables d'une telle performance.
De même Nicolas Sarkozy, se gaussant de la gauche a dit ironiquement : il n'est peut-être par très intelligent alors que d'autres se prétendant très intelligents ont été des incapables de sa performance".
D'où vient la source de la désinformation? D'un journaliste de Libération qui prétendait qu'au cours du déjeuner (auquel il n'assistait pas, bien entendu) et qui disait que Nicolas Sarkozy avait déclaré que Zapatero n'était peut-être pas très intelligent, ce qui est la pure vérité. Mais il passa sous silence le contexte ironique et l'ensemble de la phrase, d'où un mot avait été isolé de son contexte, procédé éprouvé d'intoxication.
Et Mme Royal dans tout cela? Je dois, en tant que professeur de management, lui tirer mon chapeau. Elle agit en parfait agent de marketing, sans scrupules d'état d'âme, visant l'efficacité et récompensée par son extraordinaire succès. Elle utilisa un procédé, qu'elle inventa avec une créativité et qu'elle mit en pratique avec un art consommé : présenter les excuses de la France, aujourd'hui à Zapatero, demain à Merkel, à Barroso ou à Obema.
En définitive je n'ai pu me rendre au Pré Catelan pour des raisons indépendantes de ma volonté. Il me reste a espérer que demain il fera aussi beau et que je pourrai me rendre au jardins Kahn. Ils mériteraient un billet à eux tous seuls.
A propos des attaques de l'hiver, je signale à mes amis que je serai à nouveau indisponible à partir du 11 mai et pour une dizaine de jours. Je demande à notre ami S*** de prendre le relais. Vous y gagnerez au change en hauteur et vous y perdrez peut-être en polyvalence.
Musique de printemps
Il n'y a pas que la poésie pour illustrer la plus belle saison de l'année. La musique est peut-être encor plus suggestive ainsi que la peinture (pensons à Botticcelli !) Ci-dessus, une version trafiquée pour des raisons de copyright, et extraite du codex éléphant de L'Entretien. Elle montre cependant le rythme dansant que l'on retrouve chez Beethoven et chez Schumann.
L'oeuvre qui se rapproche le plus de Botticelli, est la Symphonie N°1 "Le Printemps", op.38 de Schumann, etnotamment le dernier mouvement : Allegro animato e grazioso. Je vous conseille l'excellente version de Rafael Kubelik, DG.432 305-2
Très proche de cette musique à s'y confondre presque, le dernier quatuor Op.135 de Beethoven, et plus exactement l'allegro final, dansant et aérien. Cette oeuvre ultime datant de 1826, un an avant la mort du compositeur, laisse déjà par sa rupture radicale avec ce qui précède, la Xème Symphonie dont nous nous sommes déjà entretenus.
Le version du Quatuor Alban Berg a le grand mérite d'être interprétée live selon la stratégie du quatuor, qui privilégie la spontanéité et la vie à la perfection textuelle.
Au sujet du Quatuor Op.135 de Beethoven, voir le corps du billet.
Nous pouvons également citer le livre et le film de Jerzy Kosinski, Being There qui est un véritable hymne au printemps. Chance, le jardinier explique qu'après l'hiver, à condition que les racines soient saines, le printemps refleurira, métaphore qui est également celle de la toute fin du Chant de la Terre de Gustav Mahler :
La terre aimée partout se couvre de fleurs
au printemps et verdoie à nouveau !
Partout éternellement bleuit la lumière du lointain !
Ce qui pour Chance le jardinier n'est que constatation prosaïque est interprétée par le Président des Etats Unis comme un rafraîchissante métaphore, expliquant qu'à condition d'avoir un bon jardinier (lui ! ) après la récession et les difficultés économiques viendront les beaux jours amennés par le printemps. Ce qui se passe dans la nature, nous devons l'admettre pour l'économie.
Ce film est doublement un film d'art: celui de Kosinski le scénariste, celui de Kosinski, le metteur en scène. On peut se le procurer en Blue Ray. Un jour Kosinski reçut un télégramme de Chance le jardinier assorti d'un numéro de téléphone. L'auteur fit le numéro et ce fut Peter Sellers qui répondit ! On connaît le résultat.
A propos du quatuor op.135 de Beethoven.
C'est le dernier mouvement qui évoque irresistiblement la danse aérienne du Printemps de Botticelli.
Bernard Fournier qui a écrit des pages extrêmement originales et pertinentes sur l'Op.135, parle
dans un sempre pp d'une sorte de danse ailée avec son accompagnement syncopé, bref écho inversé, lointain et immatériel, du débordement dionisiaque du scherzo.
Mais il y a beaucoup plus important. Si l'on se reporte sur mon billet sur la Xème Symphonie de Beethoven, on découvrira ma certitude qu'il s'agit d'une quatrième manière opposée en tous points de tout ce qui pour nous constitue le style beethovénien. Dépouillement, homophonie, absence de développement logique, cercles concentriques autour d'un thème. Tout cela beaucoup proche de l'adagio de la Xème Symphonie restée inachevée, de Mahler. Je pensais alors que le dernier quatuor était proche de cette dernière manière, d'où sa desaffection et sa sous-estimation générale. Le livre qui fait autorité pour les quatuors est celui de Joseph Kerman paru en 1974 aux éditions du Seuil. Comme tous les musicologues à propos de la Xème Symphonie, il sous-estime grossièrement l'importance de la dernière oeuvre achevée du maître de Bonn. Il l'a jugé avec les mêmes critères que les autres oeuvres auxquelles nous sommes accoutumés. Au contraire, Fournier avec une perspicacité admirable, s'est livré à une analyse opposée et a parlé lui aussi de quatrième manière. Tout serait à citer dans ce travail et je renvoie les amateurs à son livre, me contentant de reproduire les passages les plus révélateurs.
Au moment où il commence à composer l'op.135, les pensées du compositeur sont déjà occupées en partie par une 1Oe Symphonie en ut mineur, mais Beethoven ne s'y engage pas; il reste poussé par la nécessité intérieure d'écrire encore pour le quatuor. Aucune commande pourtant ne l'y oblige ...
Pour certains ... l'affaire est entendue : après les sommets précédemment atteint, l'oeuvre marque un repli stylistique ; elle est exsangue , vidée par deux ans d'éfforts consacrés au seul quatuor. ...
VERS UNE QUATRIÈME MANIÈRE ?
Parmi les questions que pose cette oeuvre énigmatique entre toutes, le 16e Quatuor, si différent des précédents, pose donc celle d'une étape possible de l'évolution stylistique de Beethoven...
Ce retournement (stylistique) est une plongée en amont de sa propre création, comme signe d'un nouveau départ, après avoir fait table rase de tout ce qu'il a écrit précédemment, dans un oubli surprenant de son propre style. Si chaque fois qu'il écrit une grande oeuvre, Beethoven se remet en question et réinvente le geste créateur, avec le Quatuor op. 135, il se réinvente lui-même comme compositeur; il devient, au sein même de la grande forme, le musicien par excellence du "dépouillement" en accordant aux aspects minimalistes, aphoristiques, répétitifs et composites de l'écriture une place qu'ils n'avaient jamais eue dans aucun autre quatuor...
Nous ne pouvons pas tout citer, et c'est dommage. Résumons les constats de Fournier.
La nouvelle manière se concentre sur de petites cellules, l'emphase étant placée sur leur caractère individuel, séparé du tout. L'intégration n'est plus l'élément important car l'instant prime la durée.
Le caractère est allusif, volontairement ambigu. Des ombres menaçantes peuvent interrompre brutalement le discours. L'angoisse est métaphysique, oppressante, en dépit de la gaîté elle est toujours présente. Notamment le motif dit "en chevrons" qui sera plus tard dans le Ring associé à la mort et au destin, peut être considéré comme faisant partie de la gamme par tons (comme par exemple chez Wagner, op.cité, le hoiotoho des Walkyries). Ce motif est partout omniprésent dans tout le quatuor, et sous un déguisement d'une joyeuse légereté, sert de moteur au mouvement dansant, ailé qui évoque Botticelli.
Ce thème "en chevron" que l'on a reproduit ci-dessus, a fait l'objet de bien des spéculations. Mais aucune n'a été aussi loin que celle de Philippe Delelis, La dernière Cantate qui eût été dans le style de Arturo Perez Reverte (Le Club Dumas, le mystère du Maître flamand) n'était son contexte étriqué et très conservatoire provincial. Il eût le mérite de souligner l'aspect mystérieux du motif en chevrons,mais se trompa de références. L'Offrande Musicale une des oeuvres les plus mystérieuses du Bach tardif, ne contient nullement ce motif mais un simple écart de septième diminuée que l'on trouve aussi dans le Kyrie du Requieme de Mozart. On le trouve en revanche dans certaines oeuvres au contexte angoissant et tragique comme le premier thème du premier mouvement de l'Op.111 de Beethoven.