CHRONIQUE
Comment accéder à la haute culture?
Cette interrogation ne cesse de se répéter incessament autour de moi,par des jeunes insatisfaits par une vie matérielle pauvre et qui ne donne même plus l'avantage de subvenir pleinement à leurs besoins vitaux. Quel but et pourquoi lutter? Ces jeunes pressentent que l'acquisition d'un solide fond culturel peut leur apporter des satisfactions qui équilibrent la mécanisation quotidienne. Ils ont raison. Mais comment à partir de zéro, accéder au royaume magique du génie des grands peintres, des grands musiciens, des grands écrivains. Est-ce possible? Ma réponse est encore oui, et ce billet est consacré à cette question primordiale.
NOTE :Je vous engage vivement de revoir le billet du 4 avril 2009 :les leçons d'un échec que j'ai refait de fond en comble avec beaucoup d'images à l'appui.
Ceux qui habitent la capitale où à la rigueur dans une métropole culturelle commeLille, sont avantagés par rapport aux autres. Ils seraient d'autant plus impardonnables de ne pas saisir les occasions quand elles se présentent. Paris, évidemment domine tout, centralisation oblige.Elle possède le plus beau Musée du monde, Le Louvre, mais comment ne pas s'y perdre. Beaubourg est également une mine d'enseignements et sa librairie est remarquable. On y trouve des DVD culturels et des livres pour enfants. Mais bien plus commode est le MAM, le Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, Avenue du Président Wilson, dont la librairie est très éclectique.Le palais de Tokyo, en face est à fuir pour sa vulgarité et sa nullité. La collection d'Art Moderne et contemporaine est bien présentée et largement suffisante en dépit de son exiguïté pour offrir un panorama très complet de l'Art moderne et contemporain. Au moins le parcours est pédagogique et bien mis en valeur pour le profane. Actuellement il ne faut pas manquer l'exposition De Chirico, un des fondateurs de l'Art moderne. Il faut également fréquenter les petits musées comme le Musée Marmottan au Ranelagh et le musée Guimet Place d'Iena.
Bien entendu, on ne saurait demander plus à ces visites qu'une imprégnation, un premier contact physique, une première sensation, un affinement de l'oeil. Mais c'est assez pour vous inciter à aller plus loin. J'ai essayé de trouver pour vous des livres de décodage, du style "comment regarder un tableau" qui sont très bien faits. Tous sont en rupture de stock, ce qui en dit long sur leur succès. Peut-être les trouverez-vous à la Librairie de Beaubourg. Au Grand Palais se tient l'exposition Warhol, et surtout au merveilleux petit Musée Maillol, rue du Bac, l'exposition de la collection Costakis sur l'Avant-Garde Russe, à ne pas manquer absolument, car une bonne partie de l'art et du design du XXIe siècle, puis ses racines dans les oeuvres de Rodchenko, de El Lissitzky, son suiveur, et d'Alexandra Exter, pour ne citer que les principaux. N'oubliez pasnon plus les deux ouvrages qui a mon sens constituent la meilleure introduction à la juste manière de regarder et de comprendre : le livre de Pierre Bergé sur la collection Yves Saint Laurent Pierre Bergé, plus difficile et plus profond, le livre de Pierre Boulez " Klee, le pays fertile ". Si vous avez des difficultés de compréhension n'hésitez pas à me poser des questions, pour le plus grand profit des internautes.
Ceci est pour l'oeil. Quid pour l'oreille? C'est là que les difficultés commencent car si on peut voir cent fois un tableau, on ne peut entendre cent fois une symphonie !
On doit se rabattre sur des recettes de cuisine. Les miennes sont larges mais très exigeantes. Nous sommes à une époque où nous sommes litteralement pollués par le bruit, et de la musique de fond de poubelle. Et il est si facile, la mode aidant, de céder au moche, à l'hideux, au minable ! Or rappelez-vous des paroles de Buddha : les objets impurs s'entourent d'hommes impurs.Il n'y a pas de place pour eux dans ce blog, il en est tant d'autres plus glamour, plus distrayants,plus alléchants ! J'ai concocté pour vous des mesures négatives, après quoi le vid étant fait sur le moche, on peut s'attaquer au beau et devenir apte à comprendre la "grande musique" qui est loin d'être rébarbative, bien au contraire. Et qu'on ne dise pas que j'ai la sciences infuse ! Mes propos sont d'une extrême banalité et il vont tellement de soi pour les connaisseurs et les nombreuxamareurs de musique classique, qu'ils ne daignent pas tendre la main à ce qu'ils nomment des néophytes, des barbares, dou qu'ils ignorent tout simplement.Ces règles négatives, je dirais hygiéniques sont surtout valables pour les enfants dès leur jeune âge car ils sont vulnérables et absorbent tout sans discrimination, comme des éponges.
Baste de considérations générales et de préambules, venons-en au fait !
MESURES NÉGATIVES
Une baignoire pleine d'eau sale et contaminée n'est pas plus nocive qu'une baignoire remplie d'eau non potable au tiers! L'eau est propre ou est contaminée, il n'y a pas d'intermédiaire!
De même il faut éviter la musique polluée, commerciale, alléchante mais facile pour les paresseux. Il faut se garder chez soi de faire entrer ce genre d'horreur sous le faux prétexte qu'il faut se distraire. On prend vite des habitudes de paresse.
Le plus grand regret de ma vie, est les années que j'ai perdu dans le cocon familial : je lisais tous les SAS (vous savez, le Prince Malko Linge et ses aventures sexuelles, et comme tout va de pair dans ma barbarie, il se meublait chez Romeo rue Saint Antoine, le magasin des nababs du pétrole). Ou alors des policiers de la même eau. Boileau et Narcéjac étaient presque trop intellectuels pour moi. Mon idéal ? Passer des journées à me bronzer au soleil, en attendant un succulent repas de saucisses et de choucroute. Ma femme était allemande). J'avais grossi, j'affichais un bonheur bestial ... et je finis par perdre plusieurs de mes clients ! Ne croyez pas que je suis vraiment cultivé. A cause de ces années perdues, ce manque de curiosité pour la musique contemporaine, pour la poésie, pour la littérature de mon temps, je vécus sur mon fonds acquis pendant mon adolescence, pendant la guerre où j'étais protégé de ces attaques. Ma culture est donc pleine de trous, que j'essaie depuis quelques années de ravauder péniblement. Mieux vaut tard que jamais. Mais à présent que je fais des efforts et que je finis par découvrir de nouveaux territoires, quel émerveillement! Quelle joie pure. Quelle énergie infusée par les génies que je cotoie maintenant!
Donc premier conseil, ne suivez pas mon triste exemple, vous qui êtes encore jeunes et perméables. Les voies du paradis sont malaisées. L'autoroute mène à l'enfer !
Consacrez chaque moment de disponible pour vous familiariser avec les chefs d'oeuvre de notre temps ou du pasé, de toute culture et de toute civilisation. Ils vous rendront la monnaire au centuple et plus vite que vous ne le pensez.
Si vous allez au duomo de Pise, vous devrez payer, pour vous trouver devant une armée de touriste devant des machines à sous. N'est-ce pas un sacrilège? Que reste-t-il de la noblesse et de la saintetné du lieu?
Il en est de même de ceux qui écoutent, l'i-phone vissé à l'oreille ou comme musique de fond, de l'admirable musique nécessitant respect et attention. Si vous avez besoin d'un bruit de fond,les grands compositeurs comme Chopin, Mozart, ou Debussy, Johann Strauss, en ont composé pour remplir cette fonction. Profitez-en.
MESURES POSITIVES
En ce qui concerne la musique dont l’accès est le plus difficile, je pars de la constatation que Beethoven est le plus proche de nos habitudes musicales, plus encore que Mozart beaucoup plus complexe. Il est plus facile de s’orienter dans les 135 partitions du maître de Bonn, toutes très fortement typées et très reconnaissables. Par ailleurs Beethoven est très sentimental, plein de passion et relativement simple dans son expression : c’est une lutte entre l’humour, la nostalgie, l’amertume, la farce, la douleur intense et intolérable. En revanche, il est vrai qu’il apporté la forme et la structure musicale ignorées jusque là, à l’exception du Bach vieillissant. Mais il fait oublier la puissante novation de la forme (3 « manières » + une posthume que l’on perçoit dans la Xème symphonie et qu’annonce le dernier quatuor « la décision difficilement prise ». Beethoven va donc nous servir de point de départ.
C’est le compositeur lui-même qui va se charger de votre apprentissage. Pour cela achetez les 32 sonates pour piano, interprétées par Wilhelm Kempff, le plus musical des grands maîtres. Backhaus lui est supérieur mais trop rude, moins séduisant.
Une fois que vous avez ce coffret, il vous suivra tout au long de votre existence.
Commencez par la première sonate, un essai de jeunesse influencé par Haydn, mais où la passion du maître se manifeste déjà. Ecoutez-la. Quelques mélodies vont sans doute surnager sur un fond musical flou et quelque peu ennuyeux. Alors, le lendemain réécoutez la sonate, puis encore et encore. A votre surprise vous verrez tout s’éclaircir et de venir mélodie. La sonate se mettra à chanter dans vos oreilles, et vous vous surprendrez à la fredonner. Alors, il sera temps de la quitter et de passer à la suivante, déjà beaucoup plus originale et aboutie. Lorsque vous l’aurez dans les oreilles en totalité, vous constaterez que le jeune Beethoven a considérablement muri.
Vient alors ce que Beethoven appelle « grande sonate » et qui est son premier chef d’œuvre parfaitement cohérent et d’une complexité sans précédent chez ses prédécesseurs. Le rire domine tout dans cette sonate, avec juste un soupçon de nostalgie amoureuse et de colère. Le rire en musique, c’est le trille, un battement de deux notes, et le trille est à la base de toutes les mélodies importantes de la sonate.
En continuant ainsi, non seulement vous irez de plus en plus vite dans la compréhension des sonates, mais des caractéristiques structurelles communes vont apparaître. Vous remarquerez par exemple qu’une sonate a au minimum trois « mouvement ». Le premier et le troisième sont rapides, celui du milieu, lent et de caractère sentimental ou méditative. Ce que l’on nomme les grands adagios beethoveniens. Mais il y a des sonates plus complètes qui en ont quatre. Entre le mouvement lent et le dernier mouvement rapide, vous avez une forme plus légère, plus fantasque ou plus gracieuse que l’on nomme menuet ou, quand elle est sardonique, scherzo (plaisanterie en italien). Alors que tous les mouvements sont gouvernés par le principe de dualité : deux thèmes s’opposent, un dominant, l’autre de caractère opposé, résistant ou contradictoire, ce qui crée une tension dans toute la sonate, dans le dernier mouvement, c’est le thème principal qui triomphe sans contradiction.
Vous remarquerez dans six mois ou deux ans, selon vos disponibilités, que l’ensemble des sonates connaît trois styles différents. De la 1ère à la 16ème, c’est le jeu qui domine. A partir de la 17ème, Beethoven comprend qu’il va être sourd et veut se suicider. (Testament de Heiligenstadt). Il décide de « saisir le destin par la gorge » au prix de déchirements incessants, mais son style s’est élargi, amplifié. Il n’est plus question d’écouter sa musique comme un divertissement pour aristocrates ni même pour amateurs cultivés. Il écrit avec son sang. C’est l’époque de la symphonie héroïque (à la mémoire d’un héros défunt pour lui : Buonaparte devenu Napoléon). C’est aussi celle de la Vème Symphonie (le destin qui frappe à la porte) et de l’amour de la nature qui se manifeste dans la Symphonie pastorale.
Et voici que Beethoven sent qu’il a perdu la partie. Il tombe dans une dépression profonde et devient incapable de composer, pendant deux bonnes années. Et surprise : il revient avec une moisson d’œuvres dont la sonate N°28 est la première. Mais quelles œuvres ! Etranges, souvent incompréhensibles, d’une complexité et d’une audace qui les rend rébarbatives pendant plus d’un siècle. Les critiques sont indisposés, sans trop oser de critiquer ouvertement le génie. Mais Féris et bien d’autres musicologues célèbres dans les traités professionnels ne se privèrent pas de porter sur toute l'oeuvre tardive de Beethoven, que celle que Guy Sacre réserve à la seule Op.106, la 29ème sonate. C'est dans le grand Larousse du XIXème sièclen que j'ai relevé une appréciation péremptoire à propos de la IXème Symphonie : ce sont des plumes d'aigle éparses, témons de ce qu'avait été jadis le génie qui a composé la Pastorale. Une fois j'interrogeai un membre du quatuor Lowenguth qui venait de signer une intégrale des quatuors de Beethove, très favorablement accueilli par la critique. "Les derniers quatuors,merci bien ! On les a joué parce qu'ils étaient dans notre programme de l'intégrale, mais ils sont obscurs, incompréhensibles ! " J'étais à ce moment indigné avec toute la hargne de mes vingt ans (que j'ai paraît-il conservé! ). Le livre magistral de Joseph Kerman sur les quatuors, devaient démentir ces assertions pontifiantes, mais en les excusant toute fois, car lorsqu'on les approfondit on est saisi de vertige face à la complexité et la rigueur presque mathématique et longuement méditée des derniers, appartenant à la "troisième manière".