CHRONIQUE
Immobilisme et stagnation
Je suis contre, on l'aura compris. Mais je saisis l'occasion pour donner l'exemple d'un entreprise familiale que j'aime et que je respecte depuis des décénnies et de la manière de laquelle elle s'est préoccupée de sa succession. Grâce à son président, mon ancien disciple, j'ai reçu une magistrale leçon de mise en garde contre l'immobilisme. L'élève a dépassé le maître.
Pourtant cette mise en garde contre la paresse d'esprit et le manque d'imagination qui sont à l'origine de l'immobilisme, je les ai combattus pendant toute la première partie de ma carrière de conseil et d'enseignant, vouée à la SDT, la Simplification Du Travail. Cette discipline exige évidemment que l'on fasse la guerre à toutes les tâches inutiles héritées d'une pratique rodée et qui paraissent d'une évidente nécessité.
Mais la SDT ne s'arrête pas là, car après la phase d'analyse, vient celle de la combinatoire, de la reconstruction sur de nouvelles bases qui ne doive rien aux habitudes et aux préjugés passés.
Je vais vous en donner un exemple d'application dans le cadre d'un grand et célêbre magasin de la capitale : le BHV où je passai 17 ans de ma vie professionnelle en contact étroit avec le personnel de base : caissières, manutentionnaires, vendeurs, chefs de secteur. Ci-dessous on me voit à cette époque, dans mon somptueux bureau du BHV. C'était un privilège d'avoir ainsi un bureau pour soi tout seul. Celui ci donnait sur la cour de la rue de la Verrerie et j'n étais très satisfait !.
Lorsque des clients achètent dans plusieurs rayons des marchandises destinées à être livrées, quoi de plus naturel que de les regrouper au fur et à mesure des achats sous une adresse unique définie par un numéro d'ordre. Le lendemain les camions de livraison chargeront les marchandises d'après le numéro d'ordre. Le problème est que lorsqu'on commet une erreur de numéro, et cela arrive souvent, la marchandise stagne dans les entrepôts alors que le client n'est pas livré. Pour atténuer son mécontentement, on est obligé de recommander de la marchandise . Que faire? Il existe un moyen radical mais qui semble absurde : livrer chaque colis séparément au client. Plus de No d'ordre, puisque c'est l'adresse qui prévaut. Donc, si l'acheteur achète quatre lots dans des rayons différents, chacun va lui être livré séparément et directement.
Aussi curieux que cela paresse, je ne me suis pas interdit d'éxaminer cette solution qui s'est révélée la.seule valable et constitua le fondement du système dit des "zones". On gagna sur tous les tableaux aussi bien celui de la fiabilité que celui des coûts d'établissement des bordereaux de livraison destinés aux livreurs et énumérant la liste des marchandises classée par numéro d'ordre.
Ci-dessous, on me voit à Acapulco pendant un week-end touristique avec Roger Staffe. Le BHV, très généreusement me payait des voyages d'études aux Etats-Unis, dans des conditions exceptionnelles de confort. C'est ainsi qu'au cours d'un séminaire MMM donné par Trujillo,le visionnaire de la grande distribution, je rencontrai Gérard Mulliez, qui fut le seul à avoir compris l'enseignement et à le faire passer dans la pratique.
J'entrainai mon patron, le directeur de la logistique (manutentions, stockage, livraisons) Roger Staffe aux Etats Unis et cela renforça beaucoup notre complicité professionnelle. Sans son appui inconditionnel, j'aurais végété lamentablement ou pis encore, je serais monté à la direction du groupe, bien loin de la réalité. On remarquera ma maigreur et mes yeux un peu hagards de visionnaire. J'étais un ennemi acharné de l'immobilisme, des rentes de situation et du gaspillage. Je n'inspirais guère confiance aux pontifes traditionnels qui me prenaient pour un exalté irréaliste et un révolutionnaire utopiste. , Quelques uns en revanche furent mes partisans enthousiastes comme le Président du lait Gloria Pierre Poux , et surtout Monsieur Peuch-Lestrade, président de Primagaz qui me laissa le soin de former M. Jean Charles Inglessi, le fils du fondateur, au management. Ce fut le début d'une relation de confiance qui perdure encore aujourd'hui.
L'intelligence di Directeur de la logistique, Monsieur Roger Staffe, fut donc de me faire confiance et de me soutenir dans ma démarche, alors que les Galeries Lafayette et le Printemps, eurent recours à une informatisation qui aggrava encore le problème en ajoutant aux erreurs de la machine à celle des hommes. Mais informatiser était chic, alors que la méthode des zones utilisait de papier crayon et de petites calculettes, ce qui nous valut d'être taxés de régression technologique. Et après? dit notre président. Si on gagne sur tous les tableaux, n'est-ce pas suffisant? N'est-ce pas le but de notre politique d'économies?
Hélas tout a une fin, et à la suite du départ de Georges Lillaz, génie des affaires et coeur généreux, ce fut un transfuge informaticien des Galeries Lafayette qui rétablit l'ordre informatique et signa l'arrêt de mort du bon sens et de l'innovation véritable. Je quittai alors le BHV pour gagner une entreprise de distribution commerçante et innovante, dirigée par un génie terre à terre comme je les aime. Et voyez-vous, j'y suis toujours!
Mais cette remise radicale en question demandait une fraîcheur d'imagination et une mobilité psychologique que j'avais tendance à perdre, comme me le rappela mon ancien disciple.
Une image utile par les temps qui courent : en temps de crise grave, le cercle de feu se rapproche, menaçant les scorpions qui, paniqués, s'entre-dévorent. La seule voie est la sortie par le haut, et l'échelle qui la permet, c'est la mobilité des esprits et des organisations. Mon fils vice-président d'une banque vénérable, forte de 150 ans d'expérience et d'une réputation sans tache, comptait faire sa carrière dans cette organisation qu'il aimait et connaissait intimement, sans se rendre compte qu'il s'enfonçàit dans le coocooning. La faillte brutale et inattendue de la banque, le livra, nu, au milieu de la tourmente. Il travailla comme un fou pour trouver de nouvelles perspectives et quelques opportunités se présentèrent qu'il sut saisir avec acharnement et persévérance.
NOTE : je vous conseille de revoir le billet du 4 avril 2009 : Les leçons d'un échec. Je l'ai refait de fond en comble et enrichi de beaucoup d'images de qualité. Lisez la suite de ce billet dans "continuer à lire".
EVITEZ LES CONFUSIONS
1°) Permanence n'est pas immobilisme. Dans les affaires comme dans la nature il y a des cycles longs et des cycles courts. Il faut respecter ces dernier et "laisser du temps au temps" ce que l'on a rarement tendance à faire à une époque ou l'urgent et le court terme priment la réflexion à long terme.
L'organisateur digne de ce nom doit rester aussi longtemps que possible dans une entreprise (à moins d'en être limogé) car seule cette permanence lui permet d'assimiler les cycles longs. En ce qui me concerne, il m'arrive frequemment de rester des décénnies à mon poste de conseil et de succéder aux président, ce qui finit par faire de moi un dépositaire de la mémoire de l'entreprise, auprès des plus jeunes. Comme on n'est pas immortel, il est nécessaire de former son successeur. J'en ai un dont j'ai tout lieu d'être satisfait. Il m'a promis de ne jamais essayer de progresser dans la hiérarchie de son entreprise. Un organisateur digne de ce nom est en marge de la hiérarchie et des intrigues de palais. Il ne doit des comptes qu'à son président.
2°) Bougeotte n'est pas mobilité.
La mode est au changement perpétuel sous prétexte d'accroître son expérience. Mais pierre qui roule n'amasse pas mousse et le mercenariat n'est pas une leçon de mobilité. Les organisateurs qui passent d'entreprise en entreprise, plutôt que d'enrichir leur expérience, ne font bien souvent que de disséminer leurs tics et leurs idées reçues. Evidemment ils paraissent ainsi apporter du sang neuf, et ils le font quelquefois,mais une fois implantés dans leur nouvel environnement, ils ne nous donnent aucune garantie de mobilité véritable, et se contentent comme je viens de le dire, de vieilles routines. Le changement de contexte ne peut que rarement provoquer un choc salutaire.
L'exemple typique, quasi caricatural, est fourni par les grands cabinets d'organisation. Ils dressent de façon toute militaire leurs ingénieurs à penser maison, et interdisent l'entrée dans leur bibliothèque d'autre chose que les papiers issus du cabinet. Toute tentative de créativité est bien souvent découragée. Je ne connais que trop ces pratiques, dont la mère Arthur* est le plus brillant exemple
*La mère Arthur, (d'après Arthur Andersen,et Arthur Doolittle) est le nom collectif que je donne à tous les croque-dollars (mangiafranchi des italiens) à commencer par Accenture, Mc.Kinsey ou autres parasites de la même eau.. Leur immense talent consiste à persuader les gogos et les PDG naïfs, que leur apport est indispensable. L'un d'eux remet toutes les semaines au Président, un compte-rendu de l'avancement des travaux, imprimés en énormes caractères pour remplir les pages et donner à leur client des explications. Il en ressort que le Président est un homme sage et avisé et qu'il a pris la bonne décision en ayant recours à la Mère Arthur. On m'a bien souvent proposé de confortables primes en échange de mon appui auprès de mes clients.
Ces gens-là sont des virtuoses de powerpoint, qui permet de découper l'information en tous petits énoncés projetés par des écrans géants. En voici un exemple :
IL VAUT MIEUX VISER LA PERFECTION ET LA MANQUER
QUE VISER L'IMPERFECTION ET L'ATTEINDRE
Signé WATSON,IBM..
Mais lutter contre ces mastodontes,c'est se battre contre des moulins à vent.