CHRONIQUE
Deuxième fondation. Mors ultima ratio
Socrate, cher à mon coeur, qui sponsorisait la deuxième fondation, l'a tuée dans l'oeuf. Il fut certainement influencé par l'unanimité des muséologues qu'il a consulté et qui pour des raisons que je ne commenterai pas ici ont condamné sans appel un projet qu'il ne comprenait pas. Comment ne pas donner raison aux experts?
Mais il avait aussi des arguments bien plus forts. Il estimait en effet que cette Deuxième Fondation avait besoin de décennies pour être viable et qu'elle ne pouvait être menenée à bien que par moi. Or mon espérance de vie maximum est de trois ans, sauf miracles de la médecine. Il avait incontestablement raison. Ne faut-il pas être fou pour me suivre dans le chemin du futur? Par ailleurs seul un sponsor compréhensif et passionné peut patronner un projet culturel qui ne peut être considéré qu'avec répugnance par un pur homme d'affaires. Or Socrate n'est ni Getty, ni même Costakis qui avec des moyens tres limités construisiit un ensemble, le premier du monde de peintures de l'avant-garde russe. Il ridiculisait du même coup tous les muséologues consultés par Socrate, et responsables de l'avortement douloureux de cette Deuxième Fondation.
Que faire? Comme ces fourmis dont on a dévasté la fourmilière et qui se mettent aussitôt au travail pour la reconstruire, je ne me résigne pas à abandonner un projet auquel je crois et qui est nécessaire à notre civilisation comme une petite chandelle allumée dans les ténêbres. Je vais donc me mettre en quête d'un sponsor susceptible de m'aider.
Par ailleurs l'important pour moi n'est pas la Fondation mais l'affection profonde que nous nous portons Socrate et moi et qui est indépendante des vicissitudes materielles Paradoxalement elle sort renforcée de sa décision de mise à mort de notre projet commun. Il me l'a en effet annoncée avec une extrême délicatesse et dans sa lettre qu'il m'adressa transparaissait une sorte de tendresse qui me toucha.
Je suis encore plus fou que je le pensais, mais c'est plus fort que moi. J'agis comme si j'avais vingt ans et toute la vie devant moi!
En dépit de ces bonnes résolutions, je me sens quand même perturbé, et mon corps avait par avance annoncé la décision de Socrate. Il accuse maintenant le choc.
Soyez heureux, vous qui êtes jeunes, courageux, travailleurs et en bonne santé. Dans le typhon qui s'annonce bien d'opportunités s'ouvriront à vous.
Il est 7h22, mais j'ai repris ce papier rédigé hier nuit à 2h28.
Bruno Lussato.