CHRONIQUE
Rencontre avec Mediavilla
Claude Mediavilla est sans conteste un de plus grands calligraphes du monde, et celui qui a le plus approfondi le sujet.
Avant d'aborder ce sujet de fond, la dernière nouvelle de cette Vente qui Siècle qui présente bien des côtés pittoresques ou énigmatiques.
Qui ne se souvient de l'affaire des deux têtes provenant du Palais Impérial et revendiquées par la Chine comme des pièces volées. Mais volées quand? La porte est ouverte à d'autres demandes de restitution encore plus valables, comme les frises et mosaïques du Parthénon par la Grèce, ou bien des statues egyptiennes qui à l'exception du grand oblisque, don officiel de l'Egypte à la France, ont été pillées sans scrupule.
Nous savons que l'acheteur a fait monter les enchères pour empêcher qui que ce soit d'autre de les acquérir. Après quoi il a refusé de payer les deux têtes sous pretexte qu'il était l'émissaire du gouvernement chinois et qu'il voulait obliger Pierre Bergé à les restituer sans contrepartie.
Mais voici que Pékin vient de démentir catégoriquement cet acte. Le gouvernement chinois entend respecter sa parole et ne couvre pas des actes dus à un nationalisme obtus. On attend la suite avec curiosité. Mais revenons à la calligraphie à son sommet.
L'oeuvre maîtresse d'un maître
Mediavilla prépare un projet qui sera l'oeuvre de sa vie. Il s'agit d'un livre, dont les feuilles seront amovibles pour permettre leur exposition, et qui comprendra toute l'histoire de la calligraphie, des papyrus egyptiens aux oeuvres de Schneider, de la calligraphie hebraïque ou arabe à l'improvisation chinoise et japonaise. Seul Mediavilla avait l'universalité nécessaire pour réaliser un tel projet. Il me faut à présent trouver un sponsor. Celui qui détiendra un tel monument peut être assuré de l'immortalité de son nom, comme Grolier ou Fouquet.
Une rectification s'impose sur la dénomination des ors. Or à la coquille signifie peinture d'or appliquée au pinceau. C'est celle que j'ai pratiqué dans mes manuscrit "Pepys" de L'Entretien. C'est aussi la plus facile à réaliser. Bien qu'un brunissoir d'agathe lui donne un éclat, ce n'est en rien comparable avec les enluminures à la feuille d'or.
La peinture à la feuille d'or est appliquée de la façon suivante. On trace sur le vélin le contour de la lettre avec une mine d'argent ou avec un crayon très dur 7H. On remplit les contours avec une préparation spéciale. On applique alors par petits morceaux la feuille d'or et on brosse doucement la lettre pour chasse les surplus d'or. On le voit, ce n'est pas simple. Le resultat est brillant mais plat.
Le peinture au "gesso" est beaucoup plus compliquée. C'est celle qui est appliquées dans les manuscrit anciens et je ne pense pas que le papier puisse servir de support à ces merveilleuses lettrines en relief, brillantes et reflétant la lumière d'une manière fascinante. On doit alors appliquer un mélange complexe de plâtre 'il gesso " et d'amidon, qui assurera le relief de la lettre, puis on soufflera dans avec une canule l'air humide de la respiration, mais en veillant à sa juste émission. C'est alors que rapidement on appliquera la feuille d'or avec un pinceau et qu'on la brossera avec délicatesse pour en chasser les scories. Chaque lettre doit être tracée une à une pour respecter les temps de chaque phase et la continuité des opérations.
Nous ne connaissons qu'un seul exemple dans le monde d'un livre d'heures entièrement calligraphié en lettres d'or au gesso. Nul d'autre qu'un certain Ramo de Ramedellis le Maître des manuscrits latins de la BNF, put réaliser en Italie, cet exploit. Le célèbre François Avril de la BNF déclara que c'était le plus beau manuscrit italien en mains privées qu'il ait vu depuis des années.
Bien qu'aucune reproduction ne puisse rendre justice à une telle oeuvre, destinée à la Seconde Fondation j'essaierai de vous en transmettre une image, si mon serveur veut bien y consentir.
Médiavilla s'étonne qu'aucun des hommes d'affaires qui investissent des millions de dollars en bijoux, ou en matières premières, ne s'interessent à l'acquisition de tels chefs d'oeuvre, qui sont de bien meilleurs investissements que ceux que leur dictent les logiques financières et l'appétit de lucre. On est bien loin des Médicis ou plus simplement de Ludwig ou du baron Thyssen appuyé par toute sa famille.
Je lui répondis que ces gens-là préfèrent perdre de l'argent avec l'inculture, qu'en gagner avec des biens culturels, tant ils sont viscéralement allergiques à tout ce qui relèverait d'un humanisme qu'ils méprisent.
Le seul qui me paraisse digne d'un tel investissement est mon diciple préfére, Brutus, dont l'appetit de connaissances et de progression, et la faculté de compréhension soit aussi marquée font mon admiration stupéfaite. Une telle acquisition vaudrait honneur et pérennité au nom illustre qu'il porte et qui a joué déjà un rôle majeur dans l'histoire de son pays.
Ci-dessus, une page du manuscrit en lettres d'or.
Détail des voeux d'anniversaire De Claude Mediavilla
Ci-dessus voeux de Mediavilla pour mon 76eme anniversaire
Revue Critique
On trouvera dans le corps du billet, des analyses de Mediavilla sur ses contemporains, y compris mes propres productions.
Analyse critique à partir de Calligraphy today.
Cet ouvrage, paru en 1982 chez Thames and Hudson à Londres est un florilège de la production calligraphique de l'après guerre. Il est préfacé par Hermann Zapf et je crains qu'il ne soit très difficile des se le procurer. Nous l'avons feuilleté avec soin et je regrette que ma mémoire défaillante ne me permette de retenir que quelques bribes de ses précieux commentaires.
Commençons par Gudrun Zapf, la femme de Hermann. C'est une excellent calligraphe à placer au premier rang.
On ne peut dire autant de Donald Jackson célèbre et surfait.
Gottgfried Post de Wiesbaden a beaucoup de talent.
Julio Vega de New York auteur d'une écriture serrée proche d'une demi onciale passe de bas en haut d'un papier canson noir de plumes Mitchell par toutes les nuances les plus subtiles : de bas en haut bleu, orangé et jaune pâle, évoquant des flots éclairés par le soleil levant. Ce projet personnel fait allusion à l'Or du Rhin de Wagner. Le résultat est plus qu'honorable.
Une mention pour Karlgeorg Hoefer d'Offenbach sur le Main, en Allemagne de l'ouest, pour un appel d'Einstein aux peuples de la terre.Ce poster est écrit à l'encre de chine sur un papier japonais en Antiqua tracée par un plume large.
Excellent le travail de Jovica Veljovic, Suvi Do en Yougoslavie. Ecrit en encres de plusieurs couleurs : verte et sépia, superposées et fondues. C'est une carte postale écrite avec un bâton de bois. Face à cette oeuvre on en trouve une tout à fait équivalente de Paul Freeman de New York.C'est un alphabet d'encres entremêlées de nuances séduisantes et de jolis effets de transparence dans tous les tons de sépia. Mais le résultat est mou et mort, comparé à la réussite de Veljkovic.
Christell Aumann de Munich, jouit d'une notoriété méritée dnas le milieu fermé des spécialistes. Elle s'exprime par une plume d'oie alternant avec un pinceau.
Je passe sous silence les oeuvres de Zapf ou de Schneider qui se passent de commentaires.
Jugement critique sur les deux versions de l'Entretien.
En dépit d'erreurs et de maladresses, on ne peut écarter cette version.
Mediavilla a apprécié la mise en page asymétrique avec des espaces irreguliers qui donnent du dynamisme àla page. Mais il y a une hétérogénéité dans les e, tantôt en onciale, tantôt en caractères brisés (les meilleurs).
Approbation de Mediavilla pour le volume Pepys 1 , changée en stupefaction à la vue du tour de force du volume 2. Il m'engage alors de perséverer dans les volumes Pepys. Je lui ai demandé d'initier la remise sur l'établi, par quelques mots d'encouragement.
Il a été passionné par l'application du dripping pour les lettrines des volumes en peau d'éléphant destinés à la BN, et aussi par les effets de palimpseste du volume noir.
Ci-dessus des lettrines sur fond de dripping, et faux palimpseste.
Un autre exemple de dripping sur fond noir. Le "gribouillis" est à peine visible, mais c'est lui confère une texture et une vie à une image de fjords assez lugubre.
Fragment d'une page du codex peau d'éléphant bleu-gris. Fond de mica Pentel, ors Pilot,écriture tracée au feutres calligraphique Pilot,
Page de garde du manuscrit sur japon nacré de la Flûte de Jade.
Salvador Dalì qui appreciait ce travail manifesta son approbation en signant la page de garde et en m'incitant à mystifier les gens en disant que mes planches étaient de lui, ce qui évidemment est impossible!
Ci-dessus une vue d'une page de calligraphie de La Flûte de Jade sur japon nacré. L'écrin est une imitation des exemplaires de tête de L'Apocalypse de Joseph Foret.
Je suis très fier de cette calligraphie de mon invention qui rappelle des bambous ou des herbes desséchées.
Comme je l'ai dit plus haut, l'impression de Mediavilla fut la stupéfaction. Il n'avait de mots pour décrire l'entreprise impossible que represente la totalité du corpus de L'Entretien. Un seul prédécesseur illustre : William Blake a accompli de concevoir d'un jet écriture, poème et peinture. Mais il ne s'agissait pas chez Blake d'un manuscrit unique, mais d'impressions toutes différentes les unes des autres comme une estampe de Hokusai.
Tout ceci m'encourage à perséverer, mais un doute subsiste, pourrai-je atteindre le niveau d'antant? Depuis mes deux mains hélas se sont détériorées. La main gauche a subi une opération qui a condamné le médius, qui ne répond plus aux sollicitations et je viens de m'apercevoir aujourd'hui qu'il vient d'y pousser une excroissance osseuse qui ne présage rien de bon. Quant à la main droite elle souffre de ce qu'on nomme le ressaut que l'on corrige par l'exercice et l'eau chaude. Le piano est bénéfique de ce point de vue. On a souvent tort quand on voit ces chefs d'oeuvres de haute minature : camées, médailles, filigranes, squelettes de montres extra plates, etc... l'importance de la main plus que de l'oeil. Au fond l'oeil ne fait que contrôler le processus qui intervient directement du psychisme au corps. Je serais curieux de voir la suite, mais j'avoue que j'appréhende l'épreuve de vérité.
Et puis je n'ai aucune indication sur la valeur du texte. Chezles lecteurs du departement des manuscrits, même réaction d'étonnement. On ne peut changer un mot à un texte qui ne ressemble à aucun autre et qui semble s'être constitué par autoorganisation. Pas de référence, pas de modèle à quoi le rattacher. C'est pourquoi j'ai imprimé des morceaux choisis en ne laissant cette tâche de sélection et d'impression par laser, à nul autre que moi. J'ai fait dupliquer les volumes mais les originaux ayant disparu, Michel F*** mon fidèle ange gardien, a dû se charger de la difficile remise en ordre du Photoshop voisin de chez moi, qui a travaillé sans soin et sans amour; les paginations étant erronées.
Ceux qui désirent avoir un exemplaire des morceaux choisis, peuvent me le faire savoir dans les commentaires ou par mon e-mail blussato@wanadoo.fr. Il devront simplement participer aux frais d'impression, notamment en ce qui concerne le papier couché, la reliure, et l'encre.
Dans l'espoir que certains d'entre-vous pourront ainsi avoir accès à L'Entretien, je vous souhaîte bonne nuit et une excellente journée de Lundi.N'oubliez pas d'aller vois l'avant-garde russe au Musée Maillol. J'en parlerai dans un prochain billet.
Bruno Lussato, 4h30 du matin.
Revu et corrigé avec des illustrations supplémentaires, le 9 mars 2009