CHRONIQUE
Mingei
Il s'agit, on s'en souvient (voir mon précédent billet) de l'art populaire japonais par opposition à l'art de cour précieux et raffiné réservé aux aristocrates et aux hommes puissants ou cultivés. Le Mingei a été l'année dernière, en France, à l'honneur dans plusieurs expositions, dont la plus importante et la première, fut consacrée à la collection Montgomery, la plus importante du monde après le Japon. Je crois savoir que Montgomery veut se dessaisir de cet ensemble muséal pour la coquette somme de1,5 millions d'euros, ce qui est au dessus des moyens de la Première Fondation à Uccle. J'ai donc décidé de constituer un ensemble rival pour une fraction de ce prix avec l'aide de Monsieur Boudin de la Galerie Mingei, et ce faisant j'ai beaucoup appris sur ce qu'est l'esprit Mingei et je pense pouvoir vous en parler sans dire beaucoup de bétises. Le problème majeur est le temps qui m'est imparti. Il faut que je réunisse un ensemble significatif avant trois ans alors que Mongomery a plutôt bénéficier de trois décénnies! J'espère m'en tirer à cause d'un plan dirigé vers une pédagogie pour le public et la constitution d'un musée Mingei, alors que Montgomery avait l'esprit d'un collectionneur et que ses choix étaient, ce me semble esthétiques, dédaignant les petits objets modestes et quotidiens tels que les Oribé. Leur petite taille faisait d'ailleurs l'objet de la critique de Marina Fédier, une autre enthousiaste de la fondation, qui n'aime pas la prépondérance des petites pièces, qui font bric à brac. Elle est comme Montgomery sensible à l'aspect esthétique des pièces exposées et pense qu'un musée se doit de montrer des grandes pièces majestueuses et prestigieuses. Vous pouvez vous procurer un très beau livre, non encore épuisé, sur la collection Montgomery, sous le titre de Beauté éternelle l'Art traditionnel japonais aux éditions du Seuil. Mais le plus intéressant à mon sens est hélas épuisé, mais peut être pourrez-vous le trouver par l'internet : " Michael Dunn, Formes et matières. Les arts traditionnels du Japon. 5 continents Milan 2005."
L'ambiguïté de l'esprit Mingei d'après Yanagi Sõetsu.
Elle provient de l'esprit Mingei tel qu'il a été défini par l'école de l'illustre maître Sõetzu Yanagi. La philosophie de ce dernier est énoncée en 5 points dont les 3 et 4, postulent que les objets mingei sont vendus à des prix économiques et produits en grande quantité, qu'ils ont une apparence naturelle et saine plutôt que l'élégance affichée de l'art pour l'art, Outre l'aspect subjectif et arbitraire de ces assertions (qu'est-ce qu'une apparence saine?) la pratique les contredit d'une manière flagrante , à commencer par la maison de Sõetzu et son fils Sori proche du designe a fait un siège horriblement cher et particulièrement inconfortable pour notre séant! Beaucoup des objets de Sõetzu dont les magnifiques calligraphies sont visiblement dépourvu de toute fonction autre qu'esthétique et poétique et sont produits en faible quantité.
En revanche, le Maître a raison lorsqu'il écrit en 1933 : il doit être modeste mais non de pacotille, bon marché mais non fragile. La malhonnêteté, la perversité, le luxe, voilà ce que les objets Mingei doivent au plus haut point éviter : ce qui est sincère, sûr, simple, telles sont les caractéristiques du mingei. (Cité dans les cahiers de la céramique et du verre, tiré à part du N° 163, Novembre 2008).
Là où le bât blesse, c'est l'insistance doctrinale sur l'anonymat, les grandes quantités produites, l'élégance affichée de l'art pour l'art, le bon marché. Ces conditions conviennent à une catégorie de produits : ceux produits industriellement, encore que la modestie ne soit pas toujours de mise (qu'on pense à tel objet de masse dont le prototype (signé et revendiqué par un designer célêbre) est horriblement coûteux. C'est ce qui explique les affinité, et même la consanguinité entre la doctrine de Sori et du design moderne et la collaboration fructueuse entre l'occident chic et épris de nouveauté, et le Japon. A l'exposition Mingei qui s'est tenue à la Maison du Japon, on trouvait des calculettes, de la vaisselle bon marché, des aspirateurs, des appareils de photo, et autres objets usuels soit banaux saoit frisant le gadget. La banalité issue de l'invasion des produits dans les étalages et de la qualité souvent médiocre et non durable. Souvent ces formes vieillissent mal et visent l'effet plutôt que la sincérité. Tant qu'à faire on préfère infiniment les réalisations des maîtres issus du Bauhaus, tels Saarinen, le créateur des tables et des chaises tulipes, ou l'inusable Mies van der Rohe.
Ce parti-pris est particulièrement pervers et anti-humaniste dans la mesure où il nie l'individu et son talent particulier. Son fonctionnalisme obtus l'apparente aux dictatures gauchistes ou hitleriennes ou au réductionnisme américain. Il faut au contraire affirmer avec force ce qu'un coup d'oeil dans la production mingei, que pour un objet donné comme une poterie ou un vêtement de pompier en cuir, tous les objets ne se valent pas, loin de là. Les prix sont calculés en conséquence et il faut une patience infinie bien souvent pour obtenir le haut du panier. Montgomery et moi-même en savons quelque chose.
Comment alors définir le mingei?
Cela ne peut se faire par déduction, par application de principes théoriques mais par induction, c'est à dire par l'observation attentive et passionnée des objets produits. Il faut, comme en tout, appliquer les principes de Socrate, si négligés par l'intelligentzia : distingues le bon du moins bon, et le moins bon du médiocre. Les musées cela sert à cela, y compris la maison de Maître Yanagi et le musée qu'il a inspiré. C'est en se frottant sans cesse à ce qu'il y a de meilleur que l'on progresse et qu'on refuse la facilité.
L'examen des pièces de cet artisanat populaire qu'est le Mingei, permet de faire ressortir plusieurs catégories d'excellence.
Tout d'abord les magnifiques poteries, douces à la main, aux formes irregulières et comme improvisées, mettant en valeur les fours traditionnels et l'art du potier. entre autres les oribe aux glaçures vert et crème, manquant étrangement à la collection Montgomery. On en trouve des exemples magnifiques dans le grand traîté sur l'art d'Asie, diffusé par le Musée Guimet pour un prix très modique. Deguster un thé vert dans une tasse d'oribe originale, ou même de sa réplique quelques fois en vente dans la boutique de Guimet, est un plaisir raffiné, qui demande un grand recueillement et qui en retour infuse de la sérénité. Ce n'est pourtant qu'une pâle idée de la cérémonie du thé traditionnelle.
Autre spécialité, le textile. Il est composé avec un extrême raffinement en dépit bien souvent d'une pauvre apparence due à la dureté des temps (couvertures rapiécées). Mais à son apogée, les vêtements (robes de cérémonie, de riches marchands, de prêtres ou d'artistes Nô) le textile fait preuve d'une imagination frisant le tour de force. fait de fibres de bois tissé ou de coton travaillé à la main. A propos du Nô, dont les costumes valent des fortunes et d'une somptuosité contredite par Maître Yanagi, il faut citer les masques. Nous en avons toute une collection partant de l'époque Momoyama, bien que la plus grande partide la production disponible des mingei soit la période Edo, et même fin Edo (milieu du XIXe siècle). On constate le même phénomène pour les arts primitifs, comme les masques nègres ou océaniens.
Le bois a également une importance primordiale. Il n'est généralement pas dissimulé sous une couche de laque précieuse, comme dans l'art de cour, mais laisse apparaître les veines, la texture, la patine, du bois naturel généralement précieux. Nous avons ainsi à la 1ère fondation deux crochets en bois servant de poulie et représentant les principes mâle et femelle en honneur dans l'art traditionnel. Citons aussi le mobilier en provenance souvent de Corée, des coffres, et bien entendu une foison de petits objets utilitaires tels que des tabatières, des plateaux de calligraphie, ou des crapauds et autres objets familiers. Malheureusement construire une maison en bois selon les normes japonaises est extraordinairement difficile. On en trouve des exemples dans les Jardins Kahn à Neuilly. Lorsque j'avais le centre des Mesnuls, M.Shingi, le patron de JVC si je ne me trompe, m'offrit un magnifique traîté sur la construction des pavillons et mieux encore voulut financer leur construction dans le parc exotique de la propriété. J'achetai des fusumas (écrans de séparation oiu portes coulissantes) magnifiques de l'école d'Osaka et une source traversait l'ensemble. J'avais pour soutien l'égérie socialiste et idéaliste d'Alain Gomez qui insista pour acheter le centre. Hélas, la droite venant au pouvoir, il se maria avec une dame BCBG, Clémentine G*** et changea de point de vue. Il commença par refuser le don des japonais : on n'a pas besoin d'eux, déclara-t-il. Puis il remplaça le projet de pavillon léger en bois, réservé à la méditation et à la cérémonie du thé, par une salle de conférence et des toilettes, en béton. Je lui demandai que faire de fusumas que j'avais acheté pour séparer les deux parties du pavillon et présentant de merveilleuses peintures sur chaque face. Des fusumas,, ce sont des portes. Les portes ça se vend! me répondit-il avec une désinvolture qui me mit en rage.
Lorsque j'achetai le centre des Capucins, je reconstituai grâce à la générosité de Monsieur Marcel Ringeard, membre du présidium de la maison Pilot, les parois intérieures et les tatamis. Je les amène partout avec moi. IIs me suivront dans la fondation d'UCCLE.
Les évènements traditionnels du Japon se succédèrent dans cette enceinte tels des danses traditionnelles, le maquillage des geisha, en présence des personnalités accroupies à la japonaise entre autres Jean René Fourtou, François Dalle et autres familiers des Capucins. L'Oreal décida de contrôler le centre et en devint propriétaire afin d'en assurer la pérennité Je devais animer le centre ainsi assuré de la survie. Hélas, les présidents se suivent et ne se ressemblent pas. J'eus affaire à une bureaucratie sans âme et je dus quitter les lieux. J'appris dix ans plus tard, que sans m'en aviser le centre fut mis en vente et les objets amoureusement rassemblés, tels un pianoforte de 1802 signé Tomkison, furent vendus, souvent à vil prix, à l'Hôtel Drouot. J'espère que de telles mésaventures me seront désormais épargnées et que mon sponsor actuel, homme d'une grande noblesse et d'une intelligence exceptionnelle, pourra en assurer la protection et le développement. C'est lui qui m'a donné carte blanche pour développer la collection Mingei et le chamanisme de l'Himalaya. Je suis donc un homme heureux.