CHRONIQUE
Logique d'une collection
On le sait, le but de toute collection est de rassembler des objets selon une règle plus ou moins explicite, sinon ce serait un simple entassement,le dépôt d'un marchand, le catalogue d'enchères d'un jour, ou bric-à-brac dans un grenier. En jargon mathématique, on dist qu'il s'agit d'un simple ensemble, dans lequel aucun élément n'est ordonné ni systématisé. Une collection est au contraire un ensemble systématisé, possédant un Univers U et une Caractéristique A (ou ensemble des relations qui organisent l'ensemble).Le critère qui gouverne l'établissement de la caractéristique, est la clé de la collection.
Dans la merveilleuse collection rassemblée par Yves Saint Laurent et Pierre Bergé, la clé est constituée par un certain nombre de critères : vase de excellence, beauté esthétique, novation, variété et non hiérarchisation des styles, des époques, des objets, d'un Goya à un vase de Dinand. Mais la constitution de la collection obéit à d'autres tropismes : absence relative de Klee, de Cézanne, de monnaies et médailles, de reliures de Pierre Legrain, présent par ses objets uniquement. Attraction pour l'Art Deco, ce qui est riche et quelquefois surchargé, lacunes notoires (l'Abstraction lyrique, l'Art conceptuel) les livres d'heures) cotoyant l'abondance de certains objets, généralement décoratifs et opulents: plats, coupes, objets de vertu, statues romaines aux nus émouvants de sensualité etde perfection.
Cette collection, par ailleurs, n'est pas un système logistique, c'est à dire au'il n'existe pas un idéal clos, dont on puisse dire : c'est complet, on ne peut plus aller plus loin. Elle peut au contraire s'accroïtre d'une manière certes organique (la logique de la beauté et de la surprise divine) mais polymorphe, au gré des circonstances, du hasard; foisonnant sans fin et arrêtée seulement par la mort d'un des deux amis; quoi qu'il en dise, il y a de la douleur, celle des abadons, dans la décision de se défaire de cet univers merveilleux, une sorte de travail de deuil.
Toutes proportions gardées, j'ai créé plusieurs ensembles muséaux sur ces bases un peu informelles : Le Centre Bruno Lussato au Musée de Genève, celui de la première Fondation à UCCLE, Bruxelles, et dans une certaine mesure, la collection de la deuxième fondation fantômatique à l'existence aussi incertaine, que le plan est organisé.
La plupart des grandes collections qui font l'essentiel des grands musées, obéissent au contraire à un plan strict et raisonné, pouvant atteindre la complétude. le conservateur des Monnaies et Médailles de la BNF, me disait qu'il recherchait uniquement des pièces qui puissent combler les lacunes d'une série. Par exemple la totalité des productions des ateliers pour un louis d'or à la mèche du roi soleil. Peu importe la qualité, l'état de conservation, la beauté : démarche de tout collectionneur de timbres-poste, le conservateur recherchait à remplir des manquants.
Cependant, les collections vraiment importantes, tout en recherchant la complétude (Plans d'acquisition, logiques de parcours pédagogique que je nomme Chemin de fer) acceptent aussi au gré des circonstances des donations ou des occasions exceptionnelles.Citons : La collection Barbier-Müller (Art africain) , le musée du quai Branly (Arts premiers) la fondation Baur, les collections du musée Getty, etc.
Avec mes minuscules moyens, j'ai constitué ainsi des collections spécialisées en veillant à ce qu'elles situent au deuxième rang français et au troisième rang international. Je citera : Le Musée du Stylo et de l'Ecriture, de loin le plus important au monde, et victime en 2001 d'un hold-up sanglant, La collection d'appareils photographiques et de caméras (comprenant la première caméra Lumière ), la collection de postes de radio, les archives Richard Wagner, les secondes après Bayeureuth (loin en tête) et contenant le manuscrit du premier jet du Ring et bien entendu, la collection de partitions musicales, la seconde en mains privées après celle, extraordinaire, de Fuld. Actuellement nous essayons de constituer un Musée d'art populaire japonais( Mingei) qui égale, puis surpasse la célèbre collection Montgomery. Si notre effort aboutit, nous nous situerons au deuxime rang mondial après le Japon. (Centre Lussato - Fédier à UCCLE, Bruxelles).
Si vous continuez cette lecture, j'évoquerai le cas paradoxal et, ce me semble inédit, de la Deuxième Fondation.
Un ensemble fortement intégré
La Deuxième Fondation, ainsi nommée par rapport à la première, située à Uccle constitue l'ensemble le plus intégré que je connaisse. ( en réalité, c'est la quatrième fondation que j'ai constitué) Ce que l'on désigne par intégration, est l'importance des liens qui unissent ou opposent chacun des sous systèmes, eux-mêmes organisés dans le système total. Les éléments de chaque sous-système est également organisé selon des clés bien définies. Je vais m'attacher ici à la description succincte de cette de ce projet, cher à mon coeur et à mon esprit et qui risque de capoter pour des raisons qui me dépassent et qui posent une irritante énigme à mon sens logique. On en jugera.
La Seconde Fondation
Quelques remarques préliminaires. Contrairement aux autres fondations, celle-ci ne m'appartient en aucune sorte. Elle est financée par un personnage important,, armateur grec, à qui je suis lié par des sentiments de profonde affection mais qui n'a pas par ailleurs daigné donner mon nom à ce fruit d'un travail acharné. Généralement pour un tel effort le muséographe est rémunéré, ou le marchand, se rémunère lui-même. Mais Socrate trouva que la passion de créer ce projet, serait une raison supplémentaire de vivre et une rémunération en soi. Il avait raison. Il créa donc cette fondation par amitié pour moi, et commença à entreprendre quelques achats prestigieux dans les domaines de la numismatique, des manuscrits à peinture, les incunables et d'un rarissime ensemble de trois Grolier, l'honneur de toute bibliothèque. Moi-même je comptais lui faire don d'un magnifique décadrachme signé par Euainetos, le plus grand maître de l'antiquité, avant même Kimon.
Tout le plan était arrêté et en voie de réalisation, quand, pendant ma longue et douloureuse opération qui me contraignit à rester à l'hôpital, je reçus une lettre fort mal venue en ces circonstances. Mon Sponsor, appelons-le Socrate M***, y déclarait qu'il s'était adressé à de grands experts en livres anciens (ce qui n'est qu'une fraction de la fondation) et autres sommités en muséographie. Le document était risible et absurde, alignant des conseils de mauvaise foi comme l'inutilité de constituer une collection à l'ère de l'Internet ou l'incapacité pour un privé de rivaliser avec les Grand Musées. Ma réponse critique et quelque peu ironique suscita la fureur du fidèle Socrate, et je dus inverser le sens de cette "expertise" pour en tirer un document conciliant et positif. Mais en attendant, brusquement, mon ami grec donna l'ordre de suspendre tous achats, même retenus auprès des marchands sérieux, et de quelques pièces irremplaçables comme l'édition originale de Copernic, ou de la lettre de Christophe Colomb annonçant sa découverte au Roi d'Aragon dont il ne reste plus d'exemplaires dans des mains privées, le manuscrit original ayant disparu. Il me consola en disant que notre amitié était supérieure à toutes les fondations. Par discrétion je m'abstins de lui faire le moindre reproche, mais l'énigme reste entière. Qu'est-ce qui a provoqué un tel revirement qui a condamné cete fondation? Si je rompts quelque peu l'anonymat, pour ceux qui sont au courant, c'est que les libraires lésés ne se firent pas faute de tisser la réputation qu'on imagine à Socrate voire à la Grèce tout entière! Du coup Socrate dans notre pays fut aussitôt paré d'une aura quelque peu sulfureuse. Ce qui suit mettra en lumière des circonstances encore plus étonnantes. Mais analysons tout d'abord le plan tout à fait original du projet.
La vocation de la seconde fondation
Il s'agit de mettre en évidence les processus de communication et de mémorisation qui permettent à l'esprit humain de progresser et leur donner un substrat physique, et mythique propre à impressionner le grand public, comme les experts et de susciter curiosité et désir de se cultiver.
L'idée de départ est la remarque de Nakov, l'auteur du catalogue raisonné de Malewitch, qui a constitué la collection d'avant-garde russe de mon centre de Genève. il disait qu'un musée c'est une grange toute blanche contenant dix chefs d'oeuvres de la peinture. Une autre inspiration, vient de l'anecdote sans doute authentique : Verdi se découvrant avec respect et méditant à Bonn devant le manuscrit de la IXème Symphonie de Beethoven. Je reconnus les mêmes marques de respect chez Pierre Boulez et Leroy Ladurie, examinant les premières notes musicales de Wagner de Siegfrieds Tod. Cette aura qu'exercent les objets d'exception par leur seule présence physique, je la retrouvai récemment, lorsque des gens de toute condition et de toute culture, eurent entre les mains les éditions originales de Copernic, Galilée (trois exemplaires dans le monde, dont un au Vatican, l'autre à la fondation Galilée!) ou encore la lettre de Christophe Colomb annonçant la découverte de l'Amérique au Roi d'Aragon.
On comprendra ma colère indignée à la lecture des experts de Socrate prétendant que grâce à l'internet on peut se passer des originaux? Ou encore que de tels chefs-d'oeuvre culte, ne sont à la portée que dans de grands musées! Je pense à ce qu'ils diraient de la collection de Pierre Bergé et d'Yves Saint Laurent, qui fait courir à Paris toute la planète des spécialistes, des experts, des conservateurs des musées les plus réputés!
A côté de cet immense évènement suscité par un sommet de la qualité, je citerai sur un plan plus modeste, le succès international de la "Vente numismatique du siècle" à Genève, qui atteint des prix jamais vus, pour une réunion de pièces jamais vue! La seule pièce de bronze d'Hadrien, je la manquai pour 2.200. 000 FS, et le Baron T, qui l'emporta contre moi était prêt à pousser les enchères jusqu'à 3.600.000 FS. 15 millions d'euros sont un prix courant pour acquérir un manuscrit à peintures de la plus haute qualité. Un Grolier peut atteindre 450.000 € soit plus que bien de magnifiques objets d'argenterie et d'Art Déco de la collection Bergé-Saint Laurent. Les hauts prix sont la règle dans les ventes d'envergure internationale, quel que soit le secteur artistique, et réciproquement, elles dépendent de la présence de pièces exceptionnelles et toutes d'un standard extrêmement élevé.
Autre remarque importante, sans frais, sans scénographie, sans personnel coûteux, les pièces culte, parlent d'elle même. Il suffit qu'un marchand ou un collectionneur passionné les guide et leur explique l'importance historique et esthétique de l'oeuvre. Un bon guide passionné y suffirait d'ailleurs. La combinaison d'un tel guide, et d'une logique de parcours, appuyée par un scénographie peu coüteuse, suffirait d'ailleurs. En d'autres termes, un tel ensemble muséal ne coûterait pas cher à maintenir, à entretenir et ne subirait aucun assaut du temps, n'étant pas tributaire de la mode. Les livres de Grolier firent déjà l'objet d'une préemption de Louis XIV et on connait par le menu les propriétaires successifs qui se transmirent de génération en génération les objets, quelques uns n'ayant jamais bougé depuis un demi-millénaire de l'endroit qui les vit naître. On se situe à l'opposé de l'Art contemporain. La nature fluctuante des pièces tributaires de la mode (Art Déco, argenterie en hausse, meubles Louis XV, paravents japonais à la baisse) est cependant compensée dans le cas d'une provenance illustre, voire mythique, comme celle de Saint Laurent et Pierre Bergé. On mesure le poids de cette origine quand on songe aux sommes absurdes atteintes par des pièces minéralogiques, dont certaines sont dignes de la poubelle (un bloc de pyrite). Nous avons un cas où l'importance donnée à la vente atteint le fétichisme.
Le parcours
Bien des parisiens se souviennent d'une exposition très fréquentée mettant en regard l'art de Pollock et celui des chamans, association inédite et fort instructive.Elle constitua même une révélation pour le public. Pourtant les oeuvres exposées, de bonne qualité sans plus, furent examinées avec le plus grand intérêt. C'est qu'un plan de visite simple mais particulièrement intelligent, ménageait des surprises de salle en salle. De même le parcours a-t-il une importance considérable dans la Deuxième Fondation. Il suit fidèlement la logique de constitution des achats, et de regroupement des pièces selon un plan ordonné et logique, facilement compréhensible par le grand public, ainsi qu'attractif pour des connaisseurs (à l'exclusion bien entendu des "experts" nommés par Socrate !).
Avant d'exposer le plan, je donnerai quelques détails pratiques, indissolubles de la mise à disposition du public.
Le site devait se trouver aux abords de Genève, sur les hauteurs et dans un endroit sec. L'accès devait être facile et bien balisé. La bâtiment consiste en trois corps de bâtiment: deux vieilles fermes pour le personnel, (nettoyage et guides), et pour les visiteurs de marque ou les étudiants. Le troisième corps, construit par un bon architecte, doit être une tour ronde ou octogonale, sur le modèle de la tour des arméniens de San Lazzaro, aux abords de Venise. Mes internautes en auront une idée en voyant Le Nom de La Rose avec Sean Connery, d'après le roman d'Umberto Eco. Un sas d'entrée unique et verrouillé, comprend un vestiaire, une mini-librairie, un petit salon de thé et la billeterie. Le rez-de chaussée, au centre, est occupé par des tables de lectures aux lampes d'opaline verte, comme on en trouve à la BNF Richelieu. Les murs sont constitués de vitrines, de bibliothèques en bois de palissandre ou de noyer teinté. La présence du bois est essentielle. Au premier niveau de la tour, faisant galerie, un projecteur et un écran de cinéma. Au dernier étage, des réserves d'ouvrages et d'objets. Le bois est une matière facile à entretenir et durable. Le Centre peut être fermé, comme enkysté, en cas de crise majeure. Il dort comme la tortue rentre dans sa coquille ou il hiberne. Un simple service de protection suffirait pour en assurer des visites sporadiques. Le Centre de ce fait, serait particulièrement préservé en cas de crise majeure, comme ses petits pavillons légers résistant aux tremblements de terre.
La deuxième fondation en tant qu'investissement
Bien que cette fonction soit étrangère à la logique du centre muséal, il faut signaler que parmi les biens qui résisteront à la pire des crises, la catastrophe entraînant la chute du système monétaire par exemple, les objets notés iiii ou iiiii, devraient survivre aux vissicitudes à long terme (20 ans). Encore faudrait-il que notre civilisation ne soit pas balayée par des barbares incapables de respecter un musée, une cathédrale ou un monument illustre. Dans le passé, hélas, les ruines partout dans le monde, montrent qu'on n'est pas immunisés contre de tels iconoclastes. Point n'est besoin pour cela de remonter aux Wisigoths, la Révolution Française est là pour nous le rappeler. Il ne reste plus une statue indemne sur la façade de Notre-Dame et on doit à un hasard miraculeux la préservation du Rétable d'Issenheim, visé par les révolutionnaires français, encore encensés aujourd'hui par certains! La République n'a pas besoin de savant, disaient-ils en guillotinant le grand Lavoisier, homme pacifique s'il en fût. On aurait pu ajouter, qu'elle n'a pas besoin d'artistes non plus!
Ces considérations justifient le choix comme site de la Suisse, pays modéré et pacifique, au contraire de la France, sujette à toutes les haines, à toutes les vengeances, à toutes les agressions. Faut-il vous faire un dessin?
LE PLAN
Vu de loin, les pièces sont regoupées en dix sections correllées ou Systèmes faisant partie d'un Supersystème. Chaque système comprend des sous-systèmes dont les objets sont étroitement liés par des relations chronologiques, de congruence ou d'opposition. Enfin chaque objet, ou élément du sous-système fait l'objet d'une fiche détaillée: photos; origine, description, références et bibliographie.
À SUIVRE