CHRONIQUE
Réductionnismes
Je ne sais si je vous l'ai dit,mes chers internautes, mais je suis en train de compléter le plan de la seconde fondation, dont on m'a promis que s'il était "logique", elle existerait. Malheureusement comme il n'est jamais assez "logique" pour mon sponsor, l'avènement de cette merveilleuse aventure culturelle risque de finir dans le pays défini par Thomas More: Utopia.
Neanmoins, ce qui doit être fait doit s'accomplir et je tente une dernière esquisse "logique" de la deuxième fondation. Fort heureusement la Première Fondation : Le Centre Culturel d'Uccle, Bruxelles, est en voie d'édification : le site, magnifique, existe, les bâtiments sont modern style et classés (1933), et surtout le sponsor, homme d'entreprise et d'imagination, s'y intéresse.
Un des passages de la Deuxième Fondation, traite de l'opposition humanisme/réductionnisme. Autant j'ai eu plaisir à relater l'aventure du grand bibliophile et numismate Jean Grolier, homme d'affaire intègre, conseiller avisé du Vatican et de la Cour de France, protecteur des relieurs, des imprimeurs et des poètes, autant citer les esprits étroits et bornés qui pullulent ces temps-ci : les réductionnistes, me répugne. Et il y en a tant!
Je les ai donc traités collectivement, en signalant que le béhaviorisme, la plus célèbre de ces doctrines, est passé de branche obligatoire d'approche de la psychologie à celle de variété psychiatrique !
J'ai défini le réductionnisme comme la tendance de ravaler l'homme à une de ses lectures. On pourrait la synthétiser par l'expression : L'homme n'est que...
Les Américains épris de quantification et de technolatrie, les Français, anticléricaux détestant tout ce qui essayerait de donner une place privilégiée à la personne humaine dans ce qu'elle a d'irreductible, de spirituel, ont fait bon accueil aux déviations réductionnistes. A présent qu'elles sont reconnues comme telles par les esprits sérieux comme l'épistémologue Karl Popper, elles survivent encore sous la plume d'esprits compétents dans toutes les matières du "comment" et ignare dans celles du "pourquoi". Bridgman s'exclamait ainsi : The how is the why of modern man! "
Mais là où les réductionnisme fait florès, c'est dans les romans de futurologie de kiosque de gare, les films de Science Fiction, les tournures de phrases populaires telles que : il a un cerveau puissant.
Notamment une belle brochette de best sellers plus ou moins futurologiques et pseudoscientifique, constitue un palmarès qui donnerait à sourire, n'était sa diffusion dans les mlieux académiques. Je vais en reproduire quelques couvertures.
FORILÈGE
A tout Seigneur, tout honneur.Voici une dizaine d'années on ne parlait que de lui, comme une sommité incontestable. Professeur au Collège de France, le livre de Jean-Pierre Changeux commence bien "L'homme pense avec son cerveau". Le titre de son ouvrage : L'HOMME NEURONAL. (Fayard, le temps des sciences)
Si pour Changeux l'homme n'est qu'un tas de neurones rassemblé dans le cerveau, ce n'est pour une autre sommité Nicholas Negroponte qu'un logiciel perfectionné qui peut aisément se substituer à l'humain, pour se préparer à une "vie plus simple, plus heureuse". Je ne resiste pas au plaisir d'évoquer mes rencontres avec lui.
A cette époque François Mitterrand, prenant le contrepied de la grosseinformatique, adhéra à mon concept micro-informatique J'étais alors professeur à Wharton, Il me proposa de prendre la tête l'Institut Mondial de l'Informatique, avec à mes côtés, Seymour Pappert (Mainstorms) et quelques gourous tiersmondistes sous le haut patronage de J.J.S.S. Dans le Concorde qui m'emmenait hebdomadairement à Philadelphie, je lus avec effarement le programme-cadre. Si le projet centralisateur de Théry et d'Alain Minc, faisaient peur, celui de JJSS était à pleurer de rire. Il ne s'agissait rien moins que de créer de toute pièces un Institut d'Informatique dont les autres (Carnegie, MIT, Stanford etc) ne seraient que de simples satellites. On y parviendrait grâce à la position centrale de la France dans le tiers-monde, et on fabriquerait un micro-ordinateur pesant 500 g et coûtant 300 f. Grâce à ce bidule, plus de faim ni de maladies dans le monde! Il suffirait que le tracteur électronique tombe en panne, pour que le perveilleux ordinateur de l'Institut Mondial détectent la panne et commandent la pièce montante. Un indigène du Ghana tomberait-il malade? Aussitôt l'ordinateur détecterait la maladie et commanderait la spécialité salvatrice. Lorsque je montrai le programme à mes collègues de Wharton, ils crurent que je les menais en bateau (je suis souvent farceur, pince sans rire) et que le programme était un faux. Hazan Ozbekhan, le chef de SSS (S cube :Social Sciences Systems) soupira : pauvre Negroponte, en arriver là! C'est navrant.
Plus tard, je me souvins d'un dîner chez moi, Rond-Point des Champs Elysées, avec Nicholas Negroponte. Tout à coup celui-ci se précipite haletant hors de la salle à manger. Il reparaît tout fier et me montre une boite noire : vous voyez, ça c'est l'avenir en marche. J.J.SS vient de me joindre et je le rappelle aussitôt! C'est de la haute technologie!
Je m'aperçois avec ahurissement, qu'il n'a jamais manipulé un micro-ordinateur, pas plus d'ailleurs que les autres :Pappert, ou JJSS. Ce dernier se dore à l'Hotel du Cap et me reçoit peu après chez lui, Bd de Courcelles, si je ne me trompe dans un appartement désordonné, grand et hideux. Il est claire qu'il se fiche de l'esthétique et de l'art, comme de l'an quarante.
En ce temps là j'ai été nommé à l'Institut de Management de la Technologie, (ou de la Technologie du management, on passe des semaines à en débattre). Mon assistant est Ben Hentsch, un jeune exalté, beau et enthousiaste. Il m'explique que grâce à la technologie, on n'aura plus besoin d'aller au musée. Il suffira d'interroger l'ordinateur et de passer un disque numérique. La Joconde sur ordinateur, c'est bien mieux qu'en vrai. Il me fait une démonstration, et on voit apparaître une timbre poste caca d'oie, qui me délivre toutes les données passionnantes relatives au tableau : la date d'entrée au Louvre, le numéro d'inventaire, le nombre de visiteurs à ce jour, la liste des faux etc. Ce que Hentsch ne perçoit pas, c'est l'affreuse qualité de l'image. Il est bouché à l'émeri sur ce point, cela lui indiffère.
Et voilà le testament de Negroponte : l'homme numérique ! (Digital man). Robert Laffont, 1995. On retrouvera, en plus sérieux, la même foi dans le numérique avec le General Problem Solver, de Simon et Newell. Je rends visite à Herbert Simon à Carnegie et il me fait la démonstration. Il s'agit de soutenir une conversation avec quelque chose qui se trouve derrière le rideau et d'essayer de savoir si c'est un homme ou un logiciel. Et ça marche! Le professeur Weizenbaum,monte un canular. Il fait mieux. IL crée un psychanalyste numérique, accessible par téléphone aux dépressifs, aux compliqués, aux confus. C'est ELIZA. Le succès est immédiat et on crédite Weizenbaum de bienfaiteur de l'humanité, le psy à laportée de toutes les bourses! ... Jusqu'à ce que le professeur dévoile la supercherie. Le prodigieux logiciel n'est qu'un système SR fonctionnant sur 2 K demémoire et exploitant la technique Rodgérienne quine fait que répéter votre dernière question, un peu comme le "Ah, Madame!" de la Nuit des Rois. Exemple de dialogue psi :
Docteur, la vie est devenue insupportable!
- Elle est devenue vraiment insupportable?
- Oui j'ai envie de me suicider.
- Vous avez envie de vous suicider?
- Oui.
- Pourquoi avez vous envie de vous suicider?
- Mon ami m'a quitté brusquement.
- Brusquement!!!
- Oui comme ça, sans un mot d'explication!
-Il vous a quitté ainsi? Tout de go, sans un mot d'explication? Comment est-ce possible? Expliquez-vous...
Après le pauvre Negroponte, passons à The moral animal de Robert Wright. (Editions Michalon, 1993). L'homme ici n'est que le résultat du Hasard et de la Nécessité, des micro-mutations. C'est l'influence neodarwiniste d'un ponte prix nobel, devenu fou furieux. C'est lui qui décida IMPENSABLE le sens interdit qui permet àl'ADN l'acquisition de mémoire venue de l'extérieur. Il dénigra Gallo et Baltimore, niant le SIDA, comme Hippocrate niait la circulation du sang! De même il nia le phénomène des Saltations.Tous les paléontologues savent qu'un lezard ne peut devenir peu à peu oiseau sous l'effet des essais et erreurs du hasard. En effet si simultanément, un certain nombre de paramètres ne sont pas , l'oiréunis (poids des des os, envergure des ailes, modification du cerveau) le reptile-oiseau tombe du nid et meurt. Il faudrait que le hasard réunisse miraculeusement tous ces paramètres soit une chance sur quelques milliards! Mais peu importe, les néo-darwiniens n'admettent pas la téléologie, l'orientation de la nature vers une complexité croissante. Cela sent pour eux la spiritualité, la religion, le sacré!
Enfin tout en bas (ou tout en haut) de l'échelle du délire réductionniste, on trouve un livre grand public de Joël de Rosnay, auteur du Macroscope, vulgarisation de la Théorie des Systèmes. Le postulat de Rosnay est loin d'être ridicule. Il établit une relation entre les propriétés d'auto-organisation et de cosnscience en tant qu'émergence de la complexité. Or grâce à l'Internet, le monde est intégré, ce qui donne au supersystème ainsi apparu, une supériorité sur l'homme.Le supersystème est doté de mémoire, de sagesse, il sait mieux que l'égo-citoyen ce qui est bon pour l'humanité et le dépossède d'une partie de son égo. On voit naître une génération de citoyens égaux, ayant abdiqué leur libre arbitre au profit de ce que Rosnay nomme le Cybionte! Hosanna!
Le titre de ce livre : L'homme symbiotique , Regard sur le troisième millénaire. Seuil, 1995.
On trouve ce concept exaltant dans des fims à succès : L'Odyssée de l'Espace de Kubrick où l'ordinateur HAL(soit BM -1) tue les hommes pour assurer sa survie. Dans Matrix, comme dans les livres d'Asimov, alors que les hommes ont disparu de la planète, ce sont des robots qui continuent à se faire la guerre. Les enfants et les technocrates, adorent ces pespectives, où rôde le mythe du Golem et le spectre de Frankenstein.
Citons les films-culte de cette époque : Brazil ou Soleil Vert (Green Soleyant) qui exaltent avec une satisfaction morose les méfaits de la bureaucratie triomphante, dans la ligne de Kaffka (Le Château; Le Procès).
Je m'aperçois que manque à mon florilège l'essentiel, le plus sérieux, le plus dévasteur pour les jeunes esprits nourris à l'Université : la théorie SR qui a donné son nom au Behaviorisme. Le comportement (Behavior en américain) est défini comme les relations quantifiées entre les stimuli que reçoivent un rat, une amibe, le candidat à un poste de poinçonneur de billets ou de Président de Conseil d'Administration, et les réponses qui peuvent lui être corrélées. (The stimulus elicit a response). Comme on ne peut enregistre TOUS les stimuli ni inventorier toutes les réponses, on choisit plus ou moins arbitrairement des échantillons de Stimuli nommés tests. Ainsi le QI est un test mesurant l'intelligence du jeune appelé sous les armes, le TAT (Thematic Apperception Test) mesure l'aptitude à l'émotion du candidat face à des images sélectionnées, le célèbre test de Roschach, ce qu'évoquent pour lui des taches d'encre symétriques, etc...
Tout ceci est épistémologiquement risible, mais personne ne riait : on suivait aveuglement le courant de peur de faire rire, de se discréditer, de se couper de la manne des budgets. Par ailleurs le langage était obligatoirement référendaire (toute observation anodine devant être flanquée d'une référence historique) et quantifié, quantifié, quantifié! N'importe comment, mais fondé sur de l'analyse factorielle, sur des hypothèses chiffrées, sans lesquelles le papier ne pourvait être admis dans des journaux sérieux comme The Administrative Quarterly, Nature etc...
Cette nuit de l'intelligence ne peut être comparée qu'aux DARK AGES terrifiants qui imposèrent des doctrines effroyables comme l'enseignement théologique de la Sorbonne médiévale, l'inquisition, les dictatures marxistes de toute obédience, le nazisme, la pesanteur d'un Coran non épuré et donné comme vérité absolue. Hélas que de cicatrices défigurant l'honneur des scientitfiques (il n'y a plus de savants). Encore recemment, ce n'est qu'à contre-coeur que les turcs admirent la réalité du génocide arménien, baptisé pa rla litote : les évènements. Mais le mot passe et la chose reste.
Mes chers internautes, les journaux, la presse, la télévision, le café du comerce, abondent d'exemples. Sachez les reconnaître et vous libérer du carcan des doctrines et rendez à César ce qui appartient à César et à Dieu (et au deuxième monde de Karl Popper) ce qui appartient à Dieu et au monde de la foi et de l'esprit. Sur ces bonnes paroles je vous souhaite une bonne nuit.
Bruno Lussato. 22.02.09