CHRONIQUE
Rêves
1
Le jet s'ébranle en direction de G***. L'hôtesse distraite ne s'en est pas aperçue. Cris effarouchés, l'avion parcourt lentement la piste, pourra-t-on faire demi-tour? Toutes ses affaires sont restées au sol!
2
La Place Vandôme est envahie par des guerilleros manifestant pour faire libérer des prisonniers. Brouhaha, les forces de l'ordre ont bloqué la place, bruit, clameurs, bombes fumigènes. Je me trouve bloqué dans le charivari et ne puis me dégager. Mon fils, inquiet, m'attend chez nous. Comment le prévenir? Je décide de rentrer à pied mais aux approches de la maison je n'ose pas l'appeler à cette heure-ci. Ce n'est pas convenable et sa femme pourrait me le reprocher. Paris sent la révolution, comme un avant-goût de violences imminentes.
3
Invitation formelle chez les G***. Ambiance mortellement ennuyeuse, tous parlent allemand ou seulement allemand. On distribue les chocolats et, horreur! il en manque dans mon paquet-cadeau! Ma femme sera furieuse et j'apprehende de me retrouver seul avec elle : pourquoi manque-t-il des chocolats? Et justement alors qu'elle invite ses amis et sa famille? Je rève d'une montagne de chocolats, qu'alors j'adorais et qui me font aujourd'hui horreur.
4
Une ère indéterminée, bien après la notre. Je suis introduit dans un centre hospitalier ultra-moderne. Longs couloirs moulurés crème, vastes baies teintées sombres donnant sur un parc magnifique très ombragé par d'immenses arbres feuillus. Je cherche en vain le nom inscrit sur ma convocation: Dr. W**** et j'ouvre au hasard des portes donnant sur des espèces de scanners. Une vision d'horreur me saisit. Dans une des pièces se tordent des corps hybrides, que l'on croirait tirés des Chapman. (Artistes anglais spécialisés dans des visions d'horreur composés de membres humains assemblés n'importe comment).
Jake and Dinos Chapman. Piggy Back , 1997. Sotheby's London 22 Juin 2006, Lot 339..
Dans une autre pièce, dans un lit aux hauts grillages des couples bien formés, harmonieux et enlacés, pleurent en me fixant d'un regard suppliant, comme quémandant je ne sais quelle aide. J'avoue ne pas être rassuré en suivant le médecin-chercheur qui me conduit sous une machine. Mais en fin de compte je sors de là guéri.
A la sortie du centre médical je me dirige vers la ville, la vie quotidienne, banale, et en regardant les affiches, je découvre que je viens de sortir d'un film à succès que j'ai pris pour la réalité. La Ville est étonamment propre, ombragée des mêmes arbres touffus et majestueux que l'ensemble hospitalier. Ils dominent les bâtiments de verre et d'acier, aux allées luisantes et désertes.
5
La place des trois tilleuls. Elle est située sur un promontoire rocheux et se termine chez le voisin dont la demeure forme un éperon rocheux en forme de proue de nef. Ma maison est plus vaste mais la vue y est barrée par la muraille du voisin, percée par une porte espagnole.
Une Société de séminaires y a organisé une visite, car la maison a appartenu à un des grands peintres de l'école de Barbizon. Ils ont tous été convoqués pour égrener leurs souvenirs. Les voici : Corot, Manet, Monet, Van Gogh qui a donné ses couleurs éclatantes à la décoration de la demeure. Celle-ci est vraiment minuscule, plus encore que celle de Ravel à Montfort L'Amaury mais non pas de ce gris triste mais celui des corbaux de Kurosawa, luminescent. phosphorescent,
Non seulement elle est minuscule la maison, mais bien que pitttoresque elle est tapissée de toiles d'araignée. Je me demande comment l'habitant a pu transporter toutes ses huiles, même de taille moyenne, de l'entrée au séjour. Je contemple la chambre à coucher-living-room pauvrement meublée. Sur la chaise de Van Gogh un journal est plié en quatre et au chevet, quelques livres defraîchis. On me dit que le maître des lieux vit seul.
La terrasse pavée contient une table de cuisine prolongée par une petite vigne et donnant sur une vue Est, Sud et Ouest. Au loin des collines distantes verdoient et à gauche la lisière du village. On ne se lasserait pas de contempler vignes et bocages aux formes douces. On se presse dans la terrasse, on disserte sur les dialogues qui s'y sont tenus entre tant de grands peintres, les premiers de l'école de Fontainebleau et les suivants venus évoquer leur souvenir : Derain, Dufy, Marquet et Bonnard.
6
Ma soeur n'aime pas la sonorité de ma chaîne de haute fidélité, elle a entendu mieux et plus agréable, moins bruyant surtout et plus évocateur d'un vrai concert. Je suis vexé car j'ai beaucoup investi dans mon installation et j'appelle mon technicien.
7
P***, mon premier ami d'enfance tant admiré vient de faire son apparition. Il s'est souvenu de moi. Il est toujours aussi beau, aussi solide, il n'a guère vieilli au cours de ces années d'absence. Je lui propose de prendre une douche avec moi, rapidement, car ma soeur viendra dans une dizaine de minutes. Il accepte. J'ôte mon maillot de corps souillé de sang, je contemple mon corps et je pleure sur ce que je suis devenu : un amas difforme de chairs atrophiées et boursouflées, sac dolent fait pour la souffrance.
Cet appel à la compassion est bien fait pour conjurer tout sous-entendu gênant. J'ai peur des cancans. Lui , il est aussi naturel que d'habitude comme du temps de nos années d'étudiant. School days, sunnydays.
Il s'est séché et rhabillé, ma soeur le fait passer au salon d'où le grand piano de concert a disparu car on repeint tout l'appartement du Vème étage et on refait le plancher. Il n'en subsiste que des traces.
L'immeuble est luxueusement bordé de terrasses de travertin et de glace soutenues par des ferronneries de style directoire. Il donne directement sur la plage : bande de grève calliouteuse et , à l'infini, l'horizon de nacre moirée.
8
Dekkeroff le Président de Philips me reçoit pour examiner ma candidature; j'essaie de faire bonne figure. Savez-vous jeune homme que nous produisons 90% des rasoirs électriques dans le monde? Son visage poupin couleur roast beef ressemble à un Testut, ni drole ni sympa. Je finis par lui dire qu'il m'est sympathique et que c'est la raison pour laquelle
j'aimerais travailler aveclui. Je l'accompagne au marché d'Eindhoven et je lui demande s'il a mon adresse. Il me répond oui ! à deux reprises. Marina s'esclaffe c'est cet antipathique de Boulakia qui me l'a présenté. Il veut marier sa nièce avec Dekkeroff.
LE PALAIS DE L'OCÉAN
(Condensé à l'extrême d'un manuscrit perdu tracé à la plume Brause sur gouache blanche sur papier noir.)
1
Une touffeur oppressante règne dans les stalles de mosaïque bleue et verte du rezde-chaussée surbaissé, autrefois bain de vapeur pour courtisanes et mignons. Aujourd'hui,les frondaisons agitées projettent leurs ombres inquiètes sur les murs brillants. un lourd silence étouffe le souvenir encore proche. C'est un rez-de-chaussée au sol suintant, aux fenêtres hautes et grillagées, hanté par des fantômes indécents.
2
On accède par les crénaux au Grand Salon du premier. Des tapisseries exaltent les tueries des conquérants. Le salon portugais aux hautes et étroites ouvertures d^'où on admire la mer violette et le ciel cru traversé de goélands, dominent les buissons qui étouffent le rez-de-chaussée.
3
Le salon portugais conduit à la bibliothèque par un escalier en colimaçon. A ! Que de choses curieuses y découvre-t-on : rien de ce qui a trait à l'océan n'y manque : mappemondes,portulans, compas, maquettes de voiliers, épais in-folios...et les bannières des pays dont les flottes ont été vaincues. Des lucarnes on ne voit que les étendards claquant au vent du large.
4
Assez loin de là, se trouve le Palais de l'Océan. On y accède par l'Avenue de Barcelone aux hôtels baroques habités par des femmes d'amour, aux salons de thé équivoques. Ce soir l'avenue est pleine de promeneurs nonchalants, de voitures d'enfant, de gardiens en uniforme. Le soleil, énorme boule d'émeraude, descend majestueusementdans la mer toute proche.
5
Le Palais de l'Océan y plonge par un double escalier en spirale incrusté de moules et d'astéries. Au premier étage, une magnifique salle est réservée aux réception solennelles où nul n'a jamais été convié.
7
Au dessous du Palais une longue allée couverte longe l'océan.
8
Flanquée de terrasses et de boutiques désertes, l'allée traverse la lagune qu'elle sépare de l'océan et aboutit à la gare souterraine des adieux.