CHRONIQUE
Traduttore, traditore
Traducteur, traitre, dit un dicton italien qui à lui tout seul illustre la difficulté de la traduction. La traduction française ne respecte évidemment pas l'allitération italienne, l'essentiel est perdu et on ne peut rien y faire. Cela donne une idée des trahisons inévitables auxquelles se livrent les traducteurs qui essayent de respecter la riche musique de la déclamation shakespearienne et les nombreuses allusions et jeux de mots qui abondent dans le discours. L'allemand est plus aisé à saisir à cause de la netteté de son articulation, que l'on reconnaît par exemple dans l'opéra wagnérien.
Nous allons comparer ces passages loufoques destinés à désamorcer la trouble nostalgie du texte romanesque (je ne dis pas l'intrigue car celle-ci n'expose que le côté conventionnel de cette tristesse profonde qui impregne le dialogue.) L'intrigue c'est du plaqué or, le texte de l'or massif, de la couleur teintée dans la masse. Néanmoins il faut l'esquisser car elle fournit le squelette rationnel de la pièce.
L'Intrigue Malvolio
Autour de la romanesque Olivia, aussi sentimentale (elle pleure sans discontinuer son mari et son frère) que gestionnaire avisée (d'un air doux, elle administre une grande maison, gravitent un grand nombre de satellites. Le Duc, amant attitré dont la fidélité durera un mois, Viola, la/le sosie de son jumeau Sebastien, eromène dont Antonio est épris, et Malvolio son intendant puritain qui rêve d'en faire son épouse. Il faut y ajouter quatre joyeux drilles qui hantent la maisonnée, à la grand rage du compétent et compassé majordome. N'oublions pas Sire André le nobliau amoureux sans espoir.
Voici Messire Tobie Bedaine qui sous le pretexte qu'il est l'oncle de Olivia, s'incruste dans la maison, en faisant un vacarme épouvantable dû en partie à un abus de boisson. Il est acoquiné avec la femme de chambre, une futée du nom de Maria, et un employé hypocrite Fabien à quoi se colle Sire André, l'homme le plus bête que la terre ait porté. Faut-il préciser que Malvolio est sans doute en guerre contre Sire Tobie et son clan de fêtards?
Maria, décide de se débarrasser de Malvolio en faisant miroiter un espoir suscité par un faux billet, jeté comme par mégarde et attribué à Olivia.Elle laisse sous-entendre qu'elle est également éprise de son intendant et lui donne des conseils absurdes que l'autre, aveuglé par son espoir, suit aveuglement. Les quatre conjurés se cachent pendant la lecture du billet factice et l'on imagine l'effet que produisent ses recommandations.
Remontrances
MALVOLIO
Êtes vous fous, messieurs? Ou qu'est-ce à dire? N'avez-vous ni raison, ni manières, ni décence, pour brailler à cette heure de la nuit comme des rétameurs? Prenez-vous la maison de Madame pour une taverne, pour que vous glapissiers vos refrains de savetier sans discontinuer ni contenir vos éclats de voix? N'avez-vous égard ni au temps ni au lieu ni aux personnes?
MESSIRE TOBIE.
Les temps monsieur, ont été respectés dans nos chants. Allez-vous faire pendre!
MALVOLIO
Messire Tobie, je dois vous parler franc. Madame m'a chargé de vous le dire, encore qu'elle vous héberge comme son parent, elle n'est nullement cousine de vos désordres. Si vous pouvez divorcer d'avec vos déportements, vous êtes bienvenu dans la maison; sinon, et s'il vous plait de prendre congé d'elle, elle vous dira très volontiers adieu.
MESSIRE TOBIE, chantant et enlaçant Maria.
"Doux coeur, adieu, car il me faut partir.
SUITE AU PROCHAIN BILLET : Pièges de la vanité.