CHRONIQUE
Réminiscences
Non. Je n'ai pas été malade. Pas au point de ne pas rédiger mon blog, en tout cas. J'ai simplement décidé de dormir. Dormir c'est tomber pendant trois à cinq heures dans la torpeur des anesthésiques. Pendant ces heures, une douleur agaçante ne me laisse pas de répit, ce qui fait que bien souvent mes yeux se ferment pendant mes consultations. Mon esprit est alerte, je suis tout ouïe mais mes paupières sont closes. J'en avertis évidemment mes clients qui sont ravis, car enfin, ils peuvent s'exprimer librement! En effet j'ai également du mal à parler.
Une des raisons de mon absence du blog a été également la mise au point des dix départements de la deuxième fondation. Si elle voit le jour, ce sera la plus haute densité d'information publiée, monnaies comprises. Je dis densité et non contenu ou richesse. Toute la centaine de pièces récoltées ou prévues au programme, se trouvent certes dans la plupart des grandes bibliothèques publiques ou des prestigieuses fondations comme Getty à Malibu. Mais elles sont noyées dans une bonne centaine... de mille livres de qualité comparable ou supérieure. Tirer un enseignement synthétique d'un tel océan, est pratiquement impossible, outre la difficulté d'accès aux pièces.
Cette lisibilité est améliorée par la présentation hautement structurée qui dégage des groupements qui parlent à tous : grands voyages, découvertes scientifiques, image de l'homme sur lui-même.
Chacun des regroupements ou "départements" présentent leur contenu d'une manière dynamique, chronologique, qui fait ressortir l'évolution des idées et de la pensée humaine au travers de ses médias. Ainsi l'héliocentrisme succède à Ptolémée qui pensait que la terre était plate et le centre de l'univers, vision conforme à la bible qui dit que Dieu arrêta à Jericho la course du soleil pôur protéger les juifs. Galilée, dont nous avons un des trois exemplaires dédicacés de la popularisation de Copernic dut abjurer ses idées pour ne pas subir le sort de Giordano Bruno, brûlé vif.
J'ai beaucoup de mal à compléter mon travail, tant la matière devient foisonnante (l'évolution de la litterature et de la poésie, que choisir?).
Grâce à Claude Burgan pour les monnaies et Stéphane Chavreuil pour les éditions originales, il a été possible de constituer un "chemin de fer" qui sert de guide au choix des pièces. J'ai l'intention d'éditer en très petite quantité les résultats de ce travail, et les mettre à la disposition des internautes, moyennement une participation aux frais (encre, papier, photocopie, reliure). Avis aux amateurs!
Je suis furieux. La mention " vous avez entré un code erroné" (ce qui est évidemment faux) est reparue, effaçant la majeure partie de mon billet ! Il me faut tout recommencer.
À propos de la "sonate au clair de lune"
Cette oeuvre rabachée me donne l'occasion de comparer trois niveaux de compréhension.
Nous rencontrons le premier, dans l'ouvrage de Guy Sacre : La musique de piano, dictionnaire des compositeurs et des oeuvres (Robert Laffont 1998). Mais on est loin des ouvrages populaires anglo-saxons, accessibles et primaires. La prose de Sacre est une bouillie typiquement française où la prétention au style précieux et la recherche du mot original, se conjugue à des notations subjectives et des jugements à l'emporte pièce. A propos du premier pouvement de l'Op.27 N°1 Quasi una fantasia, il attribue le titre au poète Rellstab qui le pardonne d'avoir "évoqué un clair de lune sur le lac des Quatre Cantons". Si l'on tient compte du contexte, il s'agit d'une plaisanterie destinée à dissiper l'atmosphère oppressante que Beethoven imprimait à son jeu. Il serait question par antiphrase " d'une promenade en barque de deux amoureux sur le lac des Quatres-Cantons".
On trouve chez Sacre des formules éclairantes telles : " Est-ce un thème d'ailleurs? Berlioz y voyait, plus justement, "l'efflorescence mélodique de cette sombre harmonie" Morceau indéniablement nocturne, et déjà, avant Brahms, une berceuse pour les douleurs.
Pour Guy Sacre, la fin est murmurée, "enfouie au plus profond du clavier alors que le thème de l'allegretto est naïf et étonné."
Ça commence bien : "Frappant est le début de la "sonate au clair de lune",... les sonorités gentiment voilées, la mesure en deux temps endépit de la mention "Adagio Sostenuto" qui empêche la musique de devenir lugubre. Ludwig Rellstab, un critique musical, affirma que l'ambiance du premier mouvement lui rappelait la magie du clair de lune sur le lac de Lucerne.
Pour le reste, l'universellement applaudi (d'après l'éditeur) Robert Taub, offre des indications qui rappellent les recettes pour préparer un bon pudding de Noël. "Culinarisch" pourrait -on dire méchamment. Cela rappelle les éditions raisonnées de Schnabel, mais un degré au dessous. La photo où Taub essaie de paraître un concertiste professionnel, est empreinte de sérieux et de conscience professionnelle.
Enfin, une édition professionnelle ! Jones s'interroge sur le sens et la conception de la Sonate, plutôt que de notes subjectives d'interprétation ou pire. On y découvre des données tangibles qui changent radicalement notre apprehension de cette oeuvre rabachée.
Tout d'abord Jones situe l'oeuvre dans le contexte musical de l'époque, celui que connaissait le public et auquel le compositeur se conformer : le genre " funèbre". Ses dispositifs formels en relation avec la mort et la souffrance ont été développés pendant tout le XVIIe et le XIIIe siècle. Citons : Un lamento à la basse, formes mélodiques dérivées du plain-chant, formules d'accompagnement répétitives, figures chromatiques. Jones montre comment Beethoven utilise ces dispositifs avec une flexibilité inédite. Le glas se retrouvera dans la marche funèbre sur la mort d'un héros, où dominent les notes pointées.
Après avoir cité les musicologues les plus autorisés, Jones met en évidence la complexité formelle et préméditée de l'AdagioSostenuto, et notamment la fusion entre la forme sonate et la chanson strophique. Mais au lieu d'une confrontation dialectique, on découvre une permutation incessante du matériau dont l'apogée domine au centre du mouvement. Par ailleurs le potentiel expressif et la forte tension harmonique, sont constamment étouffés par Beethoven, comme si les harmonies compressées étaient plus que le mouvement pouvait supporter.
Jones met en évidence les liens entre l'Allegretto et l'Adagio Sostenuto qui justifient l'attacca qui fait du 2ème Mvt, un prolongement du premier. En revanche le presto agitato doit être bien séparé. Tout le drame latent du premier mouvement explose dans le finale vengeur qui n'est qu'une recomposition du début, sous une forme sonate particulièrement rigoureuse, plus même que n'importe quelle oeuvre antérieure.
Il est évident que l'étude sérieuse de l'oeuvre conduit à une interprétation et une exécution radicalement opposée de celles entendue chez les concertistes les plus illustres, qui se conforment à une tradition romantique.
Sehnsucht
Hier j'ai passé du temps avec Sandrine et le souvenir de L.H. interféra soudain avec l'absence de sa version contemporaine, le jeune et glacial A*** . J'avais beau me raisonner, son souvenir, son absence, étaient lancinants. Pas le moindre coup de téléphone pour le Jour de L'An. Pas la moindre réponse à mes appels, qui pourtant le concernaient. Son père, le gouverneur X***, était désolé car il voulait m'intégrer à la famille pour des raisons diplomatiques. Contre toute vraisemblance, il affirma que A*** éprouvait pour moi le plus grand respect et l'affection la plus profonde. Mais il était si jeune!
Malgré que j'en aie, j'étais furieux et humilié. Je me bâtis des scénarios dans lesquels à mon tour je dédaignais un A*** qui me quémandait de l'aide. Mais Sandrine était persuadée que l'affection de A*** était réelle et profonde et qu'il fallait s'armer de patience.
Quant à ma soeur, elle m'affirma qu'il suffirait qu'il reparût pour tomber à nouveau dans ses rets. En tout cas j'évoquai L.H., le vrai, en écoutant SA musique, celle qui me paraissait le caractériser à la perfection. Ceux qui veulent l'écouter, qu'ils se procurent la Suite Holberg de Grieg, version originale pour piano. L.H. était très protecteur et voulait dans sa sollicitude m'inviter de manière permanente chez lui. Il me décrivit le charme des roses fleurissant entre les vieilles pierres centenaires, dans l'île de Götland, son pays natal. Les danses traditionnelles étaient en costume du XVIIe siècle ainsi que la musique, les filles fraîches et les jeunes hommes aux joues rouges, vigoureux. Et la mer était toujours présente ponctuée de voiles blanches.
A plat ventre sur son lit, les paupières mi-closes, il rêvait aux forêts noires et aux lacs d'un gris d'acier qui les éclaircissait. Et aussi à un mal de vivre, de s'adapter à notre civilisation policée et urbaine. Son regard vert et cruel, celui d'un loup attentif, cédait alors à cette lueur un peu sournoise, ambigue, mais tendre et empreinte d'une telle nostalgie. Et soudain, le rire faisait irruption, un rire joyeux, empreint d'une vitalité irresistible.
Vous entendrez tous ces sentiments mêlés dans une oeuvre médiocre, méprisée par son compositeur, lui-même secondaire et joué par un pianiste peu connu, Helge Antoni. A défaut, ne serait-il pas possible de le télécharger?
Quelques minutes après le départ de Sandrine, il téléphona. Je crus à une méprise, mais c'était bien lui : A*** Il me présenta ses voeux et exprima le désir de diner demain avec moi. Et voici envolées mes dignes résolutions ! Ma soeur avait raison.
Malheureusement une dizaine de minutes après, ce fut son frère - que je n'ai pratiquement jamais au téléphone - qui me téléphona pour me présenter ses voeux et demander des nouvelles de ma santé. Je compris que cette sollicitude soudaine était téléguidée par le Gouverneur qui fut immédiatement obéi. Encore des illusions évanouies.