CHRONIQUE
Dépression de Noël
Non, merci de votre sollicitude. Ce qui est déprimé ce n'est pas moi (un petit coup de cafard, hier, vite balayé par des coups de téléphone vivifiants) mais le nombre de visiteurs qui a rarement été aussi bas. Dame! Tous préparent les fêtes, achètent (parcimonieusement) des cadeaux, et surtout s'en vont en famille dans la maison familiale en Sologne, en Ardèche ou - pour les chanceux - à Monaco. Et puis pour les plus jeunes ou qui se croient tels, il y a les innombrables offres désespérément exotiques. En général on laisse à la maison son ordinateur, et voilà! Le chiffre baisse et nous sommes entre fidèles.
Je dois mettre au point ma plaquette pour la deuxième fondation afin de convaincre un éventuel sponsor. Je l'imagine comme suit : une introduction sur l'intérêt du projet. Je suis evidemment très appuyé par mes trois marchands : Stéphane Clavreuil pour les livres rares, Heribert Tenscher pour les manuscrits à peinture, et Claude Burgan pour la numismatique. Il s'est heureusement remis et je le vois tout à l'heure. Ce quinquagénaire a courageusement tenu tête à un voleur armé et l'a traîné devant les policiers! Il a failli être victime des tirs de balle, bien réels.
Après l'introduction (buts, moyens, ambitions, économie du projet...) des intercalaires détaillant l'organum (c'est à dire le réseau sémantique) de chaque vitrine, avec l'auteur, le titre, la date de l'objet. Entre les intercalaires on trouve les fiches détaillées de chaque pièce accompagnée d'illustrations. Ce n'est pas toujours facile en cette période de Noël où les photographes sont en vacances, et les ouvrages en cours d'acquisition appartiennent à la réserve de Tenschert ou viennent de rentrer, car il y a beaucoup de mouvement dans le secteur des pièces d'exception.
Ci-dessous vous trouverez quelques réflexions préliminaires en langue française. Pour des raisons de discrétion, la provenance, le prix et la source, sont occultés, d'autant plus qu'il ne s'agit que d'un rêve, une utopie, tout au mieux un argumentaire pour un généreux mécène (allez le trouver en ce temps de crise, mais la foi dit-on, soulève des montagnes). Rappelons nous l'appel désespéré de Wagner à un prince salvateur providentiel et improbable qui l'aiderait, lui, pauvre nomade criblé de dettes, à réaliser son projet monstrueux : Der Ring des Nibelungen. L'Anneau du Nibelung. A ce moment précis, le jeune Louis II de Bavière venait d'accéder au pouvoir. Fanatique de Wagner il exauça, et au delà, son rêve le plus fou. Il fut moqué, critiqué, traité de fou, mais aujourd'hui Bayreuth est devenu une vache à lait de la région, et il faut attendre huit ans pour obtenir une place ! Qu'on se le dise.
Entre deux eaux
Il existe une différence notable entre une fondation et un musée, toutes circonstances égales par ailleurs. Si une petite fondation peut être considérée avec condescendance, un musée, même local, jouit d'un préjugé favorable dû à son statut officiel qui garantit sa durabilité. On peut toujours espérer au détour d'une excursion, que le musée local puisse nous ménager des surprises : ici une cyste romaine, là un ensemble de dentelles anciennes ou de faïences du cru.
En revanche on peut s'attendre à n'importe quoi de la part de la fondation privée, elle peut notamment être dissoute faute de moyens et dispersée. On peut la considérer comme une simple collection destinée à disparaître avec la maladie ou la mort du fondateur. C'est ainsi que de grandes collections, comme celle de l'Alpha Bank se sont constituées à partir des dépouilles de collections même importantes.
Il n'en est pas de même, évidemment, des grandes fondations spécialisées (Barbier Muller) ou généralistes (Getty, Thyssen-Bornemitza ou Ludwig ). Cependant ces prestigieuses institutions ne peuvent rivaliser avec les grands musées correspondants : le musée du Quai Branly, le Louvre, le Metropolitan Museum, la Pierpont Morgan Library etc.
Tout est donc relatif.
En parlant de relativité, il nous faut parler des arts majeurs et des arts mineurs. Il est par exemple admis que la peinture fait partie de la première catégorie alors que la vannerie fait partie de la seconde. Mais les choses ne sont pas si simples. Une croûte prétentieuse peut être considrérée bien inférieure à une cruche du Mingei japonais. Les musées de province et les collectionneurs considèrent les manuscrits à peinture comme un genre intermédiaire entre l'artisanat et la peinture ou la bibliophilie.
Echappent à cette prévention le Livre de Kells, les Très Riches heures du Duc de Berry, l'Apocalypse de Durer , et plus près de nous Jazz de Matisse. On pourrait y ajouter Les Grandes heures d'Anne de Bretagne qui se trouve à la BNF. Je connais bien ce manuscrit mis en video-cassette par la coproduction Capucins (mon Centre volé par M***) BNF. Il est célèbre par sa très grande taille et reproduit en 1861 par l'éditeur Curmer, tour de force de reproduction d'une oeuvre en couleur, puis par Draeger dans Verve
Outre la taille, on a beaucoup admiré les bordures qui reproduisent avec une extraordinaire précision les plantes et les menus insectes de l'herbarium de la Reine. Le calendrier qui orne les marges avec les occupations des douze mois, sont souvent reproduites dans des cartes postales de Noël !
Or on a décidé d'entrer dans la fondation un manuscrit antérieur de près de dix ans sur l'exemplaire de la BN.
Les bordures sont nettement inférieures à celles de Bourdichon, plates et peu imaginatives. En revanche les miniatures esquissées parle grand Simon Marmon et achevée pas Alexande Bening, le fils de la dynastie des Bening, sont incomparablement supérieures. Outre l'antériorité, la maïtrise du dessin, l'expression juste des personnages, la vivacité et l'harmonie des couleurs, la mise engage, atteste l'immense supériorité de Marmion sur Bourdichon.
Il est miraculeux que cet exemplaire se situe encore dans des mains privées, c'est un cas où l'artisanat se fond dans la peinture du plus haut niveau et où l'artisanat devient génie.
Malheureusement, les couleurs et les détails sont hideusemant déformés par le scanner.
Pour en revenir à mon propos, rassembler en un lieu, confidentiel et convivial, un lieu de réflexion, d'étude et de méditation environ cinq cent objets appartenant aux differentes spécialités et de cette importance, serait édifier une source de grande densité culturelle d'un effet distinct de celui qu'on obtiendrait en noyant les mêmes objets dans des milliers d'objets d'excellent qualité mais légèrement inférieure : Bourdichon céderait à Marmion. partout où j'ai exposé ce projet j'ai rencontré appui etmême enthousiasme. Des collectionneurs que ne se sépareraient jamais de quelques joyaux de leur patrimoine, s'en sépareraient s'ils prenaient place dans la seconde fondation.
Claude Mediavilla est un des plus grands calligraphes contemporains. Il poursuit un rêve. monumental Edifier un livre-monumment où il reconstituerait l'histoire de l'écriture et de la calligraphie. On comprendra la portée de ce projet,en songeant que Claude peut aussi bien écrire en hébreu qu'en arabe ou en japonais.Mais ce sera pour un prochain billet. En attendant, bonne nuit
BrunoLussato