Histoire d'un sauvetage : l'enregistrement du Ring par Bob Wilson et Christoph Eschenbach.
Je viens de recevoir l'enregistrement du dernier Ring représenté au Theâtre du Châtelet à Paris. 11 DVD tirés à quatre exemplaires, donc rigoureusement confidentiels, fixent pour la postérité une des visions les plus originales de ce drame musical, impossible à monter conformément aux intentions du compositeur.
Cette production offre matière à réflexion, sur la désinformation dont est victime l'oeuvre dramatique la plus ambitieuse de tous les temps : quinze heures de spectacle d'une densité inouïe et faisant appel à toutes les ressources multimédia disponibles... et à celles encore à inventer.
Parmi l'immense majorité des mises en scène contemporaines du chef d'oeuvre de Richard Wagner, celle de Bob Wilson est l'une des plus audacieuses, déroutant même les spectateurs habitués aux outrances de Lenhoff à Munich ou de Kupfer à Bayreuth. C'est que la conception de Wilson semble - est -aux antipodes de la logique interne de l'oeuvre. Elle est statique, s'inspirant du Nô japonais, réduisant les personnage à des figures stéréotypées de tarot.
Ceux qui connaissent ma répugnance pour la déformation des oeuvres d'art, que j'apparente à la désinformation du public lorsqu'elle devient le culturellement correct, se sont étonnés de l'enthousiasme dont j'ai fait preuve pendant les répétitions et les représentations. J'espère que mes explications dissiperont ce paradoxe. Je me réfèrerai pour l'illustrer à une création presque contemporaine, le Tristan de Bill Viola, donné à l'Opéra Bastille, et accueilli avec le même scepticisme de la part des wagnériens.
L'attention du public est constamment attirée par l'écran géant qui occupe la plus grande partie de l'écran. La scène "réelle" mise en scène par le plus iconoclaste des metteurs en scène : Peter Sellars, est aussi statique et japonisante que celle de Wilson, laissant libre champ à la fantasmagorie virtuelle.
Or les images de Viola forment un contrepoint parfois dissonant avec le texte et les indications scéniques. Pendant le duo d'amour, Isolde allume des bougies dans une sorte d'oratoire. On assiste à des rites initiatiques étrangers à l'esprit apparent de l'oeuvre.
Pourtant, cette représentation, dirigée avec ferveur par Valery Gergiev, a été l'expérience la plus bouleversante que j'ai jamais vécue à l'Opéra, avec le Ring du centenaire. Pourquoi un tel enthousiasme pour une interprétation "désinformée"? C'est tout
simplement que les "bruits" introduits pas le plus grand des vidéastes, sont de la qualité plastique la plus élevée. Le Tristan Project est sans doute le chef d'oeuvre de l'artiste. Cinq heures de création plastique ininterrompue, est une performance dépassant les cadres du genre. C'est donc en amateur de l'Art plastique de notre époque que j'ai accueilli l'oeuvre et non en tant que wagnérien ou amateur d'opéras. Le Tristan de Viola est une oeuvre d'un genre nouveau, issue de la conjonction d'une installation grandiose et émouvante et d'un accompagnement musical qui lui donne vie et qui l'a inspirée. La relation entre image vidéo et drame wagnerien, n'est pas de l'ordre de la dénotation explicite, mais de la connotation, de la réverbération. Autant les critiques musicaux peuvent critiquer le Tristan de Wagner accompagné des images de Viola, autant les amateurs d'Art Contemporain sont fondés à adhérer sans réserve à l'installation de Viola accompagnée par la musique de Wagner et commentant librement ses résonances les plus précieuses.
C'est dans cette optique qu'il faut à mon sens apprécier le Ring de Wilson, accompagné par la musique de Wagner, avec la différence que les images wilsoniennes sont abstraites et plus proches du minimalisme abstrait que de l'imagerie ésotérique de Viola.
Dans ma jeunesse, je fus durablement impressionné par Le Regard du Sourd, monumental opéra visuel, sans accompagnement musical. Je me dis aussitôt : c'est Wilson qui devrait accompagner le Ring avec ses leitmotive picturaux.
Je me précipitai aux répétitions du Châtelet où, stupéfait, je vis avec quel souci du détail, Bob Wilson réglait les moindres nuances, expérimentant sans cesse, jamais satisfait. Il fallait une heure pour régler cinq minutes.
Trois éléments intervenaient dans sa création : tout d'abord une forme minimaliste, fixée dans l'esquisse, puis un ballet mystérieux de gestes chorégraphiques, fixant comme dans le Nô la position des mains, du corps, des déplacements, geste n'ayant que peu de points communs avec les indications wagnériennes. (Je précise à l'intention des amateurs que ces notations corporelles, consignées avec précision dans un gros registre, n'obéissent pas à des codes prédéfinis sans ambiguïté, comme dans le théâtre japonais, mais sont issus de l'instinct de Wilson.). Enfin, les couleurs sont d'une subtilité, d'une puissance, digne des meilleurs coloristes. On pense en particulier à Rothko. Elles sont généralement chargées d'une connotation symbolique, le jaune or, pour l'or, le vert pour les maléfices, le bleu pour les dieux. Mais cela est plus souple que cette correspondance sommaire.
Le Ring wilsonien, comme le Tristan de Bill Viola, est organisé en séquences. A chaque séquence correspond une vision : l'apparition de l'or, ou l'épisode de la Forge. Certaines séquences sont franchement oniriques, comme la marche funèbre où le double de Siegfried se détache de son corps et se dirige vers la demeure de ses assassins. Ces séquences sont animées et réglées avec une minutie qui a indisposé bien des chanteurs. Notamment le premier Hagen ne put s'y adapter, pas plus que le premier Siegfried et que Fricka, qui pourtant emporta les suffrages du public.
J'en viens à présent à l'essentiel. Quelles que soient ses imperfections, (et un grand nombre de répétitions auraient été nécessaires pour roder la partie orchestrale, après tout Boulez a disposé de plusieurs années, et de conditions indéales) la vision d'ensemble se révéla à mes yeux éblouis, comme une création plastique originale et grandiose. Lors des dernières représentations, sachant que ce serait la dernière fois que l'on verrait la fantasmagorie wilsonienne, je me dis qu'elle n'aurait pas le triste sort de Regard du Sourd, qui ne subsiste que dans le souvenir des privilégiés qui l'ont vu voici des décennies. Je me battrais pour que ce Ring soit enregistré, et dans de bonnes conditions. Peu importe qu'il soit ou non commercialisé, il importait de ne pas commettre une destruction inrreversible. Il y a tellement de vesions ininteressantes publiées en DVD, et souvent hideuses plastiquement. (Tous n'ont pas le talent d'un Peduzzi, qui a signé les magnifiques décors du Ring de Boulez-Chéreau).
Pendant le dîner que Wilson offrit à quelques amis, dont une des arrières petites filles de Wagner, et Christian Labrande qui enregistra une passionnante conférence de Wilson à l'auditorium du Louvre, je plaidai pour l'enregistrement. Wilson était très hésitant. La tâche semblait impossible. Les répétitions étaient terminées et pour enregistrer sur le vif, il aurait fallu vider des rangées de fauteuils, aménager des studios d'enregistrement avec une équipe d'une douzaine de personnes, et tout cela pendant la dernière! Par comble de malheur toutes les places étaient vendues depuis longtemps et nul ne voulait s'en dessaisir. Où loger les caméras? Et où trouver les fonds en une semaine?
Ma conviction finit par décider Wilson à chercher des fonds, et Christian Labrande à rassembler une équipe et à chercher des solutions techniques. Malheureusement il restait un trou d'un tiers de la somme à combler! On dut à la générosité de John Elkann et à l'appui de Lapo, son frère, de sauver ce chef d'oeuvre en péril. Moi-même j'achetai les droits d'obtenir la communication des DVD, sous réserve que je ne les utiliserais qu'à des fins pédagogiques et culturels non commerciaux, et pour la bibliothèque wagnerienne que j'ai déposée à la Bibliothèque Nationale de France, les esquisses des séquences majeures, et des échantillons des notations chorégraphiques.
Christian Labrande fit des miracles. Il installa une valeureuse équipe de jeunes, conduite par Pierre Martin Juban dans la loge de Wotan, et planta des caméras télécommandées sous la loge de la Direction. John Elkann assista au début du tournage de l'Or du Rhin et fut sensible à l'atmosphère enthousiaste de ces jeunes, plus accoutumés à la fréquentation des mangas qu'à celle des drames musicaux. Ainsi représenté dans des dizaines d'images vidéo simultanées, le Ring prenait une dimension tout à fait contemporaine, celle de la plus futuriste des BD de science fiction. L'effet était accentué par le fait qu'on entendait le son à la fois dans les moniteurs de contrôle et en provenance de la salle.
Pendant tout l'enregistrement des quinze heures, je me promenai des coulisses à la régie improvisée. Ce fut une expérience inoubliable. Dès que j'eus reçu les DVD, je revis le spectacle, qui m'apparut tout à fait différent. Un tableau animé d'une richesse plastique et chromatique indicible, à regarder dans un grand écran à cristaux liquides, celui utilisé dans les installations des artistes du XXIe siècle, que dans un home cinéma. Ceux qui seraient interessés à assister à une projection, qu'ils se fassent connaître sur le blog, on essaiera de les loger.
Un autre article reproduit mes impressions sur le spectacle du Châtelet, reproduit en partie dans le catalogue.
Phentermine phentermine. Phentermine. Phentermine success story. Buy phentermine mg. Cheap phentermine online. Buying phentermine. Phentermine ingredient.
Suivi: Jun 14, 23:25