CHRONIQUE
La naissance de deux nouvelles fondations
En dépit de l'importance des évènements, et sans vouloir tomber dans la mythomanie, on ne peut éluder le parallèle entre la genèse du théâtre de Bayreuth, et celle de la fondation d'UCCLE.
Au moment de son accès au trône, le jeune Louis II de Bavière capta une bouteille à la mer lancée par le compositeur aux abois, réclamant l'appui d'un mécène pour réaliser son grand projet de l'Anneau des Nibelungs et des moyens indispensables pour lui donner vie. Le Roi seconda tous ses voeux et s'ensuivit une relation aussi ambiguë que passionnée entre les deux hoimmes. Wagner qui ne voyait que l'intérêt de sa création dut feindre de partager l'exaltation de Louis. En dépit de nombreuses vicissitudes et malentendus, frisant quelque fois l'odieux ou le ridicule, le Thêatre de Bayreuth est aujourd'hui le plus moderne du monde, et le Ring, avec Faust, le drame le plus complexe et le plus grandiose qu'esprit ait conçu.
Le parallèle s'arrête là et c'est déjà beaucoup.
LA GENÈSE DE LA FONDATION D'UCCLE
Que mon lecteur me reprenne après l'échec de mes deux fondations, et me débattant dans les souffrances, tout espoir étant barré. Ce qui joua le rôle de bouteille à la mer fut le blog qui venait d'être lancé et dans lequel, fort imprudemment, j'attaquai violemment un des grands de ce monde, connu pour son inaccessibilité mais aussi sa capacité d'élimination de ses adversaires. Appelons-le Edward.
Un jour, Polonius, mon éditeur, homme pacifique et fort connu, vint me voir bouleversé : il y a quelqu'un qui veut vous connaître et qui m'a demandé d'organiser la rencontre chez vous ce soir. Cet homme n'est rien moins qu'Edward! J'étais aussi perturbé que lui. Le grand Edward, que nul ne peut se targuer d'approcher, venant voir le petit Lussato ! C'était incroyable.
Il vint me voir, très grand et fort, la quarantaine jeune, les yeux impressionnants qui vous transperçaient. L'entrevue dura très peu. Il me parla de ses ambitions : l'argent et le pouvoir. Je lui répondis que je ne me souciais ni de l'un ni de l'autre et lui demandai s'il avait un coeur ou un coffre fort dans la poitrine. Il sembla déconcerté et il me répondit : je ne sais pas... Je cherche seulement l'argent et le pouvoir. Je lui répondis que je ne pouvais rien lui apporter et - à la confusion de Polonius, je mis fin brutalement à notre rencontre.
Vous êtes drôlement imprudent me dit-il. Il était déjà furieux par ce que vous avez dit sur lui dans votre blog et il le sera plus encore à présent. Ce n'est pas un homme à se mettre à dos. Cela m'est égal, répondis-je, au point où j'en suis, rien de pire ne peut m'arriver.
Mais ce n'est pas ainsi que les choses évoluèrent. Pas du tout.
Pour aller à l'essentiel, il prit l'habitude de venir me voir. Il me demandait notamment des services dont il n'avait nul besoin (sur ce qui comptait en France) et parlait fort peu me fixant interminablement de ses grands yeux qui me fascinaient. A la fin, excédé je lui lançai : chaque fois que vous me demandez une information vous l'avez déjà. Vous me faites marcher: je ne suis qu'un homme malade et inutile, que voulez-vous de moi?
"I want you !" - je vous veux- me répondit-il en me fixant. - Je ne suis pas un écureuil empaillé, pas à vendre, rétorquai-je. Mais à chaque fois qu'on se voyait il répétait ce désir. Enfin pour rompre le silence prolongé de ces longues minutes où il me fixait sans mot dire, et,pour en finir, je me souvins de la notion de covenant héritée de ma pratique des grandes compagnies et je lui dis : -bien, je me donne à vous, mais à condition que vous acceptiez mes quatre covenants. Lesquels sont-ils? Je lui répondis :
1. La confiance absolue.
- Vous l'avez déjà - me dit-il avec une vivacité qui contrastait avec ses silences.
2. Le respect absolu
- C'est déjà fait.
3. La ponctualité, je jeux qu'on se voie toutes les six semaines.
- Edward se lève aussitôt son carnet à la main et décrète : on se voit Vendredi prochain à trois heures !
4. L'éternité. Un covenant ne peut prendre fin que par la mort d'un des partenaires. Il ne peut se rompre.
- C'est non - dit-il. On ne sait pas comment une relation peut tourner de part et d'autre.
Il tiendra bon. Vous relater comment il finit par accepter le quatrième covenant, serait passionnant mais nous mènerait trop loin de notre propos. L'important est qu'à la suite de nos échanges, dans lequels je jouai avec ma vie et ma santé, notre entente devint de plus en plus étroite et professionnelle.
Un jour il me dit de but en blanc : je veux que nous soyonbs partenaires? Je veux partager avec vous un grand projet commun.
Ainsi naquit la fondation d'Uccle. Il acheta un domaine splendide, non loin d'une maison qu'il est en train de faire rénover dans la banlieue la plus huppée de Belgique, et en fit cadeau à la fondation. En retour, moi je donnai toutes mes collections muséales : les partitions musicales (Sauf le fonds Wagner déposé à la BNF) les calligraphies, les stylos, (ou ce qui en reste) les bibliothèques, des statues et des paravents (aujourd'hui en forte baisse) des objets artisanaux, notamment japonais, etc... On décida d'y ajouter des ensembles propres à attirer le public et à l'inciter de faire un crochet par la fondation : un ensemble unique au monde d'art océanien, la statuaire médiévale, l'Art chamanique etc...
LA PETITE FONDATION
Le hasard fit que je devins très lié à un autre puissant, encore plus riche que le précédent et aussi inaccessible. Les mauvaises langues ne manquèrent pas de remarquer que comme par hasard mes amis intimes étaient au sommet de la puissance mondiale, mais ils négligèrent le fait que jamais je ne me fis payer un centime. Je choisis l'amitié contre l'argent, en dépit d'une situation financière presque désespérée, due aux frais médicaux( gardes malades etc...) et incapacité de gagner ma vie à l'hôpital. Mais j'ai déjà pondu un billet récent sur ce sujet.
Je demandai alors au second "protecteur", appelons-le "Le Duc" (d'après La Nuit des Rois de Shakespeare), de m'aider à monter une seconde fondation, complémentaire de la première. Cette fondation devait avoir trois caractéristiques différenciantes : 1. J'en aurais le contrôle complet, 2. Elle devait avoir plusieurs sponsors alors que la première n'avait qu'Edward, 3. Les formats et les objets seraient complémentaires. Très petit format, approchant l'invisibilité (10cm en moyenne), bibliophilie, manuscrits à peinture, monnaies anciennes et médailles, et statues miniature. Le lieu, était situé non loin d'Andorre et relativement inaccessible, comme Montsalvat et le trésor miniature devait compenser son inaccessibilité visuelle et tactile, en irradiant des ondes énergétiques, comme une sorte de Graal.
Tout ceci n'est qu'à l'état de rêve, certes, mais si près d'éclore en ces temps troublés!
NOTE IMPROMPTUE
Allez de toute urgence voir l'exposition Emil Nolde au Grand Palais. Christine, ma première fiancée adorait les paysages en pleine pâte de ses paysages à la Munch, et cela m'agaçait. Dans cette exposition, ma soeur et moi avons découvert un des plus puissants génies, et des plus émouvants qu'il nous ait été donné de voir. Félicitations aux organisateurs.
Ce qui frappe d'emblée, est le talent de coloriste du peintre. Des jaunes, des rouges comme vibrants, fluorescents, des paysages d'une extrême délicatesse aussi. Mais Nolde entame un second virage avec la Bible, les légendes et la vie du Christ. Le trait se simplifie, les masses se dégagent, l'expressivité devient insoutenable. La crucifixion, partie d'un immense polyptique, dépasse en terreur tous les Beckmann du monde, et même Guernica de Picasso.
Nouveau virage majeur : le peintre entreprend un long voyage vers les "mers du sud", en notant chemin faisant la dégaine des paysans russes, sauvages et bruts. Les mers du Sud, c'est en fait la Nouvelle Guinée, la papouasie, la nouvelle Irlande, les zones les plus reculées de l'Océanie. Il a ramené de ce voyage trois magnifiques totems très colorés qui lui servent d'inspiration. La première guerre mondiale sévit avec son cortège d'horreurs civilisées. C'est que contrairement à Gauguin, qu'il surpasse peut-être en intensité, Nolde tire la leçon que C.G. Jung n'a cessé de répéter : les colonisateurs en leur imposant leur morgue et leur technologie malade, ont ôté aux peuplades pacifique des Îles et de l'Afrique noire ce qu'elles ont de plus précieux : l'union avec la nature, la beauté, la communion par la beauté et l'harmonie. je l'avais exprimé jadis dans un passage de mon entretien : s'il y a un plus grand malheur que la décolonisation, c'est la colonisation. Le progrès, la sagesse, l'humanité, la beauté, se trouvent dans les populations coupées du progrès artificiel. Croyant apporter le progrès, nous avons enfanté des monstres. On commence un peu tard à le comprendre. L'enfer technologique et financier ont réduit notre mode de vie sain et harmonieux à l'état de paradis perdu.
Et ce que nous apporte la mode, la technologie, la barbarie de notre civilisation, est croqué par des images cruelles qui évoquent le premier Rouault. L'exposition se clôt sur ces notations cruelles, mais en la parcourant de nouveau en sens inverse, on retrouve intensifiés, des paysages tropicaux aux soleils sanglants comme des crocus, des mers démontées aux nuages menaçant les chevaux paniqués, puis, succédant à la mer, des plaines désolées et silencieuses, où des chaumières tristes captent les derniers rayons du crépusculke. Nous passons par l'épreuve de la crucifixion pour terminer sur les premisses de cet art si original : la lumière jaune orangé qui incendie tout souvenir.
Le rapport avec la petite fondation.
Point R, sorti de l'imagination de Myriam M, a choisi son premier lieu non loin d'Andorre, dans deux villages datant des siècles derniers, dans une population de deux fois mille habitants. Cette terre datant du XIe siècle, organiquement enracinée dans l'atavisme des êtres qui y mènent l'équivalent de la vie paisible et la papouasie vue par Nolde, est un endroit magique rappelant l' ISOLA QUADRATA de l'Entretien et le monastère des arméniens non loin de Venise. Je me plais à imaginer quelques bâtiments dispersés et trapus regroupés autour d'une tour circulaire tapissée de livres vénérables. Les collections minuscules de bibliophilie, de laques, de monnaies antiques, de livres sublimes comme ceux de Grolier, sont difficilement discernables dans la douce pénombre du lieu. Il faut vraiment se concentrer pour tirer de l'invisibilité cette concentration d'énergie impressionnante.
J'ai décidé de démontrer le mouvement en marchant en transformant quelques sous dont il est difficile de prévoir la valeur prochaine en pièces économiquement invendables, mais culturellement et spirituellement dignes de ce que Nolde a rapporté de ses expériences. Je me concentrerai sur le plus beau des Grolier, et d'une splendide reliure de Maieu, un artiste plus rare bien que moins illustre de Grolier. Puis je souscrirai sur un décadrachme sicilien signé par un des artistes majeurs de l'antiquité greecque. A partir de là je demanderai à des amis de m'accompagner dans cette aventure. Je vise les deux Grolier miraculeusement restants, une série de minuscules plaques émaillées du XIIe siècle chrétien, de quelques éditions originales : le dernier théorème de Fermat, les E.O. de Copernic, de Galilée, de Lavoisier... Le plus difficile est d'identifier des livres d'heures d'une valeur indiscutable et symbolique, comme cet "Art de la Guerre" disponible chez un marchand allemand.
Tous ces objets prendront place dans la tour circulaire, inspirée par "le Nom de la Rose" d'Umberto Eco ou par la tour des arméniens... Le reste sera empli par des archives calligraphiques et d'épais livres reliés en cuir et en attente d'être emplis.
Se trouvera-t-il un mécène qui m'aidera à réaliser ce projet mystérieux et plein de surprises? Je lance la bouteille dans la mer amicale de mon blog.
Bruno Lussato qui a besoin de vivre encore quatre ans pour voir se réaliser en votre compagnie ce qui n'est nullementune utopie, mais peut-être de la poésie en acte.