CHRONIQUE
FONDATIONS DÉFUNTES
DE LA COLLECTION Á LA FONDATION
Ayant été au cours de ma vie un collectionneur invétéré, j'ai commencé - banalement - par la philatélie. C'était pendant l'occupation allemande sous protection italienne, pendant la guerre. Mon cousin Carlo me montrait quelquefois son trésor : un album de timbres des colonies italiennes montés sur une magnifique reliure à anneaux. C'était surtout la reliure que j'admirais ! Mais on me fit cadeau d'un vieux recueil ou les timbres le plus rares étaient reproduits et quelques uns (les moins chers) contre-collés. Je m'initiai ainsi aux mystères des chiffres maigres, des vignettes triangulaires du cap de bonne espérance et de la semeuse sur fond lilas. Je ne sais ce que vint cet album avachi, mais il fut remplacé par une passion bien supérieure :la numismatique. J'échangeais des pièces avec Pierre Landron. D'une part des pièces carthaginoises à l'éffigie de tête de cheval, et d'autres tellement corrodées de vert-de gris qu'elle ressemblaient à des débris pierreux. D'autre part des roubles, des sequins, des farthings, des livres sterling, des dollars d'argent, beaucoup de pièces chérifiennes et turques. Enfin, j'amassai au fur et à mesure de leur parution des pièces contemporaine. Les monnaires d'avant-guerre, étaient des jetons supposés contenir de l'or (chambre de commerce et d'industrie de Paris) et , frappés pendant la guerre, d'affreuses pièces perforées d'un trou central de couleur gris bleuté.
Mon oncle Albert m'offrit un beau coffret d'acajou surmonté d'une vitrine et contenant quatre tiroirs emboîtés. Il fut perdu qaund nous déménageames de Tunis à Paris après la guerre. Ce fut un réel chagrin. Je reconstituai des séries fleur de coin de la monnaie, année par année avec une patience inlassable. Elles furent dérobées par la fille de mon employé que les transforma aussitôt en sucettes!
Je me rabattis alors sur la collection de minéralogie. Je l'achetai à très bon compte chez Deyrolles, rue du Bac et je pus constituer une collection enviable encore aujourd'hui, car pleine de specimens anciens provenant des universités allemandes. J'appris plus tard que de généreux supporters payaient à mon insu la différence entre le prix réel et le prix déclaré.
Je dois conserver quelque part le coffret à trois grands tiroirs, emplis de phosgénites de Monteponi (Sardaigne) de pépites d'or natif, d'opales du Queensland, et de Topazes blanches de l'Oural... Que de magie dans ces vieilles étiquettes, técrites en une belle bâtarde violette, semblable à celle qui balisait les vitrines du Musée d 'Histoire Naturelle.
A l'occasion de BIKINI, (en 1945?) on reproduisit sur la couverture de Science et Vie, côte à côte, le champignon atomique et des cristaux fluorescents d'un jaune-vert éclatant qui me fascinèrent aussitôt. Ainsi me spécialisè-je dans les minéraux radioactifs et me mis-je à fréquenter assidûment ceux qui les récoltaient : M Guillemin, M.Charvet, notamment m'ouvrirent les tiroirs de leurs collections. Je repartais de mes longues après-midi chez eux, riche de connaissance de première main, avec en prime, quelques échantillons pour ma petite collection. (A présent que j'y songe, je n'avais pas vingt ans alors. Or du temps de ma rencontre avec Lasse Hall, je connaissais encore M. Guillemin, je devais sans doute avoir à peine cet âge. La transcription de 1962 du Livre de L.H. doit donc être postérieure de dix ans aux évènements.)
Ce n'est que bien plus tard, en 1982, alors que j'étais marié et établi, que je devins le conseil d'Alain G*** Je l'aimais beaucoup parcequ'il avait un fort caractère. Il me considérait avec respect car je faisais partie du covenant de Philips, de la Shell, et d'autres puissants groupes, sans compter le poset que j'avais déserté à Wharton, pour retrouver mon pays. Je me trouvai pris dans un dilemme. Philips et Thomson étant adversaires, à qui donner la préférence? Le covenant régla les problèmes : il ne se dissout pas. Je refusai donc de recevoir le moindre franc de Philips tant que je travaillerais pour G*** On verrait plus tard, et de fait on a vu. Alors que le lien avec G*** ne résista pas à sa conversion à droite, le covenant avec Philips demeura inaltéré.
G*** était l'amant d'une charmante jeune femme, idéaliste et de gauche. Elle me considérait comme Socrate au milieu de ses disciple et ainsi naquit l'idée d'édifier pour moi une fondation, un lieu magique, financé par des séminaires Th*** et Auchan, sur un programme de Marina Fédier. Cette professionnelle, ma soeur de surcroît, avait déjà commencé à former à la culture des cadres d'Auchan, dans des locaux plus ou moins catastrophiques, ou chez moi, dans la maison de Fourqueux. Mais ils avaient du succès, et G**** ordonna de trouver un lieu idéal, pas loin de sa maison de campagne. Nous trouvâmes l'ancienne propriété de Pierre Guerlain, le fondateur de la firme de parfums, aux Mesnuls, pas loin de Montfort l'Amaury. Le site était splendide, la maison, conviviale et gaie, la vue étendue. De la terrasse on voyait s'ébattre des oies et des cygnes, courir des cerfs et se promener des hérons.
J'eus l'idée de garnir les vitrines et les bibliothèques de collections pédagogiques et stimulantes, sachant en tant que les objets sont les meilleurs des professeurs. Marina se chargeait de la partie immatérielle, de l'organisation des rpogrammes, du choix des conférenciers. Moi, j'achetai des ensembles complets. Un musée de la photographie, un autre de l'audiovisuel (on y trouvait la première caméra Lumière !,) une bibliothèque wagnérienne occupait une pièce spécialisée, etc... Mais c'était le Japon qui l'emportait. A ce mement j'alleis plusieurs fois par An rendre visite à Sh*** et aux patrons de Pionneer et de JVC, les adversaires de G***. Entre les durs japonais et moi, ce fut une histoire d'amour, de poésie et de culture. Eberlués les représentants de Th***, furent priés de nous laisser seuls, les grands patrons et moi, et nous passames des heures à parler de Haï KU, de l'école d'Osaka, et du grand Korin Ogata. Sous l'égide de Sh*** le musée du papier et les plus grands maîtres de cet art, constituèrent une magnifique collection de Washi (le papier artisanal des maîtres). Mieix encore.Il me firent cadeau pour la fondation d'un temple enjambant une cascade qui donnait sur l'étang des Mesnuls. Quelle époque bénie ! J'adorais le Japon, et je connus des grands artistes du Nihonga, des génies verriers comme Minami Tada, qui fit un lustre aux mille cristaux à l'hôtel Royal à Osaka, et bien d'autres maîtres de l'origami (pliages de papier) et des objets en kaki (comme ceux de l'illustre Hiroko Noguchi, qui fit cadeau de ses chefs d'oeuvre). Toutes ces pièces sont heureusement préservées et elles seron visibles dans la grande Fondation d'Uccle dont on parlera plus tard.
Tout à une fin.
G***, à la chute de la gauche, passa à droite, larga sa muse gauchiste pour se marier à Clémentine G*** BCBG. Finis les séminaires, larguées les collections, bazardés les dons deShinji. Que vais-je faire de fusumas dis-je, abasourdi.
(Les fusuma sont des portes coulissantes double face. Vous pouvez les admirer ce mois-ci au Musée Guimet. Allez-y sans tarder avant que l'expo prenne fin).?
- "Des portes? Dit-il négligemment, des portes? Mais ça se vend des portes ! "
Je crois qu'il voulait transformer le temple sur la cascade en un local bétonné destiné à ses discours, avec en place du cabinet de méditation un cabinet d'aisance. Le projet n'eut pas lieu car on m'a dit que le sol argileux et meuble qui s'acommodait de la fragile structure de bambou, s'affaissa sous le poids du béton. Se non e vero, è ben trovato. Par la suite, G*** acheta le château Louis XIII qui bordait le "moulin des Mesnuls (la propriété Guerlain) et il fut décoré par mme de N***, une amie de C.G***. Cela finit en lieu pour les noces et banquets. Tel fut la lamentable fin de ma première fondation.
LA FONDATION DES CAPUCINS
Sitôt liquidé le site Guerlain, des amateurs insistèrent pour refaire, en mieux, la première fondation. J'eus la chance d'être soutenu -outre par Auchan, toujours fidèle, par Rhône Poulenc présidé par mon ami J.R. Fourtou et par l'Oréal sous l'impulsion de François Dalle et de Guy Landon. Ces personnalités admirables n'aimaient pas les Mesnuls qui étaient le point le plus humide et le plus bas de la région. Après maintes recherches j'eus la chance de tomber sur "Les Capucins", ancien monastère chargé d'histoire et point dominant de tout Montfrot l'Amaury. Je négociai le bien sans le voir, faute de temps et je ne le découvris que la nuit. Tout de suite après la signature chez le notaire je me rendis - en retard à Apostrophes . Il pleuvait à verse, pas de taxis, j'étais en boule. J'avais face à moi Philippe Sollers - dont j'estropiai le nom - et Michel Henry, un grand philosophe qui m'a depuis honoré de son amitié. Bernard Pivot fut perfide au delà de toute expression et réussit à me faire passer pour une sorte de contre-réactionnaire fasciste et anti-chiraquien. Je me mis à dos toute l'intelligentsia et même tous mes amis. Je découvrit alors, à mes dépens, un sujet qui depuis devint mon domaine d'étude : la manipulation et la désinformation.
Les "Capucins "furent un extraordinaire succès qui fut cité et imité. J'avais acheté la propriété qui dominait la ville de ses 3 hectares et de ses 1500 m2, entre maison principale et communs aménagés, sur mes fonds propres. Tout m'appartenait, et je pus y mener sans contrainte la vie culturelle et pédagogique que je désirais. J'amorçai mon habitude de mécénat et j'invitai à mes frais des Edgar Morin, ou des Friedlind Wagner à venir séjourner pour de longues périodes chez moi. Les plus hauts personnages (de Nicolas Sarkozy aux présidentes Danielle Mitterrand ou Giscard d'Estaing) des artistes comme Boulez et Dutilleux, des savants comme Sir Penrose ou Karl Pribram, furent des familiers ou des supporters du centre des Capucins. Marina Fédier décora avec un extrême talent les lieux selon l'esprit de Naderman, le fabriquant de harpes de Marie Antoinette qui habita longtemps les Capucins. Le couplage entre une harpe authentique de Naderman, la première réservée à Marie Antoinette et d'un piano Tomkison de 1802 fut un symbole frappant. Naquirent alors le musée du stylo qui devait devenir la référence mondiale, le musée Wagner, le second au monde, la chaîne HQD Mark Levinson encore légendaire aujourd'hui et en fonctionnement, lemusée du papier, la collection des partitions anciennes, tous ces éléments servaient de cadre à des manifestations ininterrompues. Ainsi en une année, je présentai le Ring de Chéreau-Boulez cinq fois ! Soit 50 personnes invitées 24 fois, à dîner et déjeuner. Pendant cela des affaires juteuses se nouaient dans les salons réservés, à mon total insu!
La seconde fondation connut une fin encoire plus triste que la première. Elle fut assassinée en dépit de toute légalité par Gérard Mulliez, que j'admire pour son génie, et que je conseillai depuis des dizaines d'années mais qui commit une bien vilaine action. Par la suite la firme qui racheta les Capucins pour en assurer la pérennité et les protéger des prédateurs, les liquida sans scrupules, vendit bien des chefs d'oeuvre à Drouot pour une bouchée de pain, sans que j'en sois avisé sous prétexte qu'il faut évoluer. Aujourd'hui il n'en subsiste plus qu'un vague et nostalgique souvenir pour ceux qui ont connu son apogée.
Après cette aventure, les malheurs physiques s'accumulèrent, les souffrances atroces d'ajoutèrent à d'autres encore plus insupportables. Ma vie fut ruinée, ébranlée, et je me retrouvai voici quelques mois encore démuni d'une partie de mon cerveau. Cela vous ne le savez que trop, mes chers internautes.
et puis...Un miracle se produisit. Durera-t-il? Est-ce un feu de paille? Depuis un an au plus, le personnage de L.H. décrit dans le billet correspondant, s'est divisé en trois autres, chers à mon coeur, et dont l'un constitue ma raison de vivre. J'ai eu une chance extraordinaire de me sentir apprécié, entouré, choyé, et c'est grâce à ces présences tutélaires, que j'ai pu reprendre mon énergie habituelle. Je puis dire que je n'ai jamais été au mieux de ma force et je prie le Seigneur de faire que cela dure le plus possible.Vous qui êtes jeunes, sachez que pour qui sait avec courage saisir les opportunités, une vie nouvelle, extraordinaire peut s'ouvrir, même- si comme moi - elle est menacée par une échéance fatale. Si vous avez quelques conseils à me demander n'hésitez pas, je suis encore bon à cela !
Mais souvenez-vous: il faut acquérir une bonne culture, de l'imagination, et surtout donner de l'amour à ceux qui en ont pour vous. L'amour est le moteur le plus puissant, tout finit par céder devant lui. Et en cas d'échec, vous aurez au moins retrouvé un moyeu : votre âme d'enfant.
Le prochain billet décrira comment à ces fondations défuntes, devraient succéder deux autres en gestation :une grande à UCCLE, une toute petite , proche de Andorre.
Votre
Bruno Lussato.