CHRONIQUE
Fin du livre de L.H.
J'avoue que cette nuit je n'attendis pas de retranscrire la fin du récit. La volonté d'en connaître sans tarder la suite l'emporta et je m'installai confortablement au lit, rognant sur ce qui me restait de temps disponible pour préparer mes plans de travail, et me ménager un peu de sommeil. C'est qu'en fait l'intrigue devient baucoup plus confuse et disparate et qu'il est difficile d'en démêler l'écheveau. Je serai donc emené à en couper des segments nombreux et significatifs.
LA NUIT D'AMOUR DE MADEMOISELLE VH.
Mademoiselle Van Holten et sa fille étaient de vagues connaissances du beau Oscar, dont nous admirions tous la désinvolture et la fortune souriante. La mère, grande femme osseuse au menton énergique dépensait ses ressources à la prospection d'un mari pour Maggie, qui lui convint. Voyages, toilettes et vie mondaine mettaient en valeur une fille que Oscar trouvait charmante et horripilante.
Un Samedi soir, après dîner, j'attendais Lasse qui avait coutume de bavarder avec moi avant de draguer les étudiantes au Boul'Mich. Non loin de nous, Mme VH me fit un petit signe amical que, par politesse, j'échangeai froidement par un bref salut. Il n'en fallut pas davantage pour que la douairière fit voile vers nous, remorquant sa mijaurée de fille. " Mais quel plaisir de vous retrouver, après votre brillante conférence d'hier! C'était pâssionnant, mais oui, vraiment paâassionnant, pas vrai Maggie". Maggie ne répondait pas, fascinée par le jeune homme qui lui souriait, ce qui incita la mégère à répétrer d'un ton pénétré : passionnant, Maggie aussi était passiönnée, elle ne parlait que de vous. Un tel puits de science à votre âge : la minéralogie, l'astrologie, la chimie, la télépathie, quelle chance ont vos parents..." La bavardage de la vieille perruche me contraignit à lui présenter Lars,-bien à contre-coeur - Il les invita à dîner pendant que la Van H. m'accablait de ses compliments afin de laisser parler à son aise sa fille. J'étais d'autant plus furieux que mon ami donnait dans le panneau avec une surprenante naïveté. Il proposa même à Maggie de passer le week-end à Saint-Germain-en-Laye à trois. J'allais refuser de jouer le chaperon quant je surpris le regard menaçant de Lars qui savait fort bien se faire comprendre de cette manière." Ce n'est pas dans les principes de mon enfant que de partir ainsi avec deux jeunes gens, mais vous connaissant comme un esprit sérieux, je ferai une entorse à la coutume à condition que vous me disiez où vous comptez vous rendre et l'heure de votre retour. "
Maggie ne pouvait cacher sa jubilation bien qu'elle tentat de la dissimuler sous un air supérieur qu'elle attribuait à une demoiselle de la High Life. En me souhaîtant un "bonsoir, cher à demain" elle me tendit sa blanche main avec une telle désinvolture que je dus me retenir pour ne pas la gifler.
En allant chercher dans le hall du papier à lettres je rencontrai de nouveau la reine mère dont la fille était allée pêcher un taxi."Quel jeune homme charmant que votre ami, me dit la matrone - et si comme -il -faut. Il n'est pas étonnant qu'il vous soit si attaché. Mais si, mais si, l'expérience m'a appris à déchiffrer l'expression des yeux . Quand il vous regarde à votre insu quelle affection ! Mais est-il sérieux? Tenté de lui répondre "non !" je le décrivis comme un sentimental fleur bleue en dépit de son apparence de Viking. Bref, un grand timide.
De surcroît cette femme rouée avait senti l'argent derrière la façade ordinaire du jeune homme, comme le cochon sent la truffe.
Avant de monter me coucher, je frappai au 134. Je déclarai fermement à Lars que je n'avais aucune intention de jouer les dames patronesses. "Tant mieux - répondit-il- je n'avais nullement l'intention de t'emmener ! . Qu'as-tu donc? tu serais de trop,et puis, tu as le mal de mer, toi. " "Elle est antipathique. Je ne comprends pas comment tu te laisses embobeliner ainsi. "Tu ne l'as pas bien observée. Bon. D'accord. Elle est un peu fadasse, mais elle a un corps magnifique, des seins à croquer et une peau d'une fraîcheur ... " Lasse épouserait-il cette mijaurée? Je me souvenais de ses yeux moqueurs et brillants, quand il raillait mon mal de mer.
Lundi j'étais fier de dîner avec Guillemin, spécialiste des "plombs" et dont j'espérais obtenir quelques beaux cristaux de phosgénite de Monte-Poni en échange d'anglésites vertes. Je venais de m'habiller avec soin c'est à dire comme un vieillard : complet gris, pull-over gris, cravate à pois de Poirier, quand on frappa à la porte. Trop tôt pour le dîner avec Guillemin, et d'alleurs ce n'était pas lui mais qui donc? Une madame Van H. visage congestionné en un curieux état. Sans attendre que je l'y invite, elle entre au 648, la chambre de ma soeur. Que désirez-vous? - Vous parler! "
la voici en train de me débiter à toute vitesse, une histoire incroyable, entrecoupée d'injures, où il est question de sa pauvre Maggie, violée et torturée par un monstre dont je suis le complice. Cela me coûterai cher - où, si j'étais insolvable, à mes parents responsables de mes actes. Où sont-ils?
Je poussai madame Van dehors en refermant la porte derrière nous. Allons chez Monsieur Hall, nous y serons mieux pour nous expliquer. - "Il n'est pas là répondit la mégère. - Il ne tardera pas à entrer, j'ai la clé de son salon. Ce qui était hélas exact, car je me préparais à y recevoir Guillemin au 136.
Dand le salon rococo, à l'abri de l'intrusion de mes parents, je retrouvai mon sang-froid. Madame mère me raconta avec force détails ecoeurants, comment Lasse avait enlevé sa victime, violée et martyrisée atrocément toute la nuit avant de la ramener évanouie chez elle. Mme Van Holten l'avait découverte pantelante à son retour (elle faisait des courses) et en coup d'oeil avait tout compris.(Tiens, me dis-je). Elle s'empressa d'appeler un médecin. ll serait forcé de... de ... - de l'épouser? complétai-je douceureusement. ..." Oh non, Ma Maggie ne voudrait pas de ce cannibale! "
Elle m'en dit tant et si bien qu'ébranlé, je finis par la croire. La quantité des détails suppléait à leur réalisme.
Larse apparut à la porte de communication et je lui demandai de se justifier. Il ne répondait toujours pas. Madame van H commença par l'invectiver, mais elle fut froidement interrompue : " Je sais mieux que vous ce qui s'est passé, j'y étais" dit-il. Faites-nous grâce des détails et venez-en au faits. Que recherchez-vous? Un procès? Je ne vous le conseillerais pas si vous tenez à la réputation de mademoiselle votre fille, et à votre place, voyez-vous, je n'ébruiterais pas cet incident. Je crois même que je l'oublierais."
La furie paraissait s'être refroidie.. En regardant Lasse, je compris pourquoi. Immobile adossé au chambranle, pour une fois bien habillé en bleu foncé, cravate rayée, montre en platine, les yeux étincelants dans l'ombre, il en émanait des ondes de terreur. Je ne l'avais jamais vu ainsi. Sa voix était musicale, avec un accent léger, mais très basse et murmurée.
Mes nerfs prirent alors le dessus. Les récits des actes impunis des nazis, les mauvais traitements infligés par mes camarades du Lycée Carnot de Paris, me firent perdre tout sens du ridicule. Je pris le parti de la veuve et de l'orpheline et assurai Madame présumée veuve, et que ma sympathie lui était acquise. L'attention de Lars se concentra sur moi et il me dit doucement " Tais-toi. Nous parlerons de tout ceci plus tard".
Mais j'étais allé trop loin et sans réfléchir j'aggravai ma situation par des paroles très dures, affirmant que si procès il y avait, je témoignerais contre lui.
Mais la mère outragée à mon profond étonnement, me dévisagea avec mépris, haussa les épaules et glapit quelques injures à l'adresse de Hall qui la fixait toujours sans bouger. Soudain elle fit volte-face et partit précipitamment. La porte claqua et le silence s'appesantit dans la pièce. Il faisait tout à fait sombre. M. Guillemin allait survenir d'un moment à l'autre. L'essentiel était de partir au plus vite sans se retourner. FIler avant qu'il ne réagisse. J'étais paralysé par la peur comme dans ces cauchemars où on se sent des semelles de plomb. Lorsque j'esquissai un mouvement, Lasse dit calmement : reste... Nous devons parler. Ton ami ne viendra pas, j'y ai veillé". Il alluma puis se balança un peu comme je l'avais vu faire avec le pauvre R***
"Á nous deux maintenant...Ainsi tu porterais témoignage contre moi?"
La gorge serrée, je ne pouvais me défendre ni me justifier. Il vit cela et je crois qu'il n'en tira aucun plaisir. Alors, reprenant espoir je lui dis des mots qui durent l'apaiser. Pourrais-je me libérer?
Il me suivit dans l'ascenseur, croisa une jeune fille brune et très élégante. " Mon amour, dit-il, ce sera pour Lundi prochain, j'ai une affaire urgente à régler" Il lui parla longuement à voix basse et elle sourit de plaisir.Cela me donna de l'espace et je quittai le liftier quand il me rattrapa d'un bond en me poussant dans l'ascenseur. "Alors, tu veux m'échapper? me dit-il en riant. Je sentis que je ne m'en tirerais pas si facilement.Je me retrouvai coincé, non pas au 136 mais au 134, la chambre à coucher, pour une fois en ordre. Lasse fut d'une gentillesse inattendue, comme si rien ne s'était passé. Je retrouvai mon personnage familier. Il se mit comme d'habitude torse nu el en shorts. Ma peur apaisée, la rogne monta en moi. Je ferais mieux de me taire, le terrain était mouvant. Sans se fâcher il dit que j'étais un adolescent attardé et que je ne connaissais rien aux choses de l'amour. J'étais mortellement humilié et se moquant de moi, il me conta par le menu sa nuit d'amour avec Maggie. Cela me fit l'effet d'une horrible révélation. Je découvris que l'acte amoureux peut être brutal, pervers, prémédité. Lasse balançant négligemment ses jambes parla de la joie de broyer une femme, en comprimant toutes les fibres les plus intimes de sa chair, de la sentir se débattre, puis céder ouverte au désir le plus intense. La joie de la contemplée anéantie après l'étreinte. Car bien des femmes sensuelles désirent être maltraitées, leur nature est masochiste, sans quoi elles ne supporteraient pas nos attouchements. Il faut d'ailleurs aller très lentement avec ces amoureuses leur faire savourer chaque instant de supplice. Bien qu'elles s'en défendent je sens combien elles sont satisfaites.C'est autre chose que l'amour bourgeois et tranquille des cocus moraux et sentimentaux selon ton modèle.mais non, je ne suis pas un monstre ajouta-t-il en souriant, c'est toi qui tu te mêles de juger, toi qui jamais ne prendras femme.
Une tendance du pervers essentiel, avais-je appris, est sa tendance à assassiner le surmoi d'autrui de meurtir par l'hédonisme ce qui fait la raison d'exister, d'affaiblir sa charpente morale. En ce sens Lasse était un pervers. Et je ne voulais pas me laisser pervertir. Mon surmoi réagit vigoureusement pour son intégrité. Fou de rage, je lui dis ce que je pensais de lui, et aussi ce que je n'en pensais point. Je dus dépasser toute mesure car soudain il se mit debout et je sus qu'il allait attaquer. Ses yeux lançaient des éclairs et soudain il bondit sur moi, m'étendit sur le grand lit et posa son genou sur ma poitrine, appuyant d'abord légèrement, pour m'empêcher de me dégager, puis de plus en plus lourdement. Une douleur atroce irradiait à partir de là. Il me deshabilla et s'allongea tout du long sur mon corps malingre. La sensation d'être écrasé, chaque fibre tendue à se rompre, avec de brefs répits, je la connus par la suite à l'höpital, mais sans cette humiliation destructrice. Des ondes de douleur ondoyaient sous ma peau, dans les tréfonds de mon corps. Je pleurai de honte et de souffrance.
Allait-il me tuer? Il en était capable en ce moment. Mais il y avait ses yeux. penché sur moi il les plongea droit dans les miens. La mèche qui barrait son front m'aveuglait. Il s'était à présent couché confortablement sur moi et je compris qu'il allait m'étouffer. Je fixai ses yeux comme une planche de salut. La pupille s'élargit assombrissant le regard. Un instant auparavant ekke était réduite à une fente minuscule et les yeux étaients verts et cruels comme d'un chat de gouttière. A présent, ils étaient violets comme ceux des gosses du nord de la Scanie. La prunelle formait comme jadis un anneaux très clair entouré d'un cerne sombre. Comme les poètes le chantent, ses yeux ressemblaient au ciel et à la mer. J'y sicernai les vagues que j'entends dans les coquillages, un océan trouble aux lots verts et violets. C'était la combinaison de ce vert émeraude clair et de ce bleu violet, qui donne la couleur si spéciale du regard de Lars ce bleu des tapis de haute laine de Copenhague, du ciel de Recloses par jour de mauvais temps. N'est-il pas étonnant que le souvenir dominant de tant de souffrance, soit une magie de couleurs?
Je ne puis dire ce qui se passa après, sinon que la douleur se retira comme un reflux océanique, sous l'apaisement de ce regard. Comme une amnésie ou une anésthésie bienfaisante. Il ne bougea pas tout au long de cette correction, mais je subis un choc sévère. Je ne sais comment je me retrouvai dans ma chambre dans une profonde torpeur, un sommeil sans rêves; moi, l'insomniaque chronique.
COMMENTAIRES
Je viens de rédiger le dernier chapitre, don le dernier, encore à venir est le plus triste de tous.
En recopiant l'essentiel de ces phrases (j'ai beaucoup élagué) j'ai vu flotter des lambeaux de structure qui ont marqué profondément ma vie.
Tout d'abord l'acharnement avec lequel au lieu d'améliorer une situation et de réparer une gaffe, on l'empire par une sorte de réflexe suicidaire. C'est ainsi que je passais le temps à provoquer Lars Hall, pourtant si doux et si patient avec moi. Lors de la correction qu'il m'administra cruellement à la fin du chapitre, je fis tout ce que je pus pour l'amener à un tel excès.
La scène avec Madame van H. met en relief le froid bon sens du jeune homme, celui des hommes trop riches qui savent qu'on essaie de les plumer sans relâche. Mon sentimentalisme bête me poussa à accomplir alors ce qu'aucun des prototypes actuels de LH n'accepteraient: la trahison.
Témoigner contre celui à qui je dois fidélité éternelle, une erreur morale que j'éviterais à tout prix aujourd'hui.
La description de la nuit d'amour, montre la différence entre Don Juan et Don Orravio. Les remarques de Lasse ne sont que trop fondées dans bien des cas (il admet des exceptions). Mais on en comprend l'effet délétère sur un puritain.
Le rôle du rire en tant qu'indice de sadisme a été révélé par moi-même à propos de Siegfried (cf. Encyclopédie du Ring). Lorsque le jeune homme rit, quelqu'un mourra, éventuellement humilié et torturé.
La scène de loin la plus originale et la plus révélatrice, est la dernière. Ce qui aurait pu être un passage de pure cruauté, teinté éventuellement d'homosexualité, a vu sa signification inversée et impregnée d'une expérience de souffrances à venir.
Tout d'abord, les deux désirs se combattent en Lars : 1.celui d'épargner son misérable ami, la compassion la plus émouvante, 2.celui de lui donner une bonne correction, révélée par le rire cruel et faussement rass urant.La torture elle-même ne laisse pas de traces mais elle est humiliante et méticuleuse, aussi soigneusement exécutée que par un kinésithérapeute.Les douleurs, hélas, je les connus voicie deux ou trois ans et je puis vous assurer que la souffrance physique la plus vive porte en elle sa propre amnésie. Or dans les tortures administrées par le jeune homme, les yeux jouent un rôle primordial. La souffrance est résorbée par ce qui devait à cette époque devenir le début de l'Entretien : " L'océan aux vagues d'argent, répond chantant aux nuages blancs... Le bleu et le violet; caractérisent bien des paysages de Recloses, aquarellés à cete époque. Ce qui est néanmoins particulier, est l'élargissement et l'aprondissement du regard qui d'étincelant devient nostalgique. Le héros reprend en pitié sa misérable victime, sous la douceur de ce regard qui scelle leur relation.
Le contraste entre la douleur et l'humiliation, et l'apaisement muet, est en soi porteur de signification. Jamais dans les étreintes les plus cruelles il y eut de la haine, mais peut être faut-il y déceler un parallèle avec la nuit de supplice sensuel vécu avec Maggie. Est-ce-que le supplice infligé à son ami le plus cher, n'a pas eu pour effet de renforcer encore leur attraction réciproque? Cela le dernier chaqpitre, l'adieu, le dira. Ce qui reste étonnant c'est cette dissolution, cette absorption de la douleur sour un flot poétique de couleurs chantantes.
Chapitre dixième
L'adieu
Chaque fois qu'il téléphonait je raccrochais net. Un jour il vint me voir. Il parla gravement et affectueusement, sans plaisanter. Il m'annonça qu'il m'emmenait à Saint Jean Cap Ferrat. Sans s'excuser, comme si rien n'était, il me supplia de venir. Il parlerait à mes parents et je ne m'occuperais de rien. Je devais m'aguerrir,apprendre à nager. Jamais il ne m'avait parlé avec autant de chaleur. Mais je refusai froidement et je partis en vacances en famille. Au retour, il faisait chaud et lourd à Paris. Il me téléphona un matin, un ami lui avait prêté un pied à terre et il partait le lendemain. Je me précipitai et trouvai un chantier déserté de fin Septembre. Des malles étaient couvertes de vieilles housses. Je le vis dans la dernière pièce et faillit ne pas le reconnaître. Comme à son habitude il était shorts, torse et pieds nus, baigné de soleil, pailleté d'or comme s'il se trouvait encore sur la plage. Pour la deuxième fois je découvris la beauté extraordinaire du gaçon, épaules plus larges, torse plus musclé, membres plus souples et vigoureux frémissant de vie. Les jambes étaient couverts d'une toison de poils dorés ainsi que les bras. Le visage était plus expressif et ses yeux étaient clairs et étroits. Il souriait de plaisir et ses incisives enfantines lui conféraient un air de naïveté, démenti par ses ueux de loup. J' m'assis stupéfait. C'était lui, et un étranger tout à la fois. "Tu viens avec moi en Suède. Tu m'as manqué pendant les vacances. En deux mois de Scanie te forcerai à vivre, en dépit de ta resistance. Au début ce sera dur, mais fais-moi confiance. ". Il se rapprocha de moi et continua à voix basse. " ... et puis nous parlerons de musique, tu auras un vrai Bechtein à queue, je le ferai accorder. Et aussi un magnétophone. Nous ferons de longues promenades en fôrte. Götland est couvert de roses magnifiques tu apprendras à faire du canot, mais auparavant je t'apprendrai à nager...? Non, ne parle pas ! Je me charge de rassurer ta mère et de faire entendre raison à ton père. Christiane passera quinze jours à la maison et sera contente de te revoir."
Je souffrais intensément ety je lui demandai de me rester fidèle, mais de ne point me forcer, de me laisser tout seul trouver ma voie, sans rien devoir à personne, par ma propre volonté. Je ne veux plus te revoir, dis-je en hésitant, j'ai peur de toi. Depuis que je te connais je ne vis que dans l'angoisse. Un jour tu te retourneras contre moi sans m'épargner comme la dernière fois.
Ses yeux se brouillèrent de larmes, de rage où peut-être de chagrin et je sus que je ne le verrais plus. Je le quittai la mort dans l'âme.
Il m'écrivit par la suite, mais je déchirai sa longue letttre sans la lire. Je n'entendis parler de lui que par Rödel qui décerna la médaille du bon goüt français à son frère. Pendant huit ans, je fus comme frappé d'amnésie. et je finis par oublier celui qui compta plus que tout au monde.
Je cherchai en vain l'ami qui lui ressemble, la femme qui pourrait être sa soeur. Lorsqu'on a connu la race des demi-dieux, comment goûter la compagnie des hommes? Je compris bien plus tard qu'il m'aimait profondément et qu'il n'était préoccupé que par mon bien. Ce que je prenais en lui pour de la brutalité, n'était qu'une irrepressive joie de vivre.
Lorsque je pense à lui, je ressens un déchirement au coeur. Il aurait pu m'aider, mais je le rejetai et je le déçus. A présent peut-être suis-digne de son amitié. Mais où est-il?
Y avait-il des composantes homosexuelles dans notre attachement réciproque? Peut-être et cela expliquerait-il ma fuite. Cela expliquerait ma réaction au moindre frôlement de Lasse quand il feignait de vouloir lutter avec moi.
Est-il toujours vivant? Pourquoi ce silence? Qui était-il au juste? Que serait-il advenu si me j'étais laissé subjuguer? Pourquoi à ma crainte confuse, se mêlait une immense compassion?
Il est mort en moi, mais vit en moi. Que Dieu le prenne en pitié sous sa douce protection. Mon plus cher désir et de le savoir heureux et ... le revoir. Oui le revoir.
Mais d'autres missions m'attendent, d'autres êtres, d'autres pays.
Bruno Lussato, ce 30 Juin 1962, à minuit.
Dernier commentaire
Avec le recul du temps je découvris que l'Entretien n'est qu'une variante de cette histoire oubliée comme une pierre lancée dans un étang laisse des interférences concentriques.
Certes, il faudrait y ajouter la partie prophétique juive, mais est-ce-moi?
La composante homosexuelle est à écarter car, outre mon amour éternel pour ma pauvre femme, cet attachement perdura et s'accrut, alors que - hélas - je fus privé durablement de toute hormone sexuelle. L'amour est mort en moi, ce n'est plus qu'un rêve lointain et irréel.
Ce n'est que depuis un an, à la veille de la mort, que L.H. revit, se multiplie, m'entoure. Je me garderais bien, cette fois de l'écarter! C'est avec une joie reconnaissante que je le retrouve, et me retrouves ainsi moi-même, libéré de toute contrainte.
Contrairement à Goethe dans sa dédicace, le passé devient lointain et c'est le présent qui jubile en moi. Que je vive assez longtemps et indemne, pour en profiter et échanger des pensées d'infinie tendresse, notamment avec vous mes chers internautes. Il est temps de m'arracher aux mirages et de répondre à ceux qui m'interrogent sur ma vision de ces temps d'apocalypse ou encore sur le mystère des relations entre Russie et Occident.
Bruno Lussato
BLF DGG