CHRONIQUE
Suite du livre de L.H.
Les commentaires, nombreux et oraux qui me sont parvenus m'ont encouragé à terminer si possible ce récit autobiographique. Sa lecture, loin de lasser a piqué la curiosité de maint lecteur et j'avoue que moi- même pendant que je transcrivais le manuscrit bleu, dont j'ignorais tout, me demandais comment ma relation ambigüe allait se terminer. Hé bien, voici de quoi nous nous satisfaire. Je signale aussi des transformations systématiques du style. Chemin faisant, j'en donnerai un exemple.
Chapitre septième
La correction
CETTE période de compréhension réciproque dura deux ou trois mois. Une brouille sérieuse y mit fin et il m'est assez pénible de l'évoquer.
J'avais entendu dire par Claude Gauthé (un fanatique d'opéra) que la famille de mon ami était nazie (modif : que la famille de Lasse avant des racines nazies). et que son grand-père maternel, chef d'un important "concern" avait été pendu à Nuremberg. Ses biens parvinrent cependant preques indemnes à ses héritiers et, à la reprise allemande, avaient considérablement fructifié. Il était facile de comprendre que la fortune de Lars Hall, s'était édifiée sur les fours crématoires. Je fus tellement troublé que je me mis à lancer des sous-entendus malveillants au jeune homme. Je sentis qu'il se tendait imperceptiblement pendant qu'il me rappelait que sa mère était allemande et qu'il ne souffrirait plus de telles insinuations..
Très généreux, mon ami m'avait offert son salon pour faire de la musique le Dimanche, où il était à Saint-Germain-en-Laye. Son électrophone, sans être exceptionnel, était meilleur que mon Webcor. Je lui répondis solennellement que je n'utiliserai plus le 136 dorénavant et que je saurais fort bien m'en passer à l'avenir? Il sourit alors à mes allusions et me dit sans se fâcher : " j'ai donné l'ordre au concierge de te remttre la clé quand tu la demanderas, pour le reste, fais ce que bon te semble". Son calme ne fit qu'accroître mon agacement et je lui lançai des mots qui dépassaient ma pensée.
Hélas ! Deux Dimanches plus tard je voulus lancer de la poudre aux yeux à une snob nommé P.B. joueur de golf et dont le père était président de la Deutsche Bank. Il avait noué des relations amicales avec Salacroup, et ne daignait pas me regarder sans me lancer un sourire moqueur. Je l'invitai au 136 avec cinq punaises bas-bleu et deux rats de bibliothèque, en laissant supposer que j'étais l'occupant légitime du somptueux salon. Un de mes anciens amis du lycée Carnot, un certain R.***, communiste sanglant, nous entraîna inévitablement dans la politique la plus partisane. Je commis l'imprudence et l'indélicatesse de parler des Hall et de leur fortune mal acquise. Ils ne se doutaient pas alors qu'ils se trouvaient chez lui ! Au plus fort de la discussion, la porte s'ouvre et qui vois-je? Lasse accompagné d'une poule. Muet de confusion je me maudis intérieurement.
Celle que je traitais injustement de "poule", était toute blonde et menue auprès de son amant qui semblait l'écraser de sa masse et de ses regards, elle avait des yeux presque violets et l'air d'une chatte effarouchée. En dépit de son élégance elle me fut très antipathique. Lasse lui, était d'un débraillé qui me fit honte. Tout décoiffé, sa mèche blonde barrant le front, sa beauté brutale et racée, était on ne peut plus déplacée au milieu de notre cercle de citadins intellectuels.
A mon profond soulagement, Lasse avec une infinie délicatesse ne fit pas allusion à sa qualité de puissance invitante et ne parut nullement étonné. Il demanda le plus naturellement du monde s'il pouvait se joindre à nous. A contre-coeur je présentai à mes hôtes celui dont nous venions de dire si grand mal. pour aggraver la situation, R*** le communiste haineux, entama une lutte verbale avec le présumé nazi. Mais Lasse, visiblement amusé, se plaisait à le coincer dans un réseau de contradictions. Devant son attitude méprisante, R*** s'échauffa progressivement et passa aux allusions personnelles. Il en devint insolent, voire même indécent, mais son adversaire, faisant le niais, encaissait fort bien. Exaspéré par le calme persistant de celui qui habilement le faisait sortir de ses gonds, notre communiste lança je ne sais quelle accusation ayant trait aux origines de sa mère.
Lars se leva lourdement, prit le bras de son amie et la conduisit à la chambre à coucher dont il referma soigneusement la porte, puis il vint se planter devant R*** en lui demandant presque timidement, comme pour ne pas l'inquiéter, de répéter ses paroles s'il avait quelque chose dans ses pantalons. L'autre, choqué par la vulgarité de l'expression, réitéra son insulte avec une fausse assurance. Répétée, elle sonna franchement odieuse. Le silence s'était établi dans le salon et paralysé par la peur je n'osais intervenir. Pourtant il ne semblait nullement fâché ! Il ôta la montre Rolex en acier qu'il porte toujours au poignet droit, se débarrassa de sa veste qu'il roula en boule, puis s'approcha négligemment du communiste. Il le souleva comme une poupée de chiffon le faisant reculer vers le grand canapé, à gauche de la fenêtre qui donne sur l'Opéra. L'autre manifestement terrorisé se laissait manipuler, fasciné.
Alors, toujours silencieusement et prenant son temps, Lasse lui infligea une correction. Il l'avait plaqué sur le canapé et rien ne transparaissait de ce qu'il faisait sinon les hurlements et les appels à la pitié du communiste qui n'avait plus rien d'agressif. Lasse le lacha aussitôt pour le laisser reprendre haleine, puis le reprit en main. En voyant s'approcher à nouveau, sa victime affolée n'esquissa aucun geste de défense. Nul d'ailleurs dans l'assistance n'avait eu le réflexe d'arrêter le tortionnaire. Je sortis de cette espèce d'hypnose que provoque la violence au delà d'une certaine limite, et j'appelai l'infirmerie en disant que quelqu'un se trouvait mal. Ceci calma Lasse, qui en reprenant sa montre, déclara aux malheureux : tu as deux minutes pour te remettre d'aplomb. Si tu refuses, je te reprendrai dehors pour te travailler de nouveau.
Sitôt partis mes invités, je traitai Lasse de monstre sadique et lui dis qu'il méritait amplement les insultes du pauvre R***. Je le vis froncer les sourcils et s'approcher de moi comme il l'avait fait avec sa victime.Dégrisé, je me traitai d'idiot d'avoir provoquer une bête fauve et me mis à prier. Passe encore pour les coups, j'en avais déjà subi au lycée, mais les remontrances de mes parents, voici plus que je ne pouvais en supporter. Mais lorsqu'il me plaqua contre le canapé, la peur d'être moi aussi torturé" reprit le dessus. Je murmurai les plus abjectes excuses, sacrifiai ce qui me restait de dignité. Mais il me regardait avec une infinie tristesse. "Tu n'as pas besoin de me mentir, tu n'auras jamais à craindre quoi que ce soit de moi. De te voir ainsi effrayé est la pire punition que tu puisses m'infliger" . -Décidément, il avait fait des progrès prodigieux dans notre langue, me dis-je stupidement. " Excuses-moi, je n'ai pas réfléchi? Je n'ai pu résister au plaisir d'écraser ce petit juif prétentieux. "
Le mot ainsi lâché, (je craignais d'être pris pour un juif et j'ignorai alors mes origines paternelles) je me sentis pâlir. Ce serait décidément fini, entre nous. Je venais de le découvrir sous un jour infiniment inquiétant.
Je me remis avec acharnement à mes études de chimie, quue j'échouai aux travaix pratiques, et à la sonate Hammerklavier Op.106, dont la fugue me faisait tourner en bourrique.
Chapitre neuvième
Le vert et le violet
À la maison la vie était intenable. Mon père en proie avec la mauvaise fois de ses associés fumait sans arrêt, sourd aux supplications. L'étais désemparé, je m'imaginais mal en train de manipuler toute ma vie des éprouvettes et je ne me sentais pas le courage d'entreprendre des recherches indépendantes. Certes, j'obtins le titre de premier en Chimie Générale,mais il ne m'abusait pas. Comment gagne-t-on de quoi manger? J'avais la certitude de ne pouvoir me suffire. J'avais besoin d'un appui, d'une présence et je pensais à Lasse, si gentil et si solide. Le seul à pouvoir m'aider. Je le chassai de mon esprit jusqu'au jour où après avoir été injurié par mon père plus copieusement que d'habitude, je téléphonai toute honte bue dans l'espoir qu'il ne répondrait pas. Il répondit. Ilme demanda si j'étais dans ma chambre et raccrocha. Peu après, le voici rayonnant : il savait bien que je l'aurais appelé tôt ou tard, mais il ne pensais pas si tôt! J'étais étourdi par la joie et je ne savais quoi dire. Lui, s'excusa de sa conduite passé et m'avertit que je devrais m'habituer à ce côté agressif de son tempérament. Il attaquait avant, réfléchissait après. Je le regardai : il avait bruni, juste un léger hale rosé et doré. Je le préférais ainsi, pétillant de joie animale qu'entre dix heures et minuit où il était saisi par le spleen. ëtre l'intime d'un homme pareil vous rassure, vous êtes protégé, rien ne semble vous menacer. Comme faisant écho à mes désirs, Lasse s'accusa de ne pas sêtre occupé suffisamment de moi.
A partir de ce jour il redoubla de gentillesse, mais il était déçu par ma paresse. Je n'avais pas le courage de me jeter à l'eau, saisi par l'énergie peureuse du peureux. " Sois un homme, fais preuve de virilité. De l'argent, je t'en donnerai autant que tu voudras" - "et mes parents?" - " pourquoi cette hantise? Cette peur de vivre, Tu ne fais de mal à personnes, tu t'appartiens et tu n'as pas de comptes à rendre. "
Nul autre que lui n'essaya de me tirer de l'état de stagnation où végétait mon corps.Je ne lui facilitai pas la tâche en me montrant ingrat et désagréable. Il frôlait des cordes sensibles et douloureuses et je prenais sa chaude et rude affection pour du sadisme. Mais il ne perdait jamais patience. Quand je me souviens de ces heures, j'en ai la gorge serrée. Je me répétais "de quoi se mêle-t-il donc? " Par exemple une fois il m'entraîna à la piscine Deligny pour m'apprendre à nager. Je finis par lui avouer que je n'avais pas de maillot de bains. Il fouilla dans ses effets mais ne trouva rien qà mes mesures " il en faudraut deux de ta corpulence pour en emplir un" dit-il en riant. Il plaisantait toujours sans arrière pensée, mais cela ne laissa pas de me blesser. Je finis par l'en détester.
... Il découvrit que j'étais aussi expérimenté sexuellement que le nouveau-né et il voulut que je fréquente des maîtresses. Mais j'étais puritain et je n'osais pas me voir tout nu ! ... Un jour il fit semblant de lutter avec moi ,et je me débattis farouchement alors qu'il ne faisait que jouer. Il ne pouvait imaginer les traitements immondes que m'avaient infligé mes camarades de classe. ... Je commençai alors à le craindre vaguement. Je r¨vais à quelque relation tranquille au coin du piano et non de cette brusque transformation. La rupture cheminait en moi. Il ne suffisait que d'une goutte d'eau. Ce fut une cascade, un cyclone.
Commentaires
Me voici à mi-chemin de l'avant dernier chapitre et je ne puis que ressentir la tristesse de la dédicace de Faust de Goethe.Figures vacillantes, poression du passé, pression des idées nouvelles, contre-chant sévère, fantômes devenus réels et réalité évanouie dans le lointain, et des larmes, des larmes, des larmes suivant aux larmes.
Je découvre avec répulsion, avec horreur, celui que j'était alors, une larve informe, un paresseux aboulique, un égoïste incorrigible.
Par la suite je trouvai grâce à Madame Lapp, mon professeur de piano, la force de me ressaisir. Beethoven saisissant le destin à la gorge, n'était-il pas le meilleur modèle? Mais avec la force, la musculation presque trop dessinée, vint l'arrogance, l'esprit de revanche. C'est ainsi que "Monsieur le Professeur" succéda au Bruno que vous connaissez, et que fit revivre mon ami l'avocat, celui qui me rendit mon honneur et me sauva du suicide propre à ceux qui sont drogués par l'inte
Et quelle émotion de retrouver enfin ces figures familières, se relayant, me soutenant, faisant revivre, hélar trop tard, cette joie tant espérée dans ce lointain passé.
Mais quel intérêt ce récit improbable, incroyable, peut-il avoir pour vous, mes chers internautes? Vous êtes parmi mes confidents et votre affection, je la sens à l'instar des figures tutélaires que j'ai évoquées, fantômatiques en 1962, devenues proches aujourd'hui. Je vous engage à généraliser cette aventure qui ne peut être exceptionnelle. Pour commencer, ne refusez jamais l'aide que des gens qui vous aiment veulent vous apporter. J'ai pris en charge des jeunes gens exceptionnels, mais un peu paresseux peut-être. Au début, l'enthousiasme, mais le filet se relâche, la peur de changer de condition... Vous voyez que mon cas n'est pas unique. Vous pouvez aussi objecter que j'ai bien fait de refuser l'aide de L.H. que j'ai ainsi conquis sule, ma vraie nature. Mais je n'y crois pas. La civilisation ne se fait pas en solitaire. C'est un réseau merveilleux d'entre-aide désinteressée. Le reste n'est que business.
Demain, peut-être je terminerai le livre de LH. Mais dans le monde réel, une tâche impossible m'attend et je dois la réussir pour mon ami, le prototype N. 3. Songez tout simplement que si le scénario catastrophe se réalise, ce sera la disparition du papier monnaie et des actions (mon fils travaillait chez Lehmann Brothers, quelle tristesse, quel gachis !)". Ma devise est : FATUM METUIT FORTES. Le destin craint les forts. Le jour où le système monétaire s'écroulera, on verra se développer une civilisation du troc, et de la vie conviviale. Une nouvellegénération de gens robustes verra le jour peut-être. J'espère un jour créer une fondation autour de cette idée, en Andorre, sous l'inspiration de ma chère amie M.M***.
A demain, la suite et fin du livre de L.H.
Bruno Lussato