CHRONIQUE
Anticipation
Je ne puis que rêver ce billet, car je me trouverai aujourd'hui à Bruxelles, en train de visiter la fondation d'UCCLE. Mais mes pensées seront avec vous.
LE LIVRE DE L.H.
En attendant
mes impressions de Bruxelles j'aimerais vous livrer des extraits d'un livret composé avant l'Entretien et qui a beaucoup ému mes amis. Il est surtout étroitement rattaché à la thématique de "dédicace". (Faust I I). L'auteur interrompt son travail en 1962 et pense le réécrire aujourd'hui. Mais le monde entretemps a changé. Il ne le reconnait plus, des banques réputées commme Lehmann Brothers solides et compétentes s'effondrent en quelques jours, lur valeureux personnel qui après avoir sué sang et eau toute leur vie, se trouve à la rue pour satisfaire quelques spéculateurs. C'est le système sur lequel nous sommes bâtis. Et le reste suit.
Le livre de LH, est un recueil de souvenirs orienté autour d'une jeune homme de 23 ans, que je retrouve aujourd'hui pratiquement à l'identique. J'en livrerai quelques extraits dans l'espoir qu'ils ne lasseront pas l'internaute.
Quelques mots sur l'apparence physique de ce livre de 148 pages. Il est relié en veau bleu ciel, bien passé à la lumière et que j'ai décoré en or fin sur le premier plat, par deux épis d'orge en or et de lettres découpées et contrecollées de basane d'ocre rose, la couleur de l'écriture étant bleu gris et brun rosé.Le papier est un merveilleux Richard de Bas (Auvergne) non ébarbé avec un tranche-fiils bleu ciel. L'écriture est tracée au rapidographe (je ne savais pas calligraphier en ce temps-là). Le verso de la première page porte la photo d'un jeune homme couché sur le ventre, les cheveux très blonds dont une mèche cache les sourcils, les yeux rêveurs et durs tout à la fois, les lèvres sensuelles. C'est Lasse Hall, beau -fils de la grande cantatrice Kirsten Flagstad qui fit périr dans des conditions atroces son deuxième mari Johangsen.
La relation des évènements qui marquèrent cette période pourrait être gënante par les suppositions que ne manqueraient pas de hasarder bien des esprits malveillants. ... Leur souvenir m'étouffaient et ces pages que je vous livre me restituent l'image d'un inconnu : moi; et d'un autre : celui à qui j'avais causé du tort et qui se montra mon meilleur, mon seul ami. Conscient de ma méprise, je me mis immédiatement à sa recherche et le retrouvai. Il me demanda de détruire toutes les notes décrivant notre rencontre. Mais ce me serait intolérable et mon récit sera assez évasif pour perdre toute couleur anecdotique. Ce qui se glissera entre les lignes,je serai le seul à le savoir et se perdra avec mon oubli.
Christiane Hall
... J'habitais alors au Grand Hötel,place de l'Opéra et était fasciné par Christiane Hall, une splendide créature qui sortait tout droit d'une légende nordique. Ce fut le coup de foudre. Ses yeux étaient d'un bleu trouble, tirant sur le vert, veloutés, des yeux pers. Elle semblait très voluptueuse, mais sans la moindre intention vicieuse, plutôt animale. ... Avant de partir elle me dit que son frère Lasse devait passer un an à Paris pour faire un stage et qu'il descendrait au Grand Hotel (celui où résidaient les grands chanteurs, et Georges Sebastian le spécialiste du grand Opéra) Je fus impressionné de connaître quelqu'un qui lui tenait de si près. C'érait un lien que je cultiverais en me faisant un ami de son frère, qui devait nécessairement lui ressembler.
Lasse Hall
... A ce moment précis on frappe. Je distingue dans le couloir un homme de haute taille dont je ne distingue que la silhouette dans la pénombre du couloir. Je prends congé d'un faux ami avec qui je m'ennuyai en compagnie, je rentre dans ma chambre du 648, découvre mon nouvel invité et un éblouissement me saisit. Pour me ressaisir je lui indique un fauteuil un peu défraîchi et l'inonde sous un flot de banalités ... Lui m'examine froidement comme pour me jauger, puis après un long silence, sourit. " Je parle mal le français et je le comprends à peine, pouvez-vous parler moins vite?" Je suis confus et je commande une glace, ou préfère-t-il un éclair au chocolat? Dieu que le service est lent dans cette usine... J'ai peur qu'il décommande et se ravise. Une fois le thé et les éclairs commandés, j'aurai le temps de lui parler, de le retenir.
Que s'est-t-il passé? J'étais simplement en présence de Christiane au masculin. La ressemblance était stupéfiante bien qu'ils ne fussent point jumeaux. Mais sur le moment, je fus sidéré : même chevelure blonde, épaisse, sans éclat, une mèche retombant sur le front. Je retrouvai les lèvres pâles et bien dessinées, assez charnues, les deux grandes incisives supérieures, un peu enfantines, le nez assez court, le front large et bas, le visage triangulaire et plein... J'étais d'autant plus surpris que je m'attendais de façon toute théorique à cette ressemblance. Il m'arriva par la suite de telles intuitions mais je ne m' y suis jamais accoutumé.
Lasse était vêtu d'un complet gris qui lui allait mal car trop strict. et négligé tout à la fois. J'étais vaguement troublé car j'éprouvais pour ce garçon (ou cet homme jeune?) un sentiment de curiosité passionnée et de répulsion physique. Par sa carrure massive, il faisait homme du peuple, mais son comportement était naturellement racé.
En me quittant, il me proposa de dîner avec une de ses amies, au Grand Hötel et on achèverait la soirée dans une boîte. D'instinct et sans réfléchir, je refusai vivement. Je regrettai aussitôt mon refus, peu conscient de mes mobiles. Gëne? Timidité? Répulsion? Nous nous fixames rendez-vous Mercredi à 17 heures, au studio, après ma leçon de piano.
Ch. IV. Le chant de Hellewijn
Pendant ma leçon de piano, j'oubliai Lasse et Christiane, pour peiner sur le déchiffrage de Tristan (que chantaient Kirsten Flagstad et Max Lorenz). Lasse entra à ce moment et s'assit sans mot dire. Je redoublai de nervosité, en trébuchant à chaque bécarre. Pleine de tact mme Lapp (mon professeur) devinant ce qui se passait arrêta le supplice et me demanda de jouer une sonate de Beethoven. J'y étais à mon aise et je dus l'interprêter correctement. Je fus fier de présenter Lasse à Mme Lapp. Cette dernière me sussura alors que je la reconduisais : "cela c'est un vrai allemand, c'est le nazi comme Hitler le rêvait, je connais bien ces brutes. Mefiez-vous, ils sont sans pitié, avec leur air doux ils sont capables des pires horreurs. J'en ai rencontré dans ma jeunesse. " Commençait alors l'habituelle diatribe anti-allemande (Mme Lapp était née Levy) qui conclut par une transition subtile et stupéfiante, par le conseil de m'attacher ce jeune homme d'excellente famille et si poli ! Il me serait d'après elle très dévoué. Cette femme pleine d'intuition ne savait pas à quel point l'avenir vérifierait ses contradictions.
Je rentrai dans le studio de mauvaise humeur. Mon désir de mieux connaître Lasse était tombé comme un soufflet refroidi et je le considérai avec méfiance. Il me parut différent, pantalons sombres impeccables, cravate brune un peu défaite, ensemble négligé et sportif. Je fus soudain frappé par la largeur des épaules, dissimulée par l'habituelle tenue stricte, par l'autorité et la puissance que dégageait son corps.Un homme habitué à commander et à être obéi. Il était sûtrement harmonieusement bâti car on ne remarquait pas cette carrure robuste. Lasse me demanda si j'aimais Wagner et si je pouvais l'accompagner. Je lui répondit que c'était impossible sans préparation. Il se mit à rire et chanta debout en s'accompagnant tant bien que mal. Il avait une voix voilée et sombreeeee entrecoupée par des notes éclatantes. Une voix sauvage aux notes très liées et chantantes, une interprétation maladroite et hors mesure. A vraidire, j'était outré de constater que ce garçon qui possédait tout ce qui me manquait, force, joie, beauté, richesse, dût aussi me surpasser dans le seul domaine où je prétendais exceller !
Il accueillit mes froids éloges avec un plaisir exagéré et en s'accompagnant maladroitement, il chanta un tas de Volkslieder. Je n'entendis jamais un chant aussi lié, aux inflexions si poignantes, au timbre si frais, caressant dans lemédium, rauque dans les basses, clair et héroïque dans les aigües. J'étais subjugué, fasciné, par ce chant sensuel et malheureux qui me rappelai les chants martiaux des soldats nazis sous l'occupation.
Il sentit mon admiration et ses yeux brillaient de plaisir tandis qu'il continuer de chanter sur mon minable piano de location. J'avais les larmes aux yeux. Ce soir encore il m'invita mais avec plus de chaleur, en m'affirmant que nous deviendrions sans doute des amis. Hélas je dûs décliner, ne pouvant ni décommander cet exalté de Claude Gauthé, ni le présenter à Lasse. Le suédois me dit un peu froidement " ça ne fait rien, nous aurons sans doute l'occasion de nous revoir au Grand Hötel. Il me quitta rapidement, presque abruptement.
Je me sentis insatisfait et désemparé. Je craignais la solitude car ma compagnie n'était guère recherchée. Je me demandais quand je reverrai mon nouvel ami,. Il avait semblé me supporter, mais il m'était tellement supérieur à tous points de vue !
Gauthé ne vint pas ce soir-là. Cela me plongea dans une rage froide dont je me débarassai en allant m'abrutir au cinéma.
Huit jours après, plus de nouvelles de Lasse. Je n'osai guère lui téléphoner, moi qui ne me privais point de déranger Lorenz au milieu de sa sieste !
Rencontre fortuite
Le dimanche suivant était le jour sans Salacroup (autre faux ami). Je me morfondais dans ma chambre, trop paresseux pour m'en évader. et rangeais mes minéraux (je collectionnais les cristaux). Comme un étouffement me saisit, je sortis soudain me promener dans les interminables couloirs du Grand Hôtel et par hasard je rencontrai Lasse. Il parut content de me voir et je m'enhardis jusqu'à l'inviter chez moi prendre un thé. - Non c'est moi qui te recevrai chez moi- me tutoya-t-il
Il me fit entrer dans sa chambre, le 136, un de ces appartements luxueux que j'apercevais à travers leur porte entre-baillée, en me demandant qui pouvait bien y habiter. La chambre et le salon adjacent étaient en désordre,,,,,,, des effets vestimentaires traînaient un peu partour , un pyjama rayé trônait sur le dessus du lit et des valises étaient béantes au milieu de l'antichambre, barrant le passage. (En ce temps là, les pièces étaient un peu poussiereuses, l'hôtel moins luxueux qu'aujourd'hui). Mon père eût fait un scandale pour moins que cela.
Lasse jeta négligemment sa veste dans un coin, défit sa cravate et retroussa ses manches de chemise.- Veux-tu un whysky? Tu en trouveras là-bas. - Non, répondis-je choqué, je ne bois jamais d'alcool. "J'étais très impressionné de voir un garçon de mon âge, regner en maïtre dans des lieux bien plus somptueux que Oscar Ghez ou d'autres gens importants que je considérais avec respect. Pour la première fois je le détaillai avec attention : il était alors d'une fraîcheur, d'une tenue impeccable qui me mettaient mal à l'aise moi,mal rasé ,les cheveux trop longs; costume étriqué et mal coupé. Gêné, jem'assis sur le bord d'une bergère et tentai de le faire parler. J'entendais ces mots à travers un tampon d'ouate, comme s'ils venaient de très loin. Il n'avait pu me voir car les formalités d'inscription à l'école française avaient ...
Je n'écoutais plus, je l'observais attentivement : lorsqu'il souriait ses yeux se plissaient de plaisir, comme sasoeur. Se yeux ... Ils étaient vraiment inhabituels. Plus clairs que d'habitude ;ils tiraient sur le bleu violet, et différaient légèrement l'un de l'autre.
Le voici qui parle de l'Alliance Française... Si l'oeil droit tirait sur le bleu gris, le gauche était de la même teinte d'eau que Christiane.Mais les yeux clairs et étroits de Lasse, aux iris frangés d'un cercle sombre, étincenaient sur un visage triangulaire mais assez plein, aux traits réguliers. Une peau saine, des traits d'une beauté animale mais sans vulgarité. J' admirai non une certaine honte sa musculature puissante, loin d'imiter celle disgracieuse des haltérophies. Ses bras, son torse étaient charnus sans mollesse. Il ne portait sous la chemise qu'une petite croix d'or qui brillait sur la poitrine lisse et bombée. Je la comparai à mon corps de poulet étique et un sentiment d'intense désespoir et de révolte impuissante m'étreignit. Jamais plus je ne remonterai la pente. J'en étais malade. Par ailleurs je découvrais avec ahurissement combien un homme pouvait être beau sans être efféminé.
... "Où puis-je trouver une salle de culture physique? Y-a-t-il un tennis à proximité, on m'a dit qu'on peut se baigner dans la Seine, piscine Deligny. Ce sont des bobards? " Mu par une soudaine franchise, je lui expliquai que nous n'étions pas du même monde, que des goûts si différents ne pourraient s'accorder et ... que j'étais malheureux de l'avoir rencontré après m'être comparé à lui. Mais que si néanmoins il le désirait, je me sentirais trop flatté de me mettre à sa disposition pour perfectionner son français, et, puisqu'il amait Wagner, quelques lois de la composition" Je n'avais pas terminé ces maladroites avances que j'eusse voulu me trouver à cent pieds sous terre. Mais l'effet de mes idioties fut surprenant. Il me sembla me voir différemment comme s'il découvrait une personnalité inattendue. Il s'approcha lentement de moi et me demanda ce qui me faisait parler ainsi. Qu'est-ce qui me rendait aussi malheureux? IL m' assura que je lui fus sympathique dès notre première rencontre et que cela ne tenait qu'à moi pour l'avoir pour "allié". Je te veux me dit-il en plaisantant et il m'intima de lui apprendre "les lois de la composition"
Je fus bouleversé de joie et de fierté, car je sentis que "cela avait accroché". J'en tirai la leçon qu'avec les forts, rien ne vaut la franchise absolue, la folle sincérité, celle qui n'est à la portée que des fous des poètes, ...ou de ceux qui n'ont plus rien à perdre ni à gagner.
Je me souviens de la première soirée au cours de laquelle où je lui improvisai mes pastiches et quelques sonates .Pendant que je jouais je lui expliquais la construction des pièces, vraies ou factices. Lui ne cessait de me réclamer "autre chose". Il fermait alors les yeux ou me regardait sans bouger. Je finis par me sentir en confiance auprès de lui. Je pedrais même une partie de mon trac et de ma nervosité. Il aimait visiblement m'entendre. Quelque fois, quand j'ibterprétais la sonate en sol mineur, il en avait des larmes aux yeux. J'était attendri de le voir touché par se que je faisais et me pris d'un attachement aussi soudain que profond pour celui qui avait transformé mon existence. Pour la première foi on s'intéressait à moi, et qui donc ! Je me sentais honoré au delà de toute expression. Hélas, dès que je le quittait, l'excitation tombait et je me sentais encore plus seul et misérable qu'auparavant.
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A SUIVRE SI VOUS LE DESIREZ
Bruno Lussato