CHRONIQUE
Commentaires de la dédicace
Le billet d'hier présente la dédicace assortie de sa traduction inspirée en partie par l'excellent traduction de Jean Amsler, modernisée par Olivier Mannoni, d'après Gérard de Nerval (Gallimard 2007, in-folio), en partie par du mot à mot.
Le lecteur pourra ainsi apprécier la sensibilité de ce poème en quatre sections. Je me propose dans ce billet qui fait suite au précédent de livrer mes impressions subjectives et les résonances qu'évoque dans tout mon être vieillissant et nostalgique ce contact avec un des plus grands génies de la pensée occidentale.
LA DÉCOUPE
La première section comprend huit vers, et montre le poète céder à l'inspiration venue d'ailleurs, comme un esprit étranger. Je ne puis que comparer les pulsions qui dans un paysage de tempête me poussaient à accueillir en dépit de ma volonté les images impérieuses.
" Vous insistez, eh bien! Agissez comme bon vous semble. Ces images rajeunissent le vieillard qui se trouve vibrer au nouveau souffle.
La deuxième section de huit vers est déchirante.Elle rappelle avec une tendresse et une peine indicibles, kes âmes de bien, compagnons chéris, aujourd'hui disparus ou morts, alors que Goethe est toujours vivant et vigoureux.
- Vous apportez avec vous les images de jours heureux... le premier amour, la première amitié renait avec vous ... comme ces photographies à demi jaunies. Mais la tristesse domine le souvent: la douleur devient neuve...
La troisième section de huit vers, évoque un départ, un changement inquiétant. C'est celui qui surprend celui qui, revenu à son oeuvre, s'aperçoit que les temps ont changé, et qu'il ne se reconnait plus dans la sensibilité du temps. (ma peine résonne pour la foule inconnue, son ovation même inquiète mon coeur.)
La dernière séquence de huit vers est la plus poignante. Evocation du grave empire des esprits, loin de la mondanité et des divertissements des nouvelles générations. Mais quoi de plus émouvant que les larmes qui succèdent aux larmes, comme si les écluses d'une affectivité enfin extériorisée s'ouvraient béantes. La fin est la plus surprenante et situe le royaume hors temps où se réfugie le poête:
"Ce que je possède, je le vois comme au loin,
et ce qui fut aboli devient pour moi réel."
Invisible translation du temps.
LES RÉSONANCES
Les mots clé forment des pivots émotionnels, difficiles à traduire, et formant une musique de mots que Schumann dans Scènes de Faust" a rendu avec une telle empathie, que cette musique (exceptée l'ouverture moins réussie) semble composée par un artiste inconnu, jamais entendu, irrégulier de forme et fascinant. Et on finit par découvrir que cette mussique est celle des vers de Goethe. Ce dernier n'acceptait que Mozart, le plus grand des interprète de l'âme humaine, mais il était mort hélas. Il refusa l'approte de Beethoven, et il avait raison, car ce dernier était trop personnel, pas assez noble, ni fuyant, ni subtil. Mahler, réussit la fin, mais trip long. Ce qui caractérise Faust est la prodigieuse concision.
Les résonances, on ne peut les apprécier qu'en allemand.Voici des exemples.
Schwankende Gestalten... figures vacillantes. Mais le mot Gestalt, qui devait inspirer la théorie de la forme, ne désigne nni une forme (trop vide) ni son contenu (trop matéiel).
Ihr Bringt mit euch die Bilder froher Tage. Vous apportez avec vous l'image des jours heureux. Le mot Bild, insiste sur l'imagination visuelle du vers.
Dominent les thèmes suivants : la nostalgie des jeours passés, plaisir et douleur, le dépaysement, les images floues et tremblantes,les légendes à demioubliées, le contraste entre les pleurs et les sanglots, contrepointés par les spires lentes et dignes du chant tantôt noble, tantôt chuchoté et appreoximatif (donnant raison aux malveillants qui déploraient l'affaiblissement causé par l'âge, de ses forces créatives).
Mon parcours personnel
J'ai ressenti avec une intensité particulière les complexes de sentiments et de contradictions de 'Dédicace", notamment dans de nombreuses parties de l'Entretien. Citons : l'Océan, qui dépeint le grave royaume des esprits et la pulsion qui me contraignit à me dicter "Le départ" où je décris mon départ de ce monde, comme dans "chansons de la vallée" qui m'éloigne de ce monde-ci pour m'offrir un refuge dans ce qui ne peut exister, et bien entendu l'omniprésence d'Hilarion, mon Mephistophélès. Mais ce qui domine dans l'Entretien est un infini désir de ce qui ne peut exister (mais qui a fini par se réaliser cette dernère année... trop tard !)
J'ai commencé l'Entretien voici plus de 30 ans, par un récit relatant ma passion ambigüe pour un jeune homme, vrai prototype de héros nordique, dont le nom Lasse Hall était celui du beau fils de la grande cantatrice Kirsten Flagstad et qui fit périr dans des conditions d'une cruauté implacable son mari Johangsen. Lasse s'était attaché d'une façon impérieuse au minable rêveur égocentrique que j'étais, bourré de complexe et hanté par le spectre de l'homosexualité. Il eut raison de ma passion pour Lasse, et des efforts de ce dernier pour me rendre normal. Il voulut me faire faire du sport , me faire coucher avec de jolies filles, m'arracher à mon cocon familier malsain en m'accueillant à la maison familiale de Göteborg et de Kiruna. Hélas, en vain. Je le craignais et je finis par le lasser définitivement, il finit par me mépriser et me rejeter. Ce n'est qu'un peu plus tard que je découvris ma chance : fréquenter un homme d'une telle envergure!
Ce fut le tout début de ce qui devait constituer les fondements parcellaires de l'Entretien qui prirent la forme de dialogues, d'un récit commenté, d'une obsession lancinante : Le Livre de L.H.
L'ensemble s'organisa donc et s'orienta autour d'une section mélancolique, mon désir lancinant d'un ami tel que Lasse, une autre grave et sérieuse : Apocalypsis cum figuris , la troisième, sous le signe d'Hilarion, empruntée au personnage de Méphisto, l'esprit qui raille et qui nie .
L'ensemble, tout au long d'une distillation lentre et spontanée tout à la fois, donna l'Entretien, dont la totalité est destinée à prendre place au département des manuscrits anciens,à la Bibliothèque Nationale de France. L'élaboration et la calligraphie ne naissaient qu'à des moments totalement imprévisibles comme le Gampi japonais (papier rare pour la calligraghie japonaise) ou pour la vigogne (sorte de chèvre produisant une laine de cachemire d'une extrême légereté, soyeuse , c'est le vison de l'homme, hors de prix) .
En ce moment je me trouve dans une période de stérilisation complète.
Période de latence
Lors de la période d'extinction des volumes carrés de 35 cm de côté; qui forment le manuscrit original destiné à la BNF, il me prit l'envie d'en tirer des copies dactylographiées. Une première série, que j'aime beaucoup imite les séries I segni dell'uomo de Franco Maria Ricci en format Jésus, et en papier bleu vergé. Faute de matériau, je me contentai de simuler le Jésus et utiliser un papier plus épais, mais le résultat fut mieux qu'acceptable.
Je décidai d'en faire une autre version dactylographiée su papier glacé, et assez imaginative, comprenant toutes sortes de variantes graphiques et que j'imprimai moi-même sur une vieille imprimante aujourd'hui introuvable. En ce temps Adobe Photoshop était accessible. Aujourd'hui, c'est un travail de grand spécialiste. Ces livres étaient très commodes de maniement et de consultation. Je crois que je les préférais presque aux originaux. J'eus l'idée de les joindre aux originaux pour en faire un tout homogène, mais on m'en dissuada. "Tout va être enterré dans la salle prestigieuse mais quasi inaccessible. Qu'au moins des tracas circulent dans votre fondation ou ailleurs".
Dactylographier les lacunes
Les livres sur papier glacé, sont des extraits choisis parmi mes préférés, mais qui ne contiennent qu'une infime partie de l'original. Pourquoi ne pas continuer à en imprimer, une seconde série de l'original? Et pourquoi ne pas la publier dans le blog? Ce serait peut être interessant que de porter à la connaissance de mes internautes, ces morceaux choisis additionnels. Les variantes seront si modifiées que tout se passerait comme si je reprenais pour un autre public, une nouvelle création. Vingy ou quarante ans après! Dans un monde méconnaissable, à la fois étranger et inquiétant et cependant rassurant, car de nouveaux amis, plus proches que jadis, de nouvelles affections, de nouveaux appuis comme le votre, mes chers internaute, réchauffent mon coeur.
La dédicace revisitée
Cest ainsi que les pôles forts de "Zueignung" résonnent en mon âme. Les figures vacillantes venues du passé, l'émotion renouvelée et une nouvelle jeunesse qui vivifie tout mon être, une volonté de création venue dont on ne sait où, des images floues et troubles, des larmes succédant aux larmes, et Dieu sait si j'en ai versé, la vie quotidienne remplacée par un imaginaire du lointain (cf. Des êtres et de pays étranges), et sous-jacent,
se déployant dans les tréfonds ce chant profond et sérieux.
Mes chers amis, est-ce que cela vaut la peine d'égrener quelques séquences inédites de l'Entretien?
En pensant à retranscrire ce qui a été élaboré voici quelques décénnies, je me vois revivre dans un pays lointain, tout à changé, je suis entouré de figures inconnues et amicales mais aussi instables : des magnats russes, des mécènes incertains, des situations improbables et des honneurs teintés d'amertume. Une encéphalite visite tour à tour mon cerveau provoquant des émotions allant des pleurs à une étrange vitalité. Actuellement je me trouve dans l'oeil du cyclone.On me félicite pour ma bonne mine, mon extraordinaire énergie. Je suis heureux de vivre et désemparé par la succession des évènements de la planète, passant de l'enthousiasme et de la joie de vivre à la terreur de la prochaine crise qui me privera de votre compagnie.
Ce qui me semblait réel et assurait mon gagne-pain, me semble fantômatique, et ce qui me paraissait relever de la pure rêverie m'envahit et devient pure action.
Ainsi revis-je à ma façon les derniers vers de la déchirante dédicace de Goethe. Faut-il perséverer, dois-je vous livrer revus à la lumière du présent des fragments nouveaux et inédits de cet entretien?
Votre Bruno Lussato