CHRONIQUE
De la poésie au théâtre d'idées
A propos de Faust de Goethe (
La vraie poésie, celle à l'état pur admise par les poètes professionnels, est, comme un haï ku, un condensé de sens, un entre-choc de mots inattendus et faits pour surprendre
Amour hélant
l'amoureuse viendra
Gloria de l'été ö fruits
Ces vers de René Char, extrait de Lettera amorosa figuraient dans une double-page d'une reliure de Martin.Je les admirais à chaque fois que je passais devant la vitrine de Nicaise et forcément c'étaient toujours les mêmes. Ainsi je m'accoutumai à ces vers magiques. Je les décodais comme un idéogramme chinois :
Amour hélant : on imagine l'appel irresistible, organique, du sexe en manque
L'amoureuse viendra: Partie Yin du couple sexuel*
Gloria de l'été : la plénitude de la fertilité
Ô fruits : précise la notion de fertiité
Poésies et versification
Dans l'esprit de bien des gens, versification est poésie.Ils oublient qu'au XVIIe siècle, les amateurs rédigeaient tout naturellement en vers, même des phrases dépourvues de toute émotion esthétique :
Ci-git Piron qui ne fut rien
pas même académicien.
Plus rarement, des vers peuvent être écrits sans rime (ce n'est des vers, donc c'est de laprose) mais généralement, d'autres procédés la remplacent :allitération (Wagner), timbre et balancement rythmique, musique des mots et des sons.
Faust de Goethe est presque toujours rédigé en vers, mais il est des passages, parmi les plus impressionnants, où la versification est suspendue alors que l'émotion etle mystère sont à leur apogée.
Mitternacht
Vier graue Weiber treten auf
ERSTE. Ich heisse der Mangel.
ZWEITE.. Ich heisse die Schuld*
DRITTE. Ich heisse die Sorge
VIERTE. Ich heisse die Not
(J'ai nom la Pauvreté, j'ai nom la Dette, j'ai nom le Souci, j'ai nom Détresse)
Plus loin un dialogue échappe à la versification et manifeste un laconisme qui effraye les traducteurs.
(Faust enfermé à clé et tremblant)
- Y a-t-il quelqu'un ici? Ist jemand hier? Y a-t-il quelqu'un ici?
- La question répond Oui. Die Frage fordert Ja ! La question répond oui!
- Et toi, qui est-tu? Un du, wer bist den du? Et toi qui est-tu donc?
- Moi, je suis ici. Bin einmal da. Je suis là une fois pour toutes.
- Eloigne-toi! Enferne dich! Eloigne-toi!
- Je suis bien là. Ich bin am rechten Ort. Je suis au bon endroit.
Une oeuvre majeure et contestée : Faust II
La compostion de Faust occupa soixante ans de la vie de Goethe et donna naissance à un bloc erratique, une sorte d'OVNI de la littérature allemande.
la première partie (Faust I) a été rendu populaire par l'histoire touchante de Gretchen, petite bourgeoise pure et généreuse, se sacrifiant par amour et pour éviter l'aide du démon. Cette a servi de support aux innombrables opéras, dont celui de Gounod et les scènes de Berlioz, car il excitait la sentimentalité du public
Il en est tout autrement de Faust II dépourvu pour Nerval et ses suiveurs de toute sève et condamné à l'impopularité. mais celle-ci est due à la superficialité et à la paresse des critiques qui n'ont jamais pris le temps d'étudier sérieusement ce monument. Celui-ci est beaucoup plus accessible qu'il n'y parait, et j'ai dû raconter les nuits où d'un téléphone à l'autre ma soeur et moi nous commentions par petits passages des fragments et nous en sortions émerveillés et révigorés par ce bain d'intelligence inspirée.
Citons les aigres évaluations de Gérard de Nerval :
La pensée de l'auteur est souvent abstraite et voilée comme à dessein,... et c'est ce défaut capitzl surtout pour le lecteur français qui nous a obligé de remplacer par une analyse,quelques parties accessoires du nouveau Faust. Nous avons tenté d'imiter en cela du moins, la réserve et le goût si pur de M. Le comte de Sainte Aulaure.
Nous devons regretter que la seconde partie de Faust n'ait pas toute la valeur d'éxécution de la première, et que l'auteur ait trop tardé à compléter une pensée qui fut toute sa vie. En effet l'inspiration du second Faust plus haute encore peut-être que celledu premier, n'a pas toujours rencontré une forme aussi arrêtée et heureuse... on peut penser que la popularité de cet ouvrage lui manquera toujours. etc...
Comparons-les à l'analyse profonde de Bernard Ortholary (dans la préface à l'ed. de Jean Malaparte, pourtant la plus défectueuse)
Au lieu du bouillonnement tumultueux et visionnaire du URFAUST, l'écriture du vieux poète connaît alors l'extrême lenteur d'une distillation subtile et minutieuse où se condensent en une forme dont l'économie et l'équilibre forcent l'admiration, des décennies de culture classique et universelle... Goethe va consacrer l'essentiel de ses cinq dernières années à achever, au prix d'un travail plus réfléchi sans doute qu'aucun autre dans toute sa carrière, ce qui apparaît bien come le fruit de toute une vie. Les Actes I et II lui prennent très de trois années, kcinquièle est achevé au printemps 1931, le quatrième enfin dans l'été qui suit. L'ensemble est publié dès 1832, mais selon la volonté du vieillard, qui avait scellé le manuscrit, seulement après sa mort.