CHRONIQUE
Excellence, quintessence et kitsch
Du temps où j'édifiai ma seconde fondation, aux Capucins, j'avais prévu une salle d'exposition qui contenait des objets très variés. La première vitrine correspondait à une plaquette déclinée en plusieurs aires de civilisation : la quintessence.
Qu'est-ce que la quintessence d'un objet? Un objet qui a de la quintessence a de la quintessence, celui qui n'en a pas, il n'en a pas , basta!
Ont de la quintessence : la baguette, l'eau Perrier, la 2CV Citroën, Chanel N° 5, pour la France, le Ray Ban, la bouteille de Coca Cola, le Steinway de Concert, le Bus à impériale, le Hamburger, la Harley Davidson, pour d'autres pays.
L'objet de quintessence est immuable, passé à l'état de symbole, évident, inaltéré. A ne pas confondre avec l'objet d'excellence comme la Rolls Royce. Il en existe trop de modèles pour gagner son statut immatériel. La 2CV, est une 2CV, comme la bouteille de Perrier.
Certes le temps modifie cette hiérarchie. Qui se souvient du savon Palmolive avec son papier vert et sa baguette noire?
L'objet d'excellence est un exemple de ce que la technique et l'artisanat font de plus parfait, c'est un record, un modèle à admirer et à imiter. Une Ferrari, un Stadivarius, le Concorde, un Netzuke, une porcelaine d'époque Ming, sont d'une beauté parfaite. Ce sont des témoins d'excellence et de grands maîtres du goût et du Connoiseurship. J'ai toujours aimé la compagnie de ces gentlemen, ils ont la connaissance d'un expert, avec un certain raffinement en plus et une largeur d'esprit qui manque au commissaires priseurs dépourvus de discernement et de passion.J'ai eu chez moi un Léger de 1913, provenant de chez Kahnweiler, l'ami du peintre et exposé par les conservateurs des plus grands musées. Et aussi de magnifiques makemono de Chen Jo et de Wang Uyan Chi provenant de chez Dubosc. Tous étaient faux. Ce fut ma soeur qui le pressentit. Elle n'est pas diplômée en histoire de l'Art. Elle a le goût, l'intuition et le sensde l'équilibre qui font l'authenticité, la vie, le rayonnement d'une bonne oeuvre authentique. Et elle "s'y connaît" en plus. C'est cela le connoisseurship.
Le Kitsch, c'est selon le auteurs l'art du bonheur ou l'horreur esthétique. (Cf. G.Dorflès, l'occhio comune de Guido Ballo, Abraham Moles). C'est l'imitation améliorée : le piano-bar, la tour eiffel-baromètre, les déclinaisons de la Joconde, en serviette, set de table, papier peint ou médaille en argent fleur de coin comme valeur-refuge pour notaires de province. C'est l'horreur esthétique, la barbarie culturelle, que feignent d'approuver les snobs. Pouah !
Note : un journaliste d'Art qui passait par là me taxe d'élitiste bourgeois. Tant pis, je m'y ferai.
Mon musée personnel.
A l'hôpital on m'a appris à glisser dans le sommeil profond. Pour cela vous vous allongez sur le dos, peu couvert, et vous pensez aux objets utopiques, qui vous donnent de la joie (cela va d'un diamant rose à une villa pieds dans l'eau à St Raphaël.)
J'ai ainsi constitué ma liste parfaite d'objets. En voici un échantillon, faites en de même et raffinez-là. A défaut de les posséder, rien ne vous empêche de les admirer dans un musée ou une boutique renommée.
1. Un décadrachme sicilien de Kimon. Ce sont des monnaies d'argent très larges et en haut relief, frappées par un des aristes majeurs hellenistiques. Je voulais l'exposer dans la fondation d'Uccle en Belgique, mais ma soeur m'a mis en garde contre le danger d'avoir des objets disparates et trop petits pour faire un effet sur le public.
2. Un piano de concert impérial de Bösendorfer. J'en avais un,mais j'ai dû le vendre quand j'ai cédé le Centre des Capucins à une grande firme, et il était trop grand pour passer par la fenêtre (ptrsque un tiers de plus que mon grand Steinway de concert!). Je le regrette aujourd'hui car il est introuvable et il aurait trouvé une place dans la nouvelle fondation d'Uccle. Les Bösendorfer sont beaucoup mieux fabriqués que les Steinway dont ils n'ont pas la notoriété car ils ne sont pas les amis des concertistes. Un Steinway sonne comme vous le voulez (un bon tout au moins), un Bosendorfer impérial, comme il le veut, lui. Il peut avoir des hyper hyper basses (un clavier supplémentaire) sonnant comme des cloches, et des aigus criards, insupportables, et puis voilà qu'il se met à chanter la voix des anges, comme ça, à l'improviste !
3. Un agenda de chez Hermès en cuir tout simple. Dans un demi-siècle, pour une somme modique, on le rajeunira. La satisfaction d'avoir la quintessence de l'agenda, jointe à l'excellence.
4. Un bouquet de roses provenant du "nom de la rose". C'est ce qui décore l'Elysée. Pourquoi pas chez vous un jour de fête?
5. UN rêve inaccessible pour m'endormir. Hermès pour la modique somme de 30 000 euros faisait des manteaux de vigogne, réversibles, doublés de vison. J'en ai essayé un, et cela vous fait un drôle d'effet, mieux que les vigognes des stars. Aujourd'hui il est doublement inaccessible : Hermès n'en fait plus que de simples à 15.000 euros. Du coup mes rêves auront perdu leur consistance! Qu'est-ce-que la vigogne? C'est l'équivalent d'une zibeline ou un chinchilla pour un homme. C'est la laine d'un animal qu'on ne peut apprivoiser, d'une chaleur et d'une légèreté incomparables et d'un éclat soyeux. Une plume!
6. Un rêve accessible mais pour un milliardaire : un diamant rose ou bleu ciel. La merveille des merveilles. J'en ai aperçu, et j'étais fasciné par les mille feux multicolores sur fond bleu acier.
Et voilà ... je dors...