CHRONIQUE
Reprise exceptionnelle
Heureusement Emmanuel Dyan est dans les parages, loin de l'Inde où il exerce ses hautes compétences et il m'a appris des "trucs" nouveaux, tant il est vrai qu'on n'en a jamais fini avec les jongleries informatiques, surtout quand la mémoire fait cruellement défaut. Car vous savez qu'une partie de mon cerveau est frappée d'amnésie.
J'en profite pour parler avec vous en attendant des temps meilleurs et en esprérant qu'ils ne soient pas pire, car je dois encore subir une anesthésie générale supplémentaire. J'ai vu de mon lit d'hôpital trop de malheureux qui disparaissaient après ces opérations pour ne pas remercier le Seigneur qui m'a conservé toute ma lucidité cette fois-ci, mais aussi ma resistance presque anormale. Mes compagnons d'infortune menaient une vie tranquille, entourés par leur famille, des visages souriants dans des cadres plaqué argent, des gens normaux, avec de petits et de grands problèmes , de petits enfants brailleurs, d'autres saisis par la rougeole, la varicelle ou par la flémingite.
Le cocon familial
Je mesurai à leur chaude vie ouatée, ce long fleuve tranquille, charriant petits malheurs et douces joies, l'austérité de la mienne. C'est que je ne vis que par procuration, ma raison d'être est en dehors de ma portée. J'essaie d'aider, de faire corps avec mes clients qui sont aussi mes meilleurs amis, la chaleur, je l'ai connue dans le Nord où je me sens entouré par les épouses, les enfants et les petits enfants, je retrouve une vocation de grand père!
Non. Si j'excepte Lille, point de chaleur humaine pour moi. Il me reste à accomplir ce qu'on me demande, avant tout pour ce malheureux pays dévasté et ingouvernable qu'est la France, ses conflits de génération, cette maturité à courte vue, attachée à des privilèges que mon ami François DeClosets, et surtout l'illustre Michel Crozier (à propos de la bureaucratie mortelle qui paralyse la France) ont décrit en long et en large.
La survie
Je suis condamné à prolonger ma vie le temps de former mes successeurs.
La majeure partie d'entre eux est désignée et ils sont très enthousiastes. Former mes futurs collègues, quel plaisir ! Malheureusement nul ne me garantit une telle vitalité pour ma future opération. Enfin, abandonnons nous à Dieu.
Le linguiste et sa femme
Hier un linguiste et sa femme linguiste comme lui, professeur au Collège de France, sont venus me rendre visite. Tous deux connaissent plusieurs dizaines et langues et estiment que la langue est une combinatoire à telle enseigne, que de chacune dérivent toutes les autres. Il n'existe pas d'exception, même en y incluant le langage algorythmique ou informatique.
Je contestai fermement cette hypothèse. Il se peut que certains fragments de langues ne puissent se réduire à un modèle, mais soient le produit de coutumes, de pratiques religieuses et funéraires, de rites et de croyances échappant à cette combinatoire.
Le premier linguiste m'exposa son grand projet : vivre exactement 120 ans et pour cela planifier chacun de ces grammes de nourriture. Il se vantait de ses exploits. Mais il oubliait que la volonté dépend aussi de facteurs aussi aléatoires qu'une brique qui vous tombe sur le crâne.