CHRONIQUE
Canicules
Les grandes métropoles ont chaud, bien d'autres sites aussi, à commencer par la Provence. Certes, pour ceux qui peuvent se le permettre il y a l'air conditionné. Mais dès qu'on l'arrête, la chaleur revient, pire qu'avant. Par ailleurs il est inefficace pour les appartements où les murs des voisins gardent la chaleur. Ce n'est que dans de grands établissements:hôtels, bureaux, administrations, que tout l'environnement est air conditionné. et puis, à l'exemple des Américains, l'intérieur est réfrigéré alors que l'extérieur est une fournaise. De quoi attraper la crève, sans compter les germes véhiculés par des tuyaux mal entretenu, véritables nids à poussière et à germes.
Hier j'ai voulu visiter l'exposition de Hokusai au musée Guimet. Elle se trouve au sous-sol et elle est assez exiguë. A la caisse on m'a vivement dissuadé d'y pénétrer. L'air y est irrespirable à cause de la chaleur véhiculée par les visiteurs trop nombreux, et vers la fin, ils laissent dernière leur passage eux une véritable étuve. Le seul remède : y aller à dix heures, dès l'ouverture. Derrière moi, un bruit de sirène, le SAMU. Un des visiteurs vient d'avoir une attaque. Ainsi périodiquement on doit véhiculer d'urgence des imprudents qui affrontent la canicule interne plutôt que de se sauver, pour ne pas perdre le bénéfice de la queue interminable et le montant de leur billet.
Qu'est-ce que la canicule?
C'est une forte chaleur mâtinée d'humidité, mais tributaire aussi de la constitution physique et psychique des gens. Par exemple, j'ai toujours froid et j'aime, même en ce temps de canicule marcher en plein soleil !
Mais pour le scientifique, la chaleur est la forme la plus dégradée d'énergie. C'est du chaos fait énergie, du désordre aléatoire, ce que l'on nomme l'entropie H. L'entropie est maximum par exemple dans la succession des nombres qui se succèdent à la roulette, dans les mouvements improvisés et incohérents d'une foule en panique, Une des grandes lois de la physique est l'accroissement irréversible de l'entropie. Prenez un château de cartes habilement agencé. Il a une forme, une structure. Attendez. Tôt ou tard, il s'effondrera et donnera un tas de cartes disposées au hasard. Attendez encore. Croyez-vous que le tas de cartes se reformera en château? Évidemment pas, la néguentropie de départ (le contraire de l'entropie, l'ordre, la forme) est perdue pour toujours, et l'entropie finit par l'emporter. Et cette dégradation affecte tout l'univers : les ruines d'Angkor, les maladies dues au vieillissement, les pannes des ordinateurs, des ascenseurs, en en sont des témoins éloquents, au point qu'on mesure le temps à l'accroissement d'entropie. Dans une société statique, ordonnée par des rites pérennes, le temps ne s'écoule pas. La néguentropie règne, encore que cet état ne résiste pas à la longue à la corrosion entropique. Les ruines illustres sont là pour nous le rappeler.
Parmi les agents corrosifs, les produits made in USA jouent un rôle considérable. En définitive la culture est néguentropie, la barbarie est entropie. Et l'entropie finit toujours par gagner (la mauvaise monnaie chasse la bonne, dit un adage populaire).
La température
Prenez un glaçon et posez-le dans une cuvette. Il occupe un espace défini, et en partant de la position d'une des molécules d'eau qui le composent, .vous pouvez en prédire celle de toutes les autres, à condition de connaître la disposition de départ. Pourquoi? Parce que un glaçon est immobile, les molécules d'eau qui le composent sont dans des rapports rigides.
Exposez à une source de chaleur le glaçon, bientôt il sera remplacé par une flaque d'eau. Les molécules deviennent plus libres, plus imprédictibles. Et c'est encore plus vrai lorsque l'eau s'évapore. Elle occupe un volume de plus en plus grand, et ses molécules bougent en tous les sens. Si on les empêche de se dilater, elles se mettent à cogner contre les parois du récipient, et avec d'autant plus de force que la chaleur augmente, jusqu"à faire exploser le récipient. On donne un nom populaire à ce mouvement continu et aléatoire (aucune règle ne gouverne la trajectoire de ces molécules et on ne peut prédire leur position dans l'espace dilaté). C'est la température. Lorsque celle-ci augmente considérablement, les molécules cognent contre les tissu de notre corps et les blessent, d'où une sensation que nous appelons brûlure.
Lorsque un texte littéraire, au lieu d'être sagement prévisible, comprend des mots inattendus, qui provoquent l'incertitude chez le lecteur, on dit qu'il a une température élevée. La notion de température d'un texte est bien connue des analystes littéraires et des professionnels.
Plus intéressante encore est cette notion appliquée à une foule. Si celle-ci est disciplinée et obéit à des règles précises et immuables, la température est basse comme son entropie. Mais si la chaleur (s'accroît conditions chaotiques, incertitude sur des points vitaux) des réactions de panique apparaissent qui bien souvent, en particulier dans les grandes métropoles de notre pays. La France, on ne le sait que trop évolue par crises. C'est la grande spécialiste des révolutions, les individus-molécules s'agitent en tout sens,
Lorsque les molécules d'un gaz cognent et blessent les chairs par suite de l'augmentation de la température, les individus d'une foule déchaînée et aux réactions imprévisibles, cognent et blessent les biens, les monuments, les individus sans défense, quand ils ne les tuent pas. On peut à proprement parler de la température d'une foule. Basse température société statique, haute température, société dynamique (New-York) ou déchaînée (France).